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Théâtre & Musique

Beaumarchais et les affaires d'Amérique

Nous vivons en un temps où les écrivains discutent volontiers de politique et où les hommes politiques discutent non moins volontiers de littérature. C'est pourquoi sans doute Edouard Herriot, dont l'activité d'ailleurs est infatigable et se répand dans tous les domaines, vient d'accorder à Beaumarchais une attention pleine de sollicitude.

Edouard Herriot a une sorte de tendresse émue et amusée pour celui qui fut vraisemblablement le plus malhonnête, disons le moins délicat des grands hommes de lettres. Mais pourquoi veut-il que Beaumarchais soit absolument un oublié ?... Oublié, Beaumarchais ne l'est nullement. Sa gloire resplendit au théâtre. Le Barbier de Séville, le Mariage de Figaro n'ont pas à redouter les rigueurs injurieuses de la postérité. Et tous les amateurs d'histoire littéraire connaissent les avatars de cet écrivain ingénieux et même trop fertile en ressources un peu équivoques. On ne peut exiger que tous les spectateurs qui applaudissent Figaro avec enthousiasme connaissent le détail même des affaires dans lesquelles Beaumarchais se jeta avcc une ardente fantaisie, ni quelles sommes il trouva le moyen d'y toucher sans droit. Mais tous savent que Beaumarchais fut un homme d'intrigues autant qu'un homme d'action et qu'après tout cet homme de lettres ne fut jamais très recommandable par sa vertu...

Les hommes de lettres ont sans doute bien changé depuis lors. Et l'historien des mœurs de la société contemporaine, qui recherchera ce que devinrent durant cette guerre un certain nombre d'écrivains notables, en découvrira peut-être quelques-uns qui fabriquèrent ou qui trafiquèrent. Mais s'ils ont fabriqué des obus ou s'ils

Bref, Beaumarchais qui revenait d'Angleterre et que son imagination fantasque n'empêchait point d'être un homme fort avisé, avait discerné la gravité de l'insurrection américaine. Il en avait conclu avec tous les gens sensés d'Angleterre que les colonies américaines. étaient perdues pour la métropole et avec quelques fous de tous les pays que la révolte des colonies provoquerait une révolution à Londres. Les grands écrivains ne sont pas les seuls qui se trompent lorsqu'ils donnent dans la manie de prophétiser.

Beaumarchais multiplia donc les avertissements, les rapports et les mémoires où apparaissaient des hommes célèbres morts depuis longtemps: Solon, Richelieu, Montesquieu, Scaliger, Grotius, et qui aboutissaient tous à ceci, qu'il fallait faire parvenir en secret des secours aux insurgents. Beaumarchais avait la foi qui transporte au moins les navires. Il devint vite, au nom de la France, mais à titre purement individuel, si l'on peut dire, l'allié des Américains et munitionnaire par surcroît. Il fournirait à ces alliés personnels des armes et des munitions, il en recevrait des marchandises, du coton, du tabac. Le gouvernement français lui accordait un million pour monter ses bateaux; le gouvernement espagnol, ne faisait pas moins.

Mais, hélas! Beaumarchais eut alors cette mésaventure d'être évidemment calomnié. Il avait fondé à Paris la compagnie Rodrigue Hortalez et Cie, qui traita avec un représentant des insurgents. Un autre représentant, jaloux et malveillant, prétendit que Beaumarchais avait transformé en opération énergiquement commerciale ce qui devait être secours gratuit... De là tous les déboires et bientôt la banqueroute, la hideuse, banqueroute, fut aux portes de la maison Rodrigue

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Hortalez et Cie...

Mais Beaumarchais n'en était pas à une déception n à une flottille près. Il obtint un nouveau million du sérieux Vergennes, monta jun nouveau bateau qui ne որ

A

ont trafiqué de bien des marchandises qu'ils ne possé- s'appelait pas autrement que le Finla

daient point, ils ont travaillé ici ou là, entraînés et excités par le sentiment impérieux du devoir et ils n'ont transgressé aucune règle de la pudeur patriotique et sociale...

