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Les Morts vivent-ils ?

IV (1)

LES MEDIUMS. EVA

A mesure que j'avançais, je prenais de plus en plus conscience de mes responsabilités. Je m'étais jeté, en effet, on voudra bien le reconnaître, dans une entreprise formidable. Car, enfin, l'ectoplasmie était, si elle existait, un phénomène formidable.

Le 12 décembre, j'avais eu un entretien, incidemment, avec M. le docteur Roux, à l'Institut Pasteur :

Dans toutes les découvertes scientifiques récentes, me disait le grand savant, il n'y a eu rien, jusqu'à présent, qui ne pût venir s'encadrer dans quelque chose de connu. Cette fois, au contraire, il s'agit, avec votre soi-disant substance, d'un phénomène ne correspondant absolument à rien de ce que nous avons appris. Ce que vous voulez faire n'en est, sans doute, que plus intéressant, car si vous arriviez

(1) Voir l'Opinion des 15, 22 et 29 juillet. Ces articles forment la suite de Les Morts vivent-ils ? Tome I (I volume, à la Renaissance du Livre).

Erratum: Dans le dernier article, au lieu de: « M. Louis Lapicque, professeur de Psychologie... », lire : « professeur de Physiologie. >>>

à quelque chose, on peut dire que ce serait une date historique dans la science!... Mais il faut des preuves.

Comme, pour moi - je ne le répéterai jamais assez - il m'était en principe indifférent que le phénomène fût réel ou non, et que je cherchais uniquement la vérité, je continuai avec acharnement le travail commencé.

La situation était la suivante :

Comme grands médiums à matérialisations, il y avait, alors, à ma connaissance : En France: Eva.

En Pologne: Stanislawa P., Franek Kluski, S.-G.

Stanislaski, Jean Guzik.

En Angleterre : Kathleen Goligher.

En Suède : Ejner Nielsen.

En Allemagne, enfin, un médium, dont le nom exact ne m'est pas connu, travaillant avec M. de Schrenck-Notzing.

Or, je tenais à commencer par le médium français. En fait, on suppose bien que des pourparlers commencèrent presque aussitôt avec les étrangers; mais, bien que je désire suivre ici, autant que possible, la marche des événements, je pense qu'il nous faut nous arrêter d'abord sur ceux qui devaient amener Eva, la première, dans le Laboratoire de Physiologie de la Sorbonne.

Mme Bisson m'avait donné, on l'a vu, une acceptation de principe pour des expériences scientifiques dans un milieu officiel.

Le 7 décembre 1921, sûr maintenant du concours

des éminents savants que j'ai nommés, j'eus, à ce sujet, un long entretien avec Mme Bisson.

J'ai déjà dit que je ne peux pas, ici, tout raconter. J'ai tenu, on le devine, un journal de ce qui se passait : il ne saurait, évidemment, être question pour moi, de publier rien qui ressemble à cela. Pourtant, exceptionnellement, me permettra-t-on de mettre sous les yeux du lecteur une page détachée de ce journal, à cette date du 7 décembre? Elle peindra, mieux que n'importe quel récit, la physionomie de toutes ces allées et venues, au milieu desquelles je crois avoir eu peut-être la chance de ne pas me troubler, et qui ont, somme toute, abouti au but que je poursuivais.

Je conserve le style haché de mon agenda :

7 décembre. Nuit. Je sors de deux heures d'entretien avec Mme Bisson, Entrevue mouvementée où, sous la courtoisie et le charme inévitable de sa parole, apparaît une rancune sourde (article de l'Intransigeant) et une méfiance que je n'arrive pas à bien interpréter. Il m'a paru qu'elle craint, en venant à la Sorbonne: 1o que ça rate; 2° qu'on lui dérobe son travail. Sur ce second point, je crois l'avoir rassurée. Mais pas sur le premier. « Je n'ai, dit-elle, aucune idée de la mentalité des savants. Ils sont butés sur un scepticisme de commande... » J'ai l'impression que, dans de telles conditions, j'aurai bien du mal à obtenir qu'Eva vienne à la Sorbonne!... J'ai obtenu seulement que Mme Bisson m'accompagne, à tout hasard et sans engagement, chez le professeur Piéron...

