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Verhaeren l'adorait. C'est dans ce pays wallon que le grand Flamand écrivit les Rythmes souverains, la Multiple Splendeur, Hélène de Sparte, trouva l'inspiration de ses Blés mouvants et de ces Heures d'après-midi qui sont le plus prenant poème de l'amour conjugal, au déclin d'une noble vie. C'est là, dans la petite chambre tapissée de livres, d'œuvres de Signac, Toulouse-Lautrec, Van Reysselberghe, que nous avons goûté, minute à minute, tant d'inoubliables heures auprès de l'homme qui était tout ferveur, tout enthousiasme et dont la fréquentation était comme une sorte de merveilleux tonique. Les obus allemands du 10 novembre 1918 ont fracassé la maisonnette. On la reconstruira. On y installera un musée Verhaeren. Les écrivains, les artistes, les admirateurs du poète iront là en pèlerinage comme on va voir le pavillon de Croisset, la maison des Charmettes, la maison de Beethoven à Bonn, celle de Carlyle à Chelsea, ou celle de Gathe à Francfort.

En attendant, une cérémonie pittoresque et touchante vient de se dérouler l'autre dimanche à Saint-Amand, petit village des bords de l'Escaut, entre Termonde et Amers, où Verhaeren est né. Un brave homme de curé, qui a voué à la mémoire du poète un véritable culte, a fait sceller sur la façade de la maison où naquit le poète une plaque, et c'est cette plaque que nous avons inaugurée. Quand la cérémonie fut terminée, nous errâmes par les rues et ruelles aux murs blanchis à la chaux, par la campagne proche, au bord du fleuve impétueux. Quelle émotion ce nous fut de voir à chaque pas se lever à nos yeux les sites, les décors qui inspirèrent tant de pièces des premiers recueils, des Soirs, des Flamandes, puis, à l'heure du souvenir, les Tendresses premières qui forment le cahier le plus délicatement émouvant de Toute la Flandre. Et nous nous récitions :

Je me souviens du village près de l'Escaut
D'où l'on voyait les grands bateaux
Passer, ainsi qu'un rêve empanaché de vent
Et merveilleux de voiles,

Le soir, en cortège, sous les étoiles.

Dans un autre poème, la description du gros bourg.
Et plus complète :

Le Christ sanglant du carrefour et les deux lances
Des peupliers qui dominaient les jardins clairs.
Tous les bruits familiers se réveillent dans l'air :
Le han du forgeron sur son enclume lasse,
La voix des passeurs d'eau, le chant du jardinier
Rangeant des melons d'or, au fond de son panier,
Et le pas du sonneur, sur le trottoir d'en face.

Et puis ailleurs encore:

...je revois tout :

Le bourg de Saint-Amand, avec le fleuve au bout,
Une place minime et quelques rues,
Avec un Christ au carrefour :

Et l'Escaut gris et puis la tour

Qui se mire parmi les eaux bourrues;
Et le quartier du Dam, misérable et lépreux,
Jeté comme au hasard vers les prairies;
Et près du cimetière aux buis nombreux,
La chapelle vouée à la Vierge Marie,
Par un marin qui s'en revint

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Où je suis né.

C'est là que je vécus mon enfance angoissée
Parmi les gens gens de peine et de métier
Corroyeurs, forgerons, calfats et charpentiers
Avec le fleuve immense au bout de ma pensée.

1

Le fleuve! L'Escaut! Lui, toujours... C'est une sorte de hantise chez Verhaeren. Il semble que le rythme du flux et du reflux de ce fleuve soumis aux marées soit d'accord avec le rythme de son sang. « Toujours l'énorme Escaut roula dans ma pensée », s'écrie-t-il. Les cercles de l'inspiration ont pu, chez lui, aller toujours s'élargissant. Toujours il en est revenu à la source d'inspiration avoir vu les plus beaux pays de la terre, les villes tumul

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première : le village où il est né, la terre natale. Il a beau tueuses: « C'est la Flandre pourtant qui retient tout mon cœur ! ».

