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de suffrage. Un second vote confirma le premier 232 voix contre 183, la Chambre approuva les amendements relatifs au suffrage plural. Le gouvernement avait brandi la dissolution comme une menace. Le moment venu de l'exécuter, il recula. Une note officieuse publiée le 31 mai dans la Gazette de l'Allemagne du Nord fit connaître la résolution de M. de Hertling d'attendre, avant de se prononcer, les résultats de la troisième lecture.

Que pouvait-il bien attendre? les journaux de gauche le lui demandaient, tantôt avec ironie, tantôt avec colère. Il savait la réforme vouée à l'échec, s'il ne passait pas outre à la résistance du Parlement. En le voyant si patient, on en venait à douter qu'il fût sincère, et à se demander s'il ne souhaitait pas lui-même que son projet fût enterré.

M: de Hertling comptait encore, ou feignait de compter sur la manoeuvre du centre catholique. Cette manoeuvre échoua devant la brusque coalition de la droite et de la gauche. Le 7 mai, l'amendement dit « des garanties », qui n'était plus soutenu que par les catholiques, fut définitivement rejeté. Dès le lendemain, les pourparlers étaient repris entre le gouvernement et les partis. Le centre, toujours inspiré officieusement par M. de Hertling, joua son rôle d'entremetteur. D'une part, il engageait le gouvernement à se montrer accommodant, et faisait pression sur le vice-président du ministère prussien, docteur Friedberg, et sur le ministre de l'intérieur, M. Drews. D'autre part, il conjurait les partis de gauche. de renoncer à leur intransigeance. « En fin de compte, déclarait la Koelnische Volkszeitung, la question

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va se poser de la façon suivante : Les progressistes et les socialistes préféreront-ils faire échouer toute la réforme c'est-à-dire le suffrage universel, parce qu'elle présente quelques taches de rousseur? Si telle est leur intention, la gauche portera la responsabilité de l'échec et, au cas où la Chambre serait dissoute, elle se trouverait en fâcheuse posture devant l'opinion publique. » En même temps, le gouvernement faisait annoncer par quelques journaux que l'empereur était résolu

à dissoudre la Chambre.

Mais les adjurations, comme la menace, demeurèrent sans effet. Le 14 mai, en troisième lecture, le Landtag de Prusse repoussa le projet du gouvernement par 236 voix contre 185. Le principe du vote plural fut ensuite rejeté, par 220 voix contre 191. Après quoi, par un curieux souci des convenances, si ce n'est par une sorte de dérision, la majorité approuva « l'ensemble de la loi ». En somme la Chambre prussienne décidait de réaliser la réforme électorale, en spécifiant que les électeurs ne disposeraient, ni d'une voix, ni de plusieurs. Comme le constatait, au lendemain du vote, la Gazette

de Francfort, « on se trouve en présence du vide. Depuis le dernier vote, le projet ne contient plus aucune disposition sur le mode de suffrage futur. »>

Que fera le gouvernement? Renverra-t-il le projet devant la Chambre des seigneurs, comme a paru l'annoncer le docteur Friedberg ? Il ne réussirait ainsi qu'à gagner du temps, puisque le projet devrait ensuite revenir à la Chambre des députés, qui lui ferait le même sort qu'auparavant. L'empereur autorisera-t-il M. de Hertling à dissoudre le Parlement ? Les conservateurs se refusent à le croire, et ils parlent désormais en gens sûrs de leur fait. « La dissolution, affirme un de

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leurs journaux, la Deutsche Tageszeitung, c'est la grosse canonnade dont les généraux vaincus ont coutume de couvrir leur retraite. >>

D'ailleurs l'attitude future du gouvernement, quelle qu'elle soit, n'importe guère. Ce qui est intéressant, c'est la posture où le retient, depuis plus d'un an, le débat imprudemment engagé. Le roi de Prusse,, à Pâques 1917, promet à son peuple le suffrage égal, direct

