JOURNAL DE LA SEMAINE PARAISSANT TOUS LES SAMEDIS 7 bis, Place du Palais-Bourbon, Paris, Vll Arrondissement SOMMAIRE DU SAMEDI 14 AVRIL 1928 ....................... La catastrophe du Chemin de fer du Nord a cruellement frappé notre rédacteur en chef et notre ami, Jacques Boulenger. Sa fille Catherine, âgée de deux mois, est morte dans les bras de sa « nounou » sous les yeux de sa mère. Mme Jacques Boulenger, hospitalisée à Lariboisière dans un état grave, les jambes broyées, et l'esprit toujours hanté de cette atroce vision a pu être cependant transportée jeudi matin à la clinique du docteur de Martel. Tous ceux qui collaborent à l'Opinion aux côtés de Jacques Boulenger prennent part à sa très grande douleur, et forment des vœux sincères pour que l'amélioration de l'état de Mme Boulenger vienne au moins lui apporter quelque consolation dans son malheur. M ALGRÉ ses difficultés internes - ou peut-être à cause d'elles la Révolution russe poursuit au dehors son œuvre de destruction systématique. Elle « travaille » le proche et l'extrême Orient. Elle « travaille » l'Europe centrale. Elle <<< travaille » aussi chez nous, mais d'une autre manière et qui risque d'abuser notre facile confiance. Il semble, en effet, que la propagande communiste s'efforce dans la présente campagne électorale de rassurer l'électeur français. Son langage est plus prudent, son activité plus soumise. L'effort n'est pas moins grand. On le peut mesurer. Le communisme a des candidats partout. Partout, ils occupent les tribunes, pérorent dans les auberges, distribuent des tracts, multiplient les affiches. Effort d'hommes, effort d'argent, partout considérable et qui prouve des états-majors nombreux et disciplinés, une caisse largement alimentée et généreuse. L'objectif immédiat de cet effort paraît être de désorganiser les troupes socialistes, de les débander. Le socialisme se rend-il compte du danger ? Il n'est pas permis de supposer le contraire. Mais il réagit mal. Trop sensible aux circonstances locales, à l'intérêt électoral, il n'oppose pas un front continu à l'offensive moscoutaire. Tantôt, il traite le bolchevisme en allié, tantôt en ennemi, selon les besoins non pas de sa cause mais du second tour. Cependant, l'heure viendra, et elle viendra vite, où il faudra que les S. F. I. O. choisissent pour être demain l'aile droite de l'armée révolutionnaire ou l'aile gauche de l'armée républicaine, car de toutes façons leur position actuelle est intenable, М. С. NOVE CE QU'ON DIT Voltaire et la publicité au XVIIIe siècle. Nos prospectus les plus lyriques ne peuvent que rivaliser avec ceux du XVIIIe siècle, où, déjà, l'on n'ignorait rien des subtilités de la réclame. Relisons, en effet, ce que Voltaire écrivait à l'abbé 'd'Olivet, en janvier 1767 : « Il m'est tombé entre les mains l'annonce imprimée d'un marchand de ce qu'on peut envoyer de Paris en province pour servir sur une table. II commence par un éloge magnifique de l'agriculture et du commerce ; il pèse dans ses balances d'épicerie le mérite du duc de Sulli et du grand ministre Colbert; et ne pensez pas qu'il s'abaisse à citer le nom du duc de Sulli, il l'appelle l'ami d'Henri IV; et il s'agit de vendre des saucissons et des harengs frais ! Cela prouve, au moins que le goût des belles lettres pénètre dans tous les états et il ne s'agit plus que d'en faire un usage raisonnable. >>> Lloyd George et le Cinéma. Dans la retraite où il vit aujourd'hui, à Churt, dans le Surrey, M. David Lloyd George s'est révélé un fervent admirateur du cinéma. Tous les vendredis on lui envoie de Londres un film qu'il fait projeter le samedi soir dans son cabinet de travail devant quelques amis et même en présence de certains de ses fermiers qu'il convie à ces représentations. C'est son chauffeur qui sert d'opérateur. Quant à M. Lloyd George, il laisse à ses fournisseurs le soin de choisir pour lui les films qu'ils lui envoient, il veut, en effet, avoir « la surprise ». Le diocèse écossais de Sodor et Man vient de recevoir un nouveau titulaire qui est nommé, officiellement : <<< Evêque de Man, de Sodor et de Sodor et Man ». Ce titre quelque peu compliqué fut la cause d'une méprise qui advint à son prédécesseur pendant la guerre. Il s'était rendu sur le front pour y visiter les régiments britanniques. De passage au. G. Q. G. de