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Paul Birault a présenté un jour ici même, dans un Essai sur la mystification (1), le problème que doit résoudre tout mystificateur de bon aloi « Faire rire les honnêtes gens ». Il notait cette grande vérité : qu'il faut tout d'abord avoir gardé assez de jeunesse dans l'âme pour aimer encore la joie, « sans quoi l'on devient le pince-sans-rire que sa propre gaieté ne réjouit point ». Puis, ce point capital: savoir s'arrêter à temps, le monument d'Hégésippe Simon ne fut point inauguré et pour cela « se tenir soi-même au-dessus de sa mystification ». Esprit logique jusque dans la fantaisie, Birault savait rester aussi sur le terrain solide les réalités, et partir des faits, et des chiffres, pour arfaire ses sotties » et «< moralités » sur la vie conemporaine. Car nul, peut-être, dans la presse d'auburd'hui, n'eut un œil aussi clair, aussi <<< frais >>>, our voir les ridicules du jour, avec une candeur d'enant qui s'étonne, qui s'amuse, même du fait-divers de rue, pour ensuite s'indigner où il faut.

Il y a de l'innocence dans l'humour. Il y a de l'honeteté. L'humour sain est plein de la joie de vivre. Il more surtout magnifiquement le respect humain. Taul Birault fut un bon ouvrier des salutaires besognes clair-bon sens et du vrai rire français.

Independence Day.

çà et là

De la place d'Iéna, ensoleillée, la tribune présidentielle offrait d'abord au regard qu'un papillottement noir, ki, bleu... Puis les yeux, accoutumés, distinguaient suite les traits connus des grands du jour M. Poinré, M. Clemenceau, M. Dubost, M. Deschanel étaient Autour, une assemblée nombreuse en sénateurs et putés

Soudain, une rumeur s'élève de la foule... Qu'était-ce? étaient deux automobiles couvertes de poussière qui se ayaient difficilement un chemin... De l'une, roulant core, saute un homme d'âge, mais très vif, qui portait chapeau de feutre gris.

A cette arrivée en balle, la tribune officielle fit aussirépondre par ses «< hourras » et ses «< vivats »>! Mais la ule paraissait garder rancune aux deux autos...

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Lui, M. Lloyd George en personne, il serrait jà en toute vigueur cordiale, les mains de nos quatre esidents; et le sourire des grands jours illuminait son Page de Premier.

Alors, la foule parisienne, le voyant ami des «< grands >> content d'être là, cette foule sensitive changea brusquent d'avis: Un vacarme d'acclamations s'éleva, un gai ut à cet inconnu dont bientôt le nom courut de bouche bouche...

Un cri.

où nous avons tous senti

Sur les Champs-Elysées, tre cœur battre depuis quatre ans à l'idée du victoux retour il y avait près de nous, ce 4 juillet, une me que son insigne de Croix-Rouge révélait Amériine Tenant par la main son jeune fils, elle attendait, ins la haie triple, le passage des combatants venus ter l'Independence Day.

Quand les compagnies d'Américains passèrent devant us, cette dame se détourna, les yeux brillants de larmes al contenues... et seulement alors nous vêmes qu'elle ait en grand deuil. Une veuve de la guerre, elle aussi. inrent et passèrent « les nôtres », pas cadencé, arme à l'épaule et baïonnette au canon. Alors, dans le bruit formidable des acclamations et es « Vivent les poilus!» la dame en deuil, dressée et

(1) Voir l'Opinion du 31 janvier 1914.

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Les journaux nous ont appris et ce n'est un secret. pour personne même pour les Boches que le château de Chantilly avait mis à l'abri ce qu'il avait de plus précieux dans ses inestimables collections. Tout le monde connaît l'admirable galerie de peintures qui est un des joyaux du château, mais peu de personnes savent que la bibliothèque est une des plus belles du monde. On y trouve l'édition princeps de Lucien qui manque à la Bibliothèque Nationale; les éditions originales de Rabelais et de Don Quichotte qui sont rarissimes; la collection des Elzévirs français; une collection très complète des romans de chevalerie dont les exemplaires atteignent maintenant des prix fous dans les ventes. Comme curiosités typographiques, il y a le premier livre qui ait été imprimé avec des caractères mobiles de fonte; la première Bible latine imprimée; le premier livre français imprimé à Paris ; enfin un grand nombre de livres illustrés du XVIII° siècle avec les dessins originaux des artistes.

