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a su, sans doute, mettre de côté ou dompter son humeur personnelle et sa susceptibilité; et si, par hasard (je n'en sais rien), elle a été trompée depuis des années, c'est sans doute parce que, comme tant d'autres, elle s'était lancée dans un domaine pour l'exploration duquel aucune espèce d'étude scientitifique ne l'avait préparée. C'est un cas tellement fréquent en cette matière qu'à peine vaut-il d'être signalé. Mme Gordon de Jurgielewicz possède, à un rare degré, ce souple « charme slave », qui prend et enveloppe; mais il abrite, chez elle, une volonté et une ténacité véritablement viriles. J'ajoute que Mme Gordon parle cinq ou six langues, qu'elle est à son aise partout, qu'elle sait merveilleusement (qu'on me permette ce terme d'argot) se débrouiller au milieu des plus graves difficultés matérielles, et qu'en un mot elle a une évidente tendance à voir les choses comme elles sont. Elle allait, dans ces circonstances, me rendre les plus signalés services, en représentant vis-à-vis de nous, et avec un « chic » parfait, la Société des Recherches psychiques de Varsovie.

Le 11 octobre, Mme Gordon de Jurgielewicz arrivait de Pologne et elle m'apportait quelques photographies des expériences d'ectoplasmie faites avec le médium Stanislawa P. par M. Pierre Lebiedzinski. M. Lebiedzinski, président du Comité central de cette Société psychique de Varsovie, joignait à l'envoi un mot fort cordial.

Ma première conversation avec Mme Gordon fut des plus intéressantes. Outre qu'elle me mit rapidement au courant de ce qui se passait à Varsovie, elle me renseigna sur les grands médiums polonais et particulièrement sur Kluski : c'était elle, en effet, qui

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l'avait introduit à l'Institut de l'avenue Niel et c'était elle (je ne sache pas que le docteur Gustave Geley ait jamais donné ces détails) qui avait dirigé toutes les séances de Kluski durant l'hiver 1920-1921. Ai-je besoin d'ajouter que Mme Gordon de Jurgielewicz était convaincue de l'authenticité des phénomènes.

Pour l'avenir, toutefois, elle pensait, comme moi, me dit-elle, que le moment paraissait venu de donner à l'étude de ces problèmes une base qui, aux yeux du public, fût plus scientifique; et, dès ce jour-là, il fut envisagé entre nous de savoir si, le cas échéant, les médiums polonais se prêteraient à des expériences officielles à Paris.

Le 22 octobre, parut l'article de l'Illustration dont j'ai déjà parlé : J'y avais fait figurer deux des photographies qui m'avaient été envoyées par M. Lebiedzinski. Aussi, très peu de temps après, je reçus de celui-ci une très longue lettre, que je voudrais pouvoir reproduire ici en entier la place me manque : on verra par ces quelques fragments à quel point les idées émises par le savant de Varsovie venaient appuyer mes propres idées :

Parmi les personnes que vous avez interrogées, quelquesunes n'acceptent pas, non seulement l'explication, mais aussi la réalité même des phénomènes, aussi bien physiques qu'intellectuels... Je ne partage pas cette manière pessimiste de juger les choses. Il y a longtemps déjà que la plupart des phénomènes physiques, publiés par les expérimentateurs sérieux, avaient été observés précisément dans les conditions désirées par le professeur Branly. Tous ces phénomènes n'étaient point spontanés, mais produits à la demande des expérimentateurs et répétés plusieurs fois.

...Il est évident que tous les expérimentateurs sérieux

étaient d'avis depuis longtemps que les phénomènes de ce genre n'ont point de valeur s'ils ne peuvent être provoqués, répétés et modifiés selon un certain plan d'expérimentation.

Du reste, il est tout à fait naturel, vu la rareté de ces phénomènes, leur étrangeté et leur incompréhensibilité, que les hommes de science qui n'ont pas eu l'occasion de les observer de plus près restent incrédules...

Si un phénomène est rare et semble étrange et s'il ne peut être répété et vérifié par tout et par tous, et si l'on est obligé de se contenter temporairement des témoignages d'autres observateurs, il faut toujours chercher l'occasion d'étudier par soi-même ce phénomène étrange. Pourquoi donc les phénomènes psychiques, si originaux et si intéressants, sont-ils si maltraités par le monde scientifique? C'est toujours à cause de leur explication et surtout de l'explication spirite, qui, depuis des siècles, est liée aux phénomènes de ce genre. Malheureusement, c'est précisément cette hypothèse, la plus primitive, anthropomorphique et naïve mais, en même temps, la plus sensationnelle et attirante qui est la plus répandue parmi le public...

