Récemment, à Londres, sous le haut patronage de la reine, de huit princes et princesses et de cinquante-six gentilshommes, nobles dames et très hauts fonctionnaires, la XXX Exposition universelle de cuisine et d'alimentation a tenu ses assises avec l'éclat habituel mais, hélas! n'apporta aucun remède à cette unique cause de l'impossibilité du tourisme en Grande-Bretagne : la cuisine anglaise actuelle, cuisine qui, ayant totalement perdu ses anciennes et réelles qualités en s'incorporant de soi-disant << plats nouveaux >> ne peut qu'infliger de redoutables supplices aux touristes continentaux que sollicitent si justement les splendides cathédrales, les fastueux châteaux-musées, les vieilles cités pittoresques ou universitaires et les paysages, charmants ou romantiques, du District des Lacs, de l'Ecosse et surtout du sud et du sud-ouest de l'Angleterre. Cependant, le programme de cette manifestation pourrait servir de modèle à nos expositions, foires et salons que nous appelons trop facilement << gastronomiques » alors qu'ils sont souvent tout juste alimentaires. Ce programme impose l'union, la cohésion des efforts, les ententes intercoopératives, tandis que notre outrance individualiste nous incite aux petites chapelles. Au lieu de serrer les coudes, nous en jouons quitte à nous les meurtrir et nous tirons si bien la couverture à nous que le voisin et nous-mêmes en restons tout nus. Les groupements de gourmets ne sont pas exempts de ce travers car les incompétences y parlent haut et déjà l'on plaisante cette Académie des Gastronomes, pénible à fonder et que l'on taxe d'israélite plus que de gastronomique. Ces producteurs ne voient plus que le clocher et c'est ainsi que le manque d'entente nationale entre les vignobles bordelais, bourguignon, angevin, alsacien, champenois, rhodanien, méditerranéen nous a valu l'erreur économique et sociale des repas << vin non compris >> et l'effroyable dégringolade des vins et des produits alimentaires sur les marchés extérieurs. Pour éviter de telles fautes, si funestes à notre prestige gastronomique, il faudrait que chaque année, dans la capitale de chacune de nos grandes provinces, se tînt pendant une semaine, et en même temps que le comice agricole, une exposition régionale d'alimentation qui, sous le contrôle de quelques parfaits gastronomes du terroir, comprendrait une section gastronomique d'où seraient exclus tout ersatz et toute publicité. Organisées par les Chambres de commerce, les Syndicats de l'alimentation, la presse locale et innovation urgente le groupe gastronomique des Syndicats d'initiative, de telles expositions, rigoureusement fermées à ce qui n'est pas de la région, feraient plus pour la gloire de la Table française et pour les bénéfices matériels de leurs participants que la plupart des tentatives ébauchées actuellement à Paris ou en provinces. Puis, pour coordonner ces efforts, ce serait à Paris, du 15 novembre au 15 décembre la meilleure époque gastronomique une exposition générale de l'alimentation française comprenant une triple section gastronomique : la cuisine régionale, la grande cuisine française, la cuisine étrangère. Ce « Salon >> de la Table ne serait plus, comme 1 un parent pauvre et comique, à la remorque d'un. Salon d'Art ou d'une entreprise de réjouissances publiques, mais, pouvant se développer dans toute son ampleur et en toute indépendance, il ferait connaître au monde ce que chaque région française et Paris ont, annuellement, de meilleur : produits, chefs et cordons bleus, recettes, littérature gastronomique, arts appliqués et décoration, tout ce qui se rapporte réellement à la Table (et rien autre), architecture, appareils de chauffage et ustensiles de cuisine compris. Au lieu de cela, nous avons : l'Exposition des Arts ménagers, la Section de l'Alimentation à la Foire de Paris, la Section dite << gastronomique » du concours agricole, l'Exposition du foyer, l'Exposition culinaire, plus une Exposition culinaire et gastronomique en avril, un Salon de gastronomie et de l'alimentation en octobre