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façon la plus éhontée. C'est ainsi qu'en 1919 et 1920, le client égyptien leur a payé le livre français au taux de 40 millièmes le franc, alors que le cours moyen était de 17 millièmes, ce qui revenait à lui vendre 12 francs le volume de 5 francs. Aujourd'hui, rendus un peu plus circonspects par la crise des affaires, ils ne calculent plus le franc qu'à 30 ou même 25 millièmes, mais pour les seuls ouvrages de vente courante, car pour les livres rares et recherchés ils conservent soigneusement le cours arbitraire de 40 millièmes.

En fait, il n'y a plus pour eux de prix fixe; chaque libraire établit ses prix à sa fantaisie et c'est naturellement à qui réalisera les plus gros bénéfices. On a calculé que ces intermédiaires arrivaient à grever d'une commission de 72,5 pour cent le prix du livre français. Nous avons déjà signalé cette pratique, qui n'est malheureusement pas spéciale à l'Egypte : tout le commerce de notre livre en souffre et elle lui est infiniment dommageable.

Il faut ajouter que les libraires qui agissent de la sorte invoquent une excuse: c'est l'extrême lenteur des expéditions. Les colis postaux ou les expéditions ordinaire, disent-ils, prennent un tel temps (quarantecinq jours les premiers, deux ou trois mois les autres) qu'ils sont obligés de se faire faire les envois par paquets-poste recommandés, mais cela n'augmente le prix de revient des ouvrages que d'environ un franc par volume. Il n'en est pas moins vrai que notre organisation de transports est purement scandaleuse. Dans une enquête menée en 1919 et 1920, le fait avait été signalé déjà par des libraires de toutes les parties du monde.

Les remèdes à la situation? Voici ceux qui sont préconisés par les personnalités compétentes qui ont répondu à la Maison du Livre.

Stabilisation des prix de vente d'abord.

Organisation de la publicité par service de catalogues et par envoi d'ouvrages pour compte rendu aux organes de presse locaux. On préconise même l'envoi direct de catalogues aux clients.

Enfin et surtout, détaxe postale sur les livres. Nos livres ne paient pas de droits de douane en Egypte, ne pourrait-on abaisser en leur faveur le prix des paquets-poste? Mais cela dépend uniquement de l'Etat français à lui de voir les sacrifices qu'il veut faire dans l'intérêt de l'expansion française.

A l'heure où la production de l'indépendance égyptienne ouvre une ère nouvelle pour ce pays, il y a un effort à faire. Il n'est pas pour nous considérable les sympathies nous sont acquises, il n'y a qu'à les cultiver en améliorant nos procédés commerciaux. Est-ce impossible?

La publicité par catalogues, à laquelle le public égyptien est habitué, est à créer par exemple. Elle donne d'excellents résultats aux pays qui l'emploient, les Etats-Unis et l'lalie notamment. Nous recevons la nouvelle que sur l'initiative de notre attaché commercial, l'Office commercial français du Caire et la Chambre de Commerce française se sont entendus pour aménager une bibliothèque centrale de catalogues français, assez importante pour alimenter des filiales dans le pays : voilà un organisme simple, pratique et peu coûteux et qui fera plus pour la diffusion de notre livre que toutes les palabres et toutes les subventions. Georges GIRARD.

La Saison des Lavandes

J'étais assez intrigué. L'aubergiste qui me prévenait, quelques instants après, que l'heure du départ allait sonner, me donna l'explication de cet incident. C'était le nettoyage de la ville qui s'était opéré sous mes yeux. Grasse étant bâtie en amphithéâtre sur la pente des montagnes, on confiait les soins de voirie à un courant d'eau. Il n'y a, d'ailleurs, qu'une trentaine d'années que l'usage en est aboli. Au sommet de la ville, on lâchait, une fois la semaine, dans le dédale des rues, les eaux de la source appelée La Foux. La vitesse du courant emportait toutes les immondices accumulées sur le pas des portes. En quelques minutes la ville était nettoyée. Aujourd'hui, on emploie d'autres moyens... Sont-ils plus énergiques ?

