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échoué, je ne sais trop pourquoi, dans une petite rotonde ouverte à tous les vents et qui sert à la dissection des animaux, et, là, accoudés à la balustrade, comme les spectateurs d'un cirque en miniature, nous demandant si vraiment il viendrait un jour où les fameux phénomènes consentiraient à se produire dans cet asile de la pure observation scientifique !... Il faisait froid; l'endroit était triste; Mme Bisson se serrait dans ses fourrures... Nous nous séparâmes... La date du lundi 20 mars était arrêtée pour la première séance.

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J'étais alors dans un état d'esprit fort complexe, où les pour et les contre se livraient un combat sans issue.

Je m'étais interdit, certes, et je me l'interdis encore, d'avoir une opinion personnelle. Pourtant, je ne pouvais m'empêcher de tourner et de retourner le problème sur toutes ses faces.

Eva, pensais-je, est bien, sous un autre nom, l'héroïne des étranges manifestations de la villa Carmen d'Alger. Or, en dépit des solennelles affirmations du professeur Charles Richet dans son récent Traité de Métapsychique, il semble acquis qu'à Alger il n'y a jamais eu qu'une vaste fumisterie. >>

J'ai parlé déjà (Opinion du 22 juillet) du rapport du D' Rouby, qui avait fait une enquête sur les «< phénomènes » de la villa Carmen. Je regrette que le manque de place m'empêche de reproduire ce document. En voici encore quelques passages, qui suffiront sans doute à éclairer ici le lecteur.

Sur les conditions de contrôle :

Dans le pavillon se trouvaient bien d'autres choses qui n'au

raient pas đû s'y rencontrer, si on voulait en faire un laboratoire sérieux. Pourquoi, par exemple, une baignoire, un appareil de chauffage et un vieux bahut? Vraiment, on aurait pu jouer à cache-cache dans cet appartement !

Enfin, pour terminer l'inventaire du pavillon, disons qu'il y avait encore une grande table ronde séparée du rideau par lin espace d'un mètre environ. Aux mois d'août et septembre de 1905, c'est autour de cette table que se tenaient assis, la générale, le général, Pola, M. Charles Richet, une Anglaise, (Miss Fink), enfin Mlle Maia (1).

Qu'aurait fait un inspecteur sérieux ? Il aurait commencé par déménager tout mobilier sujet à caution; il aurait enlevé tapis, tapisserie, rideaux, baldaquins, fauteuils rembourrés ; il aurait bouché les fenêtres avec des briques et du plâtre et n'aurait laissé dans la salle que la table ronde et des chaises. Alors seulement le cabinet de matérialisation eût été dans des conditions favorables d'expérimentation. Tel qu'il est constitué, il est un nid à fraudes. Il peut servir à un homme qui veut s'amuser, non à un homme qui veut étudier...

Lorsque Ch. Richet vint à la villa Carmen, aux débuts il fit la visite du pavillon minutieusement, mais sa surveillance sans doute se ralentit, lorsqu'il vit qu'elle était mal vue par ses hôtes.

Lorsqu'on craignait son examen, rien ne paraissait le jour des photographies il était trop occupé de celles-ci pour penser à visiter la salle comme elle aurait dû l'être. Sait-il pourquoi Mlle Marthe, qui n'a jamais été endormie, fit un jour semblant de l'être une heure durant, après la séance, et se fit traîner au jardin raide comme une barre par l'illustre professeur, avant de se réveiller ? N'est-ce pas que, ce jour-là, il fallait que la visite ne fût pas faite, qu'un objet compromettant sans doute et difficile à faire disparaître était resté dans la chambre noire et qu'on ne voulait pas qu'il fût surpris par M. Richet? Quelle autre raison donner à ce faux évanouissement d'une heure? Donc, malgré l'affirmation de M. Richet, nous disant qu'avant et après chaque séance il a fait une visite très minutieuse des lieux, nous doutons ; puisque Mile Marthe va nous avouer tout à l'heure que tout était fraude dans les apparitions, pourquoi M. Richet, si son examen a été aussi minutieux qu'il le dit, n'a-t-il su trouver ni le haïck, ni les accessoires de l'apparition? Ils étaient cachés quelque part pourtant?

(1) Maia et Pola, les deux sœurs de Marthe B.

Extrait d'une lettre de M Marsault à Mme la générale Noël :

« Nous nous rendîmes au souper et à la séance qui devait le suivre, auxquels vous nous aviez conviés. A la fin du repas, vous étant absentés un moment avec M. le général Noël, mon ami et moi restâmes seuls avec Mlle Marthe B. Celle-ci nous dit alors : « Voulez-vous vous amuser ? Vous savez: Bergolia (1), c'est de la frime, mes sœurs et moi, nous vous amu

serons. »>>

Si surprenante que nous parût cette déclaration, nous nous tînmes dans l'expectative, désirant alors savoir jusqu'à quel point pouvait être poussée une pareille plaisanterie.

Rentrés dans la salle des séances, nous vîmes parfaitement à la lueur faible d'une lanterne munie d'un verre rouge Mlle Marthe se lever de la table où elle se trouvait à côté de nous, entrer dans le cabinet à médium, en sortir avec un voile blanc dont elle s'était recouvert la tête et les épaules. En répondant à nos questions dans un langage qu'elle qualifiait d'hindou, Marthe laissait échapper de petits rires étouffés, que nous entendions très distinctement.

La simulation ou l'amusement était si grossier et les rires si perceptibles que nous pensions à chaque instant que tout serait découvert. Pendant les vingt longues minutes que dura cette plaisanterie, il n'en fut rien.

Nous partîmes absolument convaincus de l'amusement auquel Mlle Marthe et ses sœurs se livraient.

