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santes, est particulièrement favorable à l'exercice de la pensée.

Afin d'excuser ce que de telles propositions ont évidemment d'hérétique et de bas, nous nous abriterons derrière ces quelques phrases qu'il nous arriva, nul ouvrage de cette espèce n'ayant été publié en France depuis 1903, de rencontrer dans un traité de géographie économique anglais : « Les tables statistiques jointes à ce volume pourront fournir, appuyées par les études corrélatives nécessaires, un important moyen d'illustrer l'influence déterminante des conditions géographiques et les modes multiples de cette influence. Ce disant, l'on ne prétend pas affirmer que l'homme est sans contrôle sur son propre destin. Mais il doit s'abaisser pour vaincre. Il ne peut soumettre la nature sans se prêter à ses lois, et plus humble est sa soumission, plus sont grands ses avantages. »

La place nous manque ici pour nous abaisser jusqu'à trancher par des arguments autres qu'idéologiques la controverse franco-anglaise.

Voici pourtant un commencement de preuve :

La guerre a-t-elle si profondément bouleversé les relations économiques internationales qu'il n'y aurait pas lieu, pour l'Angleterre, d'espérer les voir se rétablir jamais dans leur forme ancienne? Sommes-nous en présence d'un monde nouveau, qu'il faudrait prendre tel qu'il est, offrant des chances inédites et des problèmes inconnus? Quelle folie, dès lors, que de vouloir restaurer les parties dégradées du vieil édifice ! Folie si manifeste, qu'il serait permis de soupçonner l'Angleterre, qui n'est point folle et qui sait calculer, de poursuivre d'autres fins, et celles-ci politiques: sa sollicitude envers l'Allemagne s'inspirerait de jalousie envers la France.

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Ces spéculations sont éminemment suggestives. Le petit tableau suivant va nous renseigner sur quelques points :

COMMERCE EXTÉRIEUR DE LA GRAND-BRETAGNE (Commerce spécial)

Destinations des Exportations des Produits Anglais

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Les indications qui ressortent d'un tel tableau apparaissent, ce semble, assez clairement.

La proportion qui s'observe entre les chiffres d'exportation destinés aux divers clients d'un pays révèle en effet l'équilibre propre au commerce extérieur de ce pays. Les produits qu'il exporte appartiennent à certaines catégories bien déterminées. Nous pouvons supposer que ses clients changent soudain, mais non pas la nature de ses productions, surtout s'il s'agit d'un peuple que la division du travail a porté à un degré de spécialisation très élevé. Dès lors, notre caitérium est net.

Rappelons les deux hypothèses qui s'opposent : ou bien la Grande-Bretagne souffre du malaise économique général, et sa crise n'est qu'un aspect de la crise actuelle; elle en est seulement plus atteinte, non pas tant à cause du change, que par suite de son organisation propre (ayant poussé à l'extrême la division du travail, elle entretient le commerce extérieur le plus considérable qui soit, absolument et relativement à sa population). Ou bien la guerre lui a fait perdre certains marchés, sans espoir pour elle de les recouvrer. L'évolution économique, une fois de plus, et suivant son cours d'avant-guerre, lui a été défavorable.

Or le tableau ci-dessus ne peut manquer de révéler laquelle de ces deux hypothèses est la vraie.

Dans la première, les pourcentages relatifs du commerce d'exportation ne doivent pas varier beaucoup; c'est le contraire dans la seconde. On ne peut, en effet, supposer que la déduction, d'ailleurs brusque, des ventes britanniques ait eu pour cause une révolution intégrale de la production et des échanges, substituant partout de nouveaux fournisseurs aux anciens. Qu'observons-nous?

Des modifications très fortes dans trois pays : L'Allemagne, qui enlevait 8,3 0/0 des exportations anglaises en 1911-13, n'en prend que 1,5 0/0 en 1920, 2,4 0/0 en 1921.

La Russie, qui en enlevait 3,1 en 1912-13, n'en prend plus du tout.

Pour l'ensemble des marchés que convoiteront des pays nominativement désignés, cette différence suffit à

corriger l'écart des totaux. Ces pays, en effet, représentent 82,7 0/0 des exportations anglaises en 191113, 77,4 en 1920, 77,9 en 1921. Voilà un premier indice d'un singulier maintien d'équilibre.

Outre les deux nations allemande et russe, seule la France fait paraître une oscillation marquée : on en sait la cause. Ayant subi le plus de ravages, nous avons dû, plus que nuls autres, nous fournir à l'étranger.

Parmi les nations également mentionnées, on distingue deux courants opposés. Certains ont, comme la France, acheté davantage à la fin de la guerre, mais restreignent déjà leurs achats et, comme elle aussi, reprennent leur place relative parmi les clients de l'Angleterre : tels le Danemark, peut-être l'Italie. En sens inverse, de nombreux pays, et parmi eux presque tous les Dominions, qui avaient pris une moindre part relative aux exportations anglaises en 1920, se retrouvent à leur rang: c'est le cas des Etats-Unis, de l'Argentine, de l'Australie, de l'Afrique du Sud, de la Chine et du Japon.

Où donc se manifestent les changements absolus, indiquant la fermeture progressive de marchés extérieurs au commerce britannique? On sait que ceux du Canada et du Brésil ont tendance à se suffire : notre tableau confirme cette notion. On doute qu'il en soit forcément de même pour la Belgique.

Enfin les Indes britanniques, les Pays-Bas et l'Espagne augmentent constamment leurs pourcentages.

Il serait trop long de rechercher les causes de chacune des évolutions particulières traduites par les chiffres fournis. Mais l'indication générale qui en ressort est parfaitement nette: le volume des exportations anglaises s'accroît ou se contracte avec une précision rigoureuse, suivant que les affaires vont prospérant ou se paralysant à travers le monde, et rien ne se distingue mieux que ces deux ordres de phénomènes, qu'on a malheureusement tendance à confondre : l'évolution lente de la production et des échanges et les crises économiques. On ne peut discerner la première qu'en observant une longue période, et avec quelle difficulté ! Les secondes ont la soudaineté des orages et laissent longtemps l'atmosphère troublée.

Que conclure? Peut-être que les Anglais ont vu juste dans leur propre mal. D'où il s'ensuivrait qu'on aurait plus de chance de les amener à composition, sur quelque sujet de discussion que ce soit, en s'accordant avec eux sur la cause de leurs difficultés qu'en y supposant des causes factices et les prêchant pour qu'ils y croient. Les hommes se sont-il jamais laissé égarer par les sentiments des autres jusqu'à s'aveugler sur leurs intérêts?

ADOLPHE DELEMER.

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