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Je restai d'abord sans nouvelles pendant tout le mois de janvier 1922. Un désaccord avait failli éclater de nouveau lorsque parut, le 19 janvier, l'article du Matin qui annonçait son grand concours de phénomènes métapsychiques. Mais je n'eus pas de peine à convaincre Mme Bisson que je n'étais absolument pour rien dans cette affaire et, le 31 janvier, au cours d'une longue entrevue chez elle, j'eus le plaisir d'apprendre que le médium paraissait enfin revenir à son état normal, c'est-à-dire que l'Ectoplasme, ou plutôt la Substance (car, avec Mme Bisson, il faut dire substance et non ectoplasme) avait fait sa réapparition. Je visitai le cabinet noir où opérait alors Eva, j'examinai, pour les reproduire à la Sorbonne, la disposition des rideaux, les conditions d'éclairage, etc. Il fut convenu que la « préparation » du médium continuerait jusqu'à ce qu'elle fût tout à fait au point.

Puis, février se passa encore. Et c'est le 1er mars que je revis Mme Bisson, un soir, chez un ami commun, le D' Jaworski: elle était, cette fois, accompagnée de Mlle Eva Carrière.

Le nom du D' Jaworski, qui vient ici à son heure, n'est pas inconnu sans doute de beaucoup de mes lec

teurs.

Polonais, âgé d'une quarantaine d'années, habitant Paris depuis longtemps, aimable et accueillant, sans pose, et s'exprimant en un français grammaticalement des plus purs, mais prononcé avec une volubilité fiévreuse, il a étudié de très près toutes ces questions et, remarquable d'ailleurs par une érudition générale fort étendue, il s'est mêlé directement au monde des métapsychistes et des spirites, sans avoir, me semble-t-il,

pris nettement parti. A peu près incapable de rester en place plus de trente secondes, physiquement et moralement, il va et vient, se lève, s'agite, fait cent grimaces, s'assoit, se relève, le regard lointain, se désarticule l'épaule d'une secousse brusque, bondit, fonce, tête baissée, sur plusieurs sujets à la fois, s'emballe subitement sur une théorie, qu'il rejette à l'examen, s'exalte, tout en forçant certainement au calme une certaine partie de son cerveau: extrêmement intéressant, en somme. Peut-être naïf combien de très grands esprits le sont ! - mais certainement loyal et bienfaisant.

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Dans le domaine physico-philosophique, le D' Jaworski a écrit un étrange ouvrage : Un pas dans l'essence des choses, qui l'a conduit, par la suite, à essayer une ingénieuse hypothèse biologique, d'après laquelle il y aurait un parallélisme, voire une parenté de descendance, entre les organes de l'homme et les animaux des grands embranchements. Dans le domaine de la métapsychique, il a assisté à de nombreuses expériences et, particulièrement, à beaucoup d'expériences d'Eva, desquelles il tendait à se porter garant. Ami de Mme Bisson et précieux ami, car il est sans doute un de ceux qui ne s'en tiennent pas à la flatterie, — il m'a personnellement rendu le grand service de se faire l'intermédiaire entre elle et moi dans des phases difficiles; et nous le retrouverons mêlé à certains autres événements.

Le Dr Jaworski reçoit, un soir de chaque mois, de la manière la plus cordiale, dans un intérieur où, en compagnie de Mme Jaworski, il sait créer une atmosphère toute de franchise.

or

C'est là, donc, qu'il me dit, le soir du 1 mars:

Mme Bisson doit passer ici, en sortant du théâtre Eva sera sans doute avec elle.

:

Environ minuit, un coup de sonnette retentit, et la porte s'ouvrit, en effet, devant deux visiteuses.

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Voici Eva !

Je vis s'avancer alors une jeune fille de qui il faut dire, avant toute autre chose, qu'elle ne donne absolument en rien l'impression de quoi que ce soit de différent des autres femmes.

De taille moyenne, bien faite, et portant environ (je crois que c'est l'opinion générale) vingt-sept à vingt-huit ans (elle en a beaucoup plus), Mlle Eva a un visage assez régulier, empreint d'intelligence, ou même de malice souriante, qui, malgré un léger strabisme, d'ailleurs intermittent, est plutôt agréable à voir. Pas jolie, somme toute, mais laissant émaner un charme certain.

