Imágenes de páginas
PDF
EPUB
[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

et plus semblable au lit desséché d'un torrent qu'à une route. Et cette piste se dirigeait à peu près en ligne droite vers son but. Tracée par des montagnards qui coupent toujours au plus court, elle ne s'attardait pas en savants et longs méandres. Vous avez pu d'ailleurs en juger par vous-même en suivant la route construite par les ingénieurs et qui coupe et recoupe l'ancienne piste aujourd'hui abandonnée.

Je trouvai les gens de M. de Serton dans l'auberge qui m'avait été indiquée. Mes bagages furent arrimés sur les bâts posés sur le sol. Tandis que je surveillais l'opération, les mules sveltes dressaient les oreilles dans leurs stalles et, la tête tournée vers moi, me regardaient en agitant leurs colliers sonnaillants. J'examinai avec curiosité le harnachement qui, demain habillerait chaque mule et qui, pour l'instant, était pendu à des chevilles de bois fichées dans le mur. Selon la coutume, une résille ornée de rubans et de houppettes de laine aux couleurs du blason bleu et or pour M. de Serton couvrirait le corps de l'animal. Par-dessus la résille dont la fonction était de chasser les mouches, on plaçait les selles ou bâts où pendillaient des dizaines de clochettes et grelots de timbre différent.

[ocr errors]

Cet ensemble de couleurs vives et de sonnailleries était du plus haut pittoresque. Dans toutes les écuries des auberges de Grasse, il y avait ainsi des équipages de mules. En passant dans les rues on apercevait, par quelque porte ouverte, des piles de bâts chargés et l'on entendait dans l'ombre des crèches bruire des tintements, des piaffements, des crissements de paille et de fourrage.

Les familles qui allaient passer l'été dans la mon

tagne s'entendaient pour faire route ensemble. C'est ainsi qu'il y avait des caravanes pour la vallée du Loup, d'autres pour la vallée de Saint-Auban, d'autres pour la vallée de Thorenc. Songez, en effet, que pour Thorenc, par exemple, tout devait être porté soit à dos d'homme, soit par mules. Vous comprenez sans peine qu'il ne fallait pas songer à faire passer une berline dans des fondrières aussi vertigineuses. Aussi les familles aisées mettaient-elles leur luxe à avoir un bel équipage de mules, comme dans les villes on a de beaux chevaux.

Dans la soirée, j'allai présenter mes hommages à la famille de Thorenc. J'appris par elle que notre caravane étant au complet se mettrait en route le lendemain matin et comprendrait quatre groupes. Les Thorenc et moi-même qui allions à Thorenc, les de Castellas qui passeraient l'été au château de Velanet placé à quelques kilomètres avant Thorenc, enfin une famille qui a quitté le pays depuis lors et qui habitait un petit manoir de la vallée d'Andon.

Je dînai avec les Thorenc, puis nous fîmes un tour en ville à la tombée de la nuit. Par bouffées, des parfums de fleurs se mêlaient à des senteurs animales et à des relents de cuisine, et cela faisait un mélange indéfinissable et violent où des odeurs d'huile chaude le disputaient à toutes les émanations imaginables. Mais lentement la fraîcheur du soir purifiait l'atmosphère des rues.

Dans l'ombre des portes, des formes noires se mouvaient. Des sonorités chantantes de voix jaillissaient des rues étroites. On croisait parfois la lueur trouble d'un falot balancé par un palefrenier allant soigner ses bêtes. Des ronflements harassés sortaient des tas

t

de paille devinés dans le noir. De partout vibrait un tintement léger de clochettes. Ce tintement de notes diverses, tantôt doux et voilé, tantôt brutal et tapageur selon la nervosité des mules faisait, dans la nuit, une sorte de musique étrange, hallucinante, car elle semblait tantôt vous précéder, tantôt vous suivre. On l'entendait toute proche et puis très lointaine... Les clochettes des mules étaient maîtresses de la ville, Grasse vivait et palpitait dans cette nuit pailletée d'étoiles.

Après avoir quitté les Thorenc qui allaient prendre un peu de repos, je m'amusai un moment, tout en fumant des cigarettes, à monter et descendre les rues en escalier. Une brise soufflait, on ne sait d'où, apportant avec elle une sensation de délassement. Alors j'allai me coucher pour tâcher de dormir. Je fus réveillé un peu avant le jour par le bruit d'un ruissellement d'eau dans la rue. Croyant à un orage, je me précipitai vers la fenêtre. Le ciel était clair, sans un nuage. Et, cependant, toute la rue était inondée. L'eau dévalait en cascades sur les pierres, charriant des détritus de toutes sortes. Cela dura quelques instants, puis l'eau ne charriait plus rien; elle s'éclaircit et se tarit. On n'entendait plus que des égouttements lents de pierres... Une fraîcheur délicieuse montait des pavés humides qui luisaient à peine dans l'ombre.

[merged small][ocr errors][merged small]

Feuillets de la Semaine

ARTS

[ocr errors]

Musées londoniens

[ocr errors]

La pompe extérieure de nos musées, la rareté précieuse de Cluny, la souriante majesté de Carnavalet sans parler de la splendeur du Louvre nous habitue à je ne sais quelle conception exigeante mais un peu hasardeuse de ce qu'est une grande collection publique. Aussi quand on aborde, à Londres, certains musées dont on a depuis l'enfance entendu célébrer les merveilles, on éprouve comme une déception. Le péristyle étriqué de la National Gallery, l'immense et funèbre façade du British Museum déconcertent. A l'entrée l'impression se complique. Les tourniquets, les vestiaires ont des airs de vestibules de banques et la présence toute proche, toute simple, sans transition d'antichambre, de chefs-d'œuvre connus dans le monde surprend encore. C'est peu à peu, salle à salle, que l'immense richesse de ces musées se dévoile et non seulement leur richesse, mais leur merveilleuse organisation où tout concourt soigneusement à la commodité du public.

On retrouve là cet esprit qui derrière les médiocres façades de briques des homes londoniens accumule les opulentes et lisses boiseries. Les salles sont basses et claires avec des jeux de store évitant les miroitements sur les œuvres toujours protégées par une glace, la fameuse glace, objet chez nous de tant de controverses. Les étoffes murales monochromes changent d'une salle à l'autre, les ébrasements des portes sont faits de marbres unis ou de ces admirables bois polis dont l'Angleterre est si bien pourvue. Les tableaux sont pour la plupart dans un état de conservation et d'entretien qui nous confond. On les a décapé des vernis jaunes dont ils ont sans doute souffert comme les nôtres, dans la première moitié du XIX siècle; et, de la sorte, on peut voir, à la National Gallery deux Greco, un Caravage pour ne citer que ceux-là

dont la fraîcheur est à coup sûr celle que devait présenter le tableau deux jours après son achèvement.

A noter qu'ils ne sentent cependant ni le tripoli ni le récu

rage, encore moins le repeint. Quand on aborde le détail on voit que là-bas le musée est fait pour le public.

Au British Museum il est des vitrines plates de travail récent, dont la disposition, l'aération, l'éclairage sont le fait d'une profonde intelligence organisatrice.

Dans l'immense South Kensigton, écrasant, lui, d'ampleur et de richesses, au long des vitrines où sont les miniatures et les petits objets précieux, pend une loupe! Evidemment il y règne un esprit d'accueil, de respect silencieux et actif pour le visiteur quel qu'il soit. Il transparaît certes moins clairement dans nos grandes collections publiques.

Pourquoi ? Parce que, chez nous, le plus souvent, le musée est venu s'installer dans le bâtiment et non le bâtiment audessus de la collection. Et puis encore, et puis surtout, nous ne sommes plus riches.

Quand on songe au prix d'une vitrine, d'une installation, d'un support de verre, chez nous, et qu'on voit, au South Kensington un simple fauteuil en tapisserie du XVII® tout seul au milieu de sa belle vitrine, faite de glaces sans coupure, aux fins montants d'acier, on commence à comprendre sans songer une seconde à déprécier les collections anglaises en elles-mêmes, qui sont vraiment composées avec une science et un goût infiniment sûrs; on peut se ressaisir, méditer de sang-froid, souvenir, comparer et enfin se rassurer.

se

Nos collections, moins abondantes peut-être, plus curieuses en certains cas, peuvent être mises au moins sur le même plan Mais non leur présentation. Avouons-le sur ce point nous sommes considérablement en retard. Nos services de renseignements, la tenue de nos braves gens de gardiens, nos comptoirs de cartes postales, nos vestiaires, l'entretien intérieur, la clarté des pancartes, des tableaux, où toujours figure, en Angleterre, le titre du tableau, le nom de l'auteur avec sa date de naissance et de mort et la date ou la période à laquelle appartient l'œuvre, rien, dans cet ordre d'idées ne peut rivaliser chez nous avec ce que dans sa calme, sa sereine assurance, dans sa richesse énorme et ancienne, peut offrir la érieuse Albion.

Robert REY.

« AnteriorContinuar »