Devant la porte de l'auberge, un valet me présenta la mule qui allait être ma monture. J'enfourchai la haute selle de cuir, chaussai les lourds étriers de fer et me mis en route pour le rendez-vous général, à l'origine de la route de Saint-Vallier. Les sabots des mules de charge qui me suivaient martelaient nerveusement les pavés et le bruit de leur piétinement scandait de façon bizarre la musique de leurs grelots. Le jour poignait à peine à l'horizon; il faisait frais dans la lumière indécise de l'aube.

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Au lever du soleil, la caravane se mit en marche. C'était vraiment une vision d'un autre âge. La population de Grasse était sur le pas de ses portes, nommant les familles qui passaient, échangeant des quolibets avec les domestiques. De grands éclats de rire, sonores et francs, roulaient de proche en proche lorsqu'une plaisanterie un peu vive était lancée. Les cris, les sonneries, les tintements, les claquements de fouets, tout cela se fondait en un bruit extraordinaire. Les mules, au nombre d'environ une trentaine, se suivaient à la queue leu-leu, se mordillant l'une l'autre, poussant de petits braiements rageurs, excitées par tout ce bruit qui les entourait. La famille de Thorenc ouvrait la marche, puis les Castellas, et, formant l'arrière-garde, j'avais devant moi la famille qui s'en allait à Andon.

Le comte de Thorenc fumait tranquillement sa pipe au pas cadencé de sa monture. Bronzé au rouge par le soleil, c'était le type accompli du gentilhomme campagnard aimant boire, ennemi de la tristesse et chasseur enragé. Ses chiens le suivaient en trottinant.

Sa femme, qui avait été remarquablement belle, d'une beauté un peu sévère, avait toujours fort grand air et se tenait droite et digne sur sa selle. Elle était d'un caractère doux, effacé et timide; toutes ses préoccupations se concentraient sur sa fille unique.

Estelle était une apparition de rêve. Elle portait un grand chapeau de paille d'Italie, retenu sous le menton par un ruban de velours noir. L'ombre mouvante de ce chapeau donnait à son visage ovale je ne sais quel charme mystérieux. J'étais déjà épris..., mais je sentais que l'amour était tout proche...

On m'avait présenté à la famille de Castellas,

composée du père, de la mère et de trois fils. L'aîné était un garçon à peu près de mon âge, de taille moyenne mais bien prise, aux yeux chauds et rieurs, d'allure souple et nerveuse. Sous ses habits civils on devinait l'homme habitué à porter l'uniforme. René était, en effet, capitaine aux voltigeurs de la Garde, en congé de trois mois.

Par je ne sais quel pressentiment, je le détestai au premier abord. Ce fut d'ailleurs réciproque car nous nous dévisageâmes sans aménité. Notre sourire masquait une de ces antipathies instantanées qu'on n'oublie jamais et qui, par une lente et sûre évolution, aboutissent à la haine.

Après le désordre du départ, la longue théorie de mules s'allongeait maintenant avec calme sur la route. Je me laissai bercer par la joie de voyager en compagnie de ma bien-aimée que j'apercevais de temps à autre en tête de la colonne. Je me mis à regarder le paysage. Les cigales chantaient déjà éperdument. Leur musique crissante et monotone symbolise à ravir la chaleur intense, les ciels invraisemblablement bleus, la vibration de l'air surchauffé... A mesure que nous montions, au pas balancé des mules, l'horizon s'élar gissait, encore pur et limpide en raison de l'heure matinale. La Méditerranée nous montrait le scintillement lointain et brutal de sa nappe azurée. Les roches rouges qui la bordent semblaient des liserés de sang et la lumière frisante du soleil levant sculptait précieusement chaque coin de ce vaste paysage, chaque touffe de pin, chaque maison blanche aux volets verts ou roses, chaque aspérité du sol. Et Grasse étageait au-dessous de nous ses toits rougeâtres parmi les arbres verts...

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