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trompe-l'oeil, l'ersats, voilà la fin du fin. On fait avec je ne sais quelle mixture de farine sans farine et avec des morceaux de confitures ou des dattes des barquettes de fruits à s'y tromper. On improvise de la pâte de fruit qui, entourée de papier d'étain, donne des « bouSchées » ressemblant, à s'y méprendre, à celles d'hier au chocolat. On fait des Saint-Honoré sans crême, des éclairs sans parfum, des muffins sans pain, des nougats sans sucre. Que ne fait-on pas et que ne vend-on pas? Des tablettes de chocolat et du lait en poudre, du thé en paquets, des pêches ou des abricots desséchés, des pruneaux enlevés de leur tonneau et élevés à l'honneur de la devanture, des raisins de Corinthe et du miel, ds oranges et du muscat. Pour un peu, l'on mettrait la banane dans un écrin et l'on nouerait des faveurs roses autour de la mandarine! Et, autour de ces parvenus de la bouche, les quatre mendiants s'ébattent avec orgueil dissimulant leur pauvreté sous le fard avec lequel on les truque... JULES BERTAUT.

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O Vierge! Nous avons débarqué sur tes rives sacrées avec des armes nombreuses. Entends monter vers toi le roulement des machines de siège et le piétinement des soldats bleus.Regarde fumer,devant le Phalère, non loin du port de Munichie, où s'assemblaient, autrefois, avant le combat, les galères de Thémistocle et d'Alcibiade, les énormes vaisseaux de fer. Vois-tu, ô sentinelle, les armes bizarres et cruelles et les hommes assis ou couchés près d'elles, comme des esclaves attentifs ?

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sée les hommages qui te sont dûs; et si tu ne nous vois pas, en foule, vêtus de blanc, portant des fruits et couronnés de roses, venir vers tes autels en poussant devant nous des génisses et des brebis, ne t'en prends qu'à ce fils de David qui, il y a vingt siècles, a tué les harmonieuses ordonnances de ton culte.

Pendant plusieurs jours nous mangerons, boirons, dormirons sous ton égide; tu assisteras à nos modestes travaux, tu suivras la régulière succession de nos devoirs militaires. Le matin, tu entendras nos rires et roS chants, et tu admireras, à l'heure consacrée aux soins du corps, les jeunes hommes nus dans les premiers rayons du soleil, et le soir, tu verras, ô Promaclos, s'installer aux remparts de l'Acropole la sentinelle à l'œil aigu, interprète fervent des bruits qui montent de la ville, de la plaine et de la mer.

Car tu sais quelle guerre nous soutenons contre les Germains. Tu ne peux concevoir, Déesse, à quel point ces peuples ont poussé le plus sot orgueil. Ils vont partout, répandant des doctrines de servitude, barbares et savants, esclaves et heureux de leurs chaînes. Personne mieux qu'eux n'a raisonné contre la raison, ni déclamé contre la sagesse. Dans toutes les contrées de l'univers, ils ont semé leurs lourdes et obscures paroles; et ne les as-tu pas vus, triompher jusque dans la cité qui porte ton nom, commander à l'armée, décider à l'Agora, maîtres enfin du palais de l'Archonte-Roi.

Mais nous sommes venus! et ils ont fui. gnent nos armes, et, plus que tout, la flotte autour de nos enseignes.

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Car ils crailiberté qui

Voici le soir le ciel est rose; la première lune monte à l'horizon. Permets, ô Indulgente, au plus humble de tes disciples d'aller reposer sous sa tente fragile, sur le seuil de ta Demeure, comme un prêtre indigne d'entrer dans le temple. Inspire-moi des songes légers; et si demain je suis plus prudent, plus juste, plus sage, je marquerai d'une pierre blanche la nuit où j'ai dormi sous ton toit immortel. J. MONÉ.

Mais ne crains rien! Nous sommes venus, casqués, bottés, mais souriants et favorables. Nous avons appris, au cours de longues années d'études, et sous des maîtres sévères, le respect qui t'est dû. Nous connaissons les paroles propitiatoires que prononçaient les vieux Athéniens lorsque, au retour d'un long voyage maritime, ils voyaient, après avoir doublé le cap Colonne, luire au-delà de l'Hymette ton casque et ta lance d'or. On nous a enseigné, depuis nos ongles les plus tendres, Les Idées le mépris pour tous ceux qui t'ont souillée, ô Pure! Nous avons voué les noms de Xerxès, de Démétrios Poliorcète, de Lacharès, de Morosini, de Lord Elgin à l'exécration des peuples civilisés.

