n'est pas tranchée, et que c'était le frottement de l'air qui les échauffait. Diable ! pensai-je, j'ai affaire à un concurrent qui n'est pas, en tout cas, dépourvu d'imagination ! Je demandai encore, puisque l'enfant était là, s'il ne me serait vraiment pas possible de recevoir quelque chose sur la tête, un rien, un piton, un clou, une semence... Mais la jeune médium, qui ne me quittait pas de l'œil, était sans doute mal disposée ; je partis bredouille. Je le répète, en dépit des apparences, mon devoir était de tenir pour « possible », par principe, qu'il y eût quelque chose de vrai dans la médiumnité de l'enfant. Comme j'avais eu l'intention, si l'affaire avait pris tournure dans ce sens, de faire examiner et entraîner le sujet par Mme Bisson (si elle y consentait) je décidai, pour ma nouvelle visite fixée au 22, d'amener avec moi un ami de Mme Bisson, capable de se livrer à une première appréciation. Je téléphonai donc au docteur Jaworski, qui me paraissait tout à fait qualifié pour cette expertise; il accepta; et c'est ainsi que, deux jours après, je revenais, flanqué cette fois du docteur et de sa femme, devant la sinistre Maison-aux-Boulons. J'avais frappé dans le volet de la porte. Une fenêtre s'éclaira; le chien fut barricadé; la porte s'ouvrit; ce fut la jeune femme qui nous accueillit ; et, comme je présentais le docteur, elle nous dit à voix basse : Evidemment. Il était venu lui-même, ce jour-là c'était bien naturel pour savoir quel était le nouveau curieux, qu'il pouvait considérer comme un gêneur. Cela vaut beaucoup mieux, pensai-je. La situation sera fixée du coup. Nous traversions le tout petit vestibule, pour entrer dans la salle à manger ; quand j'entendis Jaworski s'écrier : (J'écris ici Durand, n'ayant aucune raison de citer le nom exact.) C'était un ancien ( assistant » de Mme Bisson, que connaissait donc fort bien le docteur. On me présente. Et voilà que Durand commence à m'apostropher, avec un certain ton pédant, au sujet de mon livre, qui lui avait fort déplu. Je réponds avec calme non sans remettre à sa vraie place le personnage, qui comprend qu'il a fait fausse route, - et l'entretien s'oriente rapidement sur des questions plus impersonnelles. Et, alors, là, pendant deux grandes heures, s'est déroulée une scène qui m'apparaît maintenant, avec le recul, du meilleur comique. Naturellement, il n'était plus question d'examiner la petite sourdemuette, puisque Durand en avait fait son « sujet ». Nous échangeâmes donc, lui et moi, des propos extrêmement compliqués, sur toutes ces questions, cependant que, alignés sur des chaises, la grand'mère, la mère, le frère, la jeune fille, muets comme des carpes et bouche bée, nous écoutaient sans rien comprendre et se demandaient évidemment pourquoi nous étions venus nous installer tout justement chez eux, ce jourlà, pour nous livrer à ces extraordinaires controverses !... Cela dura jusqu'à six heures et demie. Enfin, nous nous quittâmes courtoisement. Et, dans le train qui nous ramenait à Paris, le docteur et moi, nous conclûmes... Je ne dirai pas ce que nous conclûmes : en tout cas il était clair qu'il n'y avait rien à espérer de ce côté pour le moment. Quelle a été la suite de cette histoire? Je l'ignore. J'ai appris seulement, par Mme Bisson, que la jeune médium aurait donné à M. Durand des phénomènes sensationnels, comme la lévitation d'un des assistants, transporté sur la table assis dans son fauteuil... dans l'obscurité complète. L'avenir nous apportera-t-il sur ce point quelques précieuses révélations ? Pour ma part, je le souhaite vivement. Deuxième épisode: Par la Force et par la Ruse! ou Le Roi des Camelots ! Le 26 janvier 1922, en sortant d'une conférence publique sur Les Morts vivent-ils? où je m'étais rendu en simple spectateur, et où j'avais rencontré un docteur de mes amis, j'entrai avec celui-ci, pour prendre un bock, dans une brasserie quelconque. Nous tombâmes là sur un groupe de plusieurs curieux de divers partis, qui venaient eux-mêmes de pérorer, et, comme, la conversation ayant rapidement glissé sur le terrain des « phénomènes », j'expliquais méthodiquement (sans nommer la Sorbonne, bien entendu) ce que j'avais l'intention de faire je remarquai, parmi ceux qui m'écoutaient avec attention, un visage assez attirant, regard intelligent, profond et fin, avec, toutefois, une nuance de rêverie, mais que corrigeait le dessin d'une bouche franche et légèrement railleuse, toute pleine du sens des réalités. Le personnage, vêtu d'une manière fort ordinaire, mal rasé, les cheveux plutôt embroussaillés, se penchait et paraissait boire mes paroles. Au bout de dix minutes à peine, ayant pris congé, je me dirigeais vers la porte, quand, se levant lui aussi il était grand et élancé il vint vers moi : Monsieur, me dit-il, j'ai compris. J'approuve. Je peux être celui que vous cherchez. C'est-à-dire? Le médium capable de vous apporter des preuves. En matérialisation?... Car je ne veux pas autre chose pour le moment. Parfaitement. En matérialisation. Tout ce que l'on vous décrit, en fait d'ectoplasmie, moi, je le fais. Et je le ferai où et quand vous voudrez. On a dû voir que je m'étais fait une règle de ne rien rejeter sans examen. Soit! répondis-je. Première séance quand? Alors, mardi prochain, 31 janvier, à tel en droit. Huit heures du soir. La scène avait été des plus rapides. L'homme me tendit une carte que je regardai à peine et glissai dans ma poche. Je partis. Alors, comme nous sortions. Savez-vous qui c c'est? me e dit le docteur X... Ma foi non. Le Roi des Camelots. Le Roi des Camelots!... Je revis alors ces étonnantes scènes de la rue, auxquelles l'incomparable verve de Paul Buisson car c'était bien lui prête une force comique extraordinaire et d'une réelle élégance d'esprit. Tantôt vêtu et chaussé « à la flanc », tantôt moulé dans une longue redingote grise, le Roi des Camelots débite une marchandise quelconque, qui paraît n'être qu'un prétexte à ses improvisations et à ses farces de tréteau, dignes des meilleures traditions françaises. Son visage, qui respire la joie et la malice, sait aussi prendre un véritable caractère de grandeur, quand il s'agit de belles idées, car Buisson a de belles idées et il les défend avec des accents et des phrases du style le plus élevé et le plus correct. On se rappelle qu'il se présenta jadis à la députation dans le troisième arrondissement : Sa campagne fut une bouffonnerie des plus réussies et tout Paris pouffait de rire. Comme médium, je me souvenais de démêlés retentissants à son sujet, entre deux grands grands quotidiens, et du duel qui s'ensuivit. Je savais qu'il avait donné maintes séances spirites car il est spirite; que, pendant un hiver, dans un cabaret de la rue Bouchardon, il enseignait « la médiumnité pour tous » par le système du nombre des assistants, en paraphrasant les paroles du Prône : « Jésus-Christ nous ayant promis que lorsque deux ou trois de ses disciples s'assembleraient en son nom, il serait au milieu d'eux, etc. » ; que, plus récemment, il avait exercé son art dans le « coup de Johny Coulon ». Mais |