Imágenes de páginas
PDF
EPUB

mobilier, en reprenant le bail des lieux. L'apparte- | lieu son apparition intermittente, que deux valets de cham

bre le recevaient au bas de l'escalier même et le posaient avec soin dans son landau mollement suspendu. On le rapportait rue de Lille comme une chose fragile, et on le

t donnait sur ce qui restait d'un jardin qui dépendait s de l'hôtel d'Ozembray. Le comte habitait donc là, Biellement. Mais ce qu'on ignorait, c'est qu'il eût aussi Ayer l'entresol d'Etienne. Cet entresol, c'était la maison | montait doucettement dans un fauteuil. Un médecin, atta

campagne du comte. Là, il était en Seine-et-Marne ; Stage plus haut, il s'avouait à Paris. Mais le moment

pas venu encore de vous révéler les singuliers motifs de mystère domestique. Parlons d'abord de la vie publique personnage, de cette vie tiercée comme la scarlatine, qui ait que le comte n'était jamais si près de disparaître que qu'il apparaissait.

Homme étrange ! Depuis sept ou huit ans, il rendait ses ais, dirai-je dans un style réservé, à la marquise X... -arrivait chez elle tous les trois jours exactement à la ne heure. En la quittant, il allait dans le monde où il retrouvait souvent. N'omettons pas d'ajouter que la marse était jolie, très spirituelle, jeune encore. Quant au ate, on lui supposait quelque quarante ans. Un soir, ne sais quel étranger avait parlé de cinquante. Il avait endu, il s'était fâché; l'autre s'était excusé, rétracté et lié vers trente-huit. Alors, le comte avait souri d'un air aisé. Puis il avait repris ses anecdotes sur la cour de arie-Antoinette, des anecdotes qu'il déclarait tenir de père, qui avait été page de Louis XVI. Mais je n'ai ore rien dit de sa personne. Grand et mince, il avait bel œil noir à fleur de tête, une ample chevelure châ12. On admirait ses dents irréprochables, sa main étroite, pied menu, la gracieuse nonchalance de mouvements n homme qui ne daigne jamais être pressé. Il n'était pas cisément élégant, mais plein de tenue, et d'une correcpoussée jusqu'au fanatisme.

ce

Certain hiver, on le montrait à plusieurs dames étranes, curieuses de le voir à cause de sa liaison avec la rquise X... On désira le connaître; en fut charmé de ✓ton, de ses manières, de son aimabue esprit. Mais à ne commençait-on, vers minuit, de causer un peu à l'aise, soudain il partit... pour la Seine-et-Marne. On eût dit Ique pendant à conte de fée où Cendrillon sauve à l'heure fatale, abandonnant éperdue sa panle de vair. Lui, ne laissait rien qu'une odeur d'extrait nbre, et de vagues impressions analogues à celles qui ivaient jadis au passage dans un salon du comte de liostro. Un soir, une jeune personne qui le voyait pour remière fois, et à côté de laquelle il s'était assis pour dre une tasse de thé chez la marquise X.. s'écria invoairement lorsqu'il se leva : « S'il n'était pas parti, ais partir moi-même. L'air me manquait ».

faut en finir. Le comte mourut; on ouvrit son testa1. Là, on apprit l'âge de l'adorateur de la marquise X... vait soixante-dix-neuf ans. Oui, vous lisez bien. Cet âge

la cause du mystère dont il enveloppait sa vie. La e ni la Marne n'étaient pour rien dans son existence icieuse, et presque artificielle. Il ne partait jamais pour ne campagne. Son seul entresol, favorisait ses éclipses. il entrait comme dans une sorte d'hôpital pour son Il s'y révatait, s'y préparét, s'y remor'a't, s'y empait. En effet, à peine avait-il quitté le salon où avait

ché à sa maison, à sa vie plutôt, s'emparait aussitôt de lui, et le replaçait sur-le-champ dans le coton moelleux des soins inimaginables à l'aide desquels, pendant deux jours de réclusion, on galvanisait en lui quelques heures d'apparente jeunesse pour le monde.