l'armée française, un offi cier chargé de le présenter ayant mal compris son titre << d'évêque de Sodor et Man », le nomma tout simple ment : « Evêque de Sodome et Gomorrhe », ce qui lui valut un certain succès de curiosité. Publicité rimée. Nous trouvons ces annonces-réclames dans un Guide des chemins de fer du siècle dernier : ARTICLES DE BUREAU Encrier pompe à godet mobile L'écrivain étourdi sans danger me culbute, Je ne sais me venger par aucune noirceur ; Et pourtant je contiens une bien noire sœur. Mais qu'en roulant, mon flanc, ma tête ou mon fond bute Si peu qu'il me caresse avec sa plume à sec, Mon cœur s'ouvre aussitôt, et ma noire sœur même, En juste quantité, par un bienfait extrême, Donne un liquide frais pour en emplir le bec. Calendrier annuaire perpétuel Remplaçant par les yeux la mémoire infidèle, Taillecrayons Amimine Moi, sans casser la mine (amimine on m'appelle), Coupant le bois en long, taillant la mine en bout, En cône rond, carré, long, court, pour chaque goût, J'eusse été recherché par le crayon d'Appelle. Hâtons nous de dire qu'il semble extrêmeinent vraisemblable que la victoire doive demeurer aux partisans d'une AFFAIRES EXTERIEURES politique de conciliation internationale, et plus spéciale Les élections allemandes La France va voter le 22 avril. L'Allemagne votera le 20 mai. Ainsi la vie politique des deux grands voisins, si souvent ennemis, s'écoule-t-elle selon un rythme parallèle... Les prochaines élections allemandes méritent d'être suivies en France avec une attention particulière. Du scrutin du 20 mai sortira en effet ou la répudiation ou l'approbation définitive de cette politique extérieure de détente et d'entente que le D' Stresemann a eu jusqu'ici beaucoup de peine à faire accepter par un Reichstag en grande partie nationaliste. On s'exagère volontiers, il est vrai, l'importance que jouent les questions extérieures dans les élections des pays autres que le sien. Ainsi les Allemands s'imaginent-ils que, dans la campagne électorale qui se poursuit actuellement en France, on parle beaucoup de politique étrangère. Ce qui est inexact. (Il n'en était pas tout à fait de même dans la campagne qui a précédé les élections du 11 mai 1924.) Pourtant, et par exception, il semble bien que, au prochain scrutin, les Allemands voteront d'abord pour ou contre la politique extérieure du D' Stresemann. Cette position de la question est toute récente. Jusqu'à ces derniers temps, les nationalistes eux-mêmes se ralliaient, ou feignaient de se rallier, à une ligne de conduite qui a déjà valu au Reich tant de substantiels avantages. C'est que ce ralliement était la condition du maintien de la coalition nationalo-populo-centriste qui permettait aux nationalistes de participer aux avantages du pouvoir. Au cours des dernières semaines, il est apparu que, pour des raisons de politique intérieure, cette coalition ne pouvait plus durer. Le centre catholique en effet, ce grand parti opportuniste, a nettement signifié à la droite nationaliste qu'il n'entendait plus, dans le prochain Reichstag, collaborer avec elle. La coalition qui avait jusqu'ici soutenu vaille que vaille le cabinet Marx-Stresemann s'effondrant, les nationalistes n'ont plus aucune raison de maintenir les concessions faites par eux sur le terrain de la politique extérieure. Au contraire, abandonnés par leurs alliés du centre, ils se voient obligés d'en chercher de nouveaux à l'extrême droite, du côté des ultra-nationalistes, des monarchistes et des racistes intransigeants. D'où la récente déclaration par laquelle le comte Wes ment de rapprochement franco-allemand. Les élections partielles qui ont eu lieu en Allemagne au cours des derniers mois ont, presque toutes, marqué un succès pour les partis de gauche et tout fait présager que ces symptômes seront confirmés par les élections générales. Le système électoral allemand, système de rigoureuse représentation proportionnelle, permet difficilement, il est vrai, un renversement complet de la répartition des partis dans deux Reichstags successifs. Cependant, tous les observateurs s'accordent à estimer que, du scrutin du 20 mai, les groupes d'extrême droite et de droite sortiront très diminués et le groupe social-démocrate notablement renforcé. Les avis diffèrent par contre quant aux gains et aux pertes devant