Si nous considérons les fantômes, qui ont parfois le visage des hommes vivants ou même des visages imaginés par des artistes, ou même imitant des œuvres statuaires; si nous considérons d'autre part que les matérialisations ectoplasmiques imitent souvent des fils, des tiges, des leviers en tous genres, des ventouses et maints autres appareils imaginés par le médium ou par les expérimentateurs pour expliquer l'incompréhensible action à distance; si nous envisageons encore que, même les phénomènes énergétiques, comme par exemple les lueurs, sont parfois l'imitation des vers luisants ou du phosphore, des éclairs, d'une aura humaine, ou même l'imitation d'une ampoule électrique toute allumée; enfin qu'une démonstration au médium des expériences physiques ou chimiques provoque souvent la création de nouveaux phénomènes réalisés ou non par la nature, par exemple les rayons X.X. d'Ochorowicz qui n'étaient qu'une imitation des rayons de Roentgen; tout cela paraît nous démontrer que l'hypothèse de l'intervention des soi-disant « opérateurs invisibles>>> agissant pendant les séances est superflue. Eux-mêmes ne sont probablement que des personnalités psychiques créées par l'imagination inconsciente ou consciente du médium ou des assistants...

L'hypothèse spirite telle que la professent les disciples

d'Allan Kardec n'est qu'un culte spécial qui se base sur une croyance admise sans critique. Profitant du fait que la science humaine confesse modestement qu'elle ne sait rien, on suggère l'idée que le sens commun impose d'accepter toutes les fantaisies spirites et occultes. Parfois, on donne des preuves. Mais, en étudiant ces prétendues preuves, on voit que la plupart d'entre elles ne « prouvent » que l'existence d'une rare faculté humaine de réaliser ses idées, mais nullement l'existence de choses que l'on désire prouver. Croit-on que les morts reviennent? ils apparaissent, en effet, sous forme subjective ou même objective; croit-on à l'existence de divers esprits, de démons, d'élémentaux ou de monstres de l'audelà? on les crée; croit-on aux aura humaines ou aux plans astraux des occultistes? après quelque entraînement nommé << perfectionnement », on les voit, comme le somnambule voit tout ce qu'on lui suggère,

Est-il possible de détromper les médiums, les sensitifs et les hommes normaux de choses qu'ils ont vues, ouïes ou même palpées? C'est d'autant plus difficile que tous ces hommes affirment, parfois consciencieusement, qu'ils n'ont point pensé aux choses qui sont apparues, car ce sont, en effet, des idées inconscientes qui se réalisent le plus souvent. Plus on fait d'expériences spirites ou occultes, plus on reçoit « preuves » de ce genre.

de

Je suis de votre avis que l'épidémie de spiritisme qui a particulièrement éclaté après la guerre est malsaine et, d'autre part, nuisible pour le progrès de la science, etc., etc.

P. LEBIEDZINSKI.

Comme, sur les entrefaites (fin novembre), j'avais réussi dans mes démarches auprès des éminents savants que j'ai nommés, je mis, par lettre, M. Lebiedzinski au courant de mes projets. J'en parlai longuement ensuite, au cours de plusieurs entretiens avec Mme Gordon de Jurgielewicz. Et, le 3 décembre, je mettais en présence, à la Sorbonne, Mme Gordon et M. le professeur Piéron. Il fut décidé que les grands médiums polonais seraient, eux aussi, quand ils le voudraient, les bienvenus en France.

C'est alors que M. le docteur Gustave Geley, ayant eu vent sans doute de ces diverses tractations, allait rentrer en scène.

Le 28 décembre 1921, un de ces informateurs bénévoles et dévoués dont j'ai déjà parlé m'apportait des copies de quelques lettres envoyées par le docteur Geley à Varsovie et dans lesquelles il était question de moi. J'avoue que je fis la grimace. Je me garderai bien de reproduire une seule ligne de ces lettres, car je n'ai pas envie que M. Geley m'envoie du papier timbré ; mais on peut me croire si je dis que je n'étais pas précisément portraituré en termes élogieux !

Je ne bronchai pas, et je ne soufflai mot à personne, pas même à Mme Gordon. A tort ou à raison, j'ai ce préjugé (si c'en est un) que la vérité finit toujours par triompher et que le mensonge n'a qu'un temps. Il n'y avait donc encore, cette fois, selon moi, qu'à laisser aller.

A Varsovie, pensai-je, ils apprendront bien un jour ou l'autre, c'est fatal, quelles sont, exactement, mes vraies intentions: Patientons.

Mme Gordon partait pour la Pologne le 7 janvier. Je la priai seulement de bien vouloir répéter à M. Lebiedzinski ce que je voulais faire; et je lui remettais la lettre que voici :

Je vous confirme notre conversation. Ma personnalité ne doit être considérée en rien dans cette affaire et mon rôle est celui d'un intermédiaire sans importance. Le fait intéressant est simplement celui-ci : Le public (dont j'ai été le modeste porte-parole dans la circonstance) considère que les expériences qui ont eu lieu jusqu'à présent (et ceci n'a rien d'offensant en soi pour ceux qui les ont faites) ne constituent

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