Dans la collection d'autographes, il y a plusieurs pièces sans prix, tel le manuscrit des Historiettes de Tallemant des Réaux, dont une partie sera toujours inédite, le brave Tallemant ayant raconté beaucoup plus de choses que l'imprimerie n'en peut rapporter, ou encore les Grandes Heures du duc de Berry que beaucoup d'autres tiennent pour le plus beau manuscrit connu. Tout cela est heureusement en sûreté, loin des coups et des atteintes de l'ennemi.

Le gouvernement a décidé que, désormais, les civils qui auraient dans la Légion d'honneur un grade supérieur à celui d'officier, ajouteraient à leur rosette un insigne d'argent ou d'or qui désignerait leur distinction aux yeux de la foule. Voilà, certes, qui eut réjoui Bonaparte mais fort contrit les démocrates et partisans de l'ancien régime lesquels s'unirent pour railler le nouvel ordre lorsque parut le fameux décret du 29 floréal an X. Mme de Staël qui groupait autour de son turban tous les mécontents ne cessait d'accabler de ses quolibets les malheureux fonctionnaires ou officiers qui se présentaient chez elle avec le nouvel insigne sur la poitrine :

Depuis quand, Monsieur, êtes-vous déshonoré? avait-elle coutume de leur dire.

Bonaparte apprit le mot et intima immédiatement à Mme de Staël l'ordre de quitter la France.

Les républicains, de leur côté, jetaient feux et flammes contre le tyran. Moreau, le vainqueur de Hohenlinden était parmi les plus enragés. Vers la fin d'un repas qui eut lieu chez lui, il fit venir son cuisinier, et, en présence de tous les convives :

Michel, dit-il, je suis content de ton dîner. Je t'octroie une casserole d'honneur!

Cette plaisanterie, d'ailleurs assez peu spirituelle, piqua au vif Bonaparte.

Patience, dit-il. La Légion d'honneur finira par devenir un objet d'ambition pour tout le monde et ceux qui l'ont le plus méprisée seront les plus ardents à la solliciter.

La prophétie s'est réalisée.

Les maîtres d'études s'agitent, s'organisent, se groupent en vue d'améliorer leur sort et d'obtenir une indemnité de vie chère convenable. Le pion ne veut plus

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être un paria dans l'Université. Le pion a raison, il raison, il doit être respecté quand ce ne serait qu'en considération de ses devanciers illustres. La liste est longue de ceux qui, d'abord modestes maîtres d'études, firent leur chemin dans la vie. Que ceux qui refusent au pion la modeste indemnité qu'il réclame s'inspirent seulement des quelques noms suivants: Pichegru, avant de devenir le brillant officier que l'on sait, avait été répétiteur au collège des Minimes; Armand Marrast, ancien président de l'Assemblée Nationale et Michel de Bauges débutèrent comme maîtres d'études. Lachaud avait été répétiteur à Sainte-Barbe. Citons encore Hégésippe Moreau, Jules Simon, Camille Rousset qui débuta à Saint-Louis; Pasteur, au collège de Besançon; Paul Arène à Marseille et à Vanves; Alphonse Daudet, qui fut Le Petit Chose. Enfin Ernest Renan, Vallès, Berthelot, Brunetière et Paul Bourget ne furent-ils pas aussi de modestes maîtres d'études?... Ne refusez pas aux pions la pâture journalière !

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Les Idées du jour, par Rémy de Gourmont.

Il serait injuste de déclarer que ces deux tout petits volumes publiés par la piété d'un frère n'ajouteront rien à la réputation de Rémy de Gourmont, car ils nous permettent de le mieux connaître et de le mieux aimer; par eux nous assistons aux réactions, durant la première année de la guerre, d'un esprit qui, par détachement philosophique, et dans sa jeunesse, avait pu aller volontairement jusqu'au plus déplorable paradoxe, mais dont l'âme profondément française espéra et souffrit, aux heures douloureuses, comme celle de la foule.