affecter la composition du groupe du centre, du groupe démocrate (radical) et du groupe communiste. En tout cas, la coalition nationalo-populo-centriste est définitivement condamnée. On peut seulement se demander si la prochaine coalition gouvernementale qui englobera presque nécessairement les socialistes, les démocrates et le centre catholique comprendra également ou non le groupe populiste (droite modérée). Si les socialistes arrivent suffisamment nombreux dans le nouveau Reichstag sans doute répugneront-ils à s'allier avec ce dernier groupe, qui est celui des grands industriels. Dans ce cas, les populistes se verraient rejetés dans l'opposition. Or, il ne faut pas oublier que le parti populiste est celui du ministre des Affaires étrangères du Reich. On pourrait très bien par suite asssiter à ce paradoxe la victoire de la politique Stresemann aboutissant à l'élimination de M. Stresemann lui-même. Il ne semble pas que les Français doivent appeler 'de leurs vœux un triomphe aussi radical de la gauche et de l'extrême gauche allemandes. La politique de conciliation pratiquée par M. Stresemann a pu réussir justement parce qu'elle avait pour promoteur un homme de droite (de droite modérée, il est vrai, mais de droite) et qu'elle prenait ainsi un caractère national. Si cette politique devenait l'apanage des seuls partis de gauche (ceux-ci eussent-ils au Reichstag une écrasante majorité), elle risquerait fort de souffrir du même coup, auprès d'une fraction importante du peuple allemand, d'une redoutable impopularité. Et, étroitement impliquée dans la lutte des partis, devenue un outil de combat, elle 6 ne tarderait pas à dévier et à apparaître bientôt méconnaissable et inutilisable. Une politique de rapprochement franco-allemand ne peut en effet, croyons-nous, s'exercer efficacement que sur le plan des intérêts. M. Stresemann, homme de droite et représentant des grands intérêts économiques, l'a installée sur ce plan-là, qui est fécond. Un homme de gauche, et surtout d'extrême gauche, la ferait sans doute glisser sur le plan sentimental, qui est stérile quand il n'est pas générateur de malentendus... Qu'on se souvienne d'une certaine entrevue de Chequers ! Cela ne veut pas dire qu'il faille souhaiter en France la victoire de la droite allemande. Ce serait absurde car on vient de voir que les événements ont entraîné celle-ci à s'opposer catégoriquement à la politique de détente. Cela signifie simplement que nous aurions tort de nous réjouir d'un triomphe trop complet de l'extrême gauche. L'œuvre de rapprochement franco-allemand est une œuvre de longue haleine qui demande des têtes froides, patientes, précises. On les trouve rarement dans les partis extrêmes. JACQUES CHASTENET. NOTES ET FIGURES Et chez nos voisins d'outre-Manche, comment cela se passe-t-il ? Voici quelques souvenirs rétrospectifs : Une rue de Londres, en janvier 1906. Dans le tohubohu des omnibus, des camions et des cabs, on remarque une automobile peinte en bleu. A côté du chauffeur, un monsieur très correct; derrière, sur la banquette, deux Chinois. L'automobile s'arrête, la foule l'entoure. Le gentleman très correct se lève, harangue les passants, tandis que les Chinois leur lancent des prospectus. « C'est quelque manager de cirque qui fait un boniment », pense l'étranger qui assiste à la scène. Il attrape au vol un des prospectus, et quel est alors son étonnement de lire : Voter pour un tory, C'est voter pour le rétablissement de l'esclavage. Voter pour Ward, C'est voter pour la liberté ! Il s'agit bien de cirque ! Le gentleman qui discourt devant la foule est M. Ward, candidat libéral à la Chambre des Communes; il traite pour ses électeurs la question de la main-d'œuvre chinoise au Transvaal. Nous avons peine, en effet, à nous imaginer les étranges procédés aux 2 quels on a recours, chez nos voisins, en temps de période électorale, pour frapper l'attention publique. D'abord, les affiches. Et quelles affiches ! Que nou << papillons » et nos « professions de foi > sembleraient an Anglais d'insuffisantes réclames ! Chez eux, l'affiche élec torale est illustrée. A côté du portrait du candidat, figure dans une attitude très digne, s'étale la caricature de som adversaire, ridiculisé à souhait. Cette année, c'est contre M. Chamberlain que se sont acharnées les affiches