Beaumarchais, lui, avait trop d'imagination, et son imagination était aventureuse à l'excès. Elle le porta donc un jour à s'occuper des affaires d'Amérique, à faire des affaires pour l'Amérique et avec l'Amérique. M. André Hallays rappelle que cette entreprise fut la seule où Beaumarchais « mit plus de cœur que d'esprit ». Il nous suffit de considérer les nouveaux riches de notre époque pour nous persuader qu'il faut bien de l'esprit pour faire fortune dans le malheur des temps. Mais à ces combinaisons fructueuses le coeur n'a jamais servi de rien.

Toujours est-il que Beaumarchais fut encouragé à avoir du cœur et à organiser ces entreprises par deux ministres, dont l'un, Maurepas, était frivole, et dont l'autre, Vergennes, était sérieux. Un ministre de sérieux sur deux ministres : la moyenne est satisfaisante. Beaumarchais qui mêlait de la manière la plus heureuse le sérieux et la frivolité, était bien flatté de la confiance que lui témoignait Vergennes, et dans son exaltation cet aimable Parisien citait les Saintes Ecritures. Il paraît cela lui arrivait souvent de citer les Ecritures, mais il ne cessait pas pour cela d'être aimable... Il écrivit donc à Vergennes : « « J'aime à marcher devant vous, comme David allait devant le Seigneur, avec un esprit droit et un cœur pur. » Aujourd'hui, il faut en convenir, c'est dans un autre style que l'on traite les marchés.

que

suite de péripéties qu'un romancier aurait bien de la peine à inventer, le Fier Rodrigue livra bataille. Mais Beaumarchais ne perdit pas de vue non plus qu'il était écrivain, et il livra bataille en écrivant!

Il y a des périodes de l'histoire où cela ne laisse pas d'être dangereux. Et Beaumarchais faillit l'apprendre à ses dépens.

Au reste, le Congrès, surpris peut-être par ce mélange de patriotisme et de mercantilisme que l'on voyait en Beaumarchais, ne payait guère. Beaumarchais, sans doute pour retrouver son argent, ne perdait pas son enthousiasme et tâchait de toutes ses forces à constituer une flotte de guerre et il s'attirait au moins les félici tations de Vergennes, toujours sérieux.

on

aboutit

L'Amérique lui avait envoyé pour le payer des lettres de change sur Franklin. Mais il e reçut jamais rien que ces lettres de change. On régla ses comptes plusieurs fois; on ne le paya pas une seule fois... Enfin, à une transaction... en 1835. En 1793 on avait stipulé qu'il était dû à Beaumarchais une somme de 2 millions 280.000 francs. En 1835, sa famille toucha 800.000 fr. L'affaire, décidément, n'avait pas été bonne.

Mais Beaumarchais combinait d'autres affaires et pouvait dire : « Je suis comme Figaro, je ne perds pas la tête pour un peu de bruit. » Il eut même l'esprit de faire quelque chose pour ses confrères du théâtre. I fonda la Société des Auteurs Dramatiques. Je me suis laissé dire que c'est, à l'heure actuelle, une des Sociétés les plus prospères qu'ait établies Beaumarchais!...

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J. ERNEST-CHARLES.

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que !

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Au Maroc

Un soir à la subdivision de Meknès L'un des plus vifs attraits d'un voyage au Maroc est le perpétuel renouvellement du paysage et des êtres. Se déplacer, là-bas, c'est découvrir à quelques heures d'intervall e les régions les plus différentes. Chacune a son caractère, ses usages, son charme tout spécial; les unes et les autres forment des mondes aussi différents, aussi nettement tranchés que les grandes fractions de l'univers, et, cependant, un lien subtil les relie.

Ce lien est le Protectorat, ses simples mais inflexibles lois, son allure, sa sobre élégance, sa manière à lui de tenir les rênes d'une main sûre et souple à la fois. Le Protectorat, ceuvre tout individuelle dont l'unité assure l'heureux fonctionnement, se retrouve à chaque page du merveilleux livre d'images marocain. C'est en le parcourant à loisir qu'il vient ainsi, à le feuilleter sur place, une vive admiration pour celui qui en est l'âme et le créa de toutes pièces. Pourquoi hésiter à le dire, même si cela ne va pas sans un certain courage, car, chez nous, exprimer ce genre d'impression sembla toujours de fort mauvais ton et d'un goût déplorable. Le Maroc, plus encore que l'Egypte de Cromer, auquel il est difficile de ne pas le comparer malgré de si grandes dissemblances, s'impose au premier coup d'œil, et ne perd pas à l'analyse ses lignes fermes, cette extrême vitalité qui lui viennent de son constructeur. Partout le même mouvement rapide devance l'avenir; ce qui fut ébauché hier s'achève aujourd'hui, et le résultat immédiat préserve des erreurs courantes cette nouvelle expérience coloniale.