Selon la saison, on le plongeait dans les bains, on le frictionnait, on le massait, on l'emmaillottait. Un en-cas, une sorte de souper médicalement conçu, lui offrait, sous des volumes réduits par la chimie culinaire, les substances les plus réconfortantes et les plus aisément digestibles. C'était, chez lui, même pendant le jour, une quiétude de portes et de volets matelassés, de lumière tamisée, d'air chaud, tiède ou frais, de calorifères ou de ventilateurs graduant l'appartement au thermomètre, au degré dit : « vers à soie ». C'étaient, enfin, sous les efforts de l'art et de la science, toutes les précautions d'un égoïsme outré, tous les raffinements de la sollicitude enveloppant ce vieillard pour lui donner artificiellement les forces et les allures d'une virilité mensongère et passagère.

Le troisième jour venu de ces soins extraordinaires, dès le matin, on essayait les organes du patient. Peu à peu, la lumière extérieure pénétrait dans l'entresol, ou mieux, dans l'infirmerie, et l'atmosphère était modifiée de façon à s'accorder graduellement avec l'air au contact duquel le revenant allait s'exposer quelques heures. Ainsi fait-on d'une plante exotique, précieuse et délicate, qu'on dérobe un soir à l'humide chaleur de la serre bienfaisante, afin d'en orner le salon de fête, puis qui, l'étonnement produit sur les invités, est bien vite reportée dans la seule atmosphère où ces frêles organes tropicaux puissent vivre.

Peu à peu, l'ouïe du comte recevait le choc des percussions du dehors. Et, bientôt, le médecin, les infirmiers, n'assistaient plus qu'à titre d'observateurs aux fonctions des valets de chambre qui commençaient. On le lavait, on le levait. Sa barbe faite, on lui mettait sa belle perruque châtaine, un chef-d'œuvre à dérouter toutes les défiances. Son incomparable râtelier pinçait ses gencives durcies dans des charnières d'or; une sorte de demi corset de caoutchouc donnait à sa taille une distinction qui ne déparait pas un peu de raideur anglaise. Ses pieds reposés acceptaient la torture d'étroits et rigides souliers vernis; ses mains dérobaient, sous le fin chevreau glacé, l'épiderme de vieillard labouré de grosses veines. Le reste, enfin, d'une toilette habilement empruntée à ce que la mode offrait de compatible avec les secrets de la situation, venait compléter la métamorphose, et donner toutes les apparences d'une élégante et vaillante virilité au septuagénaire. Ainsi confectionné et remonté, il partait, l'estomac et le cerveau en proie à une électrisante tasse de pur moka.

C'était alors, pour une detai-journ'e la vie mondaine, et, tout simplement, la vic. Le jurc à venda è lam an, un cigare aut Rics, le corte roul dvads jusqu'au faubourg Saint-Germain, dans une voiture ouverte, Your être bien vu, bien « constaté >> par tous les flâneurs de son monde. Car, paraissant si peu, il fallait paraître beaucoup. Mettez au service de cette curieuse résurrection l'esprit très reposé et la mémoire très ornée d'un roué, et vous vous imaginez l'effet de cette comédie incroyable. Depuis huit ans, nous l'avons dit, la marquise X... y était trompée, et cela à la suite d'une autre liaison qu'il avait eue avec une belle anglaise, laquelle, un soir, passant imprudemment la main dans cette chevelure qu'elle aimait trop, heurta son ongle rose contre un ressort d'acier Ce fut l'éveil, ou le réveil. La dame, fortuitement partie d'un soupçon, fit sur-le-champ maintes découvertes. En trois visites, le comte fut définitivement classé par elle dans la douillette pace des valétudinaires. Quant à la marquise, héritière sans bénéfice d'inventaire de Milady, elle était naïvement restée sans défiance aucune contre les astucieux quarante ans et le fantastique département de Seine-et-Marne, condensé dans le mystérieux entre-sol-infirmerie qu'on sait. << Ah! disait-elle à une amie, qui, tout en essayant de la concoler de la mort du comte Henri, lui faisait quelques questions indiscrètes, je comprends maintenant comment pendant huit ans, il m'a été impossible de le faire dîner une seule fois chez moi ». Elle ne songeait qu'à l'appareil dentaire. Il y avait, en outre, cette règle impéricuse de l'hygiène épouvantable que nous avons indiquée. La dame fut, d'ailleurs, très humiliée de la découverte qui mettait au grand jour sa duperie et je laisse à penser que le comte ne fut guère pleuré.