libreéchangistes. On l'a vu, avec son visage glabre et son monocle vissé à l'œil, sous les aspects les plus grotesques, en vieille miss, en clown, en diablotin, en cocher, en pâtissier, en employé des pompes funèbres. Ces fantaisistes compositions, va-t-on se contenter de les coller aux façades des maisons qui disparaissent, du rez-dechaussée au toit, sous un manteau bariolé ? A l'affiche placardée combien est préférable l'affiche qui marche ! Donc, des hommes-sandwich promènent des affiches sur leur poitrine et sur leur dos. Des véhicules de toutes sortes, charrettes, breaks, cabs, tilburys, mail-coaches, parcourent villes et campagnes, ornés de grandes pancartes où on lit : << Votez pour X... », tandis que les agents du candidat lancent aux passants des bulletins à son nom. Plus l'équipage est singulier, et plus il a chance d'attirer l'attention des badauds. A White-Chapel, un camion automobile, tout pavoisé de drapeaux, était occupé par une trentaine d'enfants qui agitaient des pancartes au nom de D. Hope Kyd, et chantaient des chansons unionistes. A Birmingham, une petite voiture traînée par une chèvre exhibait une affiche: << Votez pour Chamberlain. » Ailleurs, la fille d'un candidat, âgée de treize ans, se promenait à bicyclette, une affiche au nom de son père fixée à son guidon. A 1/alwort, un superbe chien portait, en guise de collier, une affiche au nom du candidat son maître, M. Baily. Cependant, les meetings vont leur train. L'important est de faire choix d'une tribune qui ne soit pas ordinaire. A Derby, le capitaine Holford, conservateur, harangue la foule, perché sur le siège d'un cab. Lord Hugh Cecil, un des fils de l'ex-premier ministre lord Salisbury, expose son programme, à Greenwich, monté sur une pompe à incendie. Ailleurs, on s'est servi de ce qui se trouvait à portée, d'une voiture à bras, d'une échelle double. A Birkenhead, l'un des candidats, Sir Elliot Lees, était souffrant ; il voulut, quand même, tenir un meeting, et ce fut allongé sur un sofa qu'il parla, pendant une heure. En 1906, pour la première fois, on vit l'orateur remplacé par un phonographe. Lord Edmund Talbot, candidat conservateur à Chichester (Sussex), était retenu à la chambre par la maladie. Que faire ? Il récita sa profession de foi devant un phonographe, et lady Talbot promena l'instrument en automobile à travers la circonscription. Les femmes, en effet, prennent part à la lutte, une part active et même tumultueuse ! En 1905, huit ligues ou sociétés féminines s'étaient formées en vue de la campagne électorale de janvier 1906. Une d'entre elles, la Women's Suffrage Society, s'était donné pour mission de combattre radicalement tous les candidats qui ne reconnaîtraient pas aux femmes le droit de voter. Depuis... mais nous évoquons une campagne électorale de 1906. Les parentes des candidats se font un devoir de leur prêter leur concours, touours apprécié. M. Eric Hambrone parcourait sa circonscription, accompagné de huit jeunes femmes de sa famille. Les dames anglaises poussent le zèle plus loin; elles aborlent la tribune des meetings. L'une d'entre elles, Miss Dorothy Hunter, qui n'a que vingt ans, s'est créé en Dans ces conditions, on se rend compte que les élections doivent être très coûteuses. On a estimé à vingt millions environ la somme dépensée, en 1906, par les quelque quinze cents candidats, sans compter les autres frais, dons aux institutions charitables, aux municipalités, voire aux électeurs. Un curieux calcul établit alors que le prix moyen d'un vote était de trois shillings neuf pence ; dans certaines ce genre une célébrité. Frêle, délicate d'apparence, habillée | circonscriptions, celles qui, comme les Orkney et les Shet d'une chemisette de satin blanc, sur laquelle elle jetait un manteau de fourrure noire, ses cheveux blonds criffés d'un chapeau de velours vert, elle fut l'adversaire acharnée de M. Chamberlain, et prenait la parole dans toutes les réunions hostiles au célèbre « Joë ». Une autre femme, la com land, comprennent plusieurs îles, le coût du vote s'élevait à quatorze et quinze shillings. tesse de Warwich, s'est signalée elle aussi par ses prouesses | Graphic avait disposé deux grandes échelles parallèles oratoires. Un Warwick, autrefois, « faisait » des rois ; la comtesse de Warwick, en 1906, « fait » des