L'Egypte de Cromer était le triomphe du haut fonctionnaire anglais maniant de main de maître la tradition bureaucratique et s'en inspirant étroitement. L'ouavre française au Maroc est celle d'un individualisme à outrance qui façonne lui-même, dans ses moindres déRails, l'armature légère et résistante adaptée au qu'elle gouverne sans l'asservir ni le diminuer.

pays

Cette construction hardie et qui semblait frêle à tant d'esprits craintifs résiste aux pires réactions de la guerre. Elle tient, elle s'accroît même contre toute atente. Que ne donnera-t-elle pas bientôt quand, partout, la vie normale reprendra son cours?

Voici ce que discutaient un soir, devant le plus beaut les couchants, les hôtes de la subdivision de Meknès. Assis sur la terrasse qui domine le ravin, à l'extrême ord de la ville européenne, ils avaient sous leurs yeux autre versant couronné par la ville indigène. Les miarets aux lignes sveltes s'égrenaient tout au long de ancienne capitale marocaine comme les grains d'ivoire 'un tesbi. C'était encore la Meknès de Moulay-Ismaël, ien n'était changé. Le palais impérial toujours aussi Pévèrement clos occupait à peu près la moitié de la reille avec ses jardins, son Aguedal immense dont quelques kiosques apparaissaient çà et là, entre de larges aches d'un vert très doux, le vert des bois d'oliviers. Dans l'extrême limpidité d'une atmosphère complèement desséchée, les moindres lignes ressortaient en otations claires, un peu brèves, l'ensemble acquérait ne grandeur parfaite. Cette Acropole islamique dispoée en corbeille était un joyau étrange, pareil à ces vieux bijoux du Sous, chargés d'émeraudes aux tons changeants. A ses pieds, au fond du ravin, d'autres jardins montaient vers elle et les cavaliers indigènes passaient sur des sentiers raides, enlevant leurs montures de ce geste presque rituel que reproduisent les gravures du temps. Ce temps, c'était le XVIIe siècle. Le Versailles marocain reste intact et le plan d'autrefois peut encore servir aujourd'hui. Le voici, tout vivant, avec ses lu

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mières et ses ombres, l'eau-forte était faite pour cette architecture si simple de ligne, si raffinée dans l'or

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nement.

Face à cet archaïsme débordant de vitalité, la Meknès militaire, ville de l'avenir, sort du sol. En six mois, il a jeté ses racines sur le plateau qui paraissait bien vaste pour ses débuts. Déjà, sa croissance rapide l'emporte plus loin. Tout un quartier neuf, aux blanches maisons entourées de fleurs, vient d'éclore. Un style marocain, de formule toute moderne, a trouvé son expression et, ce ne sera pas l'une des empreintes les moins curieuses du Protectorat, que d'avoir su placer ainsi, dans chaque grande région marocaine, cette cité du présent qui peut sans remords contempler un passé dont elle s'inspire tout en l'adaptant aux nécessités actuelles.

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La subdivision donne l'exemple. Ses jardins creusés dans le sol, dominés par les rectangles des zelliges mosaïques aux teintes éclatantes ce sont bien des parterres marocains mais ils sont dessinés pour des yeux de France avides d'espace. Les garnds murs qui sont, au Maroc, le complément invariable de toute cuvre humaine, n'existent plus ici. Tout se passe à l'air libre. Là-bas, en face, la ville indigène peut suivre les moindres mouvements de la subdivision, ses entrées,

ses sorties, les allées et venues des bureaux.

Entre le palais mystérieux dont la foule ne connaîtra jamais que l'enceinte extérieure et ce clair domaine qui la gouverne, le contraste est absolu. Du côté français, on entre à volonté; la muette éloquence de quelques canons braqués sur l'autre face du ravin suffit à maintenir l'ordre.