Il mourut pour avoir témérairement accepté d'accompagner à cheval une bande joyeuse dont le patriarche n'avait pas vingt-huit ans, voulant plaire à une jeune femme qu'il s'imaginait follement séduire. C'était un dimanche de novembre, aux courses de Vincennes. La journée commença bien, contiuua mal, finit au pire; pluie, vent, bourrasques. Le froid saisit le vieillard en route, comme il s'efforçait de trotter à l'anglaise, à côté de la ravissante beauté. Il prétexta une migraine subite, et demanda à entrer dans une des voitures de la caravane sportive. Mais son valet de chambre, par précaution, déguisé en valet de suite pour cette rude escapade, trouva plus prudent de le ramener directement rue de Lille, dans un coupé qui suivait sans que personne s'en doutât. La crise apparut sur-le-champ dans toute sa gravité au médecin attaché au logis. Pourtant, le comte résista au mal, durant quatre ou cinq jours, avec un esprit charmant et riant de ses dupes. Il laissait une fortune considérable. Le page de Louis XVI dont son père endossait les aventures, c'était lui, l'astucieux fils de Ninon !

Cet exemple d'obstination mondaine et d'une longue

Gagnez du temps et faites une économie en achetant tous vos livres au SERVICE de LIBRAIRIE de l'OPINION

qui vous servira intelligemment

.................

comédie de l'âge, marquée sous des artifices inouïs, c son précédent au XVIII siècle. On lit dans les Mén secrets, t. IV, page 173, le fait suivant : « 5 déce 1708. M. de Saint-Valéry, ancien receveur général finances, vient de mourir à l'âge de 90 ans. C'éta homme qui s'était fait une réputation par son goût ex pour l'élégance et la parure, goût qu'il a conservé jus dernier moment. Il avait, à force de soins et d'art trompé tout le monde sur son grand âge, même des fem On l'avait, néanmoins, assez soupçonné pour l'appele doyen des petits-maîtres. Gresset l'avait désigné dans u du Méchant :

Ce sont les vétérans de la fatuité.

Réflexions sur

A. DE BERSAUCOU

IDEES

les preuves de la survil

De temps à autre, il est bon de se remettre en face grandes questions qui ne cessent de préoccuper notre pe En elles-mêmes, elles sont, depuis longtemps, pe nentes. Elles font dichotomie dans les esprits aujourd comme il y a bien des siècles.

Ce qui change en elles, ce sont les raisons que l'on da pour les résoudre dans un sens ou dans l'autre.

Les courants philosophiques, leurs contre-courants, tourbillons, les déductions spéculatives qu'inspirent des t ries scientifiques sans cesse en train de se faire et, par séquent, de se défaire, tout cela agite d'un mouven perpétuel l'océan de l'esprit humain.

On dit toujours « oui », on dit toujours < non >.> les discours pour « oui > ne sont pas aujourd'hui ce qu étaient hier, ni ceux pour « non », bien entendu, puisq conservent cela de constant d'être le contre-pied des miers.

C'est pourquci, il est souvent d'actualité actuelle de d dérer ce qui appartient à l'actualité qualifiée d'éternel M. Ch. Nordmann nous le montre bien en se met dans son livre récent sur l'Au-Delà, « face au problem l'immortalité ».

Il commence par parler des phénomènes métapsyd Et il définit d'abord l'attitude scientifique que l'on prendre devant eux. Il ne faut pas les repousser a

(1) CL. Charles North ann. L'Au-Deid, Face au problème de talité. Paris, Hachette, 1927.

[merged small][ocr errors]

et:

Ne soyons pas, poursuit-il, comme le physicien Babinet qui considérait comme « impossible » pour cette seule raison (maint phénomène tel que le déplacement des objets sans

contact.

<< Si on avait dit à Babinet ou à la plupart de ses contemporains (je parle des savants ayant une autorité) que la masse des corps varie avec la vitesse... (suit une énumération de quelques principes einsteiniens), si on leur avait dit que la transmutation des éléments chimiques est possible et que tous les corps sont composés de particules élémentaires et décelables; si on leur avait dit tout cela, ils auraient poussé les hauts cris... (1) >

Et ils auraient eu tort, comme nous le voyons, par le 'démenti que les événements leur ont infligé.