Et nous voici maintenant, ô Eternelle, devant les portes ruinées de ta maison. Nous sommes montés jusqu'à toi avec beaucoup de peine; il fait très chaud, et tu sais que les soldats sont lourdement chargés. Mais nous sommes joyeux et fiers. Tous, même les plus humbles d'entre nous, connaissent ta grande histoire; supporte sans colère le débraillé de ces guerriers ; permets-leur, le but atteint, de dépouiller, en pronon çant des paroles que tu ne comprends pas, leurs armures retentissantes.

dressa,

Car c'est ici que nous avons reçu l'ordre de construire le camp. Dans un instant, tu vas voir fleurir, sur le stylobate de ta Demeure, une grande quantité de tentes grises et blanches. L'un déploiera sa toile à l'ombre du pronaos; d'autres, plus audacieux, pousseront leurs pas jusqu'au cœur de ta cella, à l'endroit où un dallage de tuf marque encore la place où Phidias te d'or et d'ivoire, pour la plus grande joie des yeux initiés. Quelques-uns, enfin, que tu ne dois pas prendre pour des sacrificateurs (encore qu'ils soient entourés du respect de tous), car ils n'ont point procédé aux ablutions rituelles et qu'ils ont les mains noires et les vêtements crasseux, allumeront, entre deux cailloux, un feu modeste, et prépareront le brouet du soir.

Et pendant plusieurs jours, Déesse, nous vivrons notre vie éphémère à l'abri des plus beaux murs que des mains humaines aient élevés. Nous te rendrons en pen

En relisant Proudhon

Nous devons, sans doute, nous accoutumer à ce que les ignorants écrivent quotidiennement de omni re scibili et quibusdam aliis, à ce que la presse s'évertue à propager leurs erreurs, à ce que le public se plaise à les lire. Mais je réclame le droit de hausser les épaules quand un publiciste présomptueux, qui croit que tout date de lui et de son article et que personne avant lui n'a jamais pensé à rien, se permet d'imprimer à l'usage du peuple : « La présente guerre a posé pour la première fois la question des nationalités ». Ce publiciste-là pousse trop loin l'ignorance. Il finira par se faire remarquer!

Je connais les dures exigences d'un métier qui ne laisse au professionnel consciencieux que le temps d'instruire les autres, et l'on voit comment! Je ne demanderai donc pas à mon confrère d'ouvrir les gros infolio sur lesquels, j'en ai peur, il préfère s'asseoir. Je l'inviterai simplement à prendre connaissance d'une petite brochure parue en 1863 et signée Proudhon. Le moindre Larousse lui dira qui était Proudhon.

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La brochure a une centaine de pages. Sous ce titre : «<< Si les traités de 1815 ont cessé d'exister? » elle aborde une série de problèmes qui ne nous intéressent pas moins que les Français du second Empire même qui nous intéressent encore plus. Elle est pleine de faits. J'oserai ajouter : elle est pleine d'idées. Mais, Monsieur, je ne veux pas vous effrayer.

Vers 1863, on parlait beaucoup des « nationalités >> et du « principe des nationalités », car les nationalités, déjà, étaient devenues «< un principe », en attendant de devenir une politique. L'empereur Napoléon III, prédécesseur illustre, mais malheureux d'André Chéradame, rêvait d'une Europe reconstituée selon le « principe des nationalités » qu'il opposait aux principes des traités de Vienne. Le Siècle l'applaudissait. «Chauvins, jacobins et crétins étaient dans la jubilation »>, lorsque de la bouche impériale tombaient ces lourdes paroles « Les traités de 1815 sont déchirés ; les traités de 1815 n'existent plus. >>>

Mais Proudhon se fâchait. Il y a un réaliste dans Proudhon. « Averti par la gravité de la proposition et le danger des conséquences » il ne se paye pas de mots. Derrière le texte des pactes internationaux il cherche le but des diplomates. Ecartant le dispositif des traités, il en dissèque les motifs. Et voici quelques pages admirables :

<< Jusqu'en 1648, jusqu'au traité de Westphalie, observe Proudhon, on peut dire que tous les traités de paix ont reposé sur ce motif unique, que la victoire tran-. chait la question litigieuse en faveur du plus fort, exactement comme aurait fait une sentence arbitrale. Il ne s'agit point, en ce moment, de rechercher ce que peut avoir de rationnel, de moral et de juste, cette juridiction de la force. Je dis que telle a été la pratique du genre humain depuis le commencement du monde jusqu'à l'an 1648, où pour la première fois... est déclarée chimérique l'hypothèse d'une monarchie universelle,conséquence extrême du droit de la guerre », où pour la première fois est admise l'idée de fonder une paix durable sur la « pluralité des puissances » et l'équilibre de ces puissances.