Meknès, nœud des grandes voies du Moyen-Atlas, centre d'une importante zone militaire et trait d'union entre la côte et l'intérieur, redeviendra peut-être, dans l'avenir, ce qu'elle fut si longtemps dans le passé, la vraie capitale marocaine. Elle a pour elle la fraîcheur de ses eaux, l'air léger d'une demi-altitude, elle est ventilée par les courants de l'Atlas mais elle a surtout un site admirable, des horizons illimités, ses bois d'oliviers, ses vallées fertiles et la ligne bleue de ses montagnes qui, de tous côtés, l'enserrent et ne l'oppriment pas.

Et puis, l'attrait d'un paysage ou d'une ville, est fait, surtout, de ce que l'on ne peut exprimer. Les officiers attachés à la région vous diront que celle-ci

lasse

pas et qu'il est difficile d'en définir le charme. L'extrême variété des sites, la salubrité du climat y sont. pour quelque chose mais surtout, à Meknès, chaque pierre a son histoire, chaque ligne d'horizon évoque un nouveau centre d'action.

La guerre est tout près avec sa virulence, ses duretés. A côté de ce plateau couvert de récoltes, de ces doux vallonnements, elle se déroule âpre et laborieuse pendant qu'ici l'œuvre de paix s'épanouit. Le plus heureux des contrastes du Maroc est de retrouver derrière chaque ligne de combat la vie, la vraie vie féconde qui reprend ses droits sans vaine attente, absorbant chaque parcelle de terrain pacifié.

A la subdivision, une sonnerie de clairon toute française rappelait que l'on était chez soi.

le

Ce n'était pas l'exotisme oriental toujours un peu débilitant, son influence lénitive mais une saine atmosphère de travail et d'action. Le téléphone venait de transmettre le dernier communiqué et, sur le quartier militaire, le calme du sommeil allait descendre, concert des rainettes commençait. Mais une nuit de juin, une nuit de lune, c'est un nouveau triomphe de la lumière et rien ne porte moins à fermer les yeux que ce scintillement continu des mondes qui se révèlent dans tout leur éclat, à certaines heures et sous certaines latitudes.

BERTHE-GEORGES GAULIS.

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La Presse comme elle va

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Foi en les journaux

Monsieur Babouc,

Je viens de lire votre dernier article de l'Opinion où, à propos de la protestation du « Syndicat des journalistes » contre la France libre, vous nous exhortez à la modestie et nous déconseillez de revendiquer des privilèges corporatifs que l'opinion publique désapprouverait, ayant appris, depuis quatre ans, à ne plus voir en nous que des traîtres, des escrocs ou des bourreurs de crânes. Ce ne sont pas vos propres termes, mais c'est à peu près votre pensée, j'en suis sûr. On pourrait vous objecter que le « syndicat des journalistes» est précisément né de ce triste état de choses et qu'il ne se propose que d'y remédier, mais vous répondriez qu'il s'y prend mal si, pour obtenir que les journaux soient fermés aux trafiquants, il commence par exiger l'exclusion d'un tas d'honnêtes gens qui n'ont commis d'autre crime que celui de s'être fait une situation honorable ailleurs que dans le journalisme. C'est, diriez-vous, mettre la charrue avant les bœufs. Soit, et d'ailleurs l'observation que j'ai à vous mettre porte sur un autre point : je ne crois pas, Monsieur Babouc, que la presse soit aussi décriée qu'il vous plaît de le laisser entendre et qu'il est de bon ton de le répéter dans les milieux journalistiques, intellectuels et politiques.