Assurément, il ne faut pas imiter jusqu'au bout l'attitude dogmatique qui était fréquente, il n'y a pas longtemps, chez des savants, même de la plus haute valeur.

Cependant, M. Nordmann exagère peut-être un peu quand il met en parallèle la situation de la science d'aujourd'hui vis-à-vis du métapsychisme et celle de la science d'une époque donnée vis-à-vis de la science qui va lui succéder.

Tout le monde sait qu'il est fervent einsteinien et que la dynamique et la mécanique d'Einstein sont, dans leurs formules, en contradiction absolue avec celles de Newton.

D'autre part, on connaît M. Nordmann comme étant un de nos plus éminents astronomes.

Demandez-lui, cependant, sur quelle géométrie, quelle mécanique, quelle dynamique il règle ses calculs de distance, de mouvement, de masse des astres.

Il vous répondra, j'en suis sûr, qu'il applique la géométrie euclidienne, les lois classiques de compositions des vitesses, d'attraction directement proportionnelle aux masses, inversement au carré des distances... et cela toujours, et qu'il ne peut jamais faire usage des équations relativistes (d'Einstein).

Voilà donc un savant, conclurez-vous, qui, dans l'exercice de sa science, est disciple de Newton et d'Euclide dont il professe publiquement qu'Einstein a rendu les doctrines caduques ! Il passe ainsi son temps à appliquer des principes qu'il proclame faux. Et tous ses confrères relativistes font comme lui.

Cette inconséquence n'est qu'apparente. On oublie qu'il ne peut y avoir de lois, de théories, de principes, de vérités scientifiques qu'approchés. La géométrie euclidienne, la dynamique newtonienne le sont encore tellement qu'elles s'imposent aux astronomes dans l'étendue de l'univers atteinte jusqu'ici et dont notre imagination reste confondue. Einstein ne fait qu'approcher davantage, et pour des ordres de grandeurs qui dépassent les précédentes. Vouloir utiliser les termes de correction qu'il apporte, c'est, sauf exceptions, bien plus impraticable encore que de faire une différence entre un billard plan et un billard ayant une surface sphérique exactement courbée comme la surface de la terre.

(1) Page 22,

Une équation einsteinienne doit se ramener à une équation newtonienne quand on donne aux vitesses des valeurs inférieures à quelques milliers de kilomètres par seconde, et quand on prend des distances que la lumière ne mettrait pas plus de quelques milliers d'années à franchir.

De sorte qu'en réalité Einstein ne contredit pas Newton mais s'appuie sur lui pour le prolonger, le perfectionner, le préciser, ajouter quelques décimales à ses calculs.

Quant à la transmutation des éléments chimiques, l'idée de sa possibilité théorique est impliquée dans celle d'unité de la matière que l'on n'a jamais cessé de professer dans une partie du monde savant et philosophique, depuis l'antiquité juqu'à nos jours, et aussi bien pendant les XVIII et XIX siècles.

On a seulement fini par reconnaître, à force d'essayer sans réussir, que cette transmutation n'était pas réalisable par des moyens proprement chimiques.

Et, en effet, la transmutation d'aujourd'hui se réduit à celle du radium qui est spontanée et que l'on pourrait appeler aussi bien une décomposition. Les autres transmutations, plutôt entrevues que réalisées, et d'ailleurs assez contestées, sont obtenues par de fortes décharges électriques.

Il n'y a donc pas de discontinuté réelle entre la science d'aujourd'hui et celle d'hier.

Au contraire, la science prétendue nouvelle du supranormal du métapsychique, etc., apparaît comme une rupture brusque avec toute la science des temps modernes, que celle-ci date d'il y a cent ans ou soit celle qui est « dans l'air » pour demain.

La méfiance a priori vis-à-vis des phénomènes ectoplasmiques ou autres du même genre n'a donc pas lieu d'être assimilée à l'erreur des gens qui affirment ou qui nient a priori au nom d'un absolu scientifique.

D'autant qu'une expérience millénaire a prononcé.

