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Estelle était bien complexe. C'étaient mon intelligence et ma chair qui étaient éprises. J'aimais la beauté de son corps et de ses attitudes, parce que, physiquement, elle réalisait mon idéal de sensations plastiques. Puis ce fut mon âme qui fut séduite par son âme. Toutes les fibres de mon être étaient envahies par sa pensée. Elle hantait mon cœur... Cela devenait une véritable folie. Je ne raisonnais plus, je ne réfléchissais plus; je n'existais que par mon amour pour Estelle et je vivais avec violence.

Cela vous expliquera toute ma mentalité à cette période de ma jeunesse. Puissiez-vous, vous qui êtes jeune, incliner à l'indulgence pour moi qui suis vieux quand je vous aurai dit jusqu'où m'entraîna ma passion.

Max BEGOUEN.

(A suivre.)

Feuillets de la Semaine

ARTS

Le jeu de Paume des Tuileries reçoit une affectation peutêtre définitive. Jusqu'à présent, tel ces guinguettes qui se prêtent volontiers aux noces et banquets les plus divers, il avait abrité l'exposition des Hollandais, les midinettes de feu le restaurant Roy, les cent portraits, que sais-je ? Maintenant le voici promu au rang d'annexe du Musée du Luxembourg. Avant la guerre, les toiles des écoles modernes étrangères se tassaient au Luxembourg, dans la salle où se voit maintenant la collection Caillebotte. Depuis 1914, elles s'attristaient dans les réserves du Grand Palais. Elles reparaissent au Jeu de Paume un peu défraîchies, un peu changées à nos yeux, dans la mesure où nos yeux eux-mêmes ont changé.

Tout chauvinisme artistique mis soigneusement à part et toutes satisfactions une fois données aux devoirs d'un bon hôte nous nous sommes relégués, l'ai-je dit, sous les combles on constate avec joie que nos hommes sont les meilleurs, les plus jeunes, les plus sains, les plus vigoureux, de beaucoup, de beaucoup... Le symbolisme un peu naïf des anglais apparaît avec le grand panneau de Wats. L'amour et la vie, la sentimentalité précieuse des préraphaélites se prolonge avec la Faustine de Maxwell Armfield. L'élégance impersonnelle chère aux portraitistes d'outre-Manche se retrouve en John Lavery; et leur amour pour la santé physique, dans les fraîcheurs de Béatrice How, un des plus sensibles parmi les peintres de l'enfance qu'on ait vu depuis Carrière, auquel d'ailleurs elle ne doit rien.

La belle collection donnée par Sir Edmund Davis fait suite. Voici cette « Mort de Don Juan », par Madox Brown et la « Fille du Roi », de Burne Jones, qui hantait notre adolescence de son charme compliqué, et au fond ingénu. Chez les Hollando-Belges, un récent Kvapil, voisine avec un ancien Stevens, qui fut un grand peintre de petites figures terriblement marquées par leur temps, de sensuelles et un peu tragiques héroïnes. Théo van Rysselberghe représente le néoimpressionnisme, avec son Verhaeren écrivant. Chez les Slaves << l'aveugle » de Mela Mutter, ce talent puissant et lugubre, coudoie les portraits d'Olga de Bosnanska, vaporeux, délicats et tristes comme des aparitions de spirites et les rameaux rutilants de couleur de Terlikowski, l'hyper-impressionniste. Voici les gosses de Marie Bashkirtseff, auxquels M. ChocarneMoreau allait donner une si navrante postérité.

Puis ce sont les Italiens, moins Segantini, moins Previati, moins Grubicci, mais avec Morbelli, dont « les vieillards à l'hospice » sont doucement irisés par un discret divisionnisme; le grand portrait d'Henri de Régnier, faniasque, ployant, par Capiello, et la « Salomé », de Romani, semblable aux plus faciles Regnault, que dis-je, aux plus fâcheux Roybet... et qui fit école! Whistler qu'on n'avait osé mettre en réserve, lui, passe du Luxembourg aux Tuileries; la grande danseuse jaune de Sargent réapparaît; et aussi la naine de Zuloaga, flanquée maintenant des Catalans à têtes de Romains qu'affectionnent Valentin et Ramon de Zubiaurre.

Au premier étage, des Suisses: le graphisme poétique et méticuleux de Carlos Schwabe; des Allemands : « la promenade » de Louis Knaus, mélange de Stevens et de Toulmouche, ces imagiers de la vie mondaine d'il y a cinquante ans.

Et l'on arrive enfin chez nous, dans les beaux contre-jours de Flandrin, parmi le bonheur de vivre et de peindre qui émane des Lebasque, des Matisse, parmi les douceurs de Bonnard, les voluptueux coloris d'Ottmann, la grave sensualité du « Nu » de René Piot. Cette salle est belle et grande au sortir des autres, riches pourtant. On y voit le gros jaguard de Jouve, la rèche terre d'Auvergne sous la neige, par Zingg, un beau Gauguin ; et surtout ces Femmes au jardin, par Claude Monnet, antérieures à la naissance même de l'impressionnisme, chargées de l'influence harmonieuse et linéaire de Bazille. Tout n'est pas chef-d'œuvre en ce premier étage, sans doute; il est même deux bien vilaines toiles montrant des Polynésiennes, pleines d'une naïveté forcée, d'une verdeur de métier bien aléatoire. En haut, en bas, les tapis manquent, on s'aperçoit que les toiles sont crasseuses, les cadres fatigués ; on devine que le gros travail d'organisation réalisé par M. Léonce Bénédite et ses deux collaborateurs, MM. Masson et André Dezarrois fut exécuté dans des conditions terriblement précaires. N'importe, on sort content de cette confrontation.

Robert REY.

CE QU'ON LIT

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Un romanesque, par May SINCLAIR, trad. par Marc LOGÉ (Plon, 7 francs). Premier volume d'une collection d'auteurs étrangers qui paraît sous la direction de M. Ch. Du Bos. C'est l'œuvre d'un esprit d'une finesse originale et d'une délicatesse remarquable, que cette histoire d'un homme à qui son imagination présente comme séduisants les beaux risques du danger, et qui s'y jette, mais qui a peur jusqu'à se déshonorer. Une seule chose qui étonnera tous ceux qui ont fait la guerre, c'est que l'auteur puisse considérer comme un acte d'héroïsme d'avoir été ambulancier, d'avoir relevé des blessés à l'arrière des premières lignes. Ou bien que dire de ces blessés eux-mêmes, de toute cette masse de gens qui étaient aux tranchées ? L'état d'esprit de Mme May Sinclair est celui des gens d'autrefois, du temps où les soldats étaient regardés comme des spécialistes, presque comme une race à part, et où il semblait admirable qu'un civil osât seulement risquer, de loin, une fois, les moindres des périls auxquels on ne savait aucun gré aux soldats de s'exposer à toute heure du jour. Quand on songe que c'est seulement pour avoir conduit une ambulance au front belge que ces Anglais sont si fiers, on a un peu envie de rire. Cela ne nuit pas à la valeur psychologique du roman; mais cela dégoûte encore plus de son principal héros. - J. B.

Salle 6, par Antoine TCHEKOV, trad. par Denis ROCHE (Plon, 7 francs). Ce recueil de longues nouvelles forme le second volume de la collection de M. Ch. Du Bos. J'avoue que je n'aime guère ce que j'ai lu de Tchekov. Sans doute, il a cette vigueur presque impudique dont les grands romanciers russes mettent à nu les âmes, et leur absence de dégoût pour les pires tares morales. Mais il est lent, il est long. et ses nouvelles sont tout encombrées d'une « philosophaillerie >>> bien molle. J. B.

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Dix du 4 gagnant et placé, par Victor GOEDORP (B. Grasset), offre le plus amusant et exact tableau du monde des courses, que l'auteur connaît aussi bien que personne au monde. C'est un livre infiniment curieux.

J. B.

Chez les musiciens (du XVIII° siècle à nos jours), par Adolphe BosCHOT (Plon, 7 fr. 50). L'auteur de ces pages agréables et nourries estime que le compositeur se retrouve dans la musique, et que, pour les bien comprendre, il faut essayer de les expliquer l'un par l'autre. Un opéra de Mozart s'éclaircit par les lettres du maître à sa famille. L'âme souriante de Méhul se révèle dans le plan et l'instrumentation d'une de ses symphonies. M. Boschot réduit ainsi la part de l'esthétique, de la fantaisie, de la critique brillante au profit des réalités précises et substantielles de la biographie. Excellente méthode, qui nous a valu les trois volumes de l'Histoire d'un romantique et qui, Chez les musiciens, groupe des idées et des faits nouveaux sur Mozart et Wagner, Weber et d'Indy, Monsigny et Rabaud. L'auteur nous doit une nouvelle série, qui ne s'en tiendra pas seulement aux grandes vedettes et pénétrera, même au prix de quelques vertes critiques, chez les compositeurs d'avantgarde, où se révèleront peut-être les maîtres de demain. H. C.

Les Principes de la Théosophie, par Th. MAINAGE (éd. de la Revue des Jeunes, 8 francs). - Après avoir esquissé l'histoire positive du spiritisme dans son livre sur la Religion Spirite, le Père Mainage entreprend la critique des principes. Il arrive à cette tâche muni des armes doubles de la science et de la Théologie. On ne s'étonnera point qu'il triomphe aisément de doctrines où s'est inscrite la part la plus ample de la faiblesse mentale d'aujourd'hui. G. T.

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Le carton aux estampes, par A. T'SERSTEVENS (Mornay). M. t'Serstevens trouva un jour chez un antiquaire un carton contenant dix-neuf estampes de valeurs inégales et d'époques différentes; au verso de chacune d'elles quelqu'un avait écrit un portrait. Il publie ces « caractères » et cela rappelle un peu les Vies imaginaires de Marcel Schwob. On appréciera sans doute tout particulièrement celui de Mademoiselle Théodore, sage, savante et danseuse, dont la vie est bien édifiante, mais le milieu infiniment pourri; pourtant les autres sont d'une extrême saveur. Le langage de M. t'Serstevens est plein de mérites. Et le volume, illustré et orné par Louis Jou, fera les délices des bibliophiles. J. B.

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