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Etes-vous journaliste, Monsieur Babouc? Je le suis moi, je suis même un vieux journaliste, puisque mes souvenirs professionnels remontent à Arsène Houssaye, à Monselet avec qui je me souviens d'avoir fait un si extraordinaire déjeuner, un jour que... Mais non, je vous ferai grâce de l'anecdote. Vous la lirez dans mes souvenirs, quand j'aurai eu le temps de les écrire. J'appartiens aujourd'hui à la rédaction de deux journaux, l'un du matin, l'autre du soir. Dur métier pour un homme de 63 ans! Malgré cela, toujours bon pied bon œil. Le journalisme conserve, quand il ne tue pas à la fleur de l'âge. Dans mon journal du matin, où je travaille le soir, des fonctions très délicates m'ont été réservées, on m'a chargé d'accueillir des visiteurs, sans doute à cause de mon air respectable bien que je bien que je n'aie rien d'un patriarche, - et de ma grande expérience de la vie. Un bureau des plus confortables m'a été aménagé dont le balcon surplombe une importante artère parisienne. J'arrive à cinq heures. Il y a déjà queue dans l'antichambre. Les pauvres gens, qui attendent quelquefois depuis le commencement de l'aprèsmidi. Quand je vois leur file s'allonger sur la banquette, je ne puis in'empêcher de penser à certain jeune vicaire qui avait tant de succès, autrefois, dans la petite ville où j'ai vécu ma jeunesse, que des bigotes passaient la nuit dans l'église pour être des premières à recevoir son absolution le lendemain. Le jeune vicaire, aujourd'hui, c'est moi sans nulle vanité, naturelle

ment!

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Bien installé dans mon fauteuil et allumée une première cigarette, je sonne : « Faites entrer! » dis-je au garçon, et le défilé commence. Une dame? Je me lève et l'invite à s'asseoir. Est-elle en deuil? Je flaire aussitôt une veuve de la guerre et jette ma cigarette.

En quoi, Madame, puis-je vous servir? La visiteuse me considère avec des yeux timides. - C'est bien, me dit-elle, à M. X... (ici le nom du patron) que j'ai l'honneur de parler?

Car toutes demandent à parler au patron, personnellement.

Quelquefois, je réponds : « A lui-même, Madame ».

Mais le plus souvent je décline modestement mes fonc tions. Une déception se lit alors sur leur visage. C'est que ce que j'ai à dire est tout à fait confiden

tiel...

Parlez sans crainte, comme à un ami.

Et mon sourire se fait tout miel.

1

Eh bien, voici, j'habite au 43 bis de la rue des Entrepreneurs, etc., etc.

Bref, quoique son mari soit sergent de ville, sa concierge tient au public des propos tellement défaitistes, que sa conscience lui a fait un devoir de venir m'en informer.

Ou bien :

Monsieur, j'ai un neveu qui habite l'Aveyron, un enfant prodige, Monsieur! Il m'écrit qu'il vient de faire une invention extraordinaire intéressant la défense nationale...

Qu'il écrive au ministre des inventions ! - Il lui a écrit, Monsieur, mais le ministre n'a pas répondu !

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Que diable voulez-vous que j'y fasse ?
Je croyais que dans les journaux...

Dans les journaux, Madame, on rédige des articles Justement! Mon neveu avait eu l'idée d'un article, en tête de votre journal, qui attirerait sur son invention l'attention des autorités.

Elle sort de son sac un papier, je le prends, lui promets tout ce qu'elle demande et la reconduis jusqu'à la porte avec une douce violence.

Après la tante du jeune inventeur, on introduit un poilu. Un claquement de talons, la main au calot, un sourire qui hésite et implore.

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Monsieur, excusez...

Asseyez-vous, mon ami. De quoi s'agit-il?

C'est que, Monsieur voilà, mcn troisième frère vient d'être fait prisonnier, et alors, comme j'en ai deur autres qui ont été tués, j'aurais voulu savoir si je ne suis pas en droit d'être ramené à l'arrière...

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primer son indemnité d'isolé sans aucune raison apparente... Je le console. Un autre poilu m'amène son petit chien qu'il ne peut plus garder au front, je lui donne l'adresse de la Société protectrice... Et ainsi de suite, tous les jours de cinq à sept. Je vous avoue, Monsieur Babouc, que les premiers temps où je tenais ce rôle de confesseur, de conseiller, j'étais un homme sensible, je me tourmentais pour ces pauvres gens aux irrémédiables infortunes, qui venaient à moi d'un cœur si naïf, si confiant, si crédule, si religieux, comme les pénitentes allaient au jeune vicaire dont je vous parlais plus haut. A présent, je suis blasé, et je ricane à part moi, je suis le mauvais prêtre qui officie avec des pensées blasphématoires ou profanes. Mais le but de ma lettre n'est pas de vous faire la confession d'un confesseur. Je me suis simplement proposé de Vous rendre palpable l'exagération qu'il y aurait à penser que le public ne croit plus aux journaux. A défaut des visites qui m'assaillent, l'énorme quantité de lettres que nos lecteurs nous adressent tous les jours vous ferait facilement la preuve du contraire. La vérité c'est peut-être que le public n'a jamais cru plus fort que maintenant à notre pouvoir surnaturel. Il y a mille choses qu'en temps de guerre un bon citoyen n'ose pas solliciter de son député; alors le bon citoyen se tourne vers son journal qu'il considère un peu comme