Pensée profonde. « Depuis 1648 les puissances signataires du traité de Westphalie ont toutes éprouvé dans leur constitution géographique des changements. Les unes ont gagné, les autres ont perdu: aucune n'a péri. L'équilibre qui les protège toutes s'est consolidé... Tant qu'il y aura pluralité de puissances plus ou moins équilibrées le traité de Westphalie subsistera. Il n'y aurait qu'un moyen de l'effacer du droit public de l'Europe, ce serait que l'Europe redevint, conformément à la pensée catholique et féodale du moyen âge, un empire unique, une hiérarchie d'Etats. Charles Quint et Napoléon y ont échoué (ajoutons-y Guillaume). Il est permis de dire que l'unité et la concentration politique, élevées à ce degré sont contraires à la destinée des nations. >>

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X

1648 équilibre 1815 Constitutions. « Le traité de Westphalie avait introduit dans l'antique Droit des gens un principe novateur, le principe de la pluralité des Etats et de leur équilibre ; les traités de Vienne introduisent à leur tour dans le droit public européen, créé par le traité de Westphalie, un principe supplémentaire, qui, s'imposant au gouvernement de chaque Etat, les relie tous par une sorte de garantie naturelle celui des Constitutions politiques ».

Oui, pour rétablir l'équilibre, auquel Napoléon avait porté une si grave atteinte, le congrès de Vienne ne démembre pas la France, comme le réclamait le baron de Stein. L'unité française lui paraît indispensable à l'équilibre. Mais il donne aux Français la garantie d'une Constitution parce qu'il « entrevoit » la solidarité qui s'affirme entre le droit international et le droit public des nouveaux Etats où la guerre a émancipé les sujets émancipé les sujets et que, dans l'avenir, de l'équilibre des forces au sein d'une nation dépendra dans une certaine mesure l'équilibre des forces entre les nations.

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Idée féconde. « De 1815 à 1864, écrit Proudhon, plus de cent constitutions ont été octroyées, révisées, modi fiées, sollicitées, promises. L'univers civilisé tout entier a passé du régime inorganique de l'Etat, à un système de réflexion, de droit et de liberté ». Ici je ne me tiens pas pour satisfait. Ici il me semble que Proud'hon n'exprime pas l'essentiel. L'essentiel du régime des constitutions intérieures dans l'Etat c'est qu'il substitue un concept juridique à des survivances ethniques. Que vaut pareille substitution? Pierre Albin avec son habituelle clairvoyance remarquait dernièrement dans l'Eclair que la Double-Monarchie, concept juridique, dont les «< nationalistes » dénoncèrent la fragilité, avait, somme toute, par sa résistance à l'épreuve de la guerre, manifesté sa valeur. Nous ne conclurons pas, comme Proudhon concluait en 1863, que « ce qui fait la Patrie, bien plus que les accidents du sol et la variétés des races, c'est le Droit ». Nous conclurons seulement qu'un Etat est possible, formé de nationalités différentes -- qu'une Europe est possible, fractionnée entre des Etats ainsi formés et constitués à condition que les composants ethniques soient équilibrés dans l'Etat.

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Aujourd'hui, de même qu'en 1863 « aux principes posés à Vienne on en oppose d'autres, plus en rapport avec les imaginations, plus attrayants dans leur matérialisme c'est, d'une part, le principe des nationalités, simple en apparence et d'application facile, au fond indéterminable, sujet à exception et contradiction, source de jalousie et d'inégalité; en second lieu, le principe plus louche encore, plus arbitraire dans son fatalisme, des frontières naturelles ». Personne n'a jamais réussi à préciser sur une carte à quelle situation concrète abou tissent ces principes. Tout le monde, au contraire peut aisément discerner à quelles conditions les « nationalités » sont assimilables par un Etat et il ne paraît pas impossible de découvrir à quelles conditions l'équilibre des Etats se retrouverait.