Quelle amertume de constater tant de difficultés de la part de ceux mêmes qui devraient m'aider ! Car, enfin, cet ectoplasme, ou c'est vrai, ou c'est faux. Si c'est vrai, que redoutetoa? Si le phénomène se produit, quel triomphe pour eux tous! Si, au contraire, il n'y a rien, eh! bien, on le dira, et la question sera restée au même point, voilà tout... Ne devrait-on donc pas sauter sur cette occasion?... Mais cette femme, si intelligente, est, en même temps, toute passion, toute fougue... Nervosité, crédulité aveugle ou méfiance subite sans raison, discussions pour un mot... Dix fois, j'ai failli laisser aller, briser l'entretien, ne pas faire l'acrobatie nécessaire...

Mais il le fallait, il le faut, car il faut qu'Eva vienne à la Sorbonne !

et ce

Je le répète, j'éprouve pour Mme Bisson sentiment n'a fait que s'accroître chez moi comme chez tous ceux qui cherchent à la connaître vraiment - une grande admiration et, j'ose le dire, une respectueuse affection. Mais, précisément, il ne s'agit pas ici de sentiment: il s'agit d'une affaire, et d'une affaire de la plus haute importance; et ce serait, à mon humble avis, plus qu'une erreur : une mauvaise action, que de la traiter comme une question quel.. conque, dans laquelle on désire avant tout rester poli, ne pas déplaire, ne pas violer certaines règles de convenance... Je reviendrai d'ailleurs sur ce sujet. On me pardonnera, je l'espère, cette note un peu intime. On m'a demandé de raconter exactement comment les choses se sont passées, je m'exécute.

J'avais donc obtenu la promesse de Mme Bisson de venir dans le laboratoire du professeur Piéron. Cette visite, après entente, fut fixée au cembre.

17 dé

Elle fut fort courtoise, naturellement : Elle dura une bonne heure; et il y fut acquis que :

Du côté des savants : M. le professeur Henri Piéron, avec MM. les professeurs Georges Dumas et Louis Lapicque, consentait à mettre à notre disposition un laboratoire et à essayer d'authentifier les phénomènes d'extériorisation de la « substance ». Pour l'installation, ils suivraient les indications de Mme Bisson, c'est-à-dire qu'ils mettraient le médium, autant que possible, dans ses conditions ordinaires, étant entendu, toutefois, que celles-ci ne rendraient pas le

contrôle inefficace. Dans une petite pièce attenant à la salle d'expériences, Eva serait dévêtue devant les expérimentateurs et passerait un maillot. Puis on la conduirait dans le laboratoire. Assisteraient seuls aux expériences: Mme Bisson et les professeurs. Pour le contrôle proprement dit des phénomènes, on en reparlerait plus tard.

Du côté de Mme Bisson: elle consentait, dans ces conditions, à amener Eva chez ces messieurs. Dans le laboratoire, devrait être établi un cabinet en drap noir, pouvant être clos au moyen de pinces. Les contrôleurs devraient s'appliquer à ne pas parler de métapsychique devant le médium, mais, au contraire, pendant qu'Eva serait dans le cabinet, ils devaient ce détail est très important — s'entretenir de choses et d'autres tout à fait étrangères à la question, plaisanter librement, etc.

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D'ailleurs, malheureusement, disait Mme Bisson, tout cela n'était possible que pour plus tard, car, momentanément, son médium était dans un état de santé (morale) mauvais, pour toutes sortes de raisons qu'elle expliqua.

J'ajoute - puisque j'ai fait allusion précédemment à la question d'argent - qu'il ne fut pas parlé un seul instant d'une rétribution quelconque pour Mlle Eva. J'assurais seulement quelques menus frais nécessités par les expériences (achat du maillot, etc.). Et, tout arrêté ainsi, on se sépara.

Il n'y avait plus qu'à attendre patiemment qu'Eva fût dans des dispositions plus favorables.

Cette attente allait durer trois mois.

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