son

obligé puisqu'il lui verse deux sous tous les jours. Ainsi, entre le pays qui demande à chacun le sacrifice de sa vie et de sa liberté, et l'individu qui marchande pied à pied son sacrifice, les journaux jouent le rôle de tampons, d'amortisseurs, de défenseurs, d'avocats. Cette charge vaut bien un privilège sans doute...

:

P. C. C. BABOUC. P.S. J'ai reçu de M. Henry Sabarthez, le distingué secrétaire du « syndicat des journalistes », une petite rectification. L'affaire de la France libre n'est pas a première où le « syndicat » se soit manifesté. était intervenu précédemment auprès des directeurs de journaux pour les prier d'informer aussi promptement que possible leurs rédacteurs des dispositions arrêtées concernant l'éventualité de déplacements dont on parlait alors. Cette initiative ne pouvait et ne devait avoir m'a c aucune publicité, et je suis bien excusable de l'avoir ignorée, n'étant dans le secret ni des directeurs, ni du Syndicat ». — B.

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Beaux-Arts & Curiosité

ENQUÊTE

sur les problèmes architecturaux actuels (1) M. GEORGES LECOMTE, président de la Société des Gens de Lettres, a bien voulu, au cours d'une conversation, nous parler ainsi des questions que soulève notre enquête :

Le sujet est trop vaste pour que l'on puisse entrer dans les détails. Mais voilà les lignes essentielles de mon opinion:

C'est une question d'espèces, selon l'importance et le caractère du monument d'une part et, d'autre part, selon son état de ruine à la fin des hostilités.

Prenons un exemple : la cathédrale de Reims. Dans l'état effroyable où il semble bien qu'elle se trouve après les derniers bombardements, la restaurer serait l'abîmer et lui enlever tout son caractère. Je crois qu'il faudra sé borner à refaire ses voûtes pour préserver tout ce qui reste, à cicatriser les déchirures, afin que les intempéries ne puissent aggraver sa destruction. Mais

(1) Voir l'Opinion des 9, 16, 23, 30 mars, 6, 20, 27 avril, 4, 11 et 18 mai, 8 juin et 6 juillet.

il est nécessaire, à mon, àvis, que ce monument si riche d'histoire, reste là meurtri, fracassé, pour rappeler à jamais aux Français de l'avenir, les douleurs et l'héroïsme de notre époque.

Mais pour d'autres monuments moins abîmés et dont la froide réparation pourrait ne pas être trop apparente, il est possible et nécessaire, je le crois, de les remettre en état pour les rendre à leur destination première. Espérons que les cathédrales de Soissons et d'Amiens, par exemple, pourront être ainsi restaurées et servir à nouveau aux cérémonies du culte.

Je pense aussi qu'il est indispensable dans la reconstruction des villes et villages de faire tout le possible pour reconstituer le caractère ancien. Le danger des reconstructions rapides et totales qui s'effectueront au lendemain de la guerre, c'est la banalité en quelque sorte industrielle, et la monotonie.

Nous devons redouter la cité géométrique aux maisons toutes bâties sur le même modèle, sans différences de profils, de toits et d'alignements, avec des rues se coupant à angles droits. Ce serait d'une froideur désespérante !

Nous sommes à une heure tout à fait importante pour l'aspect futur de la France. Nous avons l'occasion de créer de la beauté pour des siècles ou de faire de la laideur. Chaque maison d'une ville ou d'un village représente un passé, des besoins, une existence d'un certain caractère avec laquelle elle s'harmonise. Je crois indispensable de reconstruire, dans la mesure du possible, et en tenant compte des lois d'hygiène, les maisons d'autrefois sur leur ancien emplacement, avec les avancées et les retraits qui leur étaient propres. Je crois plus encore à la nécessité de se servir des matériaux que l'on trouve dans la région et que traditionnellement il est d'usage d'employer.