Lorsque, en 1863, Proudhon défendait non pas

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l'œuvre mais la pensée de Munster et de Vienne loi d'équilibre entre les Etats, loi d'équilibre au sein des Etats- lorsqu'il s'élevait, au nom de l'histoise, contre les pour l'Europe que dans un remaniement territorial sur excessives prétentions de ceux qui ne voyaient de salut la base des nationalités et des frontières naturelles, il nalités et l'intérêt des frontières naturelles, deux chone songeait pas un instant à nier les droits des natio ses « incontestablement appelées à jouer un rôle dans les Constitutions de l'avenir ». Mais il posait le problème de la paix comme nous croyons qu'il doit l'être : comme un problème de dynamique. Il ne s'agit pas de dresser la carte des origines ou des dialectes. Il s'agit forces que sont les Etats modernes d'équilibrer des forces ou plutôt les agrégats de de « neutraliser par la distribution intérieure de la souveraineté et du les nations à l'intérieur de ces Etats, et entre les Etats à gouvernement » les fâcheux effets de l'inégalité entre l'intérieur de l'Europe. Et si en définitive ce problème de dynamique se résout non pas en problème de géographie ou d'ethnographie mais en problème de droit c'est ce qu'il faut essayer de comprendre en relisant l'esqui n'est pas, d'ailleurs, très facile à comprendre. Mais sai de Carlyle sur l'identité de la Force et du Droit je préfèrerais que d'abord mon confrère consentit à lire l'essai de Proudhon. Il se persuaderait, en le lisant, que la question des nationalités n'est pas neuve et qu'elle a fait couler beaucoup d'encre avant de faire couler beaucoup de sang. Alors il en parlerait, je l'espère, d'une manière moins désinvolte.

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JEAN SARRAZAC.

4 Mai 1918

Enquêtes & Voyages

L'OPINION

Une ville industrielle de guerre au Japon

OSAKA

Osaka a deux visages et une personnalité unique. C'est la grande ville industrielle et marchande du Japon, mais, en même temps qu'elle abrite les entreprises témoignant de l'esprit le plus moderne, elle recèle les plus antiques ateliers du pays. Autour du noyau primitif des artisans fidèles à une routine persistante évoquent en des quartiers neufs les brasseurs d'affaires, les banquiers,: les industriels épris de toutes les innovations, les fournisseurs de la guerre, les nouveaux riches. L'élément conservateur continue à prospérer bien qu'il soit encerclé de jour en jour par les partisans de l'expansion industrielle. Au demeurant, un égal souci règne dans tous les milieux : celui de faire fortune.

Osaka est la patrie commune de tous les businessmen japonais. Ses habitants ont le tempérament moins rêyeur que ceux de Tokio. Ils ne prennent guère le temps le flâner. Ils paraissent plus pressés qu'ailleurs. Partout on sent l'ambition de la richesse. Les gens vantent plus volontiers leur fortune que leurs temples, leurs jardins Du leurs geishas. Ils sont particulièremnt curieux des progrès réalisés à l'étranger. Leur presse reflète ces tenlances en accordant une large part à l'étude des quessions économiques. Osaka rêve de devenir en ExtrêmeOrient ce que Liverpool est en Europe.

ta Parcourons d'abord ses vieux quartiers,ses ruelles exisues, ses boutiques recroquevillées et remontons un peu elans son passé. C'est là sur les bords du Yodogawa que, Fire fenu de Kyoushou, le premier empereur du Japon, Jimmu Teno, aborda voici 2.500 ans. Osaka n'était alors u'une très modeste localité connue sous le nom de aniwa abritant seulement quelques milliers d'habiints et non point 1.300.000 âmes comme aujourd'hui. lle commença à prendre réellement son essor qu'à la n du seizième siècle. Hideyoshi, le grand conquérant ui rêvait d'étendre sa domination à tout l'Orient, avait eviné les avantages de la situation d'Osaka tant en e d'un intense rayonnement maritime que sous le raport stratégique. Il édifia, en 1583, un orgueilleux châau, dont les vestiges portent à croire que c'était l'un es beaux échantillons d'architecture militaire au Jaon, et dont la massive silhouette domine encore la cité oderne. Pendant vingt ans, une armée de travailleurs acharna à dresser cette imposante construction. On se emande par quels tours de force furent amenés les locs de granit qui ont servi aux architectes nippons. A intérieur des murs puissants, hauts de plus de trente ieds, il y avait jadis plusieurs édifices dont l'un, le château doré », abritait la garde d'honneur du shoun. Il n'en subsite qu'une partie. Seules les lourdes ortes de fer et de bois bravent le temps ainsi que les urs d'observation au toît incurvé.

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Le château d'Osaka permet de constater l'influence es missionnaires espagnols et portugais qui évangélirent le Japon. Ota Nobunaga qui, prétend-on, s'était >nverti à la religion chrétienne avait donné l'exemple e l'architecture nouvelle en élevant dès 1576 le château Azuchi remarquable par sa formidable maçonnerie, es tours centrales (tenshukaku) et la série des tourelles ropres à la défensive et au guet. La disposition des âteaux-forts japonais rappelle celle des forteresses pagnoles avec bastions, douves, ponts-levis et tout ppareil de retranchement en usage au moyen âge. eulement les Japonais gardèrent pour la décoration térieure et la forme des bâtiments le style chinois. Des terrasses supérieures de la forteresse d'Osaka

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la vue s'étend jusqu'aux montagnes qui protègent Kyoto et Kobé. Quand on descend immédiatement dans la vieille ville il est encore plus difficile de s'orienter que dans certain labyrinthe de Tokio. Le Yodogawa aux eaux toujours troubles et jaunâtres sectionne l'île de Naka-no-shima de telle sorte qu'elle se trouve englobée dans les limites de la cité. De multiples canaux la coupent et la recoupent si souvent qu'au point de vue physique il serait plus juste de comparer Osaka à Venise qu'à Liverpool. Autant de maisons, autant d'entrepôts où viennent accoster des chalands, des jonques et des barques. Il y en a de si noires et de si pittoresques qu'elles semblent dater de l'époque lacustre !

