AFFAIRES EXTERIEURES Au mois d'avril dernier, recevant les journalistes de l'Associated Press américaine, M. Briand leur rappela toutes les raisons qu'ont la France et les Etats-Unis de vivre en bonne amitié. Et, dans une incidente, il lança l'idée que cette amitié pourrait être utilement scellée par une sorte de pacte mett. at, entre les deux grandes Républiques, la guerre définitivement << hors la loi ». Cette formule était faite pour plaire à des publicistes. Elle les enthousiasma. Le Quai d'Orsay estima qu'il y avait là une occasion opportune d'associer plus étroitement la politique française à la politique américaine et de faire, du même coup, oublier la malheureuse querelle des dettes. Quand, au mois de juin, l'excellent M. Myron Herrick, a.nbassadeur à Paris et le plus francophile des Américains, s'embarqua pour New York, il emporta dans sa valise une lettre signée Briand. Aux termes de cette lettre le gouvernement français proposait formellement au gouvernement des Etats-Unis la conclusion d'un traité de « paix perpétuelle > franco-américain. Le projet sembla d'ab d être accueilli à Washington avec beaucoup de faveur. Des conversations s'engagèrent entre M. Kellogg, secrétaire d'Etat des Etats-Unis, et notre ambassadeur, M. Claudel. A vrai dire, ces conversations ne tardèrent pas à traîner. Et M. Claudel eut bientôt le sentiment que la cordialité première fraîchissait. Finalement, le 28 décembre, M. Kellogg adressait à notre ambassadeur une lettre qui, transmise au Quai d'Orsay, ne laissa pas que d'y causer quelque déception. Du pacte solennel, imaginé par M. Briand, dans lequel les deux Républiques se seraient - grand exemple pour le monde entier juré réciproquement paix et amitié éternelle, il n'était plus guère question. En revanche, le gouvernement américain proposait deux choses: 1° Un renouvellement, après mise au point, des traités d'arbitrage franco-américains de 1908 et de 1914. La nouvelle rédaction de ces actes diplomatiques exclurait formellement de l'arbitrage obligatoire les questions touchant à la souveraineté intérieure des Etats, celles concernant des tiers, celles enfin intéressant la doctrine du Monroe. 2° La rédaction d'une déclaration de « renonciation à la guerre en tant qu'instrument de politique nationale ». Mais cette déclaration, au lieu d'être, comme dans le projet du La seconde se bornait au renouvellement de conventions d'arbitrage déjà existantes; encore était-ce sous trois réserves qui, traduites en langage clair, signifiaient que les EtatsUnis entendent en tous cas demeurer libres de limiter leur immigration, de faire respecter à leur manière la liberté des mers, enfin, d'établir leur protectorat sur le reste de l'Amérique. La réponse de M. Kellogg envisageait, en outre, il est vrai une déclaration de « mise hors la loi » de la guerre, Mais cette déclaration, non plus purement franco-américaine, mais multilatérale, pouvait apparaître comme contraire au pacte de la Société des Nations, lequel prévoit des mesures de force à l'encontre des Etats agresseurs. Bref, la grande manifestation un peu mystique d'amitié franco-américaine rêvée par le Quai d'Orsay se transformait d'une part en une convention technique, de l'autre en un pacte quasi universel peut-être mal conciliable avec celui de la S. D. N. et, où les Etats-Unis occuperaient seuls une place centrale. 8 Le Quai d'Orsay réfléchit un peu. Puis, le 6 janvier, il adressa, sous la signature de M. Briand, sa contre-réponse au gouvernement américain. Aux termes de ce texte, le gouvernement français ne rejette pas, dans leur ensemble, les suggestions américaines. Il accepte le double principe d'une convention d'arbitrage d'un < pacte ouvert >>. Allant plus loin que le Cabinet de Washington il propose même qu'à ce pacte puissent adhérer non seulement les principales puissances mais toutes les puissances. Seulement il demande que ces adhésions n'interviennent qu'après la signature par la France et par les Etats-Unis du pacte en question. Cet instrument solennel serait ainsi, en quelque