Bien entendu, ce souci de garder la physionomie de nos cités et de nos villages n'empêche pas le souci de toutes les commodités et précautions hygiéniques, que la science moderne nous conseille.

Certainement oui, j'espère que de belles formules architecturales modernes naîtront de ces besoins. Des tentatives heureuses ont été faites dans ce sens. Il y a trois ans déjà que le Musée des arts décoratifs s'est soucié de cette question. Une petite commission d'étu-. des, dont je faisais partie, s'était même occupée d'organiser une exposition, de demander à nos architectes les plus inventifs quelques plans de maisons, de mairies, de théâtres, d'églises, afin que les architectes locaux, le jour où la reconstruction des cités deviendrait possible, pussent avoir sous les yeux quelques idées intéressantes, que, bien entendu, ils adapteraient' aux besoins locaux.

M. CHARLES SAUNIER, écrivain d'art.

Il n'y a que les peuples mourants qui ne réparent pas leurs monuments. La conception des ruines pittoresques est toute moderne. Des gens sains, actifs, amoureux de la vie, de leur sol, de leur patrie, ne peuvent accepter qu'elle présente la physionomie d'un cimetière. Nos cathédrales, nos vieilles villes ont été quatre et cinq fois rebâties. Et nous les aimons pour ce qu'a apporté, ce qu'a ajouté, chaque âge.

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pement, si rapide dès son origine, a été aussi extraor dinairement accentuée par les besoins de la guerre, pourrait voir arrêter son essor par la conclusion de la paix?

plus actifs de destruction elle ne devra pas devenir un des éléments de prospérité dans l'ère nouvelle à la quelle aspire le monde entier, Boches exceptés ?

étaient posées sur piliers formant des passages couverts; leurs pignons étaient aigus. Il y en avait qui remontaient au moyen âge, d'autres étaient de la Renaissance, certaines du XVII siècle espagnol, peut-Comment penser qu'après avoir été un des agents les être y en avait-il du XVIII. Prises chacune séparément, elles étaient disparates; néanmoins elles formaient un ensemble plein de caractère et doué d'une apparente unité. J'espère bien que cette petite place sera, autour de l'Hôtel-de-Ville rétabli tel quel, reconstituée. Mais non étroitement. Si, par exemple, quelque propriétaire entend poser sur ces piliers et inscrire dans cet encadrement dont l'ordonnance répond à une habitude d'œil autant qu'à des nécessités urbaines, une façade mieux en rapport avec une distribution intérieure de notre temps et élevée avec des matériaux nouveaux, meilleurs que les anciens, on ne le peut blâmer.

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Que l'on respecte étroitement les dispositions antérieures ou qu'on en substitue de nouvelles, il restera entendu que les récentes lois d'hygiène, les exigences modernes du confort, doivent passer en première ligne. Mais comme les enquêtes faites depuis la guerre nous ont prouvé qu'en ce qui concerne l'orientation, l'incli naison des toitures, leurs saillies, les dispositions anciennes répondaient à des nécessités climatériques qu'il convient de respecter, on ne saurait donc souhaiter une reconstruction générale sur un plan uniforme et à l'aide d'un, deux ou trois types d'habitations partout reproduits. Il n'y a que les spéculateurs et quelques architectes plus ambitieux que talentueux et qui, à cause. de cela, ont les dents longues, très longues, pour souhaiter d'imposer uniformément leur ours. Mais qu'on soit là-dessus sans inquétude.

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S'il en est, j'en connais la chose ne réussira pas. Car les évincés neutraliseront l'action du favori.

Je pense qu'il sera toujours préférable d'utiliser les matériaux locaux, ceux que l'on rencontre à pied d'œuvre. M. Louis Bonnier, dans la construction désormais fameuse de la mairie de Templeuve a montré ce que l'on pouvait réaliser en ce sens. Mais, partout où il n'y aura pas de matériaux particuliers, il faudra recourir à ce « matériau » idéal qu'est le ciment armé. Il se prête à tout, offre toutes commodités. Et grâce à lui, grâce aux recherches que son emploi généralisé encouragera, peut-être pourrons-nous d'ici peu d'années connaître la maison économique moulée, d'un entretien presque nul, d'une durée certaine. En permettant à chacun de vivre chez soi, entouré d'un peu de verdure, elle mettra fin à la folie des agglomérations urbaines si contraires à l'hygiène, aux exigences de la vie familiale, et qui, durant cette guerre, ont présenté à tant de points de vue, les inconvénients les plus graves.