Par ces pages écrites au jour le jour, nous discernons mieux, dans l'attitude qu'il garda au long de sa vie littéraire, la part du naturel et la part de la volonté. A qui ne connaîtrait point encore l'œuvre de Gourmont, ces articulets, dont aucun n'est négligeable dans sa brièveté et son laisser-aller, et dont quelques-uns portent la marque visible de cette intelligence ou ingénieuse ou aiguisée, n'apparaîtraient peut-être pas très supérieurs à du bon journalisme, et c'est pourquoi, par respect pour le maître, nous n'en conseillerons la lecture qu'à ceux qui ont étudié déjà ses meilleurs livres critiques.

Car il apparaît de plus en plus, et le recul des ans ne fera que le mieux confirmer, que dans l'œuvre de Rémy de Gourmont c'est surtout la partie critique qui est appelée à demeurer. Dans ses vers trop travaillés et d'un rythme pénible, la part de la sensibilité est presque nulle; malgré des notations psychologiques intéressantes çà et là, ses romans se ressentent presque tous de l'époque et du milieu artificiels où ils furent composés, et ne vont pas sans une sécheresse fatigante. L'esprit d'analyse, ici, l'emportait de beaucoup sur le don de vie. Mais Gourmont reste excellent comme essayiste. Qu'il sait donc nous plaire souvent, dans ses Promenades Littéraires, quand il étudie un auteur, ou dans ses coquetteries d'intelligence quand, sans chercher à atteindre cette vérité à l'existence absolue de

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laquelle il ne croit point, il dissocie les idées, selon son expression! Ce n'est pas par principe, comme Descartes, qu'il recourt au doute, et l'on pourrait presque dire que le doute n'est pas pour lui un moyen mais une fin. Il ne concluait vraiment que lorsqu'il s'agissait de nier les religions ou de bafouer l'esprit mystique, ou lorsqu'il lui fallait (et l'affirmation alors jaillissait du plus profond de son tempérament) trancher d'un point de vue littéraire pur quelque question où sa passion d'écrivain, sa compétence d'érudit le poussait à parler haut et ferme aussi son Problème du style, son Es thétique de la langue française sont-ils excellents de tous points.

Ce n'est pas sans émotion que ceux qui l'aimèrent liront ces deux petits livres de causeries familières, écri tes presque chaque jour pendant la première année de la guerre. Son scepticisme conscient, où la volonté ren-1 forçait l'instinct, son détachement des conséquences possibles d'une conclusion, n'étaient plus alors possibles, et l'on sent souvent au travers de ces pages une sorte de lutte entre le vieil homme et cet être nouveau qui ressortait des profondeurs de la race. C'est là, pour qui connaît bien tout l'oeuvre de Gourmont, le plus grand intérêt de ces recueils d'articles. Mais on y dé couvre aussi la complète valeur de cet esprit pour qui le premier sujet venu était toujours le point de départ de fertiles idées générales; on se rend compte aussi de la qualité de cette âme, supérieure à l'attitude o l'avaient pliée tant d'années le goût critique et la crainte d'être dupe, et dont certains aspects inattendus transparaissaient déjà dans les Lettres à l'Amazone. A l'heure où il le fallait, sans enflure ni tapage, avec sobriété mais avec accent, il a su dire les paroles qui convenaient, de tristesse, d'ironie, d'amour et d'espoir

La Guerre

La situation militaire

Depuis le 15 juin, la bataille a cessé sur notre front Cette période d'accalmié nécessaire à l'ennemi pour la préparation d'une nouvelle offensive: les dates d 21 mars, du 9 avril, du 27 mai, du 9 juin, jalonnent les précédentes - n'a pas été pourtant une période d'inac tion. Elle a, au contraire, été marquée par une série d'actions locales dont nous avons pris l'initiative, qui nous ont permis d'améliorer nos positions de fa

çon sensible.

Ce fut d'abord la reprise de Cœuvres-et-Valsery le 15 juin; puis des attaques, dans la région de Dammard et de Vinly, le 16; puis une opération de détail au sud d'Ambleny et à l'est de Montgobert, le 18: puis une autre au nord de Le Port, le 24; puis une brillante attaque des Américains au bois Belleau, le 25 puis, le 28, au sud de l'Aisne, l'enlèvement des pos tions ennemies, sur sept kilomètres, et la réoccupation de Fosse-en-Haut, de Laversine, des hauteurs au nordouest de Cutry, avec une avance atteignant en certains points deux kilomètres; puis la prise de la crête entre Mosloy et Passy-en-Valois, le 29. La première décade de juillet n'a pas été moins animée. Elle a vu l'attaque heureuse du village de Vaux, enlevé par les Améri cains, et de la cote 204, à l'ouest de Château-Thierry, le 2; l'occupation totale de Saint-Pierre-Aigle, le même jour; une attaque sur trois kilomètres de front et Sco mètres de profondeur au nord de Moulin-sous-Tou vent, le 3; une nouvelle progression, dans le même secteur, le 4, portant notre avance totale à 1.200 mètres, sur 5 kilomètres de front; le succès du 8, aux abords

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de la forêt de Retz, au nord-ouest de Longpont, qui nous a permis d'enlever la ferme de Chavigny et les croupes au nord et au sud de cette ferme et de progresser encore de 1.200 mètres sur 3 kilomètres de front; l'opération du 9, à l'ouest d'Antheuil, qui s'est soldée par la reprise de la ferme Porte et de la ferme des Loges, et par une avance de 1.800 mètres en certains points, sur 4 kilomètrés.

En définitive, du 15 juin au 10 juillet, nous avons perpétuellement tenu l'ennemi en haleine, nous lui avons enlevé un certain nombre de places d'armes qui étaient très favorables comme points d'appui pour une offensive éventuelle, et nous lui avons fait, au cours de ces diverses actions, plus de 5.400 prisonniers. Cela n'est pas un résultat négligeable.

Nos communiqués de guerre aérienne ont d'autre part attesté la vigilance continuelle de nos avions, qui n'ont cessé de harceler les arrières des armées alle

mandes, de bombarder les gares, de troubler les ravi

taillements et les convois.

Dernière caractéristique de Reims à l'Argonne, nos irs de concentration ont fait sauter, à de nombreuses eprises, des dépôts de munitions allemands, tandis que nos coups de main nous tenaient au courant de Fordre de bataille adverse. Si les préparatifs ennemis dans ce secteur sont particulièrement dignes d'attenion, ils ne nous ont. pas échappé.

A l'heure actuelle, les Allemands paraissent disposer, i en tout et pour tout, de 244 divisions, dont 35 seulement ont retenues sur les fronts extérieurs, et 209 figurent sur le front occidental. Peut-être ont-ils dû en prélever quelques-unes si, comme il est possible, ils se disposent

venir en aide aux Autrichiens en Italie. Mais rien ne ious autorise encore à l'affirmer, et nous devons, jusam qu'à plus ample informé considérer que ces 209 divisions sont destinées à alimenter la bataille de la mer aux Vosges. Il y en a 132 en ligne, ce qui laisse une nasse de réserve de 77 divisions. Ces réserves sont, pour a presque totalité groupées entre la mer et l'Argonne. Elles comprennent une quarantaine de divisions fraîthes, le reste étant constitué par des divisions éproutées. Il convient toutefois de se souvenir que les Allemands ont de grandes facilités de communications inérieures et qu'ils peuvent, en un temps restreint, déplater des masses considérables.

Le répit qu'ils nous ont laissé depuis un mois nous permis de nous fortifier sur nos positions, de les améorer en beaucoup de points par des actions de détail, de compléter nos effectifs par des apports appréciables. Plus de 250.000 Américains ont débarqué, depuis le 15 juin, dans nos ports. Ce ne sont pas évidemment, des combattants susceptibles d'être mis en ligne immédiatement, mais ce n'est pas un secret que des troupes américaines sont venues relever les nôtres en plusieurs secteurs, et ont augmenté d'autant nos disponibilités propres. Les Anglais, eux aussi, ont reçu des renforts de la métropole.

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Ainsi notre infériorité numérique a été en partie compensée. L'ennemi doit également renoncer dans une certaine mesure au bénéfice de la surprise, qu'il a largement exploité, notamment le 21 mars et le 27 mai. Sans doute. il lui est loisible d'obtenir par la manoeuvre, pour quelques jours au lieu choisi par lui, une supériorité d'effectifs. Mais on peut escompter qu'une défensive en profondeur, aménagée par notre commandement, limitera ses avantages et contiendra sa poussée, comme le fait s'est déjà produit le 9 juin devant Compiègne. En tout cas, ses procédés d'attaque, déconcertants par leur nouveauté lorsqu'il les a employés pour la première fois contre nous, nous sont maintenant connus. Nous savons y riposter. Dans l'ensemble, notre situation apparaît donc comme meilleure qu'elle n'était au printemps der

nier. Nous pouvons attendre les événements, non point avec un optimisme béat qui dispense de l'effort, mais avec une confiance raisonnée qui met en balance les moyens réciproques et soutient de légitimes espoirs.