Dans ces quartiers grouillant de monde on va de boutique en boutique et d'étonnement en étonnement. Du vingtième siècle on saute sans transition en pleine civilisation shogunale. J'ai visité des ateliers de porcelaines où des équipes d'artistes produisent avec une patience experte des œuvres qui exigent des semaines de travail. Ils emploient des procédés de cuisson invariables depuis le temps d'Hideyoshi. Chaque famille d'artisans lègue à ses fils ses secrets, ses dessins, ses outils. Bottiers, tisserands, laqueurs, tourneurs, brodeurs, confectionneurs de nattes, sculpteurs sur bois, fabricants de parapluies, de lanternes, de socques, vanniers, tous exécutent une série d'articles typiques d'une couleur locale et d'un fini qu'il serait impossible de réaliser avec le machinisme.

En remontant vers l'embouchure du Yodogawa, le spectacle n'est pas moins instructif. Des deux côtés du fleuve, on découvre une chaîne ininterrompue de chantiers de constructions navales et de boutiques où les spécialistes maritimes exercent leur industrie. Fabricants de toiles à voile, cordiers, marchands de bois, tailleurs de bambous, mâtiers, armateurs ont installé là leur royaume. Que de tableaux de genre et que de scènes à croquer pour les amateurs du vieux Japon.

Et pourtant, à deux pas de là, on retombe en plein modernisme et dans ce que le Japon a de plus jeune et de plus neuf. Un touriste français visitant Osaka il y a une douzaine d'année notait sur son bloc-notes: « Nulle grande ville au Japon n'a des rues aussi étroites. A vrai dire, ce ne sont guère que des ruelles où il sera toujours impossible de faire passer la moindre ligne de tramways...? Comme ce jugement était risqué.

La municipalité d'Osaka, aidée par de propices incendies a, tout au contraire, adopté un très rapide et très complet système de tramways. Son réseau qui s'étend de jour en jour est le plus pratique du Japon. Des promenades, des parcs, des squares spacieux ont été également dessinés. Les quais du Yodogawa ont été dégagés dans la partie centrale. Pendant l'été une flottille innombrable d'embarcations légères joliment pavoisées circulent dans la fraîcheur du soir. Des fêtes nautiques ont lieu et ce sont alors des processions bariolées de joncques et de sampans.

En s'accompagnant du tambourin, des musiciens chantent tandis que sur les bords du fleuve la foule allume des feux de joie.

Aussitôt après la Restauration, les gens d'Osaka comprirent que la révolution de Meiji aurait à leur égard des conséquences fatales s'ils ne devançaient pas l'évolution économique. C'était chez eux que les principaux daïmios envoyaient leur récolte de riz après la moisson pour la conserver dans les entrepôts et l'écouler au fur et à mesure des besoins nationaux. La capi-. tale du riz se sentit menacée. Grâce aux moyens de communication intérieurs d'autres villes allaient sans doute s'accroître et accaparer une partie des affaires. Il importait de s'assurer au plus vite la suprématie com

merciale et l'on se mit à l'œuvre avec fièvre.

Le port fut agrandi, des bassins furent creusés, des cales préparées et depuis on travaille à perfectionner tout cela. Des emprunts importants ont été votés à cet effet. La plus grande partie des travaux prévus cnt eté terminés pendant la guerre. Osaka vise non seulement à devenir le fournisseur attitré de tout l'arrière pays japonais mais de tout le continent asiatique. Elle a même amorcé des relations fructueuses avec les deux Amériques et l'Europe. Toutefois c'est à la race jaune qu'elle peut offrir à bon marché ses marchandises variés c'est cette alientèle qu'elle veut s'attacher d'une manière permanente avant que les Occidentaux n'aient conquis ce gigantesque marché.

Au recensement de 1908 on comptait déjà 6.415 manufactures à Osaka. Les industries du coton se sont largement développées depuis vingt-cinq ans de même que celles de la laine. Le travail du fer, a d'autre part, absorbé une grande part des initiatives. Presque toutes les branches de la métallurgie y sont exploitées.