Nul doute que le ciment armé, ou l'emploi combiné du béton, de la brique creuse, du grès cérame, ne déterminent une nouvelle orientation architecturale. Mais, quelle que soit la souplesse des matériaux, qu'on n'oublie jamais qu'il ne peut y avoir de belle architecture que là où il y a équilibre selon les lois de la physique, harmonie selon les règles de la vision, proportion selon le canon humain.

M. DEBAT, architecte.

Vous cherchez à déterminer ce que pourra être l'architecture de demain,

Il me paraît, qu'on le veuille ou non (et il semble bien qu'on ne le veuille guère envisager) en haut lieu, qu'elle sera fatalement et totalement dominée par un facteur nouveau dont je m'étonne qu'on se préoccupe si peu l'aviation.

Comment admettre qu'une industrie dont le dévelop

Et lorsque, dans un avenir extrêmement proche à mon avis, ce nouveau mode de locomotion sera d'usage courant, n'est-il pas évident qu'il entraînera fatalement une transformation totale de la topographie des villes et aussi de nos constructions ?

Car, alors, pour permettre l'atterrissage, il faudra porter la largeur des voies à 120, 150 mètres, que sais je? et la conséquence forcée, pour éviter un développement trop grand des centres urbains par rapport à la campagne et l'augmentation du prix des loyers qui en serait la conséquence, c'est qu'il faudra bien arriver à modifier nos règlements actuels et permettre de retrouver en hauteur la surface perdue par les immeubles.

Nous serons donc, je crois, amenés, et très prochaine ment, à bouleverser complètement notre voirie urbaine et à construire des immeubles qui, avec leurs 25 ou 30 étages, apporteront cependant une amélioration très sensible des conditions d'hygiène générale, puisqu'à l'in verse de ce qui existe aujourd'hui, ils se trouveront être d'une hauteur très inférieure à la largeur de la voie publique. Et ces nécessités nouvelles suffiront à créer de nouvelles formes architecturales.

MORA-BISSIÈRE

Nous terminons ici les réponses à cette enquête, dont nou tirerons, dans un très prochain numéro, la conclusion néces saire.

La Vie Economique.

Le privilège de la Banque de France

La Chambre des députés a abordé, il y a un peu plus de deux mois, l'examen du projet de loi portant renouvellement du privilège de la Banque de France déjà été consacrées à ce débat. La discussion générale déposé le 11 décembre 1917. De nombreuses séances ont a été longue et complète on y a abondamment parlé de toutes les questions se rattachant au sujet et même de quelques autres. Chacun des multiples amendements déposés a fourni l'occasion d'amples discours, lesquels ont permis l'exposé de toutes les conceptions concernant l'organisation bancaire.

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Il se peut que la discussion dure encore quelque temps, mais l'objet essentiel du projet de loi est d'ores et déjà acquis, puisque, par 309 voix contre 128, la Chambre a adopté l'article premier qui proroge le privilège d'émission jusqu'au 31 décembre 1945. Elle ainsi repoussé toutes les dispositions tendant à réduire la durée proposée par le gouvernement, malgré l'éner gie déployée par le parti socialiste. Or, c'est là un point capital, si l'on considère que le privilège expire dans moins de deux ans et demi. Si en tout temps continuité du régime de la circulation fiduciaire im porte à la prospérité du pays, elle devient plus indis pensable encore lorsque, comme c'est le cas actuellement des circonstances exceptionnelles ont nécessité un déve loppement considérable de cette circulation. Nous al lons donc essayer impartialement de faire clairemen apparaître les motifs qui militent en faveur du renou vellement du privilège, et ce dans l'intérêt bien compa du relèvement économique du pays.

Quel est, en effet, le rôle de l'émission du papier monnaie ? C'est, d'une part, de fournir en échange o

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