députés socialistes. On la vit, grimpée sur une charrette, haranguer en plein vent les dockers de West-Ham. Elle a contribué à faire élire plusieurs membres du Labour Party, notamment M. Will Thorn, à West-Ham et M. Harry Quelch, à Southampton. Ces spectacles n'étonnent personne. Et maintenant, il faut satisfaire la curiosité de la foule ; les journaux rivalisent d'inventions originales pour lui communiquer sans retard les résultats des scrutins. Le Daily contre la façade de son immeuble ; et deux mannequins, l'un ayant les traits de M. Balfour, premier ministre de l'ancien cabinet conservateur, l'autre ceux de Sir Campbell Bannerman, chef du nouveau cabinet libéral, escaladaient les degrés, en raison des sièges gagnés par leurs partis respectifs. Au Daily Chronicle, c'étaient deux immenses thermomètres, l'un rouge, l'autre bleu, qui indiquaient les varia❘tions électorales. Nous recommandons les thermomètres à Témoin de ce qu'on fait pour lui, comment l'électeur anglais n'aurait-il pas conscience de son importance ? Bien | messieurs les directeurs de journaux. Ils auraient, croyons entendu, il exige qu'on se dérange pour le convaincre et qu'on aille le trouver dans son cottage pour lui demander sa voix. C'est ainsi qu'en janvier 1906, lord John Joicey Cecil s'était donné pour tâche de rendre visite à chacun de ses treize mille électeurs. Mais, il y a mieux. Le jour du scrutin, il faut venir chercher ce roi du jour en voiture, afin de le conduire au lieu où il exerce sa souveraineté. Ecoutez ce récit du correspondant d'un journal parisien qui accompagna à Leamington l'un des agents du Right Honorable Lyttelton, ancien ministre des Colonies : « Dans une maison, nous trouvons un grand diable de charpentier, la pipe à la bouche, les mains dans les poches, qui nous accueillie avec une cordialité charmante et un sans-façon de bon augure : « Si je vote pour Lyttelton ?... pour sûr !... mais à une condition, c'est qu'on viendra me chercher demain en auto, à c't'heure-ci, ou plutôt, à sept heures, après que j'aurai eu le temps de me débarbouiller et de faire un brin de toilette. C'est convenu, dit B..., nous vous enverrons donc à sept heures le coupé. - Ah! mais non ! Si mon vote ne vaut pas la peine qu'on vienne me chercher dans une belle auto, alors, vous pouvez vous en passer. Entendez bien ce que je vous dis: une grande automobile à quatre places, ou alors je ne marche pas. » B... promet une auto; poignée de mains et nous voilà au cottage suivant. Là, mêmes questions, mêmes réponses. Seulement l'électeur, un digne vieillard, qui a passé la soixantaine, ne veut pas entendre parler de ces machines dangereuses qui secouent les pauvres gens et causent tant d'accidents; ce qu'il lui faut à lui, c'est une belle voiture à deux chevaux. Dans une seule journée, le treize janvier, les LITTERATURE L'Amérique de M. Durtain A en croire certaines gens, la littérature de voyages qui florit aujourd'hui ne manquera pas un beau jour d'engendrer un esprit international, c'est-à-dire en somme de faire comprendre au public que les hommes forment une même espèce sous tous les climats, et par suite une fraternité. Jusqu'ici, il n'y paraît guère : cette littérature vise d'ordinaire au pittoresque. Elle se nourrit donc des différences plutôt que des ressemblances. Et jamais les hommes n'ont dû sentir leurs mœurs, leurs sentiments, peut-être même leurs catégories de pensée, plus irréductibles les uns aux autres. On dit que connaître, c'est comprendre, et que comprendre, c'est aimer. Voire ! Je parierais au contraire que l'unité de l'esprit humain (comme d'ailleurs l'absolu du goût) n'a formé un dogme aux siècles classiques que faute d'information sur la diversité qu'ont produite le temps et l'espace. toutes les fois que j'ai voté. » B... promet l'attelage à deux | Au XVII° siècle, les Grecs et les Latins paraissaient proches, chevaux. » Dans une seule journée, le treize janvier, les automobiles firent dix mille voyages, aller et retour, pour transporter les électeurs des différents points de la ville à la salle du vote. familiers, sans couleur historique. A présent l'histoire et la géographie ont ruiné les illusions de ce genre, que seule la philosophie pourra restaurer. Ce sera de sa part une œuvre pie; mais on ny verra qu'une revanche des systèmes contre |