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mérite réels en leur printemps, ces qualités sont encore capables de nous toucher.

Ainsi nous comprenons que l'auteur du Mariage de Minuit s'en aille écouter les vieux drames, par ces soirs d'été. Il les sait par cœur, sans doute, et il finit mieux les vers sur son fauteuil que ne les récite l'acteur sur la scène. La mémoire du poète est moins défaillante que celle du comédien. Plaisir discret que ne gâtent pas les commentaires des entr'actes, les coups de chapeau on ignore tout le monde dans une salle quasi provinciale. C'est une aubaine pour les souvenirs nul ne vient couper leur cortège.

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Nous n'avons pas suivi, ce soir-là, M. de Régnier à la Comédie. Pas de voyage dans le passé. Nous avions assez bien les désirs vagues du provincial ou de l'étranger à Paris : assister à un spectacle facile et brillant, voir des gens aux lumières et regarder des faiseurs de tours. Sur le boulevard, vaporisé de poussière, tombait un crépuscule d'août, sans fraîcheur, poisseux. Aux terrasses des cafés s'alignaient des êtres de toutes les couleurs, accourus des quatre coins du monde : ils étaient silencieux devant leurs tables, et ils dévisageaient Paris de leurs yeux habitués à d'autres horizons. Paris ne leur offre d'ailleurs que des charmes relatifs : ce qu'ils ignorent, c'est que Paris n'a pas alors son vrai visage, et que ce sont eux, ces visiteurs cosmopolites, qui en forment l'étonnant et le pittoresque. S'ils pouvaient nous rendre, en une projection soudaine, ce que leur présence résume de continents lointains, quelle magie! On verrait les deux Amériques, la baie de Janeiro et des rues de Boston, on verrait des villes des Indes et de la Perse, des golfes de Norvège et les blanches maisons de

Stockholm. Quel mélange : c'est un premier divertissement de démêler sur les personnages les origines et d'imaginer la cité, l'édifice, la famille qu'ils ont quittés pour aller à Paris cette merveille!

On suit le mouvement de cette petite foule désouvrée, et l'on aborde devant un music-hall du boulevard, dont l'affiche annonce des numéros variés. On s'asseoit et l'on a dorénavant le choix entre deux spectacles celui de la salle et celui de la scène.

Le public est le même qu'au boulevard : des étrangers campés sur leur fauteuil et regardant les attractions avec cette attention que prêtent les hommes aux moindres événements lorsqu'ils sont dans un pays qui n'est pas le leur. Ils font un effort continu pour comprendre, alors même qu'on ne parle pas, alors même qu'il n'y a rien à comprendre. Lorsque nous sommes entrés, un faux Fregoli venait de terminer ses exercice de transformation : le rideau se relevait sur un voile de fond, noir et or, où apparut bientôt une grande personne répondant, sur le programme, au nom de Terpsichore. C'était apparemment un pseudonyme. On ne s'appelle pas Terpsichore de son nom de famille, et lorsqu'on choisit un tel nom, cela veut dire, dans tous les pays, qu'on a du goût pour la danse. De fait, Madame (ou Mademoiselle) Terpsichore dansa. Elle dansa au rythme de ce Moment musical de Schubert, sur lequel Mme Isadora Duncan dressa souvent des élèves; puis la même grande personne interpréta la Danse Macabre de Saint-Saëns et passa de la frénésie à la douleur, de la douleur à la résignation, avec des gestes sans maladresse, mais non plus sans grande nouveauté. Il y avait, non loin de nou,s, un homme du Nord, avec une petite moustache

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blonde et drue, une chair rose et brillante, comme conservée dans de la glace, qui regardait Mlle Terpsichore avec le même souci de comprendre que s'il eut écouté une leçon de M. Berlitz. Mlle Terpsichore n'avait pourtant rien de secret. Elle revint nous saluer avec un visage réjoui, une sorte de satisfaction heureuse et très sympathique, une gentille familiarité, qui montraient assez qu'elle ne participait en rien aux mystères et qu'elle avait un naturel accessible.