Je m'honore d'avoir demandé à la Chambre belge, lorsque, pour la première fois, j'y pris la parole, de voter une loi autorisant l'inhumation du corps de Verhaeren à Saint-Amand, en dehors du cimetière, au bord du fleuve, en quelque lieu solitaire où nous pourrons aller méditer comme devant le tombeau de Saint-Malo. Je me réjouis d'apprendre que l'Etat projette de procéder à ses frais, solennellement, à cette exécution des volontés sacrées du du poète. Verhaeren dort aujourd'hui au cimetière militaire de Wulveringhem parmi les piottes belges, les tommies et les fusiliers bretons. Glorieux compagnons pour l'éternel repos. Mais Verhaeren n'en a point demandé d'autres que le vent qui souffle à travers la plaine de Flandre et la vaste rumeur de l'Escaut magnifique. Donnons les lui.

Louis PIÉRARD,

Député à la Chambre belge.

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Le faux Renan (1)

La pensée de Renan n'est point toujours très bien fixée et on ne la saisit guère avec la certitude que montrent ceux qui entendent la définir. La foi régularise les fonctions mentales, discipline le caractère et va jusqu'à prévaloir parfois contre le tempérament. La psychologie de l'incroyant s'écarte de cette ligne harmonieuse. Il passe par des goûts et des dégoûts divers; il subit des tentations contradictoires et, ayant quitté tous les dieux, il se voit sollicité par chacun d'eux. Abandonné à la vie il oscille dans un perpétuel balancement critique, il revêt les mille aspects des jours et l'instant à peine marque en lui quelque nuance, qu'une autre survient et la détruit.

Il est vraisemblable que Renan ait eu un double physique, il l'est moins qu'il ait été continûment le même esprit, un esprit qu'un système un peu intéressé façonne. Or c'est ce qu'imagine M. André Thérive, dans un roman étonnant et qui aurait dû faire sensation. Il raconte qu'un prêtre manqué vient s'établir à Paris où il tient boutique de papetier proche le Collège de France. Cet homme qui, par une étrange coincidence, a dû subir la crise qui a écarté Renan de l'Eglise, par une singularité plus merveilleuse ressemble de point en point à l'illustre professeur, alors son voisin. Il en a le ventre, la taille, l'oeil bleu, le teint pâle, la mèche oblique, le geste et c'est bien

(1) Le Voyage de M. Renan, roman par André Thérive (B. Grasset, édit.).

Renan que nous représente l'affligeant portrait de Bouvrat. Le hasard amène chez l'image l'original. Renan, gêné d'abord, un peu inquiet, s'avise de titer parti de l'aventure. Il s'entend avec cet autre luimême qui sait assez de grec, d'arabe et d'hébreu pour faire un moment illusion. Il le charge de corvées officielles, le délègue aux cérémonies et aux rites, banquets ou enterrements, qu'entraînent la fortune administrative et la popularité, et ne craint pas, une ou deux fois, de le prier de pourvoir à son cours. Il le décide enfin à partir pour Port-Saïd où l'on a déposé une pierre votive qui ne peut être abandonnée davantage à d'ignorantes mains.

Ce voyage du faux Renan est conté avec un entrain diablé et M. André Thérive s'y révèle propre au roman d'aventures de la façon la plus charmante et la plus inattendue. Nous apprécions dans ce jeune écrivain un critique averti, plein déjà de sens, d'érudition et d'humour, nous y découvrons un Pierre Benoît qui n'aurait gardé que son adresse et se serait enrichi des dons du style et de la pensée. C'est une trouvaille, vous dis-je, une trouvaille qu'avait faite M. Jacques Boulenger (1), mais que le critique ne refera pas, hélas, à moins qu'une académie ou quelque industriel de l'édition ne s'en mêlent à grand fracas. Donc, notre homme échoué dans les récifs d'Ismalaïah avec son bateau, le Lotophage, est pris par un parti de derviches ainsi que quelques compagnons de route dont une sœur et trois religieux. Grâce à sa connaissance de l'arabe il se tire d'affaire, devient même une sorte de personnalité, une fois de plus

(1) Le Voyage de M. Renan a paru dans la Revue de la Semaine.

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