Depuis la guerre, aucune ville ne s'est tant américanisée et n'a tant bénéficié des commandes de toute nature qui pouvaient favoriser son essor économique. Des usines ont surgi du sol comme par enchantement

notamment des usines de munitions et de produits chimiques. Les chantiers, les arsenaux, les fonderies se sont multipliés. Songez que le Japon qui, en 1913, construisait 50.000 tonnes de bateaux, en a sorti 80.000 en 1915, 140.000 en 1916 et 250.000 en 1917.

Au cours du premier semestre de 1917, le total des capitaux consacrés aux nouvelles entreprises et au développement des anciennes a atteint 870 millions de yen, dépassant de 407 millions celui du premier semestre de 1916 et de 647 millions celui du premier semestre 1915. La situation financière du Japon s'est améliorée de telle sorte que la réserve d'or, qui n'était que de 300 millions de yen au début des hostilités, dépasse I milliard de yen actuellement.

accaparés par des capitalistes qui s'adonnent à toutes les jouissances de la vie, tandis qu'eux-mêmes ont peine à faire vivre leurs familles. Il y a quarante ans que la loi a aboli l'esclavage; mais il existe encore aujour d'hui des capitalistes qui traitent leurs ouvriers en es claves. Ils voudraient les tenir sous le joug d'une obéis sance passive; ils ne se rendent donc pas compte que dans la condition actuelle de l'industrie japonaise, il n'est plus possible d'enchaîner ainsi la liberté des travailleurs. Si beaucoup de ceux-ci n'ont pas encore pris conscience de leur position, il y en a une bonne moitié déjà qui commencent à apprécier leur propre valeur et qui revendiquent leur part des bénéfices qu'ils créent. Jusqu'à présent, les.capitalistes ont eu recours à l'autorité du gouvernement pour mater les tentatives d'émancipation; et lorsque les ouvriers voulaient manifester leur mécontentement, ils en appelaient à la police. C'est un fait digne de remarque que ces temps derniers les grèves se sont passées dans l'ordre, et que les demandes présentées aux employeurs étaient justes et raisonnables; aussi la police n'a pas eu lieu d'intervenir. » Aux revendications ouvrières qui s'exercent avec méthode, comme on le voit, se joignent les inquiétudes de certains businessmen pour l'avenir :

«Que deviendront toutes les entreprises nouvelles se demande le Nichi-Nichi, lorsque nos exportations de fournitures de guerre seront arrêtées, et que les pays belligérants pressés de restaurer leur situation finan cière, se seront mis à développer leur industrie et leur commerce extérieur ? Il importe de prendre ses précau tions avant l'orage. >>

A coup sur il faut prévoir des crises. L'arrêt de la production pour la Russie en a déjà provoqué d'assez sé rieuses. Mais les gens d'Osaka en particulier sont asser entreprenants pour les pallier au mieux de leurs inté rêts et pour organiser avec prévoyance les industrie d'après-guerre.

Osaka a largement bénéficié de cette prospérité. En temps normal, sa population s'accroissait normalement chaque année de 50.000 habitants. Ce chiffré a doublé, La Vie Littéraire sinon triplé, au cours de la guerre.

Ce n'est point à dire que cette hausse constante se soit produite sans difficultés. Des mouvements Ouvriers se sont dessinés, des grèves ont éclaté rançon normale de cette situation exceptionnelle. Car la guerre a accusé l'inégalité des conditions sociales et soulevé des rancœurs.

Les nouveaux riches d'Osaka et d'ailleurs sont attaqués par les organes populaires avec une rare virulence et font les frais de satires les plus aiguës. Ils sont accusés de poursuivre des buts égoïstes sans se préoccuper du bonheur des autres. Produits d'une époque fertile en coups de fortune, ils ne songent qu'à profiter au plus vite des bénéfices accumulés en peu de temps.

Cependant, le prix des vivres augmente, les salaires sont loin d'avoir été élevés dans une proportion convenable, la misère s'étend. Comment des grèves ne se seraient-elles pas produites?

Le docteur Kawatsu, dans le Kokumin du 31 juillet 1917, s'exprimait en ces termes : « La question de la vie chère intéresse non seulement notre situation économique, mais encore l'ordre social, à une époque où se créent des fortunes énormes, et où, le fossé se creusant davantage entre les classes fortunées et les classes déshéritées, les jalousies de ces dernières s'exaspèrent contre le luxe et les dépenses folles des nouveaux riches. >>

Et le Mancho faisait ce tableau de la vie ouvrière : «< Alors, que les travailleurs peinent dans une atmosphère torride, ils voient le bénéfice de leurs labeurs

FRANÇOIS DE TESSAH.

«La Sainte Face >>

Je crois que voici un très beau livre. Avant la guerre quand les grands mots ne nous faisaient pas peur, i aurait fallu écrire: voici un chef-d'œuvre...

La Sainte Face, le très beau livre d'Elie Faure nous propose l'exemple d'un esprit poursuivant pas sionnément les jeux de la pensée au sein même de la catastrophe: «J'ai, tout en écrivant, la conscience très nette que je puis être tué dans la minute et les jours où je me sens plus menacé sont aussi ceux of croît ma facilité d'écrire... Je veux, avant de mourir, en dire le plus possible, non pour qu'on me lise le plu possible, mais pour ramasser, dans les instants peut être courts qui me restent à vivre, la plus grande mass possible d'enivrement intellectuel. » Voilà le drame ex posé avec une lucidité parfaite. C'est cet « enivrement que l'on respire d'un bout à l'autre du volume, c'es cette constante et volontaire exaltation des plus hau tes facultés de l'homme, c'est cette volupté orgue leuse de demeurer le « roseau pensant » jusque sou le vent de la Faucheuse qui communique à ces pag une vibration particulière, dont le pathétique tord cœur. Tout de suite, je livre le secret. Je ne voudra pas que l'on pût penser : « Encore un livre sur guerre ! » Non, mais voici un homme dans la guerre sa main brûlante saisit notre main, sa voix fièvreus nous parle, son regard visionnaire se pose sur nos yeux et nous assistons à l'émouvant spectacle de sa vie i térieure.

à Certes, les descriptions ne manquent pas dans la Ontrainte Face, et beaucoup d'entre elles sont admiraas qules. Elie Faure a gardé de son commerce familier auec les maîtres de la peinture une sûreté de coup Eseil et une virtuosité de mise en œuvre qui lui peredettent d'évoquer en se jouant, avec une force saisispente, les tableaux qui ont frappé ses regards au cours on sa pénible tâche de médecin-major. Une certaine éduculence, une pointe d'esprit carabin qui, à mon goût, nourdit parfois d'horreurs inutiles la précision scienherique de l'observation, une immense tendresse crevant valut à coup la rudesse de ce réalisme qui semble se ils eurer lui-même suffiraient à créer une physionomię Siginale à l'auteur de ce livre si l'on pouvait sdettarder au côté impressionniste de ces notations. D'au

cent

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fois, le peintre se complaît à brosser un paysage listhéticien s'émerveille de quelque aspect inattendu ers choses de la guerre... A propos de ces pages, je arrêterais volontiers aux qualités proprement littéetres de la prose d'Elie Faure. Abondante, presque trop he, d'une harmonie pleine et grave, tantôt elle se fait essante et confidentielle pour vous prendre le cœur, tôt, s'élevant sans effort jusqu'aux sereines régions l'intelligence et du rêve, elle déploie ses ondes avec puissance des grandes orgues; plus souvent encore tate se rue toute frémissante à l'assaut des idées et ses riodes alors, emportées par un mouvement irrésistiflottent et claquent dans le vent épique comme les d'un étendard. Elie Faure est un magnifique écrin. Mais ceci n'est pas une surprise pour ceux qui aient lu les Constructeurs, la Conquête, etc... surtout cette magistrale Histoire de l'Art qui tient des pages uniques par exemple, l'étude Michel-Ange ou l'hymne grandiose à la gloire de cathédrale française. Lorsqu'il fut surpris par la rre, Elie Faure était parvenu à la possession souaine de ses moyens d'expression. Un livre comme ui-ci ne jaillit pas du néant.« Pourquoi voulez-vous la guerre ait donné du génie à des gens qui n'en ient pas ?» demande quelque part l'auteur de la nte Face, avec un sourire détaché...

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Louer ce livre pour la beauté de la forme serait pourt un contre-sens. Sa splendeur véritable est faite de et de pensée. Nul plus qu'Elie Faure ne réprouve ce l'on a coutume de nous offrir sous le nom de littéare de guerre « Les littérateurs se mentent à euxmes ou mentent sur la guerre, soit pour l'exalter, pour la flétrir, aucun n'a la loyauté ou le courage de placer en plein centre du drame et de rechercher pas nnément le sens qu'il peut bien avoir... » Cette phrase révélatrice. Elie Faure n'a voulu ni décrire la guerre, Texalter, ni la flétrir. Les tableaux qu'il eut sous les x, ses angoisses et ses souffrances personnelles, tout qui pour lui fut la guerre lui fournit une à une les inées d'un passionnant problème. Pour en chercher solution, cet homme de culture encyclopédique et sensibilité profonde s'est placé non pas au-dessus, is au centre de la mêlée ; et là, faisant appel à tout savoir et à toute son expérience, à la vie et aux res, mobilisant toutes ses richesses intellectuelles,

venirs d'art, de littérature, de philosophie, d'hise, de géographie, de biologie, et les confrontant < événements dans la maturité de son esprit et de coeur, il poursuit ardemment cette vérité qui lui paraît et se dérobe tour à tour. La hardiesse et la cérité de ses efforts nous sont attestées par ses condictions mêmes, qu'il ne prend aucun soin de dissiTer. Contradictions, ai-je dit ? Non pas. La vérité

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st pas simple. On ne l'embrasse pas tout entière d'un regard. Elie Faure suit un développement, il a

percé un coin des ténèbres, il va, il va, jusqu'au moment où il se trouve arrêté par un mur. Il revient alors sur ses pas, non sans avoir, parfois, désespérément essayé de franchir le mur par un de ces bonds d'acrobate que l'on a coutume d'appeler paradoxes... Puis il repart dans une autre direction, infatigable, obstiné, sans prendre, dirait-on, le temps de choisir sa route. La complexité du problème ne lasse point sa curiosité, ne désarme point ses scrupules. Il prévoit les objections avec une subtilité maladive. Il voudrait ne rien laisser dans l'ombre. C'est ceci, mais pas tout à fait ; ou plutôt, c'est ceci, mais c'est encore cela... Tourmenté, orageux, illuminant par éclairs de vastes étendues, puis se repliant sur lui-même pour scruter avec minutie les coins les plus intimes de sa conscience, l'esprit d'Elie Faure me fait songer au génie de l'un de ses maîtres préférés, Dostoïewsky.

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Cette fureur de comprendre et d'exprimer anime l'œuvre d'un mouvement vertigineux. Ceux qui s'imagineraient pouvoir en saisir le sens en parcourant au hasard un chapitre ou deux s'exposeraient à de singulières méprises. Ce livre n'est pas un chant, c'est une symphonie. Ici, exalté par l'action, l'auteur célèbre l'ivresse de la lutte, les vertus collectives et individuelles que développe le danger, la saveur violente que donne à la vie le voisinage de la mort : « Je vis. Et avec une force telle, moi maladif, débile, tourmenté de doutes et d'idées, que je m'imagine commander à la lumière et à la foudre et tenir la mort sous mes pieds ». Plus loin, voici un pauvre homme éperdu d'angoisse à l'idée que son fils chéri pourrait mourir à la guerre « Je hais les pères de Corneille parce qu'ils préfèrent leur gloire à la vie de leur fils... Mort à la guerre ! » Pacifiste, alors? Lisez la page, charmante d'ironie, où le pacifiste est si joliment houspillé, par le moyen d'un conte à la manière de Voltaire, et qui aboutit à cette vigoureuse apostrophe : << Comment veux-tu grandir en t'offrant à cirer, d'où qu'elles viennent, les bottes qui t'écrasent les orteils ?» Puis le fin mot du bon sens : « Certes, j'aime la Paix. A tel point que pour la défendre, je fais la guerre sans hésiter. » Pourtant, effroyablement véridique, sans l'ombre d'une hypocrisie intellectuelle, Elie Faure ne redoute pas de formuler tout haut cette conviction désespérée : « Je veux bien que la guerre meure, oh! certes, mais voilà l'oubli est plus fort : que la guerre... Un nouvel amour efface le souvenir du mal que vous a fait un précédent amour. Il ne faut pas que l'homme compte, pour tuer la guerre, sur l'éducation. L'éducation, qui s'y acharne depuis vingt siècles n'a pas tué l'amour. >> Et voici la fin du livre. Une hautaine résignation s'y fait jour, l'acceptation poignante du sacrifice, même s'il doit être inutile. Isolé de la foule des croyants, comme Moïse sur la montagne, le prophète incrédule contemple le mystère face à face. Nous trouvons ici la grande tristesse moderne, quelque chose qui ressemble à l'idéalisme désabusé de certains personnages d'Ibsen : << ...Moi qui ne crois qu'au règne de la vie indifférente et sans objet que l'homme traverse en artiste en lui donnant sa forme fugitive, je me sens près de tous ceux-là qui sont morts pour qu'arrive le règne définitif de la foi qui les animait. Je souhaite qu'un avenir vienne où l'homme n'aura pas besoin de

casser des os et piétiner des cervelles pour faire aux générations lointaines un squelette et un esprit. Eux l'ont cru. Ils ont modelé du futur une statue imaginaire à qui leur passion a prêté une beauté impérissable. Le Christ n'est pas moins grand parce que sa mort n'a

donné à la terre ni la justice ni la paix. »

Ainsi Elie Faure, acceptant la guerre comme un fait,

refuse de perdre son temps en regrets ou en malédic

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