Puis nous vîmes deux équilibristes grimper sur une plate forme juste assez large pour permettre à l'un d'eux d'y poser les pieds et commencer alors de dangereuses acrobaties. Ce qu'ils faisaient n'étaient ni plastiquement très beau ni musculairement très fort, Ils l'eussent fait sur le sol, que nous n'en eussions pas été très étonnés, mais ils le réalisaient sur un espace si étroi tque nous nous demandions les uns les autres, à tout instant, comment ils ne tombaient pas. Tout l'intérêt que nous leur portions venait du danger auquel ils s'offraient. Et lorsqu'ils furent redescendus nous ne les applaudîmes que mollement on eu veut toujours un peu aux gens qui vous font peur gratuitement. On a la sensation d'une duperie... Certes s'ils tombaient et qu'ils se fissent du mal nous serions douloureusement émus; mais dès lors qu'ils ne tombent pas, notre émotion s'est exercée sans motif. Ces équilibristes-là ne sont pas plaisants: ils nous font découvrir ou la puérilité de nos émois ou notre perversité : constatations sans agrément.

Un autre numéro leur succéda. « Direct from winter garden New-York » affirmait le programme. Qui étaient cette Yvette, cet Eddie Cooke, et ce Kino Clark qui nous venaient en droite ligne de New-York?

Les Anglais et les Américains de la salle avaient pris un air satisfait et détendu. Et c'était à nous, nous, les Français de prêter maintenant une attention d'étrangers au spectacle. Les deux jeunes américains étaient en smoking. L'un, assis au piano, jouait des rag times, des shimmys d'outre-mer; et l'autre les sifflait, les chantait avec une étonnante désinvolture et vraiment comme si les spectateurs n'existaient pas... Il y avait là une fantaisie insolente assez charmante. Puis lorsqu'ils eurent achevé de s'amuser pour leur compte il apparut une petite personne trépidante, aux cheveux blonds et coupés, avec une robe pailletée comme on en voit parfois aux Américaines du Ritz le dimanche soir. Cette petite personne poussait des cris avec ce fort accent américain pour lequel les Anglais n'ont, que sourires et dédain. Enfin elle se mit à genoux et commença de gémir des motifs de Madame Butterfly. mais au milieu de son récitatif un de ses compagnons revint avec un de ces trombones de jazz-band qui laissent échapper des sons liquides, ridicules et mélancoliques. Il dansait tout en même temps qu'il lançait ces longues notes douloureuses comme un hurlement d'animal... Puis les deux yankees et leur compagne entamèrent un air de Sally, cette opérette que Dorothy Dickson et Leslie Henson ont joué tout l'hiver à Londres et que Mlle Mistinguett doit nous rapporter des Amériques pour l'interpréter la prochaine saison.

Le rideau se releva sur des acrobates qui possédaient une fantaisie aisée et un comique froid fort réjouissant. Le genre excentrique est assez rare, mais lorsqu'on le trouve poussé à sa perfection comme chez les Little Tich, les Bagessen, les Grock, il faut le saluer à l'état d'un talent très estimable. Pour nous,

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il nous divertit mieux que tant de comédies gaies, tant de farces niaises dont on encombre le théâtre. Le psychologue et l'acteur se rejoignent dans l'excentrique. Un sourire de satisfaction après un tour malin, un geste révélateur d'un état d'âme, une obstination à réussir l'impossible autant de traits choisis qui nous montrent mieux le comique de la nature humaine que des saillies ennuyeuses. Malheureusement ce génie-là n'est pas fréquent. Les acrobates que nous montrait ce soir-là l'Olympia, n'en avaient qu'une petite part: elle était bien venue tout de même...

Que ressortait-il de ce spectacle? Au fort de l'hiver le music-hall nous a donné d'excellents numéros. Les programmes d'été sont moins remplis : les vedettes qui courent le monde sont ailleurs. Tous les étrangers ne voient que des doublures. Or, ils sont habitués, les Anglais et les Américains du moins, à de beaux musichalls, à des mises en scènes somptueuses, à des girls affriolantes. Ils ne retrouvent rien de tout cela; mais ils s'accommodent de ce qu'ils trouvent. Si d'aventure ils rencontrent une Parisienne, d'abords faciles, on est surpris de voir le peu d'attraits qu'elle offre. Les personnes en vue sont ailleurs. On aimerait dire à ces étrangers: « Ce n'est pas tout à fait cela à Paris. Revenez-y l'hiver : vous applaudirez des vedettes et de jolies personnes. » On songe alors qu'ils ne sont pas là pour leur plaisir mais pour le nôtre. Les étrangers, l'été, à Paris, sont un divertissement offert à un petit nombre de Parisiens qui savent regarder.

petit nombre de parisiens qui possèdent la belle richesse de savoir regarder.

GÉRARD BAUER.

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