Ibsen ne peut toucher en France qu'un public très restreint... Mais la foule ? Peu lettrée, elle n'est pas au courant de la pensée du maître scandinave, ni de ses idées directrices, et d'ailleurs, elle s'en fiche royalement. Le symbolisme l'ennuie autant, sinon plus que jadis; elle trouve obscur tout ce qui n'est pas de plain-pied avec elle... Et il faut bien reconnaître que les luttes tragiques où se débattent les héros intellectuels d'Ibsen non seulement sont étrangères à ses préoccupations, mais ne se trouvent même pas sur le plan de son intelligence. Bjôernson a écrit un jour à Ibsen dans une lettre amicale : « Dans la vie, on aurait dit que le soleil n'arrivait pas à éclairer tes fenêtres... » En donnant à cette expression un sens un peu différent, nous pouvons affirmer que les fenêtres du vieux dramaturge continuent, pour le public français, à rester obscures et fer mées. Et cela ne vient pas seulement de l'obscurité de la pensée ou de l'écart intellectuel qu'il peut y avoir entre un Latin et un homme du Nord. Mais la plupart du temps, les drames d'Ibsen ne sont tout à fait compréhensibles que si l'on connaît les circonstances qui les ont inspirés. Pour Brand, par exemple, il est indispensable de se rappeler que le peuple norvégien avait, en 1864, laissé écraser le Danemark par la Prusse, qu'Ibsen avait été indigné de sa nonintervention, et qu'on retrouve, dans la pièce, l'écho encore véhément de sa colère... Mais quel spectateur d'aujourd'hui se rend compte de ces faits ? M. Pitoëff, qu'il faut cependant remercier d'avoir voulu célébrer l'anniversaire d'Ibsen, aurait peut-être été mieux inspiré en choisissant une œuvre qui nous fût plus accessible, plus familière que Brand, et du reste, il a paru le comprendre puisqu'il vient, après quelques représentations de cette pièce, de reprendre les Revenants. Nous comprenons cependant les raisons de son premier choix. Brand est une des œuvres les plus représentatives du génie d'Ibsen, et elle marque l'étape la plus importante ainsi que la crise morale la plus grave de sa vie. Un des derniers biographes d'Ibsen, M. Sigurd Hast a écrit : « Il faut aborder Ibsen par les deux grands poèmes dramatiques qui, pareil à des pylônes, marquent l'entrée du temple, je veux dire Brand et Peer Gynt. Moitié drames, moitié poèmes, ces deux drames se ressemblent par la forme, mais au fond, par les idées et par les sentiments, ils sont diamétralement opposés ils représentent le pôle positif et le pôle négatif de l'œuvre du maître. » Brand est la glorification de la volonté virile et des aspirations idéales; Peer Gynt est la satire de l'homme sans caractère. Brand est la tragédie de l'idéaliste, la lutte désespérée et vaine de l'homme qui ne pactise pas. Peer Gynt, au contraire, nous montre le fainéant spirituel, qui ne connaît ni l'effort continu ni les convictions fermes, qui veut jcuir de tout, tâter de tout, pourvu qu'il ne risque rien. << Entre Brand, le poème du rigoriste implacable, et Peer Gynt, le poème du songe-creux ballotté par tous les vents, s'étend le domaine d'Ibsen. >> Mais la plupart des idées les plus chères au poète et que nous retrouvons dans chacune de ses pièces, sont ici réunies : l'opposition entre l'idéal et la réalité, entre la poésie et la critique, entre le rêve et l'action; l'individualisme en révolte contre la société ; la tragédie de l'âme luttant contre elle-même; la défaite finale de l'être qui a visé trop haut, et qui meurt de sa trop fière devise : tout ou rien. Il y a, dans Brand, bien des sermons qui, pour nous, sentent trop le pasteur protestant ; une monotonie trop rigide dans l'action, une dureté trop inhumaine dans la volonté du sacrifice, quelque chose de cette froideur glacée des sommets où Brand veut édifier son église. Et encore une fois, ceci est