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breuses et plus puissantes que chez nous; ce sont des autos de marque américaine, et je regrette que nos grandes marques françaises ne viennent pas au Canada lutter à armes égales avec les Américains.

Tous ces faits, et d'autres encore, montrent la fertilité, la richesse du Canada, là où le travail de défrichement est terminé. Ils montrent une race active, travailleuse, habile à faire produire à l'agriculture et au commerce des revenus importants, et, d'autre part, des gens moins avares peut-être que leurs frères demeurés en France, d'abord parce qu'ils gagnent mieux leur vie que nos paysans ne la gagnaient avant la guerre (on sait que depuis... ), ensuite parce que le voisinage et l'exemple des Anglais du Canada et surtout des Américains des Etats-Unis ont montré l'avantage pour tous d'une certaine facilité et largeur dans la dépense et ont donné le goût du confortable et même du luxe à cette race d'agriculteurs.

Nous voilà loin, on le voit, des pionniers de Maria Chapdelaine.

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Dans les forêts qui dominent le lac des Sables, à Sainte-Agathe, ou dans celle, plus petite, qui couvre la presqu'île coupant ce lac en deux, nous nous sommes promenés deux jours, saturés, enivrés d'air pur et de la senteur forte, aiguë, émouvante des bois en fermentation sous le soleil.

Bois épais, très denses, sauvages, où l'humidité laissée par l'hiver est telle non seulement que les hêtres, les sapins, les bouleaux, les érables montent vers le ciel pressés les uns contre les autres, mais encore que le sous-bois est quasiment impénétrable, rem

pli d'une marée foisonnante d'arbustes, de plantes, de jeunes arbres confondus et mêlés.

Par endroits seulement un sentier se glisse à travers les dômes verts. Ses bords sont fleuris de marguerites, de violettes, de la fleur blanche des quatre-temps, de celles des fraisiers sauvages, d'autres encore dont je ne connais pas le nom et qui exhalent un frais parfum, comparable à celui du muguet.

Cette forêt semble n'avoir jamais été exploitée. Des troncs d'arbres morts, immenses, gris, dénudés, dressent leurs hautes branches amputées et leur écorce tâpeuse au-dessus des feuillages verts. D'autres sont couchés au travers des sentiers ou pourissent au pied des arbustes. Une tornade a passé par ici, brisant des arbres, en arrachant d'autres ; elle a même tordu l'un d'eux, dont l'écorce s'est fendue en spirale et qui a éclaté à mi-hauteur, comme foudroyé par un obus.

C'est ici un pays où les grandes forces vierges de la nature jouent un rôle formidable et puissant. Nous voyons les traces de la tempête. Mais, toute la nuit, notre sommeil sera bercé par la brise qui ride le lac et le fait bruire sur ses bords. L'hiver, c'est la neige. En ce moment, c'est le soleil qui éclaire les bois, embue les monts au loin d'une douce vapeur et fait toutes choses riantes et gaies, dans un paysage frais et vert, au pays de l'eau, des lacs, des forêts, des rivières, dans la Nouvelle-France de Jacques Cartier, des moines, des explorateurs, des soldats de Montcalm et de Frontenac.

NANTUCKET.

La Saison des Lavandes

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Lorsque la chaleur bouillonne à l'horizon sur le bleu implacable de la Méditerranée, lorsque les roches rouges semblent des argiles cuites à la fournaise du soleil, lorsque l'air immobile et fiévreux est tout imprégné du parfum des fleurs et des résines, alors, chaque année, je vais retrouver une oasis de fraîcheur dans la montagne couverte de pins. C'est Thorenc, et sa vallée étroite s'allonge de l'est à l'ouest au creux de ces contreforts des Alpes maritimes qui, par échelons rapides, s'abaissent parallèlement à la côte pour tomber d'un seul coup dans la mer. L'air qu'on y respire on se trouve à plus de mille mètres d'altitude - est d'une pureté diaphane. L'esprit et le corps se détendent avec volupté, se baignent dans cette lumière crue et joyeuse des journées, se délassent dans l'apaisement limpide et frais des nuits. L'odeur des résines remplit l'atmosphère; le parfum des lavandes et des thýms flotte dans les espaces dénudés. On se sent heureux de vivre, heureux d'une joie païenne qui vous transporte. Le rire du soleil sonne dans l'âme grande ouverte à ses enchantements. On dirait que la jeunesse éternelle danse, pudique et nue, dans la lumière blonde des clairières et dans l'ombre mauve des sous-bois.

J'aime cette vallée de Thorenc. Des souvenirs y vivent qui m'accueillent chaque fois avec une beauté plus sereine et plus intime.

Les «<estivants », d'une banalité déconcertante en général, sont, Dieu merci, en petit nombre et ne

viennent pas troubler le recueillement de qui veut suivre sa rêverie. D'ailleurs, les bois sont assez vastes et la vallée assez longue pour qu'un promeneur épris de méditation n'ait pas à craindre les importuns. Les trois ou quatre dizaines de villas qui forment le village sont disséminées pour la plupart dans les bois et leurs volets ne s'ouvrent qu'en été. L'hiver, Thorenc n'est habité que par de rares autochtones acclimatés au climat rude et âpre.

J'y ai connu des gens charmants, en nombre infime il est vrai; la communauté de goûts, de sentiments, la même façon d'envisager les choses, a tissé entre nous cette trame solide qui s'appelle l'amitié. Le temps, ce grand destructeur, éprouve et consolide au contraire ces amitiés que l'éloignement devrait, semble-t-il, transformer en indifférence. C'est avec joie que chaque année je retrouve ces amis dans le cadre immuable des sensations simples et pourtant si nuancées, si grandioses que nous offre la nature.

Parmi ces amis, l'un a laissé dans mes souvenirs une impression profonde. Quand je le connus, c'était un vieillard de plus de soixante-dix ans, mais solide, grand et robuste malgré une très forte claudication due à un accident de chasse, disait-on dans le pays, bâti à chaux et à sable, ayant conservé intacte son intelligence claire et franche. Il avait pris en amitié le tout jeune homme que j'étais alors je n'avais Ne s'étant pas marié, pas atteint ma majorité. vivant seul dans son immense château de Thorenc avec deux domestiques presque aussi âgés que lui, il cachait une âme profondément sensible sous une apparence plutôt hargneuse. La manière dont nous fîmes connaissance dépeignait bien son caractère,

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farouche et distant pour les étrangers, affectueux et doux lorsqu'on avait fait naître sa sympathie.

Je me promenais seul du côté du Haut-Thorenc, m'amusant à tirailler sur les alouettes et les culs-blancs qui voletaient dans les prairies, quand un homme se dirigea vers moi et me cria de loin : « Dites donc, le chasseur, ne savez-vous point lire les écriteaux qui interdisent la chasse sur mes domaines? » Un peu interloqué et me sachant en faute, je restai muet en remettant, d'un geste machinal, mon fusil à la bretelle. L'homme s'avançait toujours ronchonnant et boîtant. Ses cheveux blancs dépassaient d'un chapeau de paille jauni par le soleil; une moustache rêche et blanche barrait le visage aux traits fermement modelés, mais que la colère contractait. Ses yeux bleus et durs enfoncés sous le froncement des sourcils en broussaille m'impressionnèrent, je l'avoue, par leur regard hautain. Cet examen ne m'aidait pas à trouver une contenance. Assez penaud, je me découvris, et lorsque cet inconnu, campé sur ses jambes guêtrées de cuir et appuyé sur un gourdin de buis, s'arrêta devant moi, je lui présentai mes excuses en reconnaissant mes torts et j'ajoutai que ces terres, ces bois et ces prairies, par leur vaste solitude, m'avaient attiré beaucoup plus par le plaisir de la promenade que par celui de la chasse. Sans me quitter des yeux il bougonna encore je ne sais quoi, puis d'une voix moins rude il reprit en s'appuyant sur sa canne : « Vous aimez donc ce pays, monsieur, et vous n'en trouvez pas l'aspect trop sauvage?» Je lui racontai alors que depuis plusieurs années je venais passer la belle saison à Thorenc et qu'à chacun de mes séjours je me sentais plus attiré par le charme de ces montagnes. La con

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