Affaires Extérieures

Les idées directrices de M. Wilson

Dans son message du 8 janvier au Congrès, le président des Etats-Unis avait concrété en quatorze articles le « programme de la paix mondiale ». Prenant un à un les divers problèmes politiques que posait la guerre : Russie, Pologne, Belgique, Alsace-Lorraine, Balkans, il avait esquissé pour chacun d'eux la solution qu'imposaient les principes au nom desquels l'Amérique avait pris les armes, et dont la violation rendait «< la vie impossible » au peuple américain.

Et pour donner une portée pratique à ses propositions, il avait conclu :

« Une association générale des nations devra être formée d'après des conventions spéciales dans le but de fournir des garanties mutuelles d'indépendance politique et d'intégrité territoriale aux grands comme aux petits Etats ».

L'idée générale dont les réalisations appropriées devenaient les buts de guerre des Etats-Unis apparaissait ainsi nettement. C'était une idée juridique. Le président Wilson appelait Etats certains groupements humains, et à chacun de ces Etats, assimilés aux individus des groupements où règnent la liberté et l'égalité politiques, il attribuait un ensemble de droits et de facultés dont la qualité comme l'étendue étaient indépendantes de leurs dimensions géographiques ou de leur puissance. La souveraineté intégrale, dans les limites du territoire, tel était le premier de ces droits.

auto

Mais tous les groupements politiques ne sont pas des Etats. Il y a des nationalités qui ne peuvent jouir de tous les droits accordés aux Etats. « Aux peuples de l'Autriche-Hongrie, disait le président dans son article 10, dont nous désirons voir la place sauvegardée et assurée parmi les nations, on devra donner le plus largement possible l'occasion d'un développement nome ». Abordant le problème oriental, il poursuivait à l'article 12: « Une souveraineté sûre sera assurée aux parties turques de l'empire ottoman actuel, mais les autres nationalités qui se trouvent en ce moment sous la domination turque devront être assurées d'une sécurité indubitable d'existence et d'une occasion exempte d'obstacles de se développer d'une façon autonome... »

Il y avait donc deux sortes de groupements humains : les Etats, auxquels l'indépendance politique devait être garantie par la Société des nations (article 14), et des nationalités qui devraient se contenter d'un « développement autonome » (articles 10 et 12).

Quelles conditions un groupement devait-il remplir pour être considéré comme Etat; qu'est-ce qui faisait qu'un autre groupement était simplement une nation?

M. Wilson ne le précisait pas plus qu'il ne définissait l'indépendance et l'autonomie. Mais du moins laissait-il entendre que la question se posait, qu'il se la posait à luimême, et l'interrogation elle-même valait une promesse de réponse.

X

Le discours prononcé le 4 juillet, jour anniversaire de la Déclaration d'Indépendance, sur la tombe de Washington ne le cède pas, en élévation morale, au message du 8 janvier. Mais il n'apporte pas encore l'éclaircissement attendu.

Visiblement, M. Wilson en a écarté l'examen. Visible

ment, il n'envisage que les rapports entre Etats, ne propose comme but de guerre que l'exclusion définitive de la force pour le règlement des conflits entre États.

Les quatre articles dans lesquels il a ramassé sa pensée sont à retenir :

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I. La destruction de tout pouvoir arbitraire, en quelque lieu, que ce soit, qui puisse, isolément, secrètement et de par sa seule volonté, troubler la paix du monde. Si ce pouvoir ne peut être détruit actuellement, le réduire au moins à une virtuelle impuissance.

2. Le règlement de toute question concernant soit les territoires, soit la souveraineté nationale, soit les accords économiques ou les relations politiques sur la base de la libre acceptation de ce règlement par le peuple directement intéressé et non sur la base de l'intérêt matériel ou de l'avantage de toute autre nation ou de tout autre peuple qui pourrait désirer un règlement différent en vue de sa propre influence extérieure ou de son hégémonie.

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3. Le consentement de toutes les nations à se laisser guider dans leur conduite les unes envers les autres par mêmes principes d'honneur et de respect pour la loi commune de la société civilisée qui régissent les citoyens de tous les Etats modernes pris individuellement dans leurs rapports réciproques...

L'article 4 et la conclusion dans laquelle M. Wilson a condensé sa pensée reproduisent simplement ses opinions déjà connues sur la Société des nations, ses moyens moraux d'imposer aux Etats le respect de la convention. Des nationalités par rapport aux Etats, de l'autonomie distinguée de l'indépendance, le président ne parle plus. A plus forte raison son discours ne contient-il aucune allusion aux peuples inorganisés et inorganiques, les indigènes africains par exemple, dont le statut devra bien cependant être fixé par l'acte de paix, puisque la question coloniale a été une des excuses - et non des moindres de la guerre.

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Est-ce à dire que ces questions ne soient plus dans les préoccupations de M. Wilson ? Les discours antérieurs de l'éminent président des Etats-Unis protestent contre une pareille supposition. L'homme qui a dit un jour, pendant la guerre, mais il y a si longtemps ! que la guerre devait se terminer sans qu'il y ait « ni vainqueurs ni vaincus », cet homme sait bien qu'en nous promettant une « Société d'Etat », il nous a promis aussi une définition de l'Etat, parce qu'il sait aussi qu'en définissant l'Etat, il définira en même temps le but de la guerre.... la fin de la guerre.

Mais il y a des heures où l'on doit oublier la fin, perdre de vue le but, pour ne penser qu'à la préparation des moyens. La Société des nations, le fédéralisme, l'indépendance et l'autonomie, la conciliation du principe de la souveraineté des Etats avec celui plus élevé encore de la souveraineté de l'humanité, quel avenir peut être réservé à ces grandes idées si leurs ennemis ne sont pas d'abord abattus ou contenus ? L'Amérique n'entend plus qu'il n'y ait « ni vainqueurs ni vaincus »>; elle a pris position. Il s'agit uniquement pour elle comme pour tous les alliés, « au moins de réduire à une virtuelle impuissance » ceux qui voudraient encore garder le pouvoir arbitraire « de troubler la paix du monde ».

Ayant lancé ou suivi son peuple dans la guerre, M. Wilson «< fait la guerre », la guerre à l'Allemagne, la guerre à la théorisation de la force, à la féodalité allemande. Et quand la guerre sera gagnée, il sera temps d'élaborer les définitions du droit, sur lesquelles édifier le règne du droit.

Tel est, dans le silence solennel qui précède les grandes actions comme les grands orages, le sens du « sermon sur la colline de Mount-Vernon ».

PIERRE ALBIN.

NOTES ET FIGURES

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Le 4 juillet 1918.

Plus que celui d'une fête dont la gaieté devait demeurer un peu voilée, plus que celui d'une grandiose manifes tation qui se déroula telle qu'on l'avait prévue, le souve nir qui restera aux Parisiens du 4 juillet de cette année sera le souvenir d'une belle journée de confiance et de réconfort.

Elle n'est pas désertée la grande Ville calme où suivant la belle expression de M. Paul Deschanel : « les obus ont frappé les pierres, non les âmes» et, pour l'af firmer après avoir acclamé les soldats, la foule a repris possession de ses boulevards.

L'an dernier à pareil jour, nous avions déjà salué les premiers bataillons américains arrivés chez nous. Quelle différence entre ce modeste début et l'émouvant et somptueux défilé d'aujourd'hui !

Le cadre qu'on lui a choisi est splendide. Sur la place d'Iéna, au milieu des tribunes officielles où sont venus prendre place les représentants des alliés, Washington, l'épée haute, semble commander les hommes de son pays Ils s'avancent en rangs serrés, dans leurs uniformes un peu ternes, portant sur l'épaule leurs courts fusils, et, sous les ombrages de la nouvelle avenue du PrésidentWilson, ils entendent les premiers vivats de reconnais sance. On les admire, on dit : « Comme ils sont nom breux !» Les avions descendent si bas qu'on peut lire les noms américains qu'ils portent, et ce sont des applau dissements nouveaux plus bruyants encore.

Les premières fleurs tombent des fenêtres, lancées par fois aux spectateurs d'en bas pour qu'ils les offrent de plus près. Le service d'ordre laisse passer les jolies por teuses de bouquets pour que les soldats les reçoivent de leurs mains.

Mais voici que la couleur des uniformes change et après la jeune armée qui porte tant d'espérances, voici les vétérans aux visages fatigués et graves, les nôtres, les vôtres qui sont là-bas depuis quatre ans, n'est-c pas? En les voyant apparaître une intense émotion étreint les assistants qui ne savent plus que crier de tou tes leurs forces « Vivent nos poilus! »

Au-dessus des poitrines chargées de décorations; audessus des casques bleus, les baïonnettes brillent sous le ciel gris. Çà et là, les visages de couleur se remarquent dans le régiment colonial qui vient le premier. Tout à l'heure, après la dislocation, quand ils s'engageront chargés de fleurs, dans la rue Royale, ce seront encore

des ovations sans fin.

A la suite de l'infanterie, les dragons, enfin les chas seurs dont les trompettes sonnent la fanfare éclatante. Ce sont eux qui ferment la marche, en trois quarts d'heu re à peine tous ont passé.

Aux discours de la place d'Iéna a répondu sur la col line et dans la calme retraite de Mount-Vernon, celu du Président Wilson qui fixait tout le sens de cette fête de l'Indépendance américaine si fraternellement célébrét cette année par les peuples alliés.

Toutes les villes de France ont pris part à cette manibour du village a passé, les habitants ont paroisé festation, et dans les plus humbles communes le tam Sous le clair soleil de juillet, les drapeaux étor rude tâche sur mer a permis l'arrivée de ce premier million lés mêlés aux nôtres, à ceux de l'Angleterre dont la de généreux combattants, claquent au vent de nos rues pour quelques jours encore en attendant notre fête nationale que la patrie de Washington veut faire sienne à son

tour

G. DE NUSSAC

faz

Le Professeur Grasset e professeur Grasset vient de mourir. Son nom est milier à nos lecteurs et il n'y a pas si longtemps que Pinion parlait de sa controverse avec Le Dantec. Le rejoint l'incroyant, à quelques mois d'intervalle, les deux contradicteurs peuvent évoquer leur cause devant le tribunal dont nulle oreille n'a jamais ouï les arrêts, là où il y a tout, disait l'un, et l'autre là où plus ien n'est, du moins pour l'homme.

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et

Aussi, dans ces quelques lignes évoquerons-nous la personne plus que la doctrine. Toutefois il nous faut Dabie rappeler chez le médecin philosophe la suite remarquable des idées qui le guidèrent. Il atteignit le afran de notoriété par cet ouvrage sur les Limites de la Biologie où il contestait à la science de la matière le droit de se prononcer sur l'esprit. Mais il ne s'en tint doit à ce stade négatif..

Son grand argument, sa raison la plus originale, conistait à soutenir que l'étude de l'homme forme une disdide ple particulière et qu'il y faut pourvoir par des méshoes appropriées. A son gré, la pensée, la liberté, nous aractérisent, définissent notre espèce, nous sommes enman des êtres moraux et cela suffit à justifier des préentons et des procédés qui, par leur opération comme

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leurs suites, nous distinguent des animaux. Il y a biologie humaine différente par le fond de la bioage générale et que le souci trop exclusif de celle-ci eut qu'affaiblir ou déformer.

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un

us avons signalé ici même l'inconvénient principal e système qui veut trop évidemment sauvegarder les s du spiritualisme et nous avons fait observer que adversaires de l'apologiste lui pouvaient reprocher Emettre comme démontré ce qui était mis en quesà savoir l'indépendance finale de l'esprit et du Mais, pour une fois, l'erreur ou l'abus sur le cipe n'a point trop altéré les conséquences. M. set a tiré de sa doctrine des applications pratiques plus haut intérêt. Il en a exposé l'essentiel dans un ses derniers volumes: Devoirs et périls biologiques passe en revue les valeurs de la morale et la socioet où il s'efforce de découvrir des lois de la conhumaine aussi justifées et aussi impérieuses que Lois de la logique et du raisonnement. Ce Philosophe n'abjurait rien du médecin. Spécialiste teles ma aladies nerveuses, son premier ouvrage est Traité pratique des maladies du système nerveux et il eptait renommé par la sûreté de son diagnostic et de sa isérapeutique. Ce médecin guérissait des malades. Proesseur, on peut dire qu'il a eu des élèves partout. Il vait Supposé pour expliquer les réflexes inconscients, ne série de neurones, d'éléments nerveux, dont le jeu, dépendant de celui des neurones supérieurs,constituait mz d'ordre indépendant et subalterne qu'il appelait, raison de la disposition de ces éléments, le moi polyona L'hypothèse était aventureuse et il voulait bien en onvenir dans une lettre que j'ai rendue publique en son dans la Revue des Idées. Il consentit à ne voir Son ingénieuse imagination qu'un procédé pédaogig e et c'en était un, en effet, assez efficace. Depuis, dans Son Introduction physiologique à l'étude de la philosophie, il a mis à la portée des étudiants les notions scientifiques indispensables désormais à tous ceux qui eulet se consacrer, sous une forme quelconque, à l'exaLes conditions de la pensée.

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fait de la décentralisation de la meilleure manière en puisse faire, par l'exemple et par la pratique. hé à l'illustre Faculté de Montpellier, il en a conPillustration. Il n'est point venu à Paris où tout lait : le succès de ses livres, la suite de sa carrière, nité de sa personne. Cette gloire nationale est res

tée provinciale. Il a reçu de loin, paisible et modeste, les honneurs qu'on lui devait. La capitale n'a entendu sa parole qu'en des conférences passagères. Et cette réserve, toute naturelle, donne une sorte de piquant à une vie tissée de la trame uniforme du labeur.

Le docteur Grasset a écrit beaucoup et ne s'est pas toujours montré bon écrivain, ce qui d'ailleurs n'était point son métier. Je doute que la postérité retienne beaucoup de la lettre de son œuvre. Son rôle, néanmoins, même en ce qui concerne les idées, n'aura pas été négligeable. Il fut un des promoteurs de cette réaction nécessaire qui a mis au point les prétentions de savants un peu grisés de leur science, et tout prêts à la considérer comme le dernier mot de la vie sur la vie. Or nous ne connaîtrons jamais le dernier mot de la vie, bien qu'il ait cru, lui, qu'un Dieu l'a révélé ; nous ne toucherons à aucune fin peut-être parce que cette idée de fin est encore une de nos illusions.

Mais ce mort qui s'en va parmi tant de morts laisse un pénétrant souvenir à ceux qui l'ont approché. Il suit de près son fils, tombé pour le pays, sans qu'une perte si sensible ait suspendu dans son âme chrétienne ni le travail ni l'espérance. Jeté dans la polémique il y a gardé un tact, une mesure, une fermeté, un courage et une bonne foi dont devraient bien s'édifier les malheureux qui, chaque jour, pour de bien moindres causes, se déchirent. J'aime à me le figurer avec Le Dantec, ce négateur, si semblable à lui par la charité, dans quelques ChampsElysées favorables, loin de ces choses trop humaines le Paradis et le néant. Les deux ombres heureuses cheminent par les prairies semées d'asphodèles. Et elle n'entendent plus les choses d'ici-bas.

GONZAGUE TRUC.

Mehmed V

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Il éprouva, dans sa longue existence, un infini désir : être oublié. Le destin se joua d'un aussi pauvre rêve et le mit entre les mains d'énergumènes, idéologues aux fantaisies incohérentes qui n'étaient turcs et musulmans que de nom et lancèrent les premiers soviets. Ils s'emparèrent de cette ombre, la posèrent violemment sur un trône et lui interdirent d'en bouger. Mehmed V se désespéra, il ne sut jamais faire davantage et ses gardiens le maintinrent sur son trépied, bien assurés de sa docilité.

Pendant trois ans, le bon peuple ne vit que de loin ce pauvre âne chargé de reliques qui ne fut jamais, pour personne, le vrai calife. Et puis, Enver se fit battre en Tripolitaine avec une rare constance, Djavid regarda du côté de Berlin, Talaat renia ses premiers appuis, un vent de folie passa sur la Turquie et balaya les espoirs de rénovation. Les Jeunes-Turcs continuèrent à s'entredéchirer et l'Allemagne observa, guettant son

Elle tenait étroitement entre ses mains l'armée, C

heure.

de von der Goltz, son œuvre, sa chose. Il lui plut démontrer la force. Déjà tutrice de l'empire, elle ordonna sèchement à ses élèves de préparer un grand gala militaire d'une ampleur inattendue et de prouver ainsi à la plebe - et surtout aux diplomates étrangers que valaient sa méthode et sa discipline.

ce

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