bien sévère pour un spectacle... Mais d'abord, nous ne pouvons juger, d'après une traduction, des beautés lyriques du poème. des beautés lyriques du poème. Ensuite, dans tous ces sacrifices que doit faire le héros pour tenter de réaliser son idéal, dans la série d'épreuves par lesquelles il doit passer. quelle sombre et frémissante ardeur on sent, sous la rigidité des formules! Depuis le moment où il s'élance dans la tempête pour secourir une âme, et où il s'écrie : « Si le Seigneur a besoin de ma mort, salut aux marécages, aux torrents, aux abîmes ! » Quelle beauté il y a dans cette douloureuse ascension ! Et quelle grandeur dans cette chute ! La lutte de Brand contre les hommes n'est rien. Mais celle qu'il livre contre lui-même, quand il croit devoir sacrifier à son dieu sa mère, son enfant, sa femme, est si angoissante! Le Dieu de Brand, celui qu'il s'est créé luimême au fond de sa volonté tendue est terrible. Il exige tout, et il a la haine du compromis. Brand s'écrie, à la minute la plus tragique : « Sois ferme jusqu'au bout, mon âme! La victoire suprême est la perte de tout. Perdre tout fut ton gain. Eternellement, on ne possède que ce qu'on a perdu. » Mais Brand a voulu séparer le ciel de la terre, au lieu de les unir. Et il doit échouer dans son œuvre. Lorsque seul sur la cime déserte, traqué par la bise, assailli par des spectres, lacéré et sanglant, sur le point d'être emporté par l'avalanche, il implore le fantôme d'Agnès, un chœur invisible lui annonce qu'il sera maudit, et l'apparition veut, en vain, qu'il efface les trois mots qui l'ont perdu : tout ou rien... Ses dernières paroles sont un cri vers Dieu : << Toute une volonté d'homme ne suffit-elle pas pour acheter une parcelle de salut ? » Mais une voix, dominant le fracas, dit pour toute réponse : « Il est le Dieu de charité. » Et ainsi, Brand aboutit à une sorte de tragédie, de faillite de la volonté ! Ce héros de la volonté pure et haute, avide de se hausser, au prix de tous les renoncements, jusqu'au divin, est vaincu pour n'avoir pas été assez humain. Il y a là un pathétique puissant et âpre, qu'on ne retrouve nulle part ailleurs, si ce n'est dans Nietzsche, le Nietzsche de Zarathoustra. Il faut regretter que ces beautés de l'œuvre soient assez difficilement senties par le public, ou payées d'un effort dont il a perdu l'habitude, ou même le désir. Mais c'est un fait qu'on est bien obligé de constater: la représentation de Brand fut mortellement ennuyeuse... Il existe d'ailleurs d'autres chefs-d'oeuvre qui ennuient. ETIENNE REY. Quelques reprises opportunes et quelques premières auditions ont émaillé les programmes des innombrables concerts qui, cette dernière quinzaine, ont sollicité sans relâche l'attention un peu lassée du public. Aux CONCERTS COLONNE, tout en nous révélant, fort musicalement chantées par Mme Cesbron-Viseur, deux pièces vocales de Georges Ritas Arabie, d'un agréable sentiment, mais d'une réalisation encore un peu inexpérimentée, M. Gabriel Pierné nous a fait réentendre fort à propos les Rêves somptueux et troublants de M. Florent Schmitt, et les fragments symphoniques de Titania de M. Georges Hüe, dont la poésie romantique n'a rien perdu de sa fraîcheur et de sa sincérité. M. Vincent d'Indy, accueilli par le public entier avec une chaleur qui répond utilement à l'injuste ostracisme dont souffre depuis trop longtemps sa production considérable, est venu lui-même conduire son Concert pour flûte, violoncelle et instruments à cordes, où la forme traditionnelle de J.