Il peut y avoir des différences de détail, mais dans l'ensemble, le supranormal d'aujourd'hui était celui de la Chaldée et de l'Egypte antiques. On n'a jamais cessé de s'en occuper ici ou là et, d'ailleurs, avec infiniment plus d'intérêt que des sciences que nous appelons << sciences ».

Suivant l'expression vulgaire << ça n'a rien donné ». Malgré une application soutenue par de puissants désirs, on en sait infiniment moins long en fait de merveilleux, d'occulte, etc., que le moindre prêtre babylonien d'il y a cing mille ans.

Les métapsychistes peuvent bien vous dire, et c'est leur argument ordinaire : << N'auriez-vous pas haussé les épaules, il y a cinquante ans, si on vous avait annoncé la téléphonie sans fil ? », etc.

On est fondé à leur répondre : « Exemple choisi à rebrousse-poil... Vous êtes des gens qui, depuis plus de cinquante mille ans, proclamez qu'on peut prévoir l'avenir, être à la fois en plusieurs endroits, sous des formes différentes, matérialiser les choses immatérielles, dématérialiser les choses matérielles, etc... Depuis le temps que votre science progresse plutôt à rebours on peut bien penser qu'elle était illusoire dès l'origine... >

[graphic]

Au surplus, M. Ch. Nordmann conclut de son examen des expériences d'ectoplasmie et autres que, ou bien elles sont frauduleuses, ou bien elles n'ont pas été suffisamment mises à l'abri de la fraude.

Tout cela, en fin de compte, pour montrer que l'expérience scientifique ne démontre rien qui soit favorable à la survie de l'âme.

Encore moins de défavorable: on ne conçoit pas, en effet, comment ce qui est basé, plus ou moins directement sur le témoignage des sens infirmerait l'existence de ce qui, par définition, échappe à ce témoignage.

Un examen assez rapide conduit M. Nordmann à refuser aussi aux systèmes philosophiques ce pouvoir que ne possèdent pas les sciences expérimentales.

Que reste-t-il ?

« La révélation, répond M. Nordmann... Les seuls faits qui permettent de se faire une opinion arrêtée sur l'immortalité de l'âme sont les faits de révélation qui, jusqu'à nouvel ordre, et à moins qu'on ne les voie un jour se renouveler - hypothèse que rien ne permet d'exclure - sont des faits passés, c'est-à-dire relevant des sciences historiques. Celles-ci sont d'ailleurs des sciences au même titre que les sciences physico-chimiques, comme Renan le fit remarquer à Pasteur lorsqu'il le reçut à l'Académie française. >>> M. Nordmann partage-t-il l'avis de Renan ? On pourrait croire que non lorsqu'il ajoute :

<< Nul n'ignore d'ailleurs que Renan, dans ce domaine, a rencontré maints contradicteurs de ses travaux » (1).

Où est le fait historique lorsque les historiens ne sont pas d'accord sur ce qu'il a été, ni même sur la question de savoir s'il faut le tenir ou non pour une fable ?

Or, cette divergence prend justement sa plus grande ampleur à propos des faits de révélation. Ils appartiennent à l'ordre surnaturel. L'historien incroyant tirera de ce caractère même une présomption défavorable à leur authenticité. Avant de les admettre, il les soumettra à une critique infiniment plus exigeante que celle qu'il applique aux faits de l'ordre commun. La tradition et la foi créeront, pour l'historien croyant, une présomption tout à fait contraire.

Schématiquement, le premier pensera :

<< Ces faits sont faux, à moins qu'on ne puisse en démontrer rigoureusement la vérité. >>>

[blocks in formation]

VOYAGES

Le dernier voyage du torpilleur «Jarky

Au mois de février sera commémoré à Paris et dans les prin cipales villes d'Europe, le dixième anniversaire de l'ouverture des hostilités entre les patriotes russes et le gouvernement sovié tique, lutte qui commença dans les plaines du Don et du Kouban, pour se terminer, comme on sait, par l'évacuation de la Crimée.

A cette occasion, MM. Georges Oudard et Dmitri Novik vont faire paraître un livre qui évoquera fidèlement cette période tragique de l'histoire russe.

Nous sommes heureux de publier dans l'Opinion un des récits les plus émouvants de cet ouvrage.

Le soleil d'Afrique illuminait l'icone dorée du Jarky, pendue dans la cabine du commandant, au-dessus de la couchette où le capitaine de corvette Manstein reposait immobile, la bouche ouverte, enroulé comme une momie dans un vieux drap jaunâtre.

Un silence de mort régnait sur le torpilleur. Depuis quarantehuit heures, personne ne s'était levé à bord. Officiers et matelots, abrutis par tant d'années de combats, de privations et de misère, dormaient d'un sommeil tenace que berçait, sans l'interrompre, le clapotement léger des eaux bleues du lac de Bizerte. Enlisés dans leurs rêves et dans leurs cauchemars, le visage retourne contre la toile pour ne point voir venir le jour, tous savouraient l'indicible volupté de ne plus se sentir vivre en se sachant vivants.

Cependant l'aveuglante lumière du matin, perçant la couche de crasse qui dépolissait le hublot, envahissait la cabine de Manstein. Elle frappait ses cloisons d'acier peintes en gris, fouillait, indiscrète, dans son désordre minable. Sur l'étroit bureau était placée en évidence une photographie de l'empereur Nicolas II, traînaient, parmi les paperasses, un bouton de manchette cassé, un col de celluloïd bleui et une pauvre casquette usée par la mer. La vareuse était tombée au pied du lit, à côté d'une navrante savate. Seul, le manteau d'uniforme, accroché à une patère, conservait un aspect presque propre.

Les rayons de plus en plus ardents du soleil attaquaient main tenant l'homme endormi. Doucement, ils chatouillaient ses paupières closes pour les forcer à s'ouvrir. Manstein essayait de lutter, ramenait le drap sur sa tête, se rapprochait du mur qui commençait de répandre l'odeur puante de la peinture chaude Bientôt, le commandant, à bout de résistance, poussa un gémis sement grêle d'enfant malade, puis sc dressa furieux sur son séant. Hébété, il contempla la cabine, regarda l'icone, ne parut rien comprendre. L'oreille tendue, il écoutait. Les machines ne tournaient plus. Que se passait-il ? Il se rappela confúsément qu'on avait jeté l'ancre. Mais où ? A Sébastopol? Nom. A Constantinople? Non. A Malte ? Peut-être. Alors, il se souvint tout à fait. L'escadre de Wrangel avait achevé sot tragique voyage. On était à Bizerte. Il n'en doutait pas et n'en était point sûr. Pesamment, il se leva, enfila un caleçon sall chaussa au passage la savate solitaire, et, d'un pas chancelant

L

avança vers le hublot. Beaucoup de rouille verte couvrait le pagne de Pologne et on leur prêtait l'intention d'attaquer procuivre et ce fut avec peine qu'il dévissa la poignée. Enfin, le | chainement l'isthme de Pérékop, pour s'emparer avant l'hiver

hublot s'ouvrit et, d'abord, ébloui par la lumière, il ne vit rien. Lentement, le brouillard jaune et brun rempli d'astres tournants qui voilait son regard se dissipa. Il distingua une côte basse, prolongée de prés verts entre des cactus tordus. D'arides montagnes brûlées enfermaient l'horizon. Au bord de l'eau, un tirailleur nègre à chéchia rouge montait la garde. On était bien à Bizerte.

de la Crimée. Moi, je n'y croyais pas, d'abord. Mais bientôt et de son chef d'état-major, ce vieux gredin d'ancien général Roumain Frunze, que les siens appellent le Bonaparte rouge, la menace se précisa. On apprit l'arrivée sur le front ennemi du Pétine. Une, deux, trois, quatre, cinq armées soviétiques débarquèrent à leur suite. Et puis, il en dégringola encore deux autres, et des toutes neuves celles-là, uniquement composées des

Manstein considérait, stupide, le paysage inconnu qui s'étalait ❘ fameux cavaliers de Boudenny. Alors, la nouvelle courut que

devant lui. Il passa la tête par l'ouverture ronde, et, en se penchant aperçut le dreadnought Général Alexéev, le croiseur Almaz, les torpilleurs Zvonky, Zorky, Capitaine Saken, les canonnières brise-glace Djiguit et Vsadnik, des sous-marins, d'autres bâtiments de guerre indistincts dans la brume de chaleur. Toute l'escadre russe était là, bien alignée, sans vie, comme prisonnière du malheur.

Manstein referma rageusement le hublot et grogna d'une voix sourde :

Maintenant, c'est fini, fini !

Il bouscula tous les objets qui encombraient le bureau, à l'exception du portrait de l'empereur, s'assit sur la table et, les bras croisés contre sa chemise pourrie, jeta un regard de pitié vers l'épaulette dédorée de sa vareuse :

Capitaine de corvette Manstein, marmotta-t-il ironiquement, fini, fini aussi.

Il ne savait pas s'il devait rire comme un fou ou pleurer comme un gosse. La joie fière qui éclaira soudain son visage fit bifurquer le cours de ses pensées. A mi-voix, pour ne pas réveiller les autres qui dormaient encore derrière la cloison, il lança, le menton tendu, à des interlocuteurs imaginaires :

Tout de même, tas de salauds, vous ne l'avez pas eu, mon bateau. Vous auriez bien voulu, hein ! que votre immonde torchon rouge battît sur le Jarky! A bas les pattes, assassins et fripouilles. Rappelez-vous ? Naguère, un moment, vous aviez presque mis la main dessus. Mais j'étais déjà là et vous ne l'avez pas eu. Vous ne l'aurez plus jamais. Ces messieurs de l'état-major avaient décidé de vous le laisser. J'ai refusé d'obéir. Tant que Manstein sera vivant, vous n'y toucherez pas au Jarky. Vous entendez ? Rompez ! Où donc ai-je fourré mon autre savate ?

Il alla la ramasser à quatre pattes sous la couchette, enfila sa vareuse et retourna rêver au hublot.

La sentinelle nègre était toujours là. Au milieu de son noir visage, riait une double rangée de dents blanches. Le commandant l'interpella mentalement :

Tu n'avais dû jamais voir de Russes, mon garçon. Moi, je n'avais bien jamais vu de tirailleurs ! Ah! si l'on m'avait prédit, il y a trois mois, que nous serions là face à face aujour'd'hui, à Bizerte.

Il y a trois mois ! Wrangel tenait encore la Crimée, le drapeau russe, le vrai, ( flottait encore à Sébastopol. Sébastopol ? Y retournerait-il un jour ? A la guerre, c'est moins difficile de garder que de reprendre.

Comme les choses ont mal tourné vite, réfléchissait Manstein. Il y a trois mois, tout marchait assez bien. Hum! Voyons, nous sommes aujourd'hui le 6 janvier 1921. Décembre, un, novembre, deux; octobre, trois. Que se passait-il le 6 octobre dernier ? Rien encore; mais ça commençait de puer bougrement. De mauvais bruits circulaient déjà dans les états-majors qui sont entre parenthèses, de beaux réceptacles de niais. On chuchotait tenir d'une source secrète et sûre que les voyous de Moscou avaient décidé d'en finir une bonne fois avec l'hydre de la contre-révolution ». Ils venaient de terminer leur cam

[ocr errors]

les bandes de Makhno se joignaient aux Rouges.

Ce dernier renseignement, à l'époque, avait bien égayé Manstein, qui refusait de prendre au sérieux, le prétendu ataman du peuple comme se nommait le personnage. Pour lui, cette courte brute sanguinaire, ce vulgaire bandit de grand chemin, changeant de camp au gré de sa folie et de ses intérêts, n'était qu'un sinistre saltimbanque. Il en avait assez d'entendre raconter que ce vil idiot faisait rouler à fond de train en voitures sur toutes les routes du sud de la Russie, ses hordes de brigands et trônait lui-même dans un carrosse écarlate. <<< Tant mieux s'il entre dans le bal qui se prépare, tonnait alors le commandant. L'occasion sera bonne de s'en saisir et de le pendre haut et

court. >>

Cet optimisme éclatant n'était pas partagé par tout le monde. Makhno était, sans aucun doute, une canaille, mais une canaille maligne. S'il passait, à un instant aussi décisif du côté des Rouges, c'est qu'il était certain de leur victoire.

Que pouvaient, en effet, contre les forces considérables de Moscou, dotées d'une énorme artillerie de campagne, de nombreuses pièces lourdes, de gaