seulement venait en sous-appellation celui de Théâtre de la République. Le grand Opéra enfin, auquel la Restauration avait 'donné le nom un peu prétentieux d' « Académie royale de musique et de danse », s'était vu transformer, après 1848, en Théâtre de la Nation. Ce titre était faux et ridicule. Par le mot « nation > on entend l'universalité des citoyens ; or, nul théâtre n'est plus celui d'une classe privilégiée par la fortune, le goût, l'éducation, que notre grand Opéra. Ce fut le duc de Morny, alors ministre de l'Intérieur, qui, en janvier 1852, fit un décret qui restituait leurs anciens noms historiques à la place Royale, à la place de la Concorde, à la rue Royale, au Palais-Royal, à la ComédieFrançaise. Ces mesures si populaires aux yeux de la raison, 'des convenances, du bon goût et de l'histoire même, furent approuvées par la grande majorité des journaux. Soit dit en souriant, pourquoi le Conseil municipal ne déciderait-il pas de rappeler les noms successifs que porterent les rues, les places et les monuments de Paris ? De telles inscriptions nous inviteraient à réfléchir sur la vanité des choses humaines et nous enseigneraient le juste scepticisme que méritent les contradictions des peuples. A. DE BERSAUCOURT. La leçon de Ford Il y a vingt-cinq ans que Ford a sorti la première voiture << utilitaire ». Il s'agissait de répondre au désir d'une clientèle énorme : celle des bourses moyennes. Pour cela, le prix de la voiture devait être très bas, la conduite facile, l'entretien réduit à l'essentiel. La voiture devait être extrê mement robuste pour circuler sur les routes américaines, alors déplorables. Elle devait résister aux mauvais traitements de conducteurs inexperts. Ford recourut pour cela à des moyens mécaniques très simples, qui se trouvèrent être les moins coûteux à établir. Il se contenta d'un modèle unique, pour obtenir la construction en grande série. Pendant vingt-cinq ans, Ford, appliquant strictement les méthodes de Taylor arrosa le marché d'une même voiture que tout le monde connaît aujourd'hui. Grâce à une publicité parfaite, il obtint immédiatement 'de grands succès; même Ford put abaisser le prix de son modèle. En produisant toujours la même voiture, il évitait les frais coûteux de recherches et d'essais et, commandant ses matières premières en masse considérable, il facilitait en même temps les approvisionnements de pièces détachées. Voilà les éléments de son succès. Voilà aussi la raison du malaise qui pèse sur la plus importante firme mondiale de construction d'automobiles, car à mesure que l'auto se répandait dans le public, le public devenait plus exigeant. Il était désormais facile, à mesure que les années passaient, de concurrencer une voiture imaginée aux débuts de l'automobile, si parfaites que fussent les solutions adoptées pour sa fabrication. En Amérique même, Ford trouvait un adversaire redoutable dans la General Motor Cy. En Europe, la concurrence plus facile à organiser (des questions d'esthétique intervenant) fut l'œuvre de Renault et surtout de Citroën en France; en Angleterre Morris, en Italie Fiat doivent aussi être cités. L'Amérique était saturée (une voiture pour quinze habitants). L'Europe, armée par ses frontières douanières et l'effort de ses industriels, exigeait d'une voiture des perfectionnements et une élégance que ne lui offrait pas la Ford. Il est bien amusant de voir à cet égard les « truquages >> auxquels se sont livrés en France des concessionnaires de la Ford dont la clientèle raillait la forme surannée plutôt que le moteur. Elle prenait une autre allure : elle se civilisait, elle devenait méconnaissable grâce à un peu de coquetterie..., mais son prix de vente s'en ressentait. Quelques événements vinrent encore rendre plus délicate une situation que les circonstances naturelles ne favorisaient plus. En 1925, Ford supprima d'un coup tout son budget de publicité aux journaux des Etats-Unis. La