Sa conversation, par contre, est singulière. Si l'on ne sait pas qu'il s'agit d'Eva, tout va bien : c'est une jeune fille aux manières aisées, au courant de beaucoup de choses, ayant observé, s'exprimant avec esprit, et très gaie. Si c'est le médium qui parle, c'est autre chose «Tout cela ne l'intéresse en rien »>; elle ne sait même pas ce qu'elle « donne »; ça lui est bien égal; elle ne fait ces choses, « qui l'embêtent », que pour faire plaisir à Mme Bisson « qu'elle aime infiniment ». On a ici, il faut le dire, l'impression fort nette d'une attitude, d'ailleurs indéchiffrable; et si l'on essaye (je l'ai fait) de percer le mystère, c'est peine perdue: on reste devant une énigme. A noter, au surplus, que j'ai très peu vu Eva cinq ou six fois seulement je ne donne donc ici que des impres

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sions qu'il soit dit qu'elles valent ce qu'elles valent! Mme Bisson qui, elle, connaît Eva sous tous ses jours, déclare qu'elle a de terribles cahots dans le caractère et que la vie n'a pas toujours été commode avec elle, depuis treize ans !... Et ici pourrait venir prendre place l'étude d'un de ces problèmes psychologiques comme la plume d'un Paul Bourget a su nous en exposer parfois : celui de la situation vraie de ces deux personnages célèbres l'un vis-à-vis de l'autre, celui de ces deux natures faites pour la lutte et qui se heurtent peut-être sans en avoir toutes deux une égale notion.

Mme Bisson domine Eva et lui fait faire ce qu'elle veut, dit-on couramment.

Et si c'était, suggèrent certains témoins, tout justement le contraire?

Question troublante, à laquelle sans doute personne ne sera jamais en mesure de répondre.

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Pour moi- qu'on me passe, une fois de plus, ces notes personnelles : j'ai conscience de ne pas sortir de la limite permise je n'ai pas à parler ici d'Eva médium, sur laquelle on a déjà tant écrit (1), mais seulement de la jeune fille que je voyais, ce soir-là, pour la première fois. Je parlai fort peu à Mlle Eva. On doit se rendre compte, en effet, de mon embarras: Eva m'avait, quelques mois auparavant, considéré comme un ennemi: le revirement obtenu par Mme Bisson pouvait n'être pas définitif : c'était une construction fragile qu'un geste malheureux pouvait faire écrouler. Je restai donc à l'écart. J'eus la satisfac

(1) Voir Les Phénomènes dits de matérialisation, par Juliette Alexandre-Bisson. (Alean.)

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as

tion, cependant, de constater que tout marchait bien, qu'Eva avait vraiment accepté la grande épreuve, et qu'il n'y avait plus qu'à en fixer la date.

Je revis M. le docteur Piéron; et un rendez-vous général, pour les derniers arrangements, fut pris pour

le 11 mars.

Entrevue solennelle.

Il y avait donc là, pour la première fois, MM. Henri Piéron et Louis Lapicque (M. Georges Dumas arriva dans le cours de l'entretien). En face: Mme Bisson. Tout se passa très bien; mais, il faut bien le dire après coup, avec, tout d'abord, des masques sur les visages. eh bien, oui; et pas par la faute de ces

C'étaient messieurs,

des adversaires qui se mesuraient du regard, avec une attention aiguë. Chaque mot était

pesé, de

part et d'autre; moi, je surveillais, avec une tension d'esprit fatigante, prêt à

moindre incident. Peu à peu, cependant, la cordialité s'établit. Les trois éminents savants je m'excuse auprès d'eux, mais enfin c'est la vérité étaient charmants. Mme Bisson finit par sentir que, vraiment, dans tout ceci, il y aurait non seulement une loyauté parfaite, mais encore un ardent désir d'arriver à des résultats et d'y mettre la patience voulue. Finalement, le ton devint complètement amical.

On visita ce magnifique laboratoire de Physiologie de la Sorbonne, qui occupe quatre étages, dans lequel une trentaine de savants et de préparateurs étudient sans répit, et qui a pour directeur M. Louis Lapicque. On examina ensuite la petite pièce destinée à Eva, où diverses installations furent décidées; puis, étant redescendus par le chenil, où quelques chiens nous saluèrent de leurs clameurs, je nous revois tous, ayant

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