Pourquoi ne vous l'ai-je pas dit plus tôt ? La raison en est simple c'est tout d'abord que je me souvenais encore que trois ans auparavant, ayant surpris avec un de mes amis un de vos médiums en flagrant délit de supercherie et vous l'ayant dit aussitôt, vous m'avez invité à ne plus revenir à vos séances. >>

Plus loin :

« Le père de Mlle Marthe d'abord, puis elle-même ensuite, s'ouvrirent à M Marsault et lui déclarèrent que Bien-Boâ n'était pas plus vrai que Bergolia; que Bien-Boâ n'était qu'une mystification. Cet aveu ne fut pas fait à moi seulement, mais à d'autres encore, ainsi qu'il sera prouvé quand vous le désirerez. >>

(1) Bergolia était la sœur de Bien-Boa.

Rouby ajoute :

Ces scènes nous montrent que Marthe et ses deux sœurs croyaient pouvoir tout se permettre et poussaient la plaisanterie jusqu'à ses dernières limites. Aussi sourirons-nous lorsque Ch. Richet nous vantera leur timide ingénuité.

Comme médium important attaché à la villa Carmen nous devons dire quelques mots de Mme Végé (1). Elevée au théâ tre municipal d'Alger, elle en connaît les détours; dans les accessoires de ce théâtre elle puise à volonté et apporte à BienBoâ les vêtements de grand gala qui lui sont nécessaires les soirs où il veut paraître en mage d'Orient. C'est à elle que Ch. Richet devrait demander des renseignements sur la substance déflagrante et nuageuse qui se produisit lorsque Polichinelle parut sortir du sol. Ce jour-là, peut-être jouait-on Faust au théâtre, et Méphistophélès paraissait-il au milieu du même nuage de fumée ?...

Ce fut le médium Végé qui enseigna à Marthe l'art des matérialisations ; c'est elle qui lui montra Bien-Boâ et la manière de s'en servir. Bientôt elle surpassa son maître qui fut renvoyé, et ne reparut que dans les grandes circonstances.

Chaque jour, et plusieurs fois par jour, Marthe reproduisit B.-B. Puis elle devint elle-même professeur agrégée en réincarnation, enseignant l'art psychique à Areski, à Louisa, à Pola, à Maïa, à Maria et à bien d'autres ; aussi, avonsnous maintenant à Alger des Bien-Boâ longs, courts, gros, maigres, à peau brune et à peau blanche, à main osseuse et à main potelée, à sexe mâle et à sexe femelle.

Du sexe de Bien-Boâ d'ailleurs, parlons en termes voilés : Etait-il homme, était-il femme ? La générale nous dit, dans la Revue du Spiritisme, qu'elle s'est assurée qu'il était mâle...

Bergolia a parfois des habitudes asiatiques excessives ; à la séance du 13 janvier, « elle me pria, dit la générale, de passer ma main du haut en bas de sa jambe pour m'assurer que cette jambe était faite de chair et d'os au milieu des rires des jeunes filles, je passai l'inspection demandée et je constatai que les formes de l'Esprit étaient dignes d'être reproduites par le ciseau d'un Praxitèle ». (Revue d'avril).

(1) Ici Rouby fait une assez curieuse confusion. Il s'agit de Mme V. G. (Vincente-Garcia, voir plus loin), qu'on appelait en effet Mme V. G.

Dans la Revue de mai 1904, page 655, la générale nous narre l'histoire de Mme T..., un médium non payé, venu là

pour s'amuser :

<< T., en rentrant dans le pavillon, se sentit attirée en arrière dans le cabinet et fut jetée sur le siège médiumnique où elle s'endormit instantanément et profondément. Enfin elle sort du cabinet noir, se met à aller et venir dans une agitation extrême et finit par saisir la main du général. Elle le fit lever, l'entraîna sous le bec de gaz et lui leva le bras vers le robinet, en secouant fortement le bras. Le général, comprenant ce geste, alluma le gaz. Puis T. se tourna vers le cabinet noir, ouvrit démesurément les yeux, étendit un bras rigide, et montrant du doigt le bas des rideaux, elle s'écria d'une voix rauque : « Là, là, là ». Le général regarda et cria: « Il y a du blanc. Qu'est-ce ?» Les autres membres se levèrent en sursaut et la présidente aperçut distinctement, couché à terre sur un coussin, un ravissant pigeon blanc... Signé Carmencita Noël, général Noël, F. Laurens, Mme Ch. Laurens, Ch. H. »

Or, T... avait eu soin, contre les habitudes de la maison, de se faire examiner dans la villa par trois dames qui lui ôtèrent son manteau, examinèrent ses chaussures, lui retirèrent ses bijoux et lui passèrent une blouse foncée, après avoir constaté qu'elle portait, comme d'habitude, une jupe pratique, aussi courte que possible.

Si ces trois dames avaient fait une perquisition plus complète sous la jupe courte, elles auraient trouvé le pigeon logé dans le pantalon. Tous les habitants d'Alger, Arabes et Européens, furent jaloux de l'oiseau ! (1)

Le D' Rouby interrogea de nombreux témoins, parmi lesquels Areski, domestique arabe, et Mlle Mary, cuisinière. Le professeur Richet, qui a appelé Rouby « famélique » (2), qualifie Areski de « voleur ». Il

(1) Voir plus loin.

((

(2) J'ai reçu d'Alger une longue lettre des plus intéressantes. En voici quelques lignes :

...

«< J'ai beaucoup connu le docteur Rouby. C'était un homme très instruit et fort riche: son musée seul, rempli d'objets rares et de tableaux de grande valeur, était une curiosité instructive d'Alger. On pouvait ne pas partager les idées

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