riposte ne se fit pas attendre ; il était facile de dénigrer Ford et ses méthodes dans une période qui se faisait de plus en plus difficile pour ses affaires. Pour illustrer un vaste programme de réformes sociales dont il était l'auteur, Ford créa, en vue du bien-être de ses ouvriers, des coopératives qui mettaient les commerçants en face d'une concurrence impossible. On boycotta sa marque et une partie importante de sa clientèle l'abandonna. Les marchés se fermant, Ford dut réduire à tel point sa fabrication, qu'en 1926, la Chevrolet, fille de la General Motor, se vendit deux fois plus que la Ford. Ford se décida alors seulement à lancer sur le marché une voiture nouvelle qui devait répondre aux nouvelles exigences du consommateur ; une voiture économique, et qui satisfît aux besoins d'élégance et de confort, à la mode mécanique en vogue parmi la clientèle d'aujourd'hui. Mais on ne réalise pas une voiture entièrement nouvelle et sans défaut dans la journée, ni même dans l'année. Il fallait étudier soigneusement la méthode de fabrication qui donnerait le moindre prix de revient; il fallait y adapter les usines et le personnel. Après une longue attente et une mise en scène un peu mystérieuse, le monde entier fut convoqué à venir admirer le nouveau-né. Connaissant Ford et son œuvre, son influence et sa puissance, le monde entier se montrait assez sympathique dans sa curiosité. Il faut bien déchanter. L'exposition de Luna-Park a confirmé les échos décevants qui nous venaient déjà de Londres et de Bruxelles. La nouvelle Ford (modèle A) se ressent terriblement de sa longue gestation. A peine née, elle fait démodé. En un mot, elle a l'air « très Ford » et c'est le principal reproche qu'on lui fera en Europe, et particulièrement en France. Elle est encore trop haute sur pattes. Sa suspension n'a pas été améliorée, alors que depuis longtemps le modèle de ressorts adopté un peu partout et que nous connaissons tous, a ruiné la suspension Ford. La ligne et le fini laissent beaucoup à désirer. La réversibilité de la direction ne nous apparaît pas aujourd'hui comme un progrès considérable. L'usage du servo-frein est naturellement encore inconnu. On nous parle bien d'inventions veilleuses, particulièrement en ce qui concerne le guidage | communique notre collaborateur Henri Clouzot : il semble bien des soupapes, par un système qui doit éviter tout claquement, - mais nous n'avons pas pu voir ce système. Tout ce qui nous a été montré, ce sont des carrosseries: pas une coupe de moteur. On ne peut contempler les organes essentiels de cette voiture... Et puis les prix sont très élevés. Bref, on peut dire que Citroën sort vainqueur de l'exhibition de Luna-Park. Les Américains, depuis quelques années, prétendent que le règne de Ford est agonisant. Il semble aujourd'hui qu'ils n'aient pas tout à fait tort. L'homme est lié à la méthode, et la méthode a reçu un coup sérieux. Il n'y a peut-être pas faillite, mais Ford a un gros retard à combler. Il a perdu de grands marchés qu'il lui faudra reconquérir. Que la nouvelle Ford soit un succès ou un échec, il n'en faut pas moins rendre hommage à l'œuvre immense accomplie par un homme de génie. C'est à lui que nous devons la transformation de l'automobile, engin de luxe, en instrument de travail et de plaisir populaire, grâce à la production en grande série. Ford a tracé sa voie à l'industrie automobile moderne. Il a été victime de la rapidité des progrès qu'il a déclenchés. Le courant a été plus fort que lui. Un retard de quelques mois dans l'emploi des solutions nouvelles suffit pour détourner une énorme clientèle qui sait aujourd'hui ce qu'elle achète, et tient à ce que ses moindres exigences soient immédiatement servies. J.-P. ZAMBAUX. à les lire que l'auteur d'Eugénie Grandet ait emprunté à Gautier deux idées (et assez contradictoires). L'une, que la beauté est incompatible avec l'utilité. L'autre, que de l'œuvre d'art ( l'espèce, le livre) découle une utilité matérielle. Ces aphorismes pouvaient, il est vrai, avoir cours dans les conversations de Cénacle. Mais la juxtaposition des textes démontre que, pour une fois, Balzac a bel et bien démarqué le linge de Gautier. A moins toutefois qu'il n'ait voulu donner à Canalis quelques traits de l'auteur de Mademoiselle de Maupin, conjecture impro bable. Balzac Tout ce qui est utile est affreux et laid. La cuisine est indispensable dans une maison; mais vous vous gardez bien d'y séjourner, et vous vivez dans un salon que vous ornez, comme l'est celui-ci, de choses parfaitement superflues. Toute œuvre d'art, qu'il s'agisse de la littérature, de la musique, de la peinture, de la sculpture ou de l'architecture, implique une utilité sociale positive égale à celle de tous les autres produits commerciaux. Un livre, aujourd'hui, fait empocher à son auteur quelque chose comme dix mille francs, et sa fabrication suppose l'imprimerie, la papeterie, la librairie, la fonderie, c'està-dire des milliers de bras en action. ... Modeste Mignon, . Gautier Il n'y a de vraiment bear que ce qui ne peut servir à rien; tout ce qui est utile est laid, car c'est l'expression de quelque besoin, et ceux de l'homme sont ignobles et dé goûtants, comme sa pauvre et infirme nature. L'endroit le plus utile d'une maison, ce sont les latrines. Le roman a deux utilités l'une matérielle, l'autre spiri tuelle, si l'on peut se servir d'une pareille expression à l'endroit d'un roman. L'utilité matérielle, ce sont d'abord les quelques mille francs qui en trent dans la poche de l'au teur, et le lestent de façon que le diable ou le vent ne l'em; portent; pour le libraire, c'est un beau cheval de race qui piaffe et saute avec son ch briolet d'ébène et d'aciera comme dit Figaro; pour le marchand de papier, une usine de plus sur un ruisseau quel conque, et souvent le moyen de gâter un beau site; pour les imprimeurs, quelques tonne de bois de campêche, pour se mettre le gosier en couleur. Préface de Mademoiselle de Maupin, mai 1834. Un centenaire. LITTERATURE On va fêter dans deux mois le centenaire d'Edmond About, qui est né à Dieuze en avril 1828, et qui a été un des plus purs écrivains du XIXe siècle, dans la tradition voltairienne, et aussi dans la tradition normalienne... Chacun du reste a lu le Roi des montagnes, beaucoup plus féroce pour la Grèce de 1860 que Jérôme 60° latitude Nord pour la Norvège de 1925... Les gens qui s'intéressent à l'histoire de Paris auront intérêt à relire les Mariages de Paris (1856), où se trouvent de curieux documents sur le développement de la capitale. Une nouvelle de ce recueil met en scène les spéculations de la plaine Monceau. Une autre représente la vie de château, à l'intérieur des fortifications, dans le quartier actuel de la Glacière: un parc et des cultures entourent la propriété, on y chasse même à courre ! Et un des invités remarque quelle anomalie il y a de se trouver ainsi en pleine campagne dans l'enceinte administrative de Paris. Un emprunt de Balzac. Balzac était assez riche de son propre fond pour ne pas faire appel au bien d'autrui. Voici cependant deux passages que nous Une déclaration à Robespierre. Les hommes du jour reçoivent par centaines d'amoureuset déclarations et des demandes en mariage; il en est d'effarantes, Mais nous ne saurions trouver mieux que ce billet adresse à Robespierre par une veuve de vingt-deux ans, qui avait perdu son mari dans les guerres de Vendée. Cette jeune exaltée est amoureuse de Robespierre depuis le commencement de la Révo lution, et, maintenant qu'elle est libre, elle lui offre sa maini << Je me flatte, mon cher Robespierre, que tu seras sensible à l'aveu que je te fais... Tu es ma divinité suprême, et je n'en connais pas d'autre sur la terre que toi. Je te fais le serment; si tu es aussi libre que moi, de m'unir à toi pour la vie. Je t'offre pour dot les vraies qualités d'une bonne républicaine, et 40.000 francs de rentes. Si cette offre te convient, réponds-moi, je t'en supplie. Mon adresse est à la Veuve Jakin, poste restante à Nantes. Si je te prie de me l'adresser poste restante à Nantes, c'est que je crains que ma mère ne me gronde de mon étourderie; si je suis assez heureuse pour obtenir de toi une réponse favorable, je m'empresserai de la lui montrer. Alors, plus de mystère. Adieu, mon bien-aimé ; songe à la petite Nantaise. >>> Quel cas Robespierre fit-il de cet aveu de la peu timide colombe qui lui offrait en dot: les vraies qualités d'une bonne républicaine et 40.000 francs de rentes ? On n'en sait rien. Nous regrettons de n'avoir point la réponse du « bien-aimé >> pour la joindre au poulet truffé de si belles rentes, écrit à l'insu de sa maman par la « petite Nantaise », qui craint tant d'être grondée de son étourderie. A l'occasion de la réception de M. Abel Hermant, un de ses confrères, qui s'était avisé de rechercher, parmi les estampes de la bibliothèque de l'Institut, les portraits de ses prédécesseurs, fut frappé de la ressemblance de l'un de ces portraits, celui de La Condamine, avec le buste anonyme de la Galerie. On confronta buste et portrait. Point de doute. La terre cuite que l'on voit à la droite de la statue en marbre de Chateaubriand représente bien La Condamine. Celui-ci était dur d'oreille, et fort malicieux. Quand il fut élu, il fit ce quatrain : La Condamine entre aujourd'hui En voici le sommaire: Franklin et Mirabeau collaborateurs, par B. Fay; Niemcewicz en Amérique et sa correspondance inédite avec Jefferson (1797-1810), par W.-M. Koslowski; Chateaubriand et la littérature des Etats-Unis, par Paul Hazard; Le séjour de Lenau en Amérique, par L. Roustan ; La littérature française dans le sud des Etats-Unis, d'après le << Southern Literary Messenger » (1834-1864), par G. Chinard; le Suicide de Prévost-Paradol à Washington et l'opinion américaine, par O. Guerlac; l'Appel de l'Extrême-Orient 11 dans la poésie des Etats-Unis, par W.-L. Schwan Initiation américaine de Georges Clemenceau, par F. Baldensperger. Correspondance. M. George Bernanose nous adresse la lettre suivante : Vous avez eu l'amabilité de vous occuper de moi dans votre numéro du 28 janvier. Voulez-vous avoir l'amabilité plus grande encore d'insérer ces lignes ? Vous dites qu'il est pour moi inélégant de me nommer Georges Bernanose. Vous avez tort. Bernanos se prononce nosse comme rosse et Bernanose comme rose. Toute l'élégance est donc pour moi. Ceci pour vous rappeler simplement que l'orthographe française n'a pas encore à ce jour perdu toute sa valeur. Au demeurant, puisque vous vous donnez beaucoup de mal pour dramatiser une question qui doit laisser indifférents la plupart de vos lecteurs et puisque vous croyez devoir m'indiquer ma voie, permettez-moi, à mon tour, de vous donner un conseil. Le destin, par ironie peut-être, a voulu qu'en notre ère, deux auteurs aux noms voisins et aux prénoms identiques débutassent l'un et l'autre en un modeste roman, à une année d'intervalle. Vous êtes devant un phénomène naturel, indépendant des volontés humaines, analogue (oh! toutes proportions bien gardées) à un tremblement de terre ou à une éruption volcanique. Ne vous en mêlez pas. Il ne faut jamais contrarier le destin, surtout lorsqu'il s'amuse. Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, l'assurance de mes sentiments dévoués et mes remerciements. Nous n'avons pas lu le livre de M. Georges Bernanose. L'échantillon que cet auteur nous offre de son style ne nous laisse d'ailleurs rien regretter. Mais peut-être M. Georges Bernanose ferait-il une jolie carrière dans la publicité... Parus précédemment : X LE FLÉAU DU SAVOIR. ...... ................ 12 fr. CHEZ TOUS LES LIBRAIRES 12 rierre Deloncle n'a pas laissé tomber cette image, applicable à l'action française, qui fait reverdir cette terre africaine, jadis grenier de l'empire romain. Son récit de voyage est attachant, alerte, riche surtout d'aperçus sur le présent et l'avenir de notre immense domaine colonial. La caravane Berliet n'a eu à accom plir aucune prouesse. Elle a simplement démontré que le trajet d'Alger au Niger était désormais praticable, à condition d'un ravitaillement méthodiquement préparé. Mais les pistes plus ou moins bien tracées ne suffisent pas. Il faut des routes et même un chemin de fer transsaharien. C'est l'œuvre de demain (à l'aide peut-être de prestations allemandes en nature). L'auteur est un érudit qui a rompu l'attache. L'école des Chartes mène à tout, même au Niger. Ses chapitres consacrés au P. de Foucauld et au général Laperrine sont attachants, comme les aperçus sur la race antique des Touareg du Hoggar. Des photographies réduites mais bien prises illustrent le livre. L'absence de carte est regrettable. H. C. sions, il semble que les représentants de ces diverses caté gories cherchent surtout à faire ressortir ce que leurs intérêts ont d'opposé au lieu de se mettre en quête des terrains d'entente sur lesquels l'union pourrait se faire. A la Commission supérieure du Cinéma, qui tient actuellement ses séances au ministère de l'Instruction publique et des Beaux-Arts, il ne faut pas moins que la subtile dialectique et la conciliante présence d'esprit de son président, M. Edouard Herriot, pour conserver à la discussion son caractère objectif et national et éviter les heurts, si dangereux quand ils s'adressent à une matière aussi inflammable que le film. Mais M. Herriot, et ce n'est pas une surprise pour ceux qui savent quel intérêt le maire de Lyon porte à la cinématographie - connaît la question jusque dans ses dessous. Il s'est juré d'aboutir et il aboutira. Le cinéma aura son statut. Dans le plus bref délai possible, les Chambres seront saisies La Boîte de pilules, par Maurice DECROIX (Chez le Rechin, d'un projet de loi, élaboré par la Commission supérieure du rue de l'Odéon). Les recueils de sentences, remarques et réflexions sont fort à la mode. Celui-ci, délicatement présenté, sous une couverture vieil or, rassemble des pensées bien frappées sur divers sujets, mais singulièrement sur les femmes et l'amour. Ce qui le distingue d'un livre comme celui de M. Etienne Rey, par exemple, son titre vous le dit. Dans les pilules de M. Maurice Decroix, il y a bien de l'amertume, mais cette amertume passée, le malade se porte mieux. La Boîte à pilules est un petit livre soigné, écrit de façon charmante, parfois à la manière des Caractères. Ainsi cette apostrophe aux parvenus : « Vous allez partout, Théobald, répétant que vous vous êtes fait vous-même. On vous croit sans peine. Fait par un autre, peut-être nous plairiez-vous davantage. » Et je ne puis me tenir de vous laisser savourer la centième pilule : « De toutes les façons d'être prises, celle que les femmes préfèrent encore, c'est au sérieux. » — CINEMA B. C. La production française L'industrie cinématographique française - car, c'est une industrie, ne nous y trompons pas - traverse en ce moment la crise dont souffraient il y a vingt ans les industries d'art. Comme pour l'orfèvrerie, la bijouterie, l'ameublement, les textiles et le reste, après une période de production facile et de bénéfices rapides, est arrivée la période de resserrement et de difficultés financières. La situation est sérieuse. On peut et on doit en sortir, mais toutes les forces dont dispose la cinématographie française ne sont pas de trop pour en venir à bout. On n'arrivera, comme dans les industries d'art, au succès que par l'union entre les artistes et les fabricants ou exploitants. Or, jusqu'à ce jour, dans les congrès ou les commis cinéma, réglementant la production, l'exploitation et l'enseignement, et qui pourra se résumer en deux lignes : Le cinématographe est assimilé au théâtre. Il est régi par les mêmes lois et jouit des mêmes libertés. Dès à présent, il se dégage des discussions la volonté bien arrêtée de protéger la production nationale, par le contingentement, comme l'ont fait déjà l'Angleterre, l'Allemagne et l'Italie, et c'est un point qu'on peut considérer comme acquis, Restera à établir quels sont les films français, qui sont de nature à faire honneur à notre production à l'étranger et mériteront à ce titre d'être protégés. Ce sera l'Office national cinématographique qui en décidera, et la tâche, qui ne sera pas sans gloire, comportera plus d'un danger. Le moindre ne sera pas la difficulté de recruter dans la production française annuelle un nombre suffisant de films de première catégorie capables de servir de monnaie d'échange avec l'étranger. On s'apercevra, au moment d'en établir la liste, combien le nombre en est réduit, en dépit des éloges complaisants qui saluèrent leur apparition à l'écran. Mettons à part Napoléon, œuvre d'une telle envergure qu'on n'en a pas encore reconnu toute la portée, et que le cinéma en vivra peut-être pendant plusieurs années comme il vit depuis 1922 de la Roue. Voyons-nous des films qui s'imposent assez impérieusement pour entraîner l'unanimité d'une Commission d'examen ? Le Joueur d'échecs, de M. Bernard; Antoinette Sabrier, de Germaine Dulac; le Diable au cœur, de l'Herbier; Croquette, de Mercanton, dans les films dramatiques. Le Chasseur de chez Maxim, de N. Rimsky et Roger Léon ; le Mariage de Mlle Beule mans, de J. Duvivier ; le Chapeau de paille d'Italie, de René Clair, dans les comiques, Six et demi onze et la Glace à trois faces, de Jean Epstein; En rade, de Cavalcanti, dans la note dite « d'avant garde », tous ces films et d'autres qui ne me viennent pas à l'esprit — sont excellents. Peut-on les offrir à l'étranger en échange de Ben Hur ou de Métropolis ? Ne craignons pas de le dire. Le public mondial de l'écran réclame de « grands > films et le cinéma français n'en pro duit pas assez. Certes, la première raison de cette infériorité est imputable à des conditions économiques. Les capitaux investis chez nous dans l'industrie cinématographique sont de plus en plus réduits et, cercle vicieux dont il est bien difficile de sortir, cette pénurie de commanditaires empêche de réaliser des films à succès, de même que les échecs inévitables de notre production au compte-gouttes écartent de plus en plus les commanditaires de l'écran. Il n'est pas certain que d'autres raisons ne s'ajoutent pas à celle-ci pour expliquer la crise dont souffre la production française. On ne peut nier que la plupart des entreprises ne soient menées avec un manque absolu de méthode. Un metteur en scène (comme on devrait une fois pour toutes renoncer à cette appellation qui rappelle si fâcheusement la période où le cinéma cherchait à se rapprocher du théâtre !) se met à tourner avec les capitaux dont il dispose, souvent insuffisants, parfois même sur de simples promesses. Les ressources s'épuisent. La camera est remisée. Tout est à recommencer. Il n'est peut-être pas d'exemple d'entreprises conduites avec un tel mépris ou une telle méconnaissance des méthodes industrielles ou commerciales. Non seulement, avec ce défaut d'organisation, un commanditaire a peu de chances de retirer un bénéfice du capital engagé, mais il s'estime souvent très heureux de pouvoir le retrouver intact. Cette organisation industrielle, nécessaire, indispensable, seuls de grands groupements ou des firmes puissantes sont capables de l'imposer, mais il ne suffit pas de inettre de l'ordre dans la foire. Il faut aussi produire, et produire ce n'est pas, sur la première adaptation venue, plaquer des poncifs ou des situations cent fois rebattues : c'est créer, et pour créer il faut s'adresser aux créateurs. Nous revenons ainsi à la situation où se trouvaient les dirigeants des industries de luxe avant l'Exposition des arts décoratifs de 1925, et où ils consentaient à faire de l'art, mais en se passant des artistes. Le cinéma français ne sortira du marasme qu'en renversant toutes les barrières élevées par l'intérêt ou l'amour-propre et en réalisant sur son terrain l'union de l'art et de l'industrie. Aucun pays n'offre, comme le nôtre, une si belle réserve de talents originaux prêts à s'employer. Mais, réduits à leurs seules ressources, les œuvres de longue haleine leur sont interdites. Ils mettent au jour de délicats poèmes, des pièces d'anthologie. L'épopée Gance à part - leur échappe. Cependant quels trésors d'imagination, de trouvailles heureuses, de techniques imprévues et savantes, de science de l'éclairage et de prise de vue dans les films comme Six et demi onze ou la Glace à trois faces de Jean Epstein, dans la Coquille et le Clergyman, où Germaine Dulac a capté les hallucinations du rêve et s'est lancée à corps perdu dans le monde irréel du subconscient, dans cette Petite Lilie, de Cavalcanti, fantaisie éclose un jour de gaîté dans les heures perdues d'un studio, dans ce film à trois personnages Préméditation, où M. Paton fut à la fois auteur et acteur et trouva une formule nouvelle avec le minimum de moyens employés ? Pas une de ces œuvres, qui ressemble à sa voisine ni à aucune autre. Toutes sont issues de cet esprit créateur dont notre race est si facilement prodigue, mais dont elle laisse si complaisamment à l'étranger l'exploitation et les avantages. L'union de l'art et de l'industrie a imposé en 1925 au monde entier le style mobilier français. Réalisons ce front unique dans la production cinématographique. Notre ministre de l'Instruction publique et des Beaux-Arts nous viendra en aide comme arbitre et comme protecteur dans cette œuvre d'intérêt national. Cet accord conclu, la confiance reviendra à la Bourse des valeurs françaises cinématographiques. Les capitaux se mettront de nouveau au service de la plus grande invention des temps modernes, que nous avons fait naître et dont notre insouciance laisse aux ouvriers de la dernière leure, la gloire et le profit. MEMOIRES HENRI CLOUZOT. ET DOCUMENTS Souvenirs d'un vieux parlementaire De trop indulgents lecteurs des Souvenirs sur Gambetta (Revue de France) et sur le 16 mai 1877, publiés récemment par moi, ont bien voulu me demander si je ne pourrais pas les compléter par quelques notes relatives aux événements et aux hommes de cette époque lointaine, dont il reste aujourd'hui si peu de survivants. Malheureusement, entré à la Chambre en février 1876, à l'âge de vingt-six ans, je ne songeais guère alors à prendre des notes sur ce qui se passait sous mes yeux. Je n'avais pas même encore la passion des documents autographes. C'est seulement sous le 16 mai que je commençai à en recueillir quelques-uns. Mon âge fit de moi le secrétaire du groupe des 363, dont huit membres seulement vivent encore. J'en ai pour ainsi dire conservé les archives, car je possède les brouillons des ordres du jour et des proclamations rédigés par Spuller ou Henri Brisson, corrigés de la main de Gambetta, ainsi que les signatures des 363 députés républicains dissous pour avoir refusé leur confiance au duc de Broglie, signatures qui figurent au bas de leur célèbre manifeste au pays. Je ne puis donc fournir que des notes fort décousues, quelques portraits, quelques anecdotes qui ne forment pas un récit suivi, mais qui, du moins, ont le mérite d'une sincérité et d'une exactitude absolues. On se rendrait difficilement compte aujourd'hui de l'acharnement de la lutte électorale de décembre 1875 à janvier 1876. L'élection des sénateurs inamovibles, ce trait de génie de Gambetta qui sut détacher, moyennant l'abandon de quelques sièges, les royalistes purs de la majorité orléaniste, et ensuite l'élection des autres membres du Sénat, facilitèrent du reste notre victoire. Les conservateurs se faisaient les plus étonnantes illusions. Ils comptaient si bien sur le succès que, dans mon arrondissement, par exemple, où je jouais le rôle d'un candidat sacrifié |