manière, présenté au monde par les deux Républiques. le En outre et cela est peut-être plus important texte du Quai d'Orsay suggère que le pacte envisagé ne mette << hors la loi » que les seules guerres d'agression. Si, en effet, dans un accord uniquement franco-américain, l'hypothèse d'une guerre généralement quelconque peut être, en pleine sécurité, exclue, il n'en va pas de même dans un accord mondial: ici, il est indispensable de réserver la possibilité de ces guerres défensives que prévoit le pacte de la S. D. N. Pour défendre sa thèse, le Quai d'Orsay argumente ainsi: Si les Etats-Unis, avec leur réserve touchant la doctrine de Monroe, entendent que soit respectée leur position particulière en Amérique. ils doivent, par réciprocité, admettre que la France fasse respecter sa position particulière au sein de la S. D. N. » Argument parfaitement logique. Mais la logique touche peu les Anglo-Saxons et, en fait, la contre-réponse de M. Briand a été froidement accueillie aux Etats-Unis par l'opinion et par le gouvernement. La lettre remise mercredi dernier par M. Kellogg à M. Claudel, parfaitement courtoise dans la forme, laisse transparatre quelques tons de ce mécontentement. Il faut bien reconnaître un fait : Cet immense pays de cent vingt millions d'habitants, riche d'une insolente richesse, réservoir financier et balancier économique du monde, ne se considère pas comme l'égal des autres pays. Il s'en regarde comme le supérieur. Et sa formation puritaine l'incline à penser que cette supériorité est d'origine divine, la Providence l'ayant spécialement marqué pour être le modèle, le guide et le mentor des autres nations. Il s'ensuit que, de la meilleure foi du monde, les Américains s'étonnent lorsque, nous autres Européens, nous croyons pouvoir formuler en notre faveur quelques-unes des réserves qu'ils ont antérieurement, comme allant de soi, formulées en leur propre faveur. << Ce n'est pas la même chose ! » sont-ils tentés de s'écrier: Occupation de la Ruhr: scandale et iniquité ! Occupation du Nicaragua : saine police et moralité ! Construction de cuirassés anglais, impérialisme et pensée d'agression ! Construction de cuirassés américains: légitime protection et garantie de paix ! etc... Et tout cela, encore un coup, de la meilleure foi du monde. On est marqué du doigt de l'Eternel ou on ne l'est pas ! C'est ce dont les négociateurs français arrivent malaisément à se pénétrer. Il en résulte des malentendus. Quand, à la Conférence de Washington de 1921, la diplomatie française a essayé de jouer le rôle d'arbitre entre la diplomatie britannique et la diplomatie américaine, cela a paru, outre-Atlantique, à la fois présomptueux et choquant: on n'est pas l'arbitre d'un juge. De même cette idée de pacte purement franco-américain formulée par M. Briand, pacte que les deux Républiques eussent signé sur le pied d'égalité, a paru à Washington présenter quelque chose d'anormal : l'oncle Sam, du haut de son Sinaï, peut, dans sa générosité, présenter au monde les Tables de la Loi; il ne les rédige pas en collaboration. Notez que, sans l'ombre d'hypocrisie, la plupart des Américains se défendirent de nourrir un orgueil semblable. Il n'en existe pas moins chez eux à l'état inconscient. Ce n'est pas impunément qu'un peuple, comme un individu, arrive trop vite à la trop grande richesse. Ajoutons que ce sentiment de supériorité se conjugue, assez curieusement, chez les Américains, avec un autre sentiment, assez opposé, mais dont les effets sont analogues : une certaine timidité. L'Américain qui traite avec un Européen a une tendance à croire que celui-ci désire le « rouler >>> et, à cause de sa grande astuce, y réussira. D'où chez le Yankee une réserve nouvelle venant s'ajouter à celle qui nat de la conviction d'être un « élu ». Du grand projet conçu à Paris, il restera sans doute un préambule qu'on insérera en tête du traité d'arbitrage renouvelé. Ce préambule rappellera les raisons que la France et les Etats-Unis ont eu, dans le passé, d'être amis et les raisons qu'ils ont de le demeurer dans l'avenir. Cette déclara tion n'aura guère qu'une valeur mystique, mais, en poli❘tique étrangère comme en politique intérieure, il ne faut pas négliger le facteur mysticisme. En outre, et plus difficilement, peut-être parviendra-t-on à mettre sur pied un pacte international de paix. Qu'on y prenne garde cependant ! Il ne faudrait pas que ce pacte diminuât les garanties, déjà médiocres, offertes par celui de la S. D. N. et qu'il eût simplement pour effet de justifier, en face des pires agressions, les plus égoïstes neutralités. Pour conclure, qu'il soit permis de répéter ce qui souvent déjà a été dit dans ces colonnes : l'Europe, et spécialement la France, ne doivent pas oublier les services qu'elles ont reçus des Etats-Unis. Mais, pour se sauver et se conserver, l'Europe, et spécialement la France, doivent d'abord el avant tout compter sur elles-mêmes. Les régimes en sont cependant un peu différents, qu'il s'agisse du comté nantais proprement dit, du pays de Châteaubriant ou du pays d'outre-Loire, Paimbœuf, Clisson, voire des Mauges et d'Ancenis, citadelle de la Bretagne, à la frontière de l'Anjou. Ce sont des pays presque sans histoire, ou dont l'histoire est faite seulement de la double fidélité au clergé et au seigneur. Les paysans de ces régions sont peu cultivés, mais d'âme très haute et d'un dévouement absolu. Ils ont bataillé contre l'hérésie, puis contre la révolution. Dans leurs rangs, tous les gentilshommes qui avaient leur confiance, et le clergé trouvèrent des recrues infatigables pour tous les soulèvements, celui de la fin du XVIIIe siècle, celui des Cent Jours, celui de 1832. Foi royaliste? Pas absolument. Foi traditionnelle plutôt. Nous sommes dans un pays où une aristocratie demeurée riche et puissante, très consciente de ses devoirs, n'a abandonné ni ses terres ni son rôle patriarcal. Ce sont les fils de ceux qui ont conduit leurs pères et leurs grands-pères. Ils ont la confiance, la fidélité des populations. Ils ont entretenu autour d'eux toutes les institutions matérielles et morales qui permettent de fortifier et de perpétrer : la tradition, et partout nous retrouvons ce double caractère d'une foi intacte sur laquelle le rayonnement des villes est sans influence et d'une résistance singulière aux courants démocratiques. Nous pouvons en conclure deux choses que la droite dans le reste de la Bretagne a été moins bien armée, moins vigilante et moins consciente de ses devoirs, ou bien que les paysans des bords de la Loire et des Mauges sont à la fois plus résolus et plus apathiques, moins accessibles que ceux de la Basse-Bretagne aux entraînements de l'imagination et à la mystique révolutionnaire. Ainsi donc, dans la Loire-Inférieure, nous ne retrouvons pas absolument les mêmes caractères que dans le reste de la Bretagne, et aussi bien les Bretons tiennent ils, sans exclure les Nantais de la famille bretonne, à bien en marquer le génie particulier. Il faut cependant reconnaître dans la Loire-Inférieure quelques traits qui sont bien bretons: la juste ténacité, le courage et le goût de l'aventure. Et si je considère qu'ici la tradition s'est plus facilement maintenue, peutêtre faut-il dire qu'une distinction non moins utile s'impose : c'est surtout au sud de la Loire que la fidélité traditionnelle est naturelle et pour ainsi dire sans contrainte. Au nord du département, indépendamment de quelques îlots avancés, dans l'arrondissement d'Ancenis, il existe beaucoup moins de tradition homogène, dans l'arrondissement de Chateaubriant, où plusieurs cantons sont bleus résolument. A l'ouest de Savenay, l'arrondissement de Saint-Nazaire présente un caractère spécial : les cantons qui touchent à la grande lande et avoisinent le Morbihan ont la même fidélité que Vannes. Plusieurs des cantons de la Loire Guérande, le Croisic, Saint-Nazaire sont de majorité incertaine, disputés à la tradition par une propagande puissante, et tout près s'étend ce pays de la Grande-Brière, où un sentiment de farouche indépendance s'allie à un si jaloux attachement aux privilèges locaux et qui n'a pas craint de suivre jusqu'au bout de leurs opinions les maîtres que son caprice s'était donné. Tel est le monde paysan de la Loire-Inférieure. Mais il faut aussi tenir compte ici de la tradition des villes, et la tradition. et qu'elle prend un aspect de cité rajeunie et coquette. Cette nouvelle tradition, elle ne l'abandonne plus. C'est en son nom qu'elle protestera, plutôt que par point d'honneur, contre la révocation de l'Edit de Nantes. Plus tard, d'âme modérée et tolérante, elle sera hostile en grande majorité, grande majorité, en dépit d'une petite minorité royaliste à l'insurrection vendéenne et séparera nettement à cet égard sa cause de celle des populations rurales environnantes. Elle montrera la même hostilité à toutes les tentatives royalistes, celle des Cent Jours comme celle de la duchesse de Berry, ceci avec la même résolution tranquille qu'elle mit à réprouver silencieusement les excès de la Terreur. Toutefois, il faut tenir compte de la populace nantaise, celle qui voulait au XVIe siècle que l'on exterminât les protestants, la même qui fustigeait en 91 les religieuses coupables de ne point recevoir l'évêque jureur, la même encore qui fournit des troupes et des cadres à la garde du corps de Carrier. Il y a à Nantes, cela surtout depuis l'annexion des deux grands faubourgs ouvriers de Chantenay et de Doulin, une population ouvrière considérable et il y en a d'ailleurs assez loin sur les rives de la Loire, encombrées d'usines et de chantiers. Jamais toutefois aucun quartier de la ville n'a eu de majorité socialiste et aucun n'a maintenant non plus de majorité de droite. Nantes est une ville éclairée, élégante et moderne. Il lui paraît indifférent que Saint-Nazaire soit l'avant-garde. ECONOMIQUES des villes est un peu différente. Elles ont été, surtout au nord AFFAIRES de la Loire, le refuge de la bourgeoisie bleue, et plusieurs nourrissaient même une tradition jacobine. Saint-Nazaire est une bourgade de marins grandie prodigieusement en quelques lustres et dont la tradition a été étouffée sous les apports d'une popu- Le paradoxe économique des Etats-Unis lation nouvelle, de tout un monde de cheminots, de dockers, d'ouvriers qui en font vraiment le centre le plus animé de la Loire-Inférieure. Mais c'est surtout de Nantes qu'il faut parler. Nantes est une grande capitale de commerce qui a renoncé à disputer à Rennes la suprématie administrative, universitaire et parlementaire de la Bretagne. Ce fut pourtant une capitale des ducs, avec un formidable château qui frappa d'étonnement Henri IV victorieux. Ce fut une ville intellectuelle et religieuse, ville d'Université, et son évêché était illustre à l'égal au moins de celui de Rennes. Mais Rennes, naguère suffragant de Tours, est devenu un archevêché. Nantes, qui fut féodal et militaire, est surtout maintenant un grand entrepôt, une grande cité de commerce. Tradition qui date déjà de quelques siècles. Et ce sens des affaires, cette habitude des préoccupations pratiques, ont développé de plus en plus chez lui ce caractère libéral qui était celui de ses habitudes. N'oublions pas qu'à Nantes, il y a une population remuante, il y eut toujours une population remuante et passionnée, mais l'autocratie des affaires a longtemps dirigé la cité. C'est elle qui fut un instant ligueuse, elle aussi qui refusa d'exécuter les ordres de la Saint-Barthélemy. C'est elle qui s'enorgueillit qu'Henri IV eût signé dans la ville l'édit célèbre de tolérance qui porte son nom. C'est elle qui se modifie de plus en plus, au fur et à mesure que la ville perd son caractère féodal pour devenir une métropole de commerce, Dans l'ouvrage magistral qu'il a publié à son retour d'Amérique, M. Lucien Romier caractérise les Etats-Unis par deux traits principaux : la civilisation de masse, et l'esprit de découverte. Ces formules sont l'expression de deux idées essentielles, ci les lecteurs de l'Opinion retrouveront la marque d'une pensée vigoureuse, qu'ils connaissent bien. Une Civilisation de masse », c'est-à-dire, en premier lieu, une société qui s'est créée, sans cadres préétablis, par la masse et pour la masse; en second lieu, un ensemble de forces économiques disposant, pour se détendre, d'un espace à peu près illimité. Point de barrières sociales, point de barrières géographiques. Une vaste création qui n'a pas connu la résistance de l'obstacle. Toute entreprise nouvelle, dans l'Europe occidentale, doit faire sa place, se loger parmi des habitudes anciennes et parmi des gens installés; ensuite elle doit franchir des murs, frayer sa route. Elle chemine comme une rivière au milieu des montagnes. En Amérique, du moins jusqu'à une date toute récente, une idée nouvelle ne rencontre pas de 8 résistance, un établissement nouveau se développe sans écarter personne. Les forces rayonnent et cheminent tout droit. Aujourd'hui l'entreprise américaine, dans son ensemble, se met à rayonner au dehors, sans imaginer qu'elle puisse se heurter à des barrières dont l'expérience lui manque totale ment. De là ce paradoxe, vingt fois remarqué, de la politique économique des Etats-Unis. D'une part, une créance énorme sur l'Europe, soit au titre des dettes politiques, soit au titre des placements privés. D'autre part, une frontière fermée, obstinément. A ceux qui signalent la contradiction, des voix américaines répondent : « Regardez vers le passé ; avant la guerre, l'Europe était créancière du monde entier ; les Etats-Unis ont pris sa place; ils n'auront pas plus de difficultés qu'elle à recevoir le revenu de leurs capitaux. >>> Mais cette réponse n'est pas valable. Il y a une opposition complète entre les deux politiques. La plupart des pays 'd'Europe qui avaient naguère, ou qui ont encore d'importantes créances sur l'étranger, importaient, ou importent encore, plus de marchandises qu'ils n'en exportaient. Leur position était netie. C'était celle du rentier qui a des revenus et qui les dépense. Leur richesse consistait précisément en ceci qu'ils consommaient plus qu'ils ne produisaient et se procureraient un bien-être supplémentaire avec le fruit de leur épargne antérieure. Leur richesse n'était autre chose qu'une capacité d'achat. Or, ce n'est pas ainsi que l'Amérique établit ses rapports avec le monde extérieur. Il semble qu'elle ne conçoive nullement la réalisation, proche ou lointaine, d'un semblable état d'équilibre. La richesse, pour elle, ce n'est pas une capacité d'achat, mais une puissance de vente. C'est une sorte de conquête. L'exportation sous toutes ses formes : exportation de marchandises, exportation de capitaux, en est la marque et la condition. Contradictoires ou non, les deux termes de la politique économique des Etats-Unis sont : un excédent permanent de la balance commerciale, et de gros revenus à l'étranger. Si l'on signale l'antinomie, la réponse vraiment américaine, c'est le refus de l'examiner. Un développement massif, et point d'obstacles. A cette position, à cette attitude de l'esprit, le goût de la découverte vient donner toute sa force. On peut dire que l'événement principal du début du vingtième siècle, c'est la découverte de l'Europe par l'Amérique. Pendant quatre cents ans, les relations des deux continents ont été dominés par ce fait que la première traversée de l'Atlantique avait eu lieu de l'Est à l'Ouest, et que Christophe Colomb était un Européen. Si naïf que paraisse cet aphorisme, il n'en est pas moins essentiel. << Ne plus être considéré comme une colonie », telle a été la pensée directrice de la politique américaine à travers de nombreuses générations. La doctrine de Monroe n'exprime pas une politique économique, mais une volonté d'affranchissement. Unis, dans leur négociation douanière avec la France, ont tenté d'éviter les liens d'une réciprocité contractuelle, et ont affirmé une politique consistant à n'accorder que la clause de la nation la pous favorisée sans conditions, c'est-à-dire à se réserver le droit de fermer leurs portes à tout le monde. A regarder les choses d'une manière rapide, on a pu voir dans cette démarche une manifestation de même esprit d'indépendance qui écarte les Etats-Unis de la Société cies Nations. Si l'on y réfléchit davantage, on constate que les deux doctrines n'ont rien de commun. De longtemps les Etats-Unis n'accepteront aucun lien politique qui puisse restreindre leur liberté. Dans la négociation économique, au contraire, ils n'ont pas maintenu leur théorie avec intransi geance. Ce serait une erreur dangereuse de croire que le protectionnisme américain fût, en quelque sorte, l'aspect économique de la doctrine de Monroe. La doctrine de Monroe n'est en rien une doctrine économique. Son expression authentique est le message du président Monroe au Congrès, en date du 2 décembre 1823, qui ne contient aucune allusion à l' << économie fermée ». « Les continents américains, ditil, par la position libre et indépendante qu'ils ont assumée et maintenue, ne doivent plus être désormais considérés comme un domaine propre à la colonisation par aucune puissance européenne... Nous devons à la bonne foi et aux relations amicales qui existent entre les Etats-Unis et ces puissances, de déclarer que nous considérons à l'avenir toute tentative de leur part pour étendre leur système politique à quelque portion de cet hémisphère comme dangereuse pour notre paix et notre sécurité. En ce qui concerne les colonies ou dépendances actuelles d'une puissance européenne quelcongue, nous ne sommes pas intervenus et n'interviendrons pas. Mais quant aux gouvernements qui ont déclaré et maintenu leur indépendance, nous ne pourrions regarder toute intervention d'une puissance européenne ayant pour objet soit d'obtenir leur soumission, soit d'exercer une action sur leur destinée, autrement que comme la manifestation d'une disposition hostile à l'égard des Etats-Unis. >>> Pas un mot de cette déclaration ne peut être interprété comme reflétant le désir des Etats-Unis de se fermer, au point de vue économique, aux marchandises européennes ou aux capitaux européens. Exclusivement politique, elle montre seulement la volonté d'abolir le souvenir de Christophe Cclomb, et l'intention de l'Amérique de se découvrir désormais elle-même. Le président Monroe a dit : « L'Amérique aux Américains. » Il n'a pas dit : « L'Amérique aux produits américains. » Mais, de nos jours, un pas de plus a été franchi et le problème s'est en quelque sorte renversé. C'est un Américain qui, le premier, par la voie nouvelle des airs, a franchi l'Atlantique. La prouesse de Charles Lindbergh est le symbole de cet événement nouveau : n'ayant plus de territoires à découvrir chez eux, les Etats-Unis sont partis à la découverte de l'Europe. Là, dans les vides immenses résultant de quatre années de Il n'est pas inutile de le rappeler, au moment où les Etats-destructions, les capitaux américains ont trouvé un champ libre, où ils pouvaient se répandre sans avoir à soutenir de luttes. Ils s'y sont répandus, droit devant eux, sans chercher à prévoir l'avenir. Ne considérant pas la richesse comme une chose acquise, mais comme une perpétuelle formation, les Etats-Unis n'ont point cherché ce qui pourrait arriver par la suite. Ils ont considéré leurs placements européens comme une sorte d'excroissance de l'Amérique. Mais bientôt, on se heurtera à l'impossible. Si grandes qu'aient été les ruines de la guerre, l'Europe n'est pas un désert à défricher. Et tôt ou tard, l'Amérique sera placée devant ce dilemne : « Ouvrir ses frontières douanières, ou renoncer au remboursement de ses créances. MAX HERMANT. NOTES ET FIGURES Thomas Hardy En Thomas Hardy, l'Angleterre vient de perdre un de ses plus grands écrivains. Il était né le 2 juin 1840, dans le Dorsetshire qu'il a évoqué dans la plupart de ses œuvres. Ce comté qui le vit naître ne fut pas pour lui un berceau 'de hasard. Sa famille y avait vécu pendant des siècles. Le voyageur qui pénètre dans l'église Saint-Pierre à Dorchester ne manque pas de s'arrêter devant un monument commémoratif, où une inscription en vieil anglais lui apprend qu'un certain Thomas Hardy un lointain ancêtre de celui qui nous occupe fonda l'école secon'daire de cette cité et la dota de revenus suffisants pour assurer son fonctionnement. L'auteur de cet << exemple si digne d'imitation », comme 'dit l'inscription — fut l'un des aïeux de sir Thomas Masterman Hardy, amiral de la flotte, qui combattit avec Nelson à Trafalgar. Leur descendant qui vient de mourir peut-être considéré comme un des derniers représentants de l'époque victo rienne : Romancier et poète, c'est peut-être comme poète surtout qu'il passera à la postérité quoique ses romans soient généralement classés parmi les meilleurs de ce temps. D'ailleurs, par une coïncidence curieuse il aura terminé sa carrière littéraire comme il la commença, par des vers. Elève architecte, puis employé chez un architecte il consacra ses premières années à la poésie mais, singulière modestie, ce ne fut que trente ans plus tard, en 1898, qu'il consentit à livrer au public ses premières œuvres sorties de sa plume: Wessex poems. C'est par un acte réfléchi et de propos délibéré qu'il s'était consacré à la littérature romanesque, puis brusquement, il y a quelques années, il cessa de donner des romans. Si l'on en croit sir Arthur Conan Doyle, Thomas Hardy, sensible à l'extrême aux critiques provoquées par ses derniers livres décida d'abandonner, un genre qui lui avait valu pourtant, avec Tess of the d'Urbervilles, par exemple, tant de succès. Jude l'Obscur qu'il estimait supérieur à Tess, n'ayant pas été accueilli, semble-t-il, avec la même faveur, il revint à la poésie. Robert Browning et Tennyson, celui-là à 77 ans, et celuici à 83 ans, écrivirent encore des œuvres appréciées, mais Thomas Hardy devait battre ces records: en 1925, l'on vit ce spectacle quasi sans précédent d'un vieillard de 85 ans qui donna au public un volume en vers; Human Shows, où se retrouvent toutes les qualités qu'il avait montrées dans ces premiers vers. Hardy a donc débuté dans la vie comme commis chez un architecte. Venu de sa campagne à Londres, il était entré chez Arthur Blomfield, plus tard, sir Arthur Blomfield, architecte, fils de l'évêque de Londres dont l'étude était au 8, de Saint-Martin-Place, près de St-Martin's-inthe Fields, en face du monament élevé depuis la guerre à miss Cawell. Ces années passées dans la Cité lui fournirent le thème de bien des œuvres; ses héros sont tous de jeunes architectes, venus du Wessex pour travailler dans un bureau près de Charing Cross. C'est de cette période que date le premier article imprimé de Thomas Hardy. On peut le trouver dans la collection du Chambers's Journal, à la date de janvier 1865. Il se rapporte directement aux occupations professionnelles du jeune commis architecte. Intitulé Comment je me suis construit une maison, il décrit les conditions d'un jeune ménage en quête d'une habitation. Quelques années plus tard, paraissaient ses premiers romans: Les Remèdes désespérés, Sous l'arbre vert, Loin de la foute en délire. Tess of the d'Urbervilles est de 1891, Jude l'Obscur de 1895. Ces œuvres eurent une telle vogue que leur auteur put, suivant ses goûts, abandonner la grande ville pour venir habiter son pays natal. Là, il connut les joies de la popularité et il fut à même d'apprécier la portée de son œuvre : Se faisait-il illusion quand il confiait que ses compatriotes se modelaient, à leur insu, sur les personnages qu'il avait décrits dans ces livres ? Toujours est-il qu'après Tess et Jude, il reçut une abondante correspondance venue de jeunes filles de condition modeste: maîtresses d'écoles, professeurs de musique, qui lui demandaient comment s'y prendre pour aller à la campagne et y vivre. Il y a quelques années, le prince de Galles traversant Dorchester alla rendre visite à Thomas Hardy qu'il emmena ensuite dans sa voiture. L'écrivain dont la timidité était proverbiale - connut ce jour-là une sole de triomphe quand il passa dans les rues parmi les acclamations de la foule. Son activité intellectuelle, qui n'avait d'égale que son acti vité physique, lui valut le surnom de << jeune Tom », par lequel tous ses voisins le désignaient, et qu'il arra frtifié jusqu'à sa dernière heure. A. CHESNIER DU CALINE. |