et enfin la Section gastronomique du Salon d'automne. Huit expositions, sept de trop. L'on objectera que j'ai, moi-même, créé au Salon d'Automne et organisé en 1923 et en 1924 cette Section gastronomique régionaliste que, pleonasme puéril, on a rebaptisée Section d'art gastronomique régionaliste. Or, je ne l'ai imaginée que pour faire officiellement reconnaître et admettre la cuisine et la gastronomie au rang des arts. ce à quoi l'on n'avait pas encore songé pour rendre sa gloire à la cuisine traditionnaliste de nos provinces et dans l'espoir enfin d'en faire le naturel trait d'union entre tous les groupements parisiens et régionaux s'occupant de bonne alimentation et de réelle gastronomie, cela afin de dresser une barrière devant l'américanisme qui, par les cocktails, le jazz-band, les recettes saugrenues, la cigarette et la mauvaise tenue, menace d'anéantir la splendeur de la Table française. Je n'ai pu atteindre que mes deux premiers buts et c'est pourquoi - ayant au surplus constaté l'incompatibilité entre les tendances soviétiques et sépulcrales des « modernes >> du Salon d'Automne je n'ai pas voulu jouer une troisième fois toutes les difficultés pour le seul bénéfice d'un restaurateur concessionnaire. Du reste, la répétition d'une telle manifestation ne fait qu'affaiblir la portée du but qui avait été atteint dès la première année malgré les imperfections de la réalisation. En fait, cette section n'ayant ni évolué, ni présenté d'innovations depuis 1924, est contraire à l'esprit du Salon d'Automne. Que dire d'un Salon où l'on reverrait chaque année les mêmes tableaux, sculptures et objets d'art ?... Paris exige une seule, grandiose et véridique manifestation annuelle digne de la gastronomie française. On y arri vera. AUSTIN DE CROZE. Restaurant NOEL PETER'S « Ristorante Savoïα » 24, passage des Princes, (5 bis, Bd des Italiens), T. Gut. 18-15, Louvre 65-78. La bonne cuisine française. La véritable cuisine italienne. La renommée de ses caves. Grands et petits salons pour réunions et repas. Prix modérés. i CHRONIQUE est voisine de 800 mètres, son régime de rotation est bien celui que nous indiquons. C'est à l'énorme quantité d'énergie accumulée que représente une pareille vitesse, qu'il faut attribuer les effets de déchirement ou de tourbillonnement que produit la balle en traversant un obstacle. Ceux qui ont eu l'occasion de voir un sac de soldat perforé par une balle tirée d'assez près, n'ont pas manqué d'être stupéfaits en constatant quelle << salade > régnait à l'intérieur : linge et veste, tassés cependant, contre les parois et le reste des objets avec une fermeté toute militaire, sont enroulés en un tourbillon spiralé SCIENTIFIQUE que nulle poigne n'arriverait à obtenir : et cela s'est fait en Rotation et force centrifuge Les moteurs modernes nous ont habitués, depuis pas mal d'années déjà, à entendre parler, sans trop d'étonnement, de « régimes de rotation » très élevés : un moteur d'automobile de série peut atteindre et dépasser 3.000 tours par minute, et ceux, très « poussés », des voitures de course, vont jusqu'à 6.000, ce qui fait cent tours en une seconde. Encore ce régime est-il modéré, auprès de celui qui caractérise certains autres moteurs. Le grand ingénieur suédois Gustave Patrik de Laval, qui est mort il y a quelques années et qui fut avec Charles Parsons le véritable créateur de la turbine à vapeur, avait construit des machines qui tournaient à 15.000, 20.000 et même 25.000 tours à la minute, ce qui faisait trois à quatre cents tours à la seconde. Dans les turbines modernes, de plus grandes dimensions et où la vapeur peut ne pas être détendue à l'arrivée, les régimes de 6.000 à 10.000 tours à la minute sont encore chose courante. moins d'un centième de seconde, et par un petit morceau de métal qui pèse moins lourd que trois pièces de deux sous. Mais la formidable somme d'énergie rotatoire qu'il a emmagasinée au départ du canon, et qui agit suivant la puissance 2, est capable d'effets mécaniques terrifiants. On comprend que la balle qui perfore l'abdomen en tournant, entraîne dans son mouvement hélicoïdal la masse des viscères en un tourbillon qui peut produire une plaie effroyable si la balle est près de la fin de sa carrière : parce qu'alors les viscères lui opposent une résistance appréciable au lieu de se laisser traverser sans même avoir le temps d'amorcer un début d'enroulement; et aussi parce que la balle tourne et progresse plus lentement, et qu'elle a ainsi le temps d'effectuer un échange d'énergie et un entraînement notable de la masse intestinale. Dans le cas de la balle de fusil, la rotation se fait sans contact avec autre chose qu'avec l'air, dont les frottements sont, d'ailleurs, très élevés, mais moindres que ceux que produirait, à de pareilles vitesses, un contact solide. C'est en ayant recours à la « suspension gazeuse >>> que M.M Hugue Encore ces allures sont-elles bien dépassées si l'onnard et Henriot viennent d'obtenir des rotations de cônes descend à des appareils scientifiques de petites dimensions, et auxquels on ne demande pas de fournir une énergie industriellement utilisable. Lorsque Foucault, par exemple, exécuta ses recherches sur la vitesse de la lumière, il employa une petite turbine à air comprimé qui faisait tourner un miroir (minuscule) à 600 ou 800 tours par seconde, et plus de 1.000 au besoin. Le mouvement de rotation a, en effet, pour le physicien, cette précieuse qualité de lui permettre d'étudier d'une manière continuelle et aussi longuement qu'il lui plaît, un déplacement effectué à très grande vitesse: d'où son emploi si fréquent dans les recherches scientifiques. Dans le cas des expériences de Foucault, il s'agissait de faire tourner le miroir à une vitesse si considérable, que celui-ci avait le temps de dévier de manière appréciable pendant le trajet d'aller et retour, pourtant bien rapide, d'un rayon lumineux le quittant pour frapper un autre miroir, puis y revenant. métalliques de petites dimensions, à un régime qui dépasse de bien loin tout ce qu'on avait pu obtenir jusqu'ici: ils sont arrivés à onze mille tours par seconde. Une des grosses difficultés, lorsqu'on veut obtenir de très grandes vitesses de rotation, est en effet, le montage des pivots dans les roulements : le centrage de ce pivot doit être parfait, sans quoi le « balourd » dissymétrique créerait un effet complexe qui amènerait un effort transversal provoquant une rupture brutale de l'équipage. Il est illusoire d'espérer pousser aussi loin que la théorie l'exige, la précision du décolletage ou de l'ajustage sous ce rapport: si bien que de Laval s'en était remis aux forces mécaniques ellesmêmes du soin de centrer sa turbine. Le disque mobile était monté sur deux tiges d'acier simple, et qui pouvaient faire un certain angle avec lui, au lieu de lui être invariablement et rigousement perpendiculaire, comme doit l'être un essieu pour sa roue (mais ici avec une précision irréalisable): la rotation du disque créait automatiquement l'orientation correcte de l'arbre, précisément par suite même des efforts qu'elle provoquait continuellement et qui aboutissaient à tout instant à une résultante à laquelle obéissait ce montage déformable. C'est aussi ce que réalise instantanément et Il y a plus encore: bien peu de personnes ont réfléchi à la vitesse de rotation que peut acquérir une balle qui sort du canon d'un fusil rayé. Or, cette vitesse est de l'ordre de trois mille tours à la seconde : le pas des rayures est en effet de l'ordre de 25 centimètres, c'est-à-dire que la balle qui se moule contre ces rainures a tourné d'un tour quand elle a avancé de cette lengueur; elle tourne donc de quatre tours par mètre. Comme sa vitesse à la sortie de la bouche | fidèlement la suspension par jet d'air employée par La lubrification, ou graissage, des parties tournantes en contact, est une pratique vieille comme le monde : il serait ❘ mètre tournant à 10.000 tours par seconde, le calcul indique MM. Huguenard et Henriot pour soutenir leur toupie métallique : elle a une base conique épousant un support creux à 90° par où arrive de l'air à 3 kilogrammes de pression par centimètre carré. La rotation est donnée par cet air qui arrive par des tuyères obliques sous un angle d'environ 100° à 120°, agissant sur une série de rainures | radiales ou hélicoïdales. Les vibrations qui se produisent toutes les fois qu'une surface se déplace au contact d'une autre, se reproduisent à chaque tour lorsque la pièce mobile ne progresse pas en ligne droite, mais tourne. Ces vibrations sont multiples, car diverses parties du pivot, du disque, des paliers, etc., vibrent pour leur compte, chacune avec sa période propre selon ses dimensions et son poids ; il en résulte que plusieurs sortes différentes de vibrations se trouvent coïncider à certains moments ce qui en engendre alors une nouvelle de période plus lente, et ainsi de suite. Un corps tournant est donc en proie à un ensemble extrêmement complexe de vibrations, dont quelques-unes peuvent en provoquer « par résonance > d'autres de même période dans la masse métallique : comme une marche cadencée peut amorcer, entretenir et amplifier le mouvement d'oscillation pendulaire d'un pont suspendu ou d'une passerelle, si les dimensions de celle-ci se trouvent par malheur lui donner une durée d'oscillation égale à celle du pas cadencé amenant périodiquement le choc. Les vibrations ainsi amorcées par résonance peuvent additionner leurs effets au point de produire des efforts déformants qui provoqueront la rupture de la masse tournante ou de ses paliers ou crapaudines. Dans toute machine à grande vitesse, l'effet de ces << oscillations forcées » est un des gros soucis des constructeurs et des usagers; ici, leur influence peut prendre une gravité exceptionnelle, toute déformation d'une pièce soumise à de tels efforts mécaniques pouvant facilement amener un désastre. Bien d'autres difficultés se présentent dès que l'on veut acquérir un régime de rotation rapide. L'usure des pivots et de leurs supports ne croît pas, comme on serait tenté de le croire d'abord, avec une grande rapidité : la perfection du centrage et de l'ajustage ne laissant pas se produire de flottement, broutement ou ballant ; et ce sont surtout les efforts dissymétriques qui engendrent l'usure. La poussée d'une manivelle par bielle, par exemple, tend à produire une ovaI'sation du piston et des paliers qui est inconnue à la turbine. On réduit, d'ailleurs, au minimum les surfaces frottantes par l'emploi systématique des roulements à billes à plus forte raison par support par l'air comprimé dans la toupie métallique de MM. Huguenard et Henriot. non à la qualité de « liquide ». L'effort supporté par cette mince couche devient énorme ; mais si son épaisseur devient extrêmement faible, les molécules du lubrifiant révèlent une résistance au déplacement inattendue. Les conditions du graissage changent complètement avec celles de l'ajustage des parties tournantes, et les laboratoires de la BrownBoveri, qui construit les turbines Parsons, ont révélé de curieuses choses là-dessus. Il semble bien que les quantités de lubrifiant couramment employées dans l'industrie mécanique, peuvent être abaissées dans une proportion invraisemblable, monstrueuse. Au surplus, bien d'autres surprises nous attendent probablement dans le choix des matières lubrifiantes: le manque de graisse minérale pendant la guerre a activé les recherches à ce sujet en Allemagne, et le graissage à l'eau pure ou à l'air chaud, fait dans des conditions très spéciales, il est vrai, est actuellement à l'étude. Dans une pièce tournant à grande vitesse, il se développe, comme on sait, une force dite centrifuge qui tend à repousser loin du pivot central la matière tournante, et qui croît beaucoup plus vite que la rotation. Or, le mouvement de déplacement du pourtour de la roue est lui-même d'autant plus rapide que le rayon est plus grand. Un disque à ailettes, ou rotor, de turbine à vapeur qui aurait 1 mètre de diamètre, fait décrire à chaque tour 3 mètres 14 c. à un point de sa circonférence, donc 31 kilom. 416 mètres en une minute si le rotor tourne à dix mille tours : cela fait plus de 250 mètres à la seconde, la vitesse d'une balle de fusil! L'effet d'arrachement centrifuge devient alors énorme : la fixation des ailettes sur la jante du rotor doit être extrêmement solide, et il n'est pas rare qu'une meule ou qu'un volant, même tournant à vitesse bien moindre, éclate en projetant vers l'extérieur ses molécules incapables de résister à l'effort centrifuge. Dans les petites toupies à suspension aérienne de MM. Huguenard et Henriot, la résistance de la masse, en bon acier, n'est obtenue qu'en réduisant ses dimensions à très peu de centimètres : leur toupie de 11.000 tours à la seconde n'a que 11 mm. 7 de diamètre. Cela donne à un point de son pourtour une vitesse de 404 mètres à la seconde, ce qui est admissible. Ils ont obtenu 1.700 tours à la seconde avec des toupies plus volumineuses (72 mm. de diamètre, poids 600 à 800 grammes). Mais le plomb qu'on y enferme, beaucoup moins résistant à la déformation que l'acier, se laisse étirer par cette terrible contrifugation et coule littéralement à froid : la toupie ouverte après rotation montre le plomb massé à la périphérie de son logement, dont le centre est vidé. Pour une toupie de 12 millimètres de dia impossible d'estimer l'époque où l'homme imagina de graisser les moyeux de roues de ses chariots, ou les madriers sur lesquels il déplaçait de lourds objets. Mais sa théorie est très délicate et très complexe ; elle a donné naissance à de nombreux travaux, qui sont encore loin d'avoir dit le dernier mot. Il s'agit, en somme, de séparer les deux surfaces qui sont censées « en contact », par une très mince pellicule dont il devient difficile de préciser si elle a encore droit ou une force centrifuge qui vaut près de deux millions et deml de fois la force attractive de la Terre que nous appelons pesanteur : c'est-à-dire qu'un gramme de plomb ou d'acier pris sur le pourtour de la toupie tournante, exerce le même effort que s'il pesait deux tonnes et demie, le poids d'un camion; et cela sur les quelques millimètres carrés qu'oc cupe à la jante ce petit morceau de métal. On comprend que les meilleurs aciers puissent éclater sous un tel effort. La Terre, toupie tournant à raison d'un tour seulement | par jour, mais de fort grand diamètre, et dont un point de l'équateur se déplace de 463 mètres par seconde, nous Quand on a de pareils ancêtres, on ne peut être que monarchiste. Il l'était, l'avait toujours été, et le serait jusqu'à la mort. Foin des sots qui pouffaient parce qu'il s'était si longtemps entêté, en dépit de tout le monde, à rédiger ordres et rapports au nom du tsar. Il s'était toujours moqué des rieurs qui ne manquaient point par intervalle de s'amuser de lui derrière son dos. Sa robuste foi, en effet, n'allait pas sans un peu de superstition et de simplicité. Pour rien au monde, par exemple, il n'aurait pris la mer un lundi, le lundi étant chacun sait cela - un jour néfaste. L'amiral l'ignorait, lui, et il arrivait souvent que ce cancre l'envoyât patrouiller ou se battre un lundi. Instantanément, Manstein inventait un accident de machine qui durait exactement jusqu'à minuit une minute. A partir du mardi 0 heure, on pouvait faire de lui ce qu'on voulait jusqu'au dimanche soir. Jamais il n'aurait supposé qu'on pût sourire d'une croyance aussi saine et qu'on le soupçonnat d'être en la circonstance, un tantinet indiscipliné. Car il savait l'appliquer, lui, la discipline, avec un ton sec, des façons brusques, autoritaires qui empêchaient les officiers et les matelots de l'aimer tout de suite. On se rattrapait plus tard, dès qu'on centrifuge » aussi de façon appréciable : du fait de notre gyration continuelle, nous sommes quelque peu soulevés, c'est-à-dire allégés. Nous perdons ainsi, à l'équateur, plus d'un quatre-centième de notre poids, soit deux cents grammes pour un homme moyen. A Paris, plus voisin du pôle au pivot, et donc tournant plus lentement, cet allègement est beaucoup plus faible. Il est nul au pôle, où ne s'exerce pas de force centrifuge. Si la Terre tournait 17 fois 1/2 environ plus vite, l'influence de la rotation croissant comme le carré de la vitesse, nous serions centrifugés avec une intensité qui ne nous laisserait plus d'adhérence à la croûte terrestre, c'est-à-dire de poids: gens et maisons seraient des groupes d'atomes flottants. On a calculé l'énergie que représente la boule terrestre en rotation: je n'essaierai même pas d'en donner une idée, tellement ce nombre monstrueux possède de zéros : deux cents milliards | le connaissait mieux, car il était, en dépit de sa brutale écorce, de milliards de milliards de milliards de kilogrammètres. RÉMI CEILLIFR. VOYAGES Le dernier voyage du torpilleur Jarky (Suite) Manstein, tout en monologuant de la sorte, était arrivé ce jour-là devant le palais de la Tchesmenskaya où se trouvaient réunis tous les services de la marine de la mer Noire. On ne le promena pas de bureau en bureau. Il savait ouvrir les portes lui-même et parler à n'importe qui d'un ton ferme. L'habitude qu'il avait de regarder les gens dans les yeux, l'empêchait de s'attarder trop à compter les étoiles et les aigles brodés sur leurs épaulettes. Il vit donc l'amiral et s'en fit écouter. L'autre, absorbé par mille soucis, consentit à tout pour se débarrasser au plus vite de ce quidam exalté. Il voulait être remorqué ? Eh ! bien, on le remorquerait. Qui ? décidément ce capitaine de corvette exagérait. On vous le fera savoir demain, lui cria dans l'oreille un officier en le poussant dehors. Ouf ! tout ensemble bon, brave et magnifique. A l'occasion, il n'oubliait même pas d'être gai, voire assez gaillard. Pour l'heure, il s'épongeait le front, assis au bord du lit. Il avait aussi chaud que ce jour-là où il était revenu du palais de la schesmenskaya, furieux contre ces ânes, mais content tout de même de l'avoir emporté. Rentré à bord, il n'avait plus perdu son temps. Des corvées avaient été immédiatement envoyées à terre avec l'ordre de reprendre aux asines les pièces démontées des machines. C'était ce qui pressait le plus avec la remise en état du gouvernail. Après quoi, il avait commandé au reste de l'équipage de vider, et rapidement, les magasins d'approvisionnement et les docks du port. Le Jarky, se racontait-il, ressembla bientôt à un bazar. Des cales au pont, s'empilaient les marchandises les plus diverses: du pain, des conserves, des peaux, des étoffes, du naphte, de l'acier. On prenait tout ce qu'on pouvait ! Il fallait emporter de quoi manger et aussi des matières premières d'une vente facile pour payer en route le charbon, les droits de stationnement, les multiples dépenses du voyage. Du jour au lendemain, on allait se trouver sans un centime. Il était évident qu'aussitôt la Crimée abandonnée, le papier-monnaie imprimé par le Gouvernement du Sud de la Russie ne vaudrait plus rien. Jamais l'avenir n'avait paru aussi noir. D'abord on ne savait pas où l'on allait. Le général Wrangel l'avait déclaré dans son dernier message à l'armée et à la population : « Le sort des partants est absolument inconnu. Aucune nation étrangère n'a encore consenti à les recevoir. Dans ces conditions, le Gouvernement du Sud de la Russie se voit dans l'obligation de conseiller à tous ceux qui ne sont pas directement menacés par les représailles de l'ennemi de demeurer en Crimée. Il prévient enfin les réfugiés qu'il ne possède aucun moyen pour les aider pendant la traversée et après. » Chacun avait lu ces lignes peu rassurantes et l'effroi se lisait sur tous les visages. Les familles des marins, bien qu'un transport spécial leur eût été affecté, refusaient d'y embarquer et s'installaient auprès de leurs proches sur les navires de guerre. Ainsi, on était certain de ne plus être séparés ! Si les bateaux réussissaient à prendre la mer, on descendrait ensemble dans le même port. Si les Rouges pénétraient à Sébastopol avant la fin de on aurait au moins Manstein ne s'était pas froissé des façons un peu cavalières de cet imbécile. On acceptait de le remorquer ; le Jarky ne serait pas livré aux voyous de Moscou ! C'était l'essentiel. Il avait alors mieux respiré, et comme avait dû respirer, cent soixante-dix-neuf ans plus tôt, son illustre aïeul, le capitaine de la garde Manstein en sortant avec sa compagnie du palais des tsars où il venait de chasser Jean VI et sa séquelle allemande | l'évacuation ce qui était fort possible pour mettre, à sa place, sur le trône, Elisabeth Petrovna, la fille de Pierre le Grand. (1) Voir l'« Opinion > du 14 janvier, la consolation de s'embrasser une dernière fois avant de mourir. Une trentaine de femmes et d'enfants, cramponnés aux pauvres débris de leurs biens contenus dans des sacs et dans des caisses, avaient envahi déjà le Jarky. Ils gisaient sur les couchettes des : cabines, sur les hamacs des matelots, ils encombraient le pont | dré d'or dans le soleil couchant et je répétais monotonement : étroit du torpilleur. Cet afflux de personnes dolentes gênait les mouvements des hommes employés au chargement et qui devaient exécuter encore ce travail avec une précipitation folle. << Chargez ! Chargez ! >>> Les ouvriers des ports et des chantiers grouillaient sur le quai en emportant sous leurs bras des vêtements militaires. « C'est n'auront pas. >>> Les officiers et l'équipage ne mangeaient plus, ne dormaient | bon pour le peuple, ricanaient-ils. Autant que les bolchevistes plus. Par intervalles, on avalait un peu de thé tiède en grignotant un morceau de pain, puis, les manches retroussées, soufflant et suant, on recommençait de hisser les ballots de peaux, les blocs d'acier. Oh! les braves gens, soupirait Manstein. Au milieu de cet affairement étaient arrivés les volontaires, choisis au hasard dans l'armée pour remplacer les mécaniciens et les chauffeurs qui se préparaient à abandonner le bord. Le commandant revoyait ces malheureux matelots qui se figuraient, bien à tort, que leur qualité de prolétaires leur vaudrait la clémence des Rouges, s'éloigner en troupe le long des quais vers les faubourgs. Certains tiraient derrière eux leur femme et leurs gosses. Ils s'en allaient se cacher dans les montagnes avec l'espoir de rentrer à Sébastopol, une fois les premiers massacres passés. Cependant ies nouveaux venus s'installaient à leurs places. La plupart n'étaient jamais montés de leur vie sur un navire de guerre. Ils contemplaient stupides les pièces étiquetées enfin rassemblées dans les salles des machines. Comment s'y prendraientils pour remonter toute cette ferraille ? Ils n'étaient point les seuls qui se posassent la question, ajouta Manstein. Ce que j'ai pu pester encore contre ces satanés états-majors qui vous envoient des charcutiers sur un torpilleur. Décidément, le voyage s'annonçait mal. Quand le commandant apprit le 30 octobre quel était l'incroyable bâtiment qui remorquerait le Jarky, sa mauvaise impression s'accentua et sa colère monta. L'amiral avait tout l'air de se fiche de lui! Il avait désigné, pour tirer le petit torpilleur, le transport atelier géant Cronstadt qui était une véritable usine flottante servant à la fois à la réparation des navires et à la fabrication des obus, des sabres, des lances, des charrues, des pelles, des fers à cheval et même des médailles militaires. Il était impossible d'accoupler ensemble deux navires de tonnage plus différent. A tout autre moment, une pareille décision aurait pris les allures d'une assez lourde plaisanterie. On pouvait se demander encore si le Cronstadt qui était mouillé, depuis des années dans le port de Sébastopol, parviendrait jamais à lever ses ancres couvertes d'algues et de rouille. Des bruits inquiétants circulaient enfin sur le compte de son équipage composé presque entièrement d'ouvriers. On les disait peu sûrs et très capables, à la dernière minute, de se mutiner et de s'opposer au départ. Nous ne sommes pas encore sortis de Sébastopol, maugréaient les officiers résignés ou plutôt résolus à tout. Et moi je vous dis, avait gueulé Manstein, que l'on partira. Je ne veux pas leur laisser mon bateau. Le 31 octobre, vers le soir, il contemplait le mouvement frénétique du port où entraient quantité de navires venus à toute vitesse de Varna, de Constantinople, de Batoum et même, par un heureux hasard, d'Arkhangel et de Vladivostok, pour secou rir l'armée et la population, quand il aperçut soudain le Cronstadt qui se mouvait pesamment sur l'eau. Le monstre, quel soulagement ! avait pu détacher ses ancres. Les torpilleurs, alignés près du Jarky, se mettaient maintenant en route, se dirigeant vers la rade extérieure. Le petit bâtiment allait bientôt demeurer seul le long des quais. C'est vrai, se rappelait Manstein. Je ne pouvais pas me décider à donner l'ordre d'abandonner pour toujours la Russie. Mes yeux s'attachaient désespérément à Sébastopol tout pou De la salle graine en général, tous ces gars-là. Ils ne nous aimaient guère et pourtant ils avaient pitié de nous. Ils aidaient gentiment les matelots à porter les sacs de farine et les blocs d'acier jusque sur le pont du Jarky. Parce que nous allions tous être demain, des miséreux, des vagabonds, nous leur devenions soudain chers. Ah ! comme ils sont demeurés Russes au fond, en dépit de la révolution. Beaucoup nous suppliaient de rester : « Ne partez pas, pleurnichaient-ils. Ne partez pas. Nous vous défendrons. Vous êtes nos frères. Des cendez. Ne partez pas. » Ils ne nous auraient pas défendus; mais ils le croyaient. C'était touchant et idiot. Enfin, ils s'éloi gnèrent, l'air navré. La nuit s'avançait, et bientôt les quais déserts se couvrirent d'ombres et tout devint indistinct. De loia en loin, on apercevait dans les ténèbres, un retardataire qui cou rait affolé en criant le nom d'un bateau. Sur la mer triste pas sèrent les transports Yalta et Grand-Duc-Alexandre qui emme naient les blessés, puis brusquement le ciel se teignit en rouge au-dessus de la ville. >>> Manstein écarquillait les yeux. On aurait dit une effroyable apothéose. C'étaient les stocks de la Croix-Rouge américaine installés dans un vaste immeuble près de la gare qui brûlaient. Par les centaines de fenêtres des six étages, d'énormes flammes s'échappaient, d'autres crevaient le toit; des étincelles incandes centes montaient droites parmi les étoiles. Les murs s'effon draient, des femmes, devenues folles, enjambaient les balcons, se précipitaient dans le vide. La lueur de ce furieux incend couvrait le ciel entier, découpait en ombres chinoises les tanks et les autos démolis hissé sur les wagons de la gare, éclairal tragiquement les rues et les embarcadères parsemés de points noirs. Partout traînaient des armes abandonnées, des mitrail leuses brisées, des valises vides, des chaises, des tables, jusqu'à des armoires et des lits. Chacun était parti de chez soi avec une voiture, une brouette ou bien accompagné d'amis qui l'aidaient à porter ses bagages. Peu à peu, en avançant vers le port, on avait compris que les bateaux ne prendraient pas tout. On avait abandonné un objet, puis un autre. Cela semblait moins pénible de ne pas s'en séparer d'un coup. Le réfugié se transformait ainsi, le long de la route, en émigrant qui n'emporte sur son dos qu'un humble baluchon. Les rues de la ville, illuminées par l'incendie, ressemblaient au plancher d'un intérieur déménagé à la hâte. A travers ce bric-à-brac fracassé, les troupes, venant des faubourgs, s'appro chaient, le dos croulant sous les sacs. Leurs pas lourds glissaient vers les quais de la Baie Nord. Le général Wrangel avait ordonné de laisser au peuple russe tout ce qu'on ne pourrait pas embarquer. Des chevaux, des voi tures, des canons, des automobiles étaient abandonnés partout Certains régiments, au passage, n'en jetaient pas moins leurt fusils et leurs mitrailleuses dans l'eau. Plusieurs batteries furent de même précipitées dans la mer. On entendait les hommes pes tant, grognant, monter les échelles des navires sous le ciel tou jours rouge. Là-bas, dans la campagne, l'arrière-garde composée d'aspi rants continuait de battre en retraite prête à contenir toute pres sion même légère de l'ennemi. Ainsi s'écoula la dernière nuit, murmura Manstela enfoncé dans ses souvenirs. Et l'aube du 1er novembre se leva. |