-S. Bach est si curieusement renouvelée par un sentiment personnel toujours intense, et poésie, et nous aider à défendre contre les assauts d'un soviétisme musical plus ou moins primaire, les droits de l'émotion et de la sensibilité. Aux CONCERTS LAMOUREUX, M. Paul Paray continue à nous donner des exécutions extrêmement soignées des ouvrages du répertoire - ce qui n'est pas si commun par ces temps de préparations hâtives et de « boulage > plus ou moins adroitement dissimulé. En outre, il a accueilli l'autre dimanche une pièce chantée de M. Vasseur, Soir, qui commente honnêtement mais sans grande individualité un beau poème de M. Paul Valéry, - puis une légende pour flûte et orchestre de M. Léon Moreau, Dans la Forêt enchantée, composée en vue d'un des derniers concours du Conservatoire, et dont M. Jean Boulze a fort bien mis en évidence l'allure tour à tour rêveuse et mouvementée. La Légende héroïque pour piano et orchestre de M. Grassi, confiée, en ce qui concerne la partie principale, à la musicalité avertie de Mlle Zurfluh-Tenroe et jouée la veille salle Gaveau, atteste les qualités évocatrices coutumières aux œuvres de l'auteur. Il semble seulement qu'au moins à première audition, son plan soit un peu arbitraire ou incertain. Rien de particulier à signaler, ni aux Concerts Pasdeloup, qui partagent leurs faveurs entre Wagner et les Russes, sous l'impulsion alternée de MM. Albert Wolff et Rhené-Baton, ni aux Concerts Poulet, qui ont justement conquis la faveur du public, et ne reculent pas devant la mise au point de grandes œuvres comme la Faust-Symphonie de Liszt. M. Walther Straram continue à composer adroitement, soutenue par une magistrale écriture. La semaine suivante, ❘ salle Pleyel, ses programmes du jeudi. Nous y avons vu Falla, un beau programme Debussy-Falla, et qu'à côté, dans la petite salle Debussy, M. Gabriel Pierné dirigeait la Sulamite de Chabrier avec le concours d'une chorale d'amateurs bénévoles, vous reconnaîtrez, je pense, que le nouveau temple de la musique du faubourg Saint-Honoré, a ce soir-là, bien rempli son office de propagande artistique... les trois prestigieux Nocturnes, les Danses avec harpe, et trois pièces de piano particulièrement significatives jouées à ravir par Mme Marguerite Long, constituaient l'hommage le plus opportun à la mémoire de Claude Debussy, à l'occasion du dixième anniversaire de sa mort. Le matin même quelques admirateurs, hélas scandaleusement clairsemés les morts vont vite aujourd'hui, s'étaient réunis autour de la tombe fleurie du cimetière de Passy, dans le pieux sentiment que vous pouvez penser. Réunion bien faite pour inspirer des réflexions mélancoliques, ou ironiques, à ceux qui n'attendirent point la célébrité pour distinguer l'originalité intense du maître, et tout ce qu'il apportait de nouveau et de vivifiant à notre art. Comme lors de la bataille de Pelléas, où de plus pressants soucis les retenaient sans doute en d'autres lieux, les tardifs défenseurs qui, maintenant, prétendent avoir découvert Debussy et cherchent à exploiter sa mémoire sans vergogne il faudra revenir sur ce pénible sujet, - brillaient par leur absence à cette cérémonie commémorative... Heureusement que la musique de Pelléas, de Nocturnes, de l'Après Midi d'un Faune, des mélodies et des pièces de piano nous reste pour perpétuer la pensée véritable de l'artiste né qui les conçut. Puisse cette pensée éclairer, protéger notre route, nous rappeler surtout que toutes les prétendues << nouveautés », toutes les ingéniosités techniques sont caduques sans la alterner dernièrement un Mystère bien inconsistant à mon gré, malgré son écriture polytonale, pour violoncelle et orchestre de M. A. Tchérepnine, fort bien interprété par M. Aug. Cruque, - le Prélude aux Combats de l'idéal, varié et vivant extrait du Don Quichotte de M. Tournemire, qu'il serait intéressant de connaître en entier, les impitoyables Symphonies pour instrument à vent, qui ne sont pas, à mon gré, ce que je préfère dans la production << de musique pure » de M. Stravinski, et la Suite du Bourgeois gentilhomme où M. Richard Strauss montre, avec un sentiment évidemment peu molièresque, une maîtrise orchestrale toujours accomplie. Et avant de quitter la grande salle Pleyel, mentionnons l'éclatant succès du festival oi M. Manuel de Falla a dirigé lui-même ses œuvres les plus significatives, où Mme Ninon Vallin a chanté délicieuse ment les prenantes Chansons populaires espagnoles. Trois jours plus tard, au cours d'une soirée organisée par k Comité France-Belgique, on y réentendait le subtil Miroi de Jésus d'André Caplet avec le précieux concours d Mme Croiza, et une musique de scène avec chœurs, d'un sentiment juste et pénétrant, écrite par M. Larmanjat pour le Tryptique du Poète de Francis Jammes. Si j'ajoute qu'au même moment, à l'étage inférieur, Mme Magdeleine Greslé dont vous connaissez la sensibilité musicale donnait, salle Chopin, avec le concours de M. M. Ricardo Vinès et de • Ariane » et « Tristan » au Conservatoire Une nouvelle Société internationale des amis de la musique française pour la diffusion de notre art à l'étranger et en France même s'est récemment fondée, sur l'initiative de MM. Georges Migot et Robert Siohan. Elle a donné, salle Gaveau, son premier concert dont les pièces de résistance étaient le motet de Rameau In Convertendo et la musique écrite par Debussy pour le Martyre de Saint-Sébastien de d'Annunzio. Les solistes, Mmes Gills, Greslé, Vhita et Courso, MM. Tinayre et Rousseau, les chœurs et l'orchestre de M. Siohan nous ont offert de ces œuvres justement notoires des interprétations intelligentes et sensibles qui permettent de bien augurer de l'avenir de la S. I. A. M. F., si elle sait judicieusement rénover ses programmes et tirer tant de partitions de mérite d'un injuste oubli... Je n'oublie pas non plus le succès remporté salle Pleyel par la chorale Smetana qui reste, tant par le fondu de l'ensemble que par la qualité des voix, un des plus beaux groupements masculins qu'on puisse entendre à l'heure actuelle. Et, parmi la | la campagne et la mer, marée montante des « petits concerts » je veux signaler au moins, à la Société Nationale, une Sonate pour violon et piano de Mlle Simone Plé qui, tant par l'élévation du sentiment que par l'habileté d'une écriture heureusement allégée, marque un progrès accentué chez cette jeune musicienne d'avenir, un Quintette fort musical de M. Rohozynski et une série de mélodies subtiles et évocatrices de M. Gabriel Grovlez, les Mélancolies passionnées, sur de délicieuses poésies du regretté Charles Guérin... De son côté, la société Pro Musica nous a conviés l'autre soir, rue d'Athènes, à une soirée de musique inédite. Je ne saurais vraiment vous parler décemment de l' « opéra-minute » de M. Darius Milhaud l'Enlèvement d'Europe et du recueil de pièces pour voix et petit orchestre du même auteur, Machines agricoles, assurément bien actuels et instrumentés avec l'alacrité coutumière à l'auteur, n'ayant pu hélas ! ni percevoir aucune des paroles que proféraient les interprètes, ni les trouver sur le programme. J'ai, par contre, préféré la simplicité harmonieuse des trois Trios vocaux de M. Louis Durey et la fantaisie primesautière du Trio pour flûte, clarinette et basson de M. Piper aux recherches bien laborieuses par où M. P.-O. Ferroud, chez lequel un métier certain paraît un peu étouffer encore les moyens expressifs, croit exprimer l'esprit si particulier des Poèmes de P. J. Toulet. J'avoue qu'au milieu de ces musiques uniformément exacerbées, les deux mélodies de M. Albert Roussel, Invo cation et Réponse d'une épouse sage firent l'effet d'un bain bienfaisant de musique et de poésie. Enfin, je n'aurais garde d'omettre que le concert avait commencé par le Troi sième Quatuor à cordes, bien anodin d'ailleurs, de Gounod qui n'aurait sans doute pas été médiocrement étonné de se voir invoqué, en l'espèce, comme précurseur de MM. Milhaud ou Ferroud I La plus belle manifestation musicale de la quinzaine et celle-là vraiment réconfortante a été l'audition da second acte d'Ariane et Barbe-Bleue et du premier acte de Tristan donnée par la Société des Concerts du Conserva toire devant une salle comble et unanimement enthousiaste On se souvient de l'impression profonde qu'avait produit l'an dernier, dans les mêmes conditions, le premier acte de l'œuvre admirable de M. Paul Dukas, à laquelle les années ne semblent apporter qu'une action plus profonde et plus intense sur notre sensibilité. On pouvait craindre que, privée du concours de la scène, l'immense et splendide montée vers la lumière que constitue le deuxième acte d'Ariane, paraisse peu à sa place au concert. Il n'en a rien été, grâce à la force expressive de cette musique, à l'inten sité de sa suggestion poétique, --- grâce aussi aux prestiges d'un équilibre orchestral irréalisable avec le quatuor restreint de l'Opéra-Comique, aux amples et justes mouvements observés par le superbe instrument collectif qu'est l'orchestre du Conservatoire, frémissant sous l'impulsion vibrante de M. Philippe Gaubert. Certains moments essentiels, comme ceux du bris du vitrail, de l'irruption du soleil dans le caveau, de l'extase des prisonnières enfin délivrées devant la péroraison exaltée de l'acte ont été une révélation, même pour ceux qui croyaient les connaître à fond, et peut-être aussi pour l'auteur présent, invisible, et longuement acclamé. L'interprétation vocale jeune, ardente, nuancée de Miles Marcelle Bunlet, Madeleine Vhita, dûment secondées par leurs camarades Mlles Rogué, Youchkewitch, Grégory aux voix chaleu reuses et sûres, formées à la même école, a fait justement sensation. Et, en assumant avec éclat, sans coup férir, après le rôle d'Ariane celui, non moins lourd, d'Isolde dans le premier acte de Tristan, Mlle Bunlet, dont chaque représentation nouvelle du Crépuscule des Dieux à l'Opéra, augmente l'autorité scénique et l'action directe sur le public, a fait la plus éloquente et la plus décisive réponse à ses détracteurs. A ses côtés Mlle Vhita a été une Brangaine excellente, vivante et passionnée; M. Franz a fait valoir a pu supporter, sans nul dommage, au bout GUSTAVE SAMAZEUILH La musique enregistrée Ce n'est pas le lieu ni le moment encore de récapituler les nombreuses mises au point techniques qui ont fait du phonographe l'appareil si réussi dans sa simplicité que tout le monde possède aujourd'hui. Mais peut-être qu'un jour prochain, comme le disque a succédé au rouleau, le film succédera au disque. Alors, il nous faudra rendre compte, à côté de l'édition en cire, de l'édition en celluloïd. Je dis : à côté, parce que, si ami Boit-on des anticipations, du moins ne peut-on oublier le nombre considérable des machines parlantes répandues dans le monde à l'heure actuelle, ni les bibliothèques de disques qui croissent tous les jours. Marquons simplement une date: le film musical est inventé, et l'invention est au point. Peut-être en parleronsnous prochainement de moins compendieuse manière. En attendant, sur le plateau feutré de notre machine, plaçons CHRONIQUE quelques disques nouveaux. La musique symphonique est représentée ce mois-ci par un certain nombre de traductions d'auteurs français, par des chefs d'orchestre étrangers; les meilleurs de ces chefs sont Albert Coates et Klenau. Ils célèbrent à leur manière le dixième anniversaire de la mort de Claude Debussy; les enregistrements (et notamment celui d'Ibéria, chez Columbia) sont excellents. Mais les amateurs français n'y trouveront pas toujours l'interprétation qu'ils rêvent, ou dont ils ont l'habitude. Pourquoi ne nous offrirait-on pas Debussy sous la baguette de nos grands chefs d'orchestre, comme on nous a offert Wagner dans son écrin de Bayreuth? Le nouveau succès de M. Ph. Gaubert et de son orchestre des Concerts du Conservatoire ne peut qu'encourager les éditeurs; je parle d'un disque paru chez Columbia Dans les steppes de l'Asie centrale, où la grande peur qui traverse la musique de Borodine est matérialisée véritablement par l'orchestre de Gaubert. Signalons aussi une Danse Macabre, conduite par M. A. Cloez et l'orchestre de l'OpéraComique. La Danse Macabre est devenue le « morceau de genre » par excellence, où s'exercent les meilleurs pupitres d'Europe et les principaux éditeurs. L'enregistrement d'Odéon est excellent; l'interprétation ne vaut pas celle de Mövike (Parlophone) à mon sens. : Les belles voix ne sont pas rares. Elles ne sont pas toutes également phonogéniques, et en particulier les voix féminines. Pourtant, on retrouve la grande Ninon Vallin dans l'air de Louise: Depuis le jour où je me suis donnée... enregistré par Odéon. Chaliapine est le Chaliapine de toujours dans le Chant de Varlaam de Boris Godounow, que Gramo réédite avec l'enregistrement électrique. Signalons un disque frais et délicieux où les doigts de Reynaldo Hahn accompagnent au piano la voix de Reynaldo Hahn. Sur l'une des faces: la Boulangère a des écus; sur l'autre, un air du Devin de village, plein de finesse et 'd'une sentimentalité toute XVIII. Et passons au jazz. My Blue Heaven, par Don Vorhees et son orchestre obtient un grand succès et le mérite; c'est un morceau à la fois nostalgique et dansant, que les voix d'un choeur lointain viennent un instant souligner. Au dos, Rain, dont le refrain donne l'impression de monotonie et de tristesse que le titre laisse attendre. Les pianistes Jacques Fray et Mario. Braggiotti ont depuis quelque temps déjà augmenté la phalange des virtuoses du jazz à deux claviers, si brillamment inaugurée par Wiener et Doucet. Ils méritent mieux qu'une brève mention. Déjà, dans The Man I Love, qu'ils avaient joué pour Odéon, ils obtenaient une sonorité très personnelle, que l'on retrouve dans leurs nouvelles productions, comme Just a Memory (Gramophone). Leur ensemble est très homogène; on n'y sent pas l'insistance acide du « premier piano de Wiener. Peut-être leurs transpositions perdent-elles en netteté, en exactitude ryth SCIENTIFIQUE L'histoire du virus de la tuberculose Dans une note communiquée, le 5 décembre 1865, à l'Académie de Médecine, Villemin, dont on vient de célébrer le centenaire, proclamait et démontrait la contagiosité de la tuberculose, qu'il considérait comme une maladie infectieuse, analogue à celles que venait d'étudier Pasteur. Bien loin d'être une maladie spontanée, comme on le croyait jusqu'alors, la tuberculose était due à un germe qui provenait toujours du dehors et qui se développait en parasite dans l'organisme contaminé. Mais, ce germe, on ne le connaissait pas encore et c'est seulement le 24 mars 1882 que Robert Koch annonça sa découverte à la Société physiologique de Berlin. Il s'agissait d'un petit bacille fin, d'une longueur dépassant à peine la moitié du diamètre d'un globule rouge, et que l'on trouvait, en assez grande abondance, dans les expectorations des phtisiques et dans les lésions tuberculeuses, notamment dans les tubercules en voie de développement, dans les pneumonies caséeuses et dans les parois des cavernes. Ce bacille présentait, d'ailleurs, des particularités qui lui semblaient propres. S'il avait échappé jusqu'alors aux recherches assidues des bactériologistes, c'est que sa colorabilité aux couleurs d'aniline se montrait très spéciale. Pour le mettre en évidence, on doit, en effet, employer un procédé de coloration qui consiste à faire d'abord agir sur lui une solution hydro-alcoolique de fuschine-rubine phéniquée, puis à décolorer la préparation à l'aide d'une solution au tiers d'acide chlorhydrique, et, enfin, de l'alcool absolu. Le fond de la préparation est coloré au bleu de méthylène, et sur ce fond apparaissent de fins bâtonnets de couleur rubis qui sont les bacilles tuberculeux. Je me suis un peu étendu sur cette technique parce qu'elle dévoile une des propriétés les plus remarquables et tout à fait caractéristique de ce bacille : l'acido-résistance ou, mieux, l'acido-alcoolo-résistance. En effet, tandis que les autres bacilles sont décolorées par l'action successive de l'acide chlorhydrique et de l'alcool absolu, seul, le bacille de Koch conserve sa coloration par la fuschine-rubine, ce qui permet de le distinguer sûrement au milieu de tous les autres microbes pathogènes. Depuis, cependant, on a découvert quelques microbes saprophytes possédant l'acido résistance, tels que ceux d'une graminée fourragère, la fléole, du beurre, etc. On s'est demandé, à ce propos, si le bacille tuberculeux n'était pas tout simplement une forme d'adaptation de l'un de ces saprophytes qui serait devenu parasite de l'homme et des animaux, mais aucune recherche dans ce sens n'a encore abouti et la question reste ouverte. Une autre propriété du bacille de Koch est d'excréter, non seulement des toxines, mais aussi une albumine qui a été désignée sous le nom de tuberculine. Celle-ci existe notamment dans les cultures sur bouillon glycériné. On l'utilise comme moyen de diagnostic et parfois de traitement de la tuberculose. Introduite sous la peau, chez un individu sain, elle ne détermine aucune réaction; au contraire, chez un individu atteint de tuberculose, même latente, contenant par conséquent, des germes tuberculeux vivants, elle provoque une réaction inflammatoire très nette. C'est grâce à l'épreuve de la tuberculine qu'il a été possible de démontrer que, à partir de la 14° année, 90 % des habitants des grandes villes sont tuberculisés. En résumé, jusque dans ces derniers temps, on pouvait définir la tuberculose: infection causée par un bacille spécifique, monomorphe, acido-résistant et tuberculinogène. La médecine est restée et reste trop souvent encore sur cette notion que la présence du bacille de Koch, tel qu'il vient d'être défini, est la signature de la tuberculose. Si, dans une lésion suspecte ou dans ses produits d'excrétion, on découvre pas, après des examens suffisamment répétés, de bacilles de Koch, cette lésion est réputée ne pas être tuberculeuse. Ainsi, semblait définitivement établi, et de la manière la plus certaine, le diagnostic de la tuberculose. ne Cependant, la clinique n'acceptait pas sans réserves une affirmation aussi tranchée. Elle constatait d'abord qu'il peut exister des lésions bacillaires sans follicules ni tubercules, lesquels sont pourtant considérées comme les lésions caractéristiques, microscopiques ou macroscopiques, produites par le germe acido-résistant. Elle constatait, en second lieu, qu'on ne rencontre qu'exceptionnellement ce germe acidorésistant dans la tuberculose chirurgicale, dans celle des centres nerveux et dans les formes morbides à type infectieux ou septicémique sans localisations. Même dans les lésions pulmonaires graves et finalement mortelles, on ne le trouve en nombre qu'autour des foyers de caséification, alors que, dans le caséum lui-même, il s'atteste assez rare pour que sa présence paraisse incapable d'expliquer, à elle seule, la gravité des accidents et l'évolution fatale de la maladie. D'ailleurs, si le bacille de Koch se rencontre dans certaines lésions fixées, il manque, d'autre part, pour expliquer la phase inflammatoire originelle, de laquelle procèdent le follicule, le tubercule et le pus. Or, au point de vue expérimental, le bacille de Koch acido-résistant et tuberculinogène, en culture pure, ne semble pas pouvoir donner naissance au tubercule, et c'est tout au plus s'il peut en dessiner l'ébauche. Pour toutes ces raisons, on devait supposer qu'il existe, à côté du bacille tuberculeux classique, un autre germe apte à déclencher des accidents comparables à ceux de la tuberculose vraie et plus ou moins apparenté au microorganisme décrit par Koch. C'est l'étude des cultures qui a permis de découvrir ce germe particulier. En effet, ensemencé à la surface du bouillon glycériné, le bacille tuberculeux pousse << en voile », c'est-à-dire que, au bout de quarante-huit heures, à la température de 38°, il se forme à la surface du bouillon une pellicule mince et transparente, qui s'épaissit de jour en jour et recouvre toute la surface. Si l'on examine ce voile au microscope, on s'aperçoit qu'il est constitué par des amas de bacilles acido-résistants, desquels partent de longs filaments anastomosés portant sur leur trajet de fines granulations, dont quelques-unes possèdent l'acido-résistance, tandis que les autres en sont dépourvues. A mesure que la culture vieillit, le nombre des premières augmente en même temps que paraissent se multiplier les formes bacillaires. Ce qu'il y a de remarquable est que les granulations, non acidorésistantes, prennent le bleu de méthylène, comme les autres microbes, et, en conséquence, F. Bezançon et A. Philibert les ont désignées sous le nom de cyanophiles, par opposition aux autres granulations qui gardent la couleur rubis après action de l'acide chlorhydrique et de l'alcool absolu. Entre les cyanophiles et les acido-résistants, il existe donc une différence de structure physico-chimique que traduit la différence de comportement sous l'action des mêmes réactifs. Il y a plus. En 1888, Metchnikoff, travaillant dans le laboratoire de R. Koch, découvrit, dans de vieilles cultures, des bacilles très allongés, renflés à leurs extrémités, émettant, en leur milieu, de petits bourgeons auxquels d'autres viennent s'ajouter pour former une colonie ramifiée dont les branches se terminent en massues. Quelquefois, ces rameaux se fragmentent et donnent de petits segments ressemblant plus ou moins au bacille classique. Il est à noter que ces formes géantes ne présentent aucun caractère parti culier de colorabilité et que leur manière d'être les rapproche des moisissures et spécialement des sclérothrix et c'est pour quoi Metchnikoff leur a donné le nom de sclérothrix Kochi, Les granulations qui s'observent dans ces formes aussi bien que dans le bacille tuberculeux lui-même ont la signification de spores, au sens botanique du mot. On a vu, en parlant des cultures en voile, que les granulations cyano philes peuvent donner naissance à des bacilles acido-résis tants; d'autre part, A. Vaudremer a pu suivre, pendant un an, la transformation du bacille acido-résistant en sclérothrix dont le mycélium portait des granulations. La conclusion s'impose donc : le germe de la tuberculose est un champignon. Cette idée de rattacher la tuberculose aux mycoses avait été déjà soupçonnée et F. Bezançon avait créé, pour les acido-résistants saprophytes et pathogènes, le genre mycobacterium. Le cycle évolutif du virus tuberculeux se montre dès maintenant assez compliqué. Il n'est pas possible de décrire ici tous les détails de technique qui ont permis de le faire connaître. Il suffira d'en indiquer les phases principales. Le virus tuberculeux se présente sous deux formes qui peuvent se transformer l'une dans l'autre. La première connue a été celle du bacille de Koch, acido-résistant et tuberculinogène; la seconde est celle de la granulation, ne présentant aucun caractère spécial de colorabilité ni de résistance. Autant qu'on puisse le savoir, ces deux formes répondent à des conditions de milieu différentes. Quand le milieu nutritif est |