et secret. Le gouvernement du roi présente à la Cham bre un projet conforme à la volonté du souverain. Par une longue série de manœuvres, la Chambre, c'est-à-dire la représentation populaire, fait échouer le projet du gouvernement et repousse le bien fait que le roi voulait offrir à son peuple en récompense ou en dédommage ment. Aux fantaisies libérales, plus ou moins sincères plus ou moins intéressées du souverain architecte, la vieille forteresse prussienne oppose sa volonté de de meurer féodale et anachronique : elle ne veut pas qu'on la modernise. Le Vorwarts a beau menacer les conser vateurs et le gouvernement, leur serviteur indocile, mais impuissants, de la colère populaire, et même de la révo lution. Cette menace ne produit pas la moindre émotion en Prusse, ni en Allemagne. On a vu les résultats des grèves de janvier 1917. Et l'on sait bien que la réforme électorale intéresse médiocrement les classes ouvrières allemandes, soucieuses d'avantages économiques, indif férentes aux privilèges d'ordre purement politique L'évolution de l'Allemagne vers la démocratie ? Nous oublions toujours que démocratie n'a point le même sens pour nos ennemis que pour nous. En ce moment, a n'est pas Scheidemann qui fait peur à M. de Hertling c'est Tirpitz. D'ANDILLY.

Affaires Intérieures

Les jugements des Conseils de guerre

et les suspensions de peine

Il y a quelques semaines, les journaux quotidiens ont annoncé que le gouvernement venait de dépose sur le bureau de la Chambre un projet de loi tendant à modifier la réglementation actuellement en vigueur en les conseils de guerre. Ce projet de loi est gros de ce qui touche la suspension des peines prononcées par conséquences et mérite de retenir l'attention.

Pour en comprendre le but et la portée, il faut con naître tout d'abord ce qu'est la suspension de peine e comment elle fonctionne à l'heure actuelle.

les conseils de guerre depuis le 2 août 1914 n'ont jama On sait qu'un grand nombre de jugements rendus par reçu aucun commencement d'exécution. Beaucoup de condamnés ont été maintenus sur le front ou envoyés aux armées « pour racheter leur faute », suivant la for mule courante. C'est l'application de l'article 150 du code de justice militair qui a permis d'obtenir ce ré sultat.

Ce texte autorise, en effet, le général qui a ordonne la poursuite en conseil de guerre à suspendre, provisoi condamnation. Quel but le législateur de 1857 a-t-il rement et pour une durée indéterminée, les effets de la poursuivi en édictant cette disposition? Il est difficile de le préciser, les travaux préparatoires du code de justice militaire n'apportant à cet égard aucun éclaircissement. Ce qui est certain, c'est qu'en pratique les généraux n'avaient pas usé, en temps de paix, de la faculté qui leur était accordée par la loi.

Depuis la guerre, au contraire, l'article 150 du code de justice militaire a fait l'objet d'applications ininterrompues et pour ainsi dire quotidiennes. En se déreloppant ainsi le droit de suspension a subi une assez

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curieuse évolution.

Au début de la guerre, il est apparu comme un moyen commode et fort ingénieux d'empêcher qu'il n'y eût une sorte « d'embuscade du délit », pour employer l'expression pittoresque dont on s'est servi à la tribune de la Chambre. L'instinct de la conservation est si fort et la lâcheté est susceptible d'inspirer à une âme débile

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des calculs si bas que certains hommes peuvent commettre des infractions légères, uniquement pour être enpyés à l'arrière dans un établissement pénitentiaire et evenir ainsi des « embusqués des prisons »>, tandis ue leurs camarades font bravement leur devoir sous les alles et sous les obus. A ceux-là l'autorité militaire, appuyant sur l'article 150, a dit avec énergie : « Vous tes condamnés ; vous devriez être envoyés en prison ou ux travaux publics. Eh bien! vous n'irez pas à l'arrière. ous purgerez votre peine plus tard, lorsque la guerre ra finie. Pour le moment, vous resterez à votre poste de mbat.» » Telle paraît bien avoir été, dans les premiers de ois de la guerre, la conception que l'autorité militaire st faite du droit de suspension.

Peu à peu, cette conception s'est modifiée. Le commanment n'a pas tardé à s'apercevoir que la faculté dont rticle 150 lui a conféré l'exercice pouvait encore être lisée dans un autre but. On se rappelle qu'avant la forme législative du 27 avril 1916, les conseils de erre n'avaient pas, en temps de guerre, le droit d'acder à un condamné le bénéfice de la loi Bérenger. се s de condamnation avec sursis: voilà le régime udel les tribunaux militaires ont été soumis pendant les gt premiers mois de la guerre. Or, il est fréquent que D' nécessités de la discipline imposent l'obligation de duire un militaire devant un conseil de guerre et de infliger une condamnation, même sévère quelquefois, n que ce militaire ait fait courageusement son devoir dant plusieurs mois et qu'on soit en droit d'espérer de prompt relèvement. Avec beaucoup de raison, on a sé que la suspension de peine pourrait, dans une ge mesure, remplacer le sursis légalement inapplicaL'article 150 qui était apparu d'abord comme metit à la disposition du commandement une sorte de

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mait & action supplémentaire, est devenu bientôt un élément ndérateur, grâce auquel le bagne ou la prison pouten v ent être évités aux condamnés qui ne semblaient pas Dron lignes de quelque indulgence.

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Quoi qu'il en soit et quel que puisse être l'esprit dans uel elle est accordée, la suspension de peine ne peut, as l'état actuel de la législation, émaner que du seul éral qui a ordonné la poursuite. Il en est ainsi, soit la suspension intervienne au lendemain du juge nt et avant toute exécution, soit qu'elle intervienne dant que le condamné subit sa peine. Il convient illeurs d'observer qu'en suspendant l'exécution d'un rement de condamnation, le général ne peut réintéle condamné que dans l'une des unités relevant de art commandement. En un mot, après le jugement, le éral est maître de l'exécution, comme il était maître la poursuite avant le jugement.

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eCette réglementation, dont la logique est impeccable, fre un grave inconvénient : c'est la diversité des décidns. Cette diversité se comprend aisément, si l'on age qu'en temps de guerre les pouvoirs juridictionps appartiennent, à l'intérieur, à tous les généraux mmandants de régions et, sur le front, à tous les géraux commandants une armée ou une division. Il est possible d'admettre que toutes ces autorités aient la ême conception du droit de suspension de peine. Aussi est-il pas rare de constater que dans une division Exécution des jugements de condamnation est presque jours suspendue et que dans une autre division la Spension de peine ne constitue qu'une exception. I e timent de l'égalité si développé chez le soldat franas, a été froissé par cette constatation. Des doléances nt été formulées, dont l'écho a retenti jusque dans les phères officielles et c'est en vue de remédier à cet état

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de choses que le gouvernement a déposé son projet de loi.

L'économie de ce projet est très simple. Rien n'est changé à la réglementation actuelle, pendant les six premiers mois qui suivent la condamnation: durant cette période, le général qui a ordonné la poursuite conserve le droit exclusif de statuer sur la suspension de peine. A l'expiration du délai de six mois, le droit de suspension passe au ministre de la guerre qui, à partir de cette époque, a seul qualité pour apprécier s'il y a lieu ou non d'appliquer au condamné l'article 150 du code de justice militaire.

Comme on le voit, le gouvernement propose une solution transactionnelle. La formule à laquelle il s'est arrêté paraît très heureuse et mérite de rallier les suffrages du Parlement. Lorsqu'un jugement vient d'être rendu par un conseil de guerre, il est nécessaire de laisser à l'autorité locale le soin de statuer sur la suspension de la peine. Il faut vivre avec la troupe pour se rendre compte, avec exactitude, de l'influence que peut exercer une telle décision sur le moral des soldats. Dans bien des cas, l'examen d'un dossier, si attentif et si consciencieux qu'il puisse être, ne saurait suffire. Un incident, qui paraît insignifiant en lui-même, a peut-être soulevé beaucoup d'émotion au sein du bataillon ou de la compagnie, où il s'est produit. Un soldat, dont le feuillet de punitions ne révèle que des fautes légères, est peutêtre un indésirable dont la présence est nuisible au maintien de l'ordre et de la discipline. C'est tout cela qu'il faut envisager avant de décider si un condamné doit aller au bagne ou demeurer parmi ses camarades. Et seule l'autorité locale peut, au lendemain du jugement, apprécier en pleine connaissance de cause tous ces éléments de décision.

Au bout de quelques mois, au contraire, la situation est toute différente. La composition des unités s'est notablement modifiée. Beaucoup de ceux qui on été témoins de la faute commise, ont quitté le régiment. Souvent même, le général, auquel la demande de suspension est soumise n'est plus celui qui avait ordonné la comparution devant le conseil de guerre. En un mot, lorsqu'il s'est écoulé quelques mois depuis le jugement de condamnation, la question de suspension est jugée sur pièces, comme on dit au Palais. Or, dès l'instant qu'il ne s'agit plus que de juger sur pièces, il y a tout intérêt, pour assurer l'homogénéité des décisions, à créer l'unité de juridiction. C'est cette unité que réalise le projt de loi en conférant au ministre de la guerre le droit exclusif de statuer sur la suspension, toutes les fois que le condamné subit sa peine depuis six mois au

moins.

Tout permet de penser que le projet du gouvernement sera favorablement accueilli par les Chambres et que la nouvelle règlementation ne tardera pas à entrer en vigueur. Sagement appliquée, cette réglementation. pourra produire de très heureux effets; des hommes qui ont donné des preuves de leur repentir et qui sont animés du désir sincère de se réhabiliter, iront grossir les rangs des combattants et racheter, par leur conduite au feu, une faute commise peut-être dans un instant d'égarement ou d'oubli.

Des politiciens à courte vue ou des démagogues impatients ne manqueront pas d'insister auprès du gouvernement pour qu'à la faveur des dispositions nouvelles, les suspensions de peine soient repoussées. A l'heure actuelle, les intérêts individuels disparaissent devant les intérêts généraux du pays. Qu'on accorde généreusement la suspension de peine à tous ceux qui sont prêts à faire jusqu'au bout leur devoir de soldat; mais qu'on la refuse impitoyablement à tous les fauteurs de désordre qui pourraient profiter de leur retour aux ar

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« Il y a deux cents ans que j'aspire à voir Versailles et je ne puis y rester qu'une heure à peine »>, s'écriait Miss Joy Higgins en enveloppant d'un regard de tendresse le paysage qui, en cette rare journée d'un printemps sans soleil, s'étend sur le canal enveloppé d'une brume dorée.

Et, en revenant vers Paris, John Frey, me disait : « D'un geste les Français gagnent nos cœurs; voyez à chaque auto attachés ces petits drapeaux américains. Dès notre première rencontre avec la terre de France, elle nous offre l'accueil qui sait nous toucher. >>

Ces deux exclamations expriment une harmonie préétablie une fois de plus éprouvée. Mais dans cette courte semaine en France il y eut plus qu'une manifestation d'entente franco-américaine, plus qu'une occasion pour des citoyens américains de voir la France en guerre et de rapporter aux Etats-Unis une vision inspiratrice. Cette mission a eu une vertu agissante.

Le choix des hommes qui la composait fût heureux. C'est Georges Berry, président de l'Union internationale des publicistes qui, avec son air de gentleman, aime à rappeler que «< typographe vagabond » il n'a jamais passé un seul jour à l'école ; c'est le jeune et délicat Chester M. Wright, de l'Union internationale des typographes qui, éditeur du New-York Call, a quitté le parti socialiste dès la déclaration de guerre ; Martin F. Ryan, ce bon géant, président de l'Association fraternelle des cheminots; le sobre William E. Johnston, président de l'Association internationale des mécaniciens; William Short au visage pétillant de malice; c'est enfin James Wilson, à l'éloquence implacable, à la répartie directe comme une riposte de fleuret, le président de la mission qui exerce sur ses camarades une souveraine autorité morale.

Ces hommes vous donnent dès l'abord une étrange impression de sécurité. Auprès d'aucun, on ne ressent cette incertitude qui s'allie souvent aux déclarations les plus catégoriques. Ils ont une vision nette de ce qu'ils veulent et, s'ils le veulent si fortement, c'est qu'ils se sentent les représentants authentiques d'un mouvement puissant.. Ces hommes de bon sens doivent leur formation au maniement journalier des organisations dont ils ont à exprimer, à défendre, à diriger les intérêts matériels. Leur force tient aussi au sentiment mystique qui les anime. Leur foi unit en un même culte la démocratie, la justice et la France. Chacun d'entre eux a une personnalité, mais ils sont avant tout des hommes d'action. Il en est un pourtant chez lequel, par suite d'une certaine discipline d'esprit, il est facile de surprendre comme la pensée consciente du mouvement : c'est John Frey, directeur de l'Union internationale du moulage.

John Frey a un attrait particulier, il s'est donné à lui-même la culture que tant d'autres reçoivent mécaniquement des Universités. Au moment de son départ, il s'est entretenu longuement avec moi, résumant les impressions qu'il emporte.

français si sympathiques. » Frey a bien compris leur intelligence vive, souple, généreuse, prête aux revire ments les plus imprévus lorsqu'on fait appel à leu cœur ou qu'on sait rendre une vérité d'expérience sensi ble à leur raison : « Oui, sans doute, sur plus d'un point nos idées ne sont pas les mêmes; l'opposition entre leurs conceptions et les nôtres n'est pas niable, mais elle s'explique facilement il semble qu'en France les chefs travaillistes accordent à la fois trop d'attention aux as pects politiques et ne se soucient pas assez de grouper les masses ouvrières en de fortes organisations. Le deux tendances s'engendrent. Et ainsi s'explique pourquoi en une poussière de groupes s'émiette le mo vement ouvrier. La communauté des intérêts économi ques unit, les passions politiques et les engouements de personnes divisent. »

John Frey s'étonne surtout de la crainte qu'ont les milieux ouvriers de prendre contact avec les hommes indépendants des autres milieux. Pourquoi cet isole ment desséchant ? A vivre seul on s'exaspère, on bom son horizon, on restreint son action. La rencontre a sein

d'une nation des esprits et des tempérament opposés a une vertu tonique vivifiante: ainsi agit l'a du large sur les hommes des différents pays.

Mais les plus intelligents des leaders ouvriers cra gnent d'être accusés de compromission: « Quand on es sûr de ses principes et de soi-même, on ne craint pas d rencontrer qui que ce soit, de traiter avec aucune puis sance. » Les travaillistes américains ne craignent pa d'être accusés d'avoir changé. Pour eux, la libre discus sion, ce n'est pas simplement la discussion dans presse, dans les meetings, c'est la rencontre d'homme homme, permettant de confronter idées et expérience Cet échange sans contrainte et dans l'abandon spon tané des préjugés volontaires et des attitudes prise n'est-ce pas le seul moyen d'assurer par la liberté l'unit du sentiment national parmi les divergences d'intérêts de caractères et d'opinions.

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L'attitude « de chien de faïence » qui caractérise relations des pouvoirs publics et des travaillistes France leur est incompréhensible. Le gouverneme pour eux n'est ni l'ami, ni l'ennemi, ni providence ni d vinité malfaisante: il est un fait, une puissance ave laquelle on traite : « Chez nous, lorsqu'une difficul survient, lorsque quelque chose ne marche pas, le go vernement appelle tel leader et discute avec lui. » U attitude négative n'est-elle pas un indice de faibless

John Frey appelle de tous ses voeux la constitution en France d'organisations, puissantes par le nombre, q entraîneraient une moindre influence des petites min rités tyranniques, de la politique de clan. Les dive gences suscitées par les luttes idéologiques et person nelles sont artificielles, elles tiennent le plus souvent des conflits entre individus dont l'amour-propre, l'ent tement, le désir de dominer faussent le jugement: elle ne traduisent pas une opposition réelle fondée sur le intérêts généraux des masses, de tel métier, de tel grou pement économique. Que de fois on préférera une abs tention au résultat positif obtenu par l'accord avec le voisin, par la concession d'une nuance à autrui. Trop souvent la voix d'un homme veut donner et se donn à soi-même l'illusion d'être la voix du peuple, de la classe ouvrière, de la démocratie.

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John Frey pense que le mouvement ouvrier doit êtr fondé sur les assises solides de la technique et de l'éco nomie au lieu de rester suspendu à l'équilibre chance Il me dit tout d'abord sa joie d'avoir pris contact lant de la bascule politique. Grâce à la prédominand avec les syndicalistes français : « Un voyage au front progressive des discussions réalistes, il espère que français répondait à notre plus cher désir: quelle heu- litique nourri de formules cèdera peu à peu la place a reuse idée! Trois d'entre eux ont pu nous accompa- professionnel, vraiment représentatif, formé par une e Ces journées passées ensemble m'ont per-périence journalière des intérêts et de l'administration mis de les mieux connaître. Je trouve les travailleurs de son syndicat.

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John Frey a compris que nos regards doivent se tourner vers ce qui associe et non pas vers ce qui divise. Il a l'amour de la réalisation, et, s'il sait qu'on ne peut agir sans faire un choix, et que choisir c'est quelquefois choisir de combattre, il comprend aussi que l'esprit critique ce n'est pas la critique systématique.

Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles il se réjouit tant du contact étabk avec les travaillistes franais il attend beaucoup de cette intimité qui pourra tre doublement éducative. Cette éducation mutuelle, es amitiés créées seront le fondement psychologique le cette Société des alliés, qui sur le terrain économique ommence à s'esquisser dans les comités et conseils ineralliés.

Frey s'est arrêté. Il songe à l'avenir et pense qu'il le s'ébauche qu'autant que la volonté des individus y onsent. Auprès d'un tel homme on ne doute plus e l'efficacité de l'action. De sa parole lente il reprend : J'ai été surpris pendant cette semaine, au cours de nos onversations, de me sentir si près de vous et que l'un l'autre, par des routes différentes, nous nous trouons réunis au même carrefour et en un si parfait acord. Ne sommes-nous pas guidés par les mêmes préocpations, n'appliquons-nous pas instinctivement la ême méthode ? Il est étonnant que dans les faits soOaux vous recherchiez avant tout l'humain. L'homme Ct là partout qui explique. Et vous partez du fait conaret, non pour illustrer ou vérifier après coup une idée énérale préconçue, mais pour aller à la source du mouement social, à la raison psychologique. L'essentiel fest de dégager le pourquoi de telle attitude, de telle ésolution de congrès, de telle politique suivie à un motenent donné... Je recherche toujours le why ».

Comprendre c'est là en effet ce qu'il veut, mais non as comprendre pour la seule joie intellectuelle de voir Elair, mais comprendre pour agir. Grâce à cette lumière distingue le contour exact des faits, il veut éclairer la pute, libérer le mouvement ouvrier des actes et des déciarons irraisonnées et contradictoires. Il veut des leaders. i puissent conduire, et non pas des meneurs qui se issent mener par l'instabilité de l'heure.

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Et il reprend : « Notre méthode, la même, est l'inerse de celle suivie dans les Universités; vous apporz avec vous dans vos expériences que vous ne voulez as exclusivement intellectuelles, le respect de la vie, non cette armature rigide en laquelle insérer et par déformer ou mutiler la réalité vivante ».

De la réalité John Frey est parti pour acquérir une ormation personnelle, et il lui est resté fidèle dans les onférences qu'il donne chaque année à l'Université de Chicago. Les Universités françaises n'auraient-elles pas rofit à accueillir ainsi, à côté des réguliers, des orains, désignés pour un enseignement non par les Facultés elles-mêmes ou par l'Etat, mais par le vœu les étudiants, qui appelleraient ainsi chaque année à eur parler du vaste monde tel industriel, tel exploraleur, tel banquier, tel leader ouvrier... La présence des forains dans les Universités créérait une heureuse émulation; elle amènerait les réguliers à se tenir toujours up to the mark », à se renouveler eux aussi par de fréquents voyages et par l'action, et à être de meilleurs professionnels en devenant membres « of the University of the World ». Ne serait-ce pas là le moyen de faire pénétrer à flots air et lumière dans les salles un peu attristées des Facultés et dans les trop secrets cabinets de travail.

John Frey reste silencieux. Sa figure vigoureuse, aux traits fortement dessinés se détache de l'obscurité qui commence à envelopper ce Paris si beau depuis que ses formes graves ne sont plus déparées par trop de joyaux allumés et que seules de belles fleurs bleues à l'éclat modeste restent suspendues immobiles dans la nuit.

Dans la vigoureuse étreinte de sa main, il veut me donner l'assurace que nous nous sommes parfaitement compris le contact franco-américain du travail et des Universités sera la défense contre le double danger auquel avant la guerre l'activité intellectuelle et l'activité économique des deux pays étaient exposées : l'impérialisme intellectuel des Universités allemandes, l'impérialisme économique de l'industrie et du syndicalisme associés en Allemagne. A un siècle de distance une nouvelle Sainte-Alliance se dessine contre laquelle pour emprunter à Frey une citation évangélique qu'il aime les portes de l'enfer ne prévaudront pas.

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Turcaret, à la Comédie-Française

On a mené quelque bruit autour de la représentation de Turcaret à la Comédie-Française. Parce que nous avons la manie de chercher en tout un intérêt d'actualité, nous nous sommes plus à considérer l'étude sans aménité que Lesage avait faite des traitants de son époque comme une satire très opportune des «< nouveaux riches », des «< profiteurs de la guerre » d'aujourd'hui.Et il est évident que Turcaret est un homme qui a gagné très rapidement beaucoup d'argent.Il tient à faire figure de bourgeois gentilhomme.Il manque d'honnêteté le plus possible et M. Jourdain, au contraire, a l'âme droite. Mais il est très ridiculement parvenu. Et parvenu dans un milieu de coquins.

Je juge qu'il est dépourvu d'ampleur et je dis que les nouveaux riches d'aujourd'hui sont plus magnifiques, Turcaret semble avoir gagné son argent bassement. Il est en rapport avec des faussaires. En rapport constant avec des faussaires et en partage richement les bénéfices. C'est un nouveau riche véreux. Il ira en cour d'assises, cet homme.

En vérité, Turcaret n'est qu'une caricature assez piètre du grand fournisseur de notre époque et des Samuel Bernard de son temps. Peut-être aurait-on le droit de le comparer à ces intermédiaires dont on m'a dit qu'il existait bien encore quelques espèces et qui se faufilent à travers toutes les combinaisons, sont les mouches de tous les coches industriels ou financiers, et n'ayant donné quoique ce fut finissent toujours par recevoir de l'argent qui n'est pas sans odeur.

Oui, Turcaret est un traitant subalterne et vulgaire et grossier. Nous avons vu mieux. Il ne saurait plus guère avoir de prestige à nos yeux avertis. C'est décidément à tort que nous le comparons aux éblouissants « faiseurs» que la guerre aurait multipliés. Il est un peu en marge de ce monde là. En marge et en dessous. Il appartient à la pègre de la finance. Et puis il est bien

sot.

C'est ce qui nous désoblige. C'est même ce qui nous surprend et nous gêne dans notre admiration pour l'ouvre forte où le vertueux Lesage a fixé sa haine de certains parasites d'une société déjà décomposée...

Si nous ne faisons pas tous fortune autant que nous le méritons, nous supposons afin de nous consoler et de trouver encore quelques raisons de vivre, nous supposons que la conquête de la fortune réclame de qui la tente une certaine intelligence de qualité médiocre certes, mais audacieuse et heureuse en ses audaces, et aussi de la perspicacité et de la pertinacité, bref je ne sais quoi qui caractérise les chefs, disons les conquérants... Or, il ne nous est accordé de rencontrer Turcaret que dans un milieu où il est trompé et berné par cha

cun. Trompé et berné trop facilement... Nous discernons bien qu'il est habile à discuter très rapidement d'affaires malhonnêtes avec de bons gredins. Mais partout ailleurs et là même, il est dupe. Il est dupe trop régulièrement et de trop de gens.

Dupe de la comtesse qui le gruge, dupe du chevalier qui se fait entretenir par la comtesse, dupe des aigrefins qu'il emploie. Dupe de son valet qui se moque de lui non sans profit, dupe de sa femme qu'il a cru exilée à Valognes et qui vient s'amuser à Paris... Ce triomphateur apparemment subit un bien grand nombre de défaites... Et nous n'acceptons plus que très difficilement qu'il ait pu s'élever dans la hiérarchie des manieurs d'argent, établir solidement des relations utiles à sa puissance et se hausser vers les sommets où tout brille et où tout ce qui reluit est or...

Nous voulons bien qu'un nouveau riche soit trempé par sa maîtresse. Nous y consentons. Nous n'en éprouvons même aucun déplaisir; et tout au contraire, car nous avons le sentiment de la justice. Nous comptons toujours sur la justice et sur cela que la justice est immanente. Nous jugeons toutefois que Turcaret devrait avoir plus de discernement...

D'ailleurs quand il tombe nous n'avons pour lui aucune pitié, car nous avons trop de mépris. Et justement Lesage a voulu que de toutes nos forces nous méprisions Turcaret.

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Il le méprisait bien lui-même. Turcaret est sur le modèle du Bourgeois gentilhomme une satire un peu lente et forcée des hommes d'argent. C'est une satire d'une âpreté extraordinaire. Lesage détestait profondément ces êtres ignobles qu'étaient les Turcarets. Il ne pouvait supporter leur ignominie. Il était sans scepticisme, il était également sans hypocrisie.

Alain-René Lesage était un homme très droit et très courageux. Il mériterait donc de servir d'exemple aux auteurs dramatiques et aux romanciers même s'il n'avait point écrit de chef-d'œuvre.

Jeune, l'esprit orné, avec des dehors agréables, il s'en fut à Paris et devint bientôt un homme presque à la mode. Lorsqu'il entreprit de faire jouer Turcaret, Lesage était déjà l'auteur de cette comédic Crispin rival de son maître qui avait été accueillie avec des transports d'enthousiasme. Il était aussi l'auteur du Diable boiteux où la société tout entière avait goûté, parmi tant d'esprit, une si vive critique des mœurs... Une œuvre nouvelle de Lesage ne pouvait plus passer inaperçue. Une œuvre violente devait faire scandale.

Aussi bien, Lesage éprouva-t-il mainte difficulté pour la représentation de Turcaret. Il avait divulgué le sujet de sa pièce.Il en avait donné quelques lectures acclamées dans quelques salons. Effrayés, les financiers cabalèrent contre lui. Lesage lutta longtemps contre des adversaires aussi puissants que rusés. Il les obligea à plier. On lui avait offert cent mille francs pour qu'il retirât sa pièce. Il refusa. Et lorsque en 1709, Turcaret fut enfin représenté on convint que la maltôte avait reçu un coup dur.

Il y a dans cette œuvre toute l'indignation, toute la colère, toute la haine vigoureuse que peut donner le vice aux âmes vigoureuses. C'est la pièce d'un très brave homme qui ne peut dissimuler le dégoût que lui inspirent ses contemporains. Tous ses contemporains. En effet, Turcaret n'est pas le seul personnage abject d'un ouvrage qui semble consacré à peindre l'abjection des Turcarets. Les autres personnages sont également dignes de mépris. Ils sont uniformément dégradés et vils. Ils le sont même trop uniformément et j'allais

dire trop consciencieusement...

Mais si vous rapprochez cette pièce de Lesage de la pièce de Molière qu'elle évoque nécessairement vous tiendrez pour indiscutable que la déchéance morale de la société s'était accomplie très rapide et très profonde. Et Lesage peint cette société dévoyée avec un réalisme dont la franchise est singulièrement brutale. Le pessimisme naturaliste peut se réclamer de Turcaret..

On ressent même une impression assez pénible à constater le cynisme impudent de toutes ces canailles.. Le valet Frontin est le personnage qui personnifie le plus complètement et la canaillerie et le cynisme. Il est certainemnt celui qui a la plus vilaine âme dans la grande famille des valets de comédie dont l'âme ne fut jamais jolie, jolie.

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Mascarille de l'Etourdi, Scapin des Fourberies, Sganarelle de Don Juan sont des gredins identiques à quelques nuances près Nérine de Pourceaugnac a une peu rassurante, Dorine, Toinette, Claudine de George Dandin sont des soubrettes ou des valets bien artificieux, qui mentent à plaisir et qui n'ont jamais eu de scrupules... Mais ils sont aimables en leur fourberie On leur est indulgent parce qu'ils sont loyaux en quel que façon et servent toujours quelqu'un, celui-ci ou celui-là avec un vigoureux dévouement... Frontin, est, lui, le gredin total, apparenté de fort près d'ailleurs à ce Crispin que Lesage avait déjà peint et qui disait

tout net :

«Que je suis las d'être valet ! Ah! Crispin c'est ta faute; tu as toujours donné dans la bagatelle, tu de vrais présentement briller dans la finance. Avec l'esprit que j'ai, morbleu, j'aurais déjà fait plus d'une banque

route. >>>

Frontin dit exactement la même chose. Et il est bien effrayant, il ne se plaît que dans la crapule. Il serait fort désolé s'il lui fallait jouir en paix et loin des com binaisons du « fruit de ses exploits. »

« Nous plumons une coquette; la coquette mange un financier le financier pille son prochain. Cela fait un ricochet de fourberie le plus plaisant du monde »>.

Et voilà ce qui s'appelle vivre. Ce n'est pas vivre que de séjourner dans l'honnêteté si ennuyeuse, et telle ment privée d'intérêt. Frontin parle de Lisette

:

« Elle servait des personnes qui vivaient de façon discrète, qui ne recevaient que des visites sérieuses, un mari et une femme qui s'aimaient, des gens extraordi naires, enfin un milieu triste. >>

Lisette elle-même était bien faite pour un autre m lieu. Et il n'est guère de coquine plus entraînée aux be sognes abominables que lui indique son compère Fron tin. Une soubrette toutefois a cette qualité qu'avaient les soubrettes de Molière : elle est attachée à sa maitresse... Mais écoutez les conseils qu'elle lui donne :

<< Il faut s'attacher à M. Turcaret afin de l'épouser ou de le ruiner. Vous tirerez des débris de son opulen ce de quoi vous mettre en équipage et soutenir dans le monde une figure agréable. Vous lasserez les caquets; vous fatiguerez la médisance et l'on s'accoutumera insensiblement à vous confondre avec les dames de qualité. »

lai

Voilà les héroïnes, voilà les héros de Turcaret. Et la pièce est sombre et comme douloureuse. Trop de vi lenie et trop constante, et monotone ainsi. Mais on distingue une vertu vaillante et si hardiment sincère. Le sage n'est satiriste à ce point que parce qu'il souffre et parce qu'il est épouvanté du spectacle que offre la société de son temps. Sa pièce est le cri de co lère de l'honnêteté outragée... Il ne semble pas que l'honnêteté des dramaturges contemporains ait été spé cialement outragée : ils n'ont pas poussé depuis quelque temps de grands cris de colère. Faut-il s'en réjouir pour notre société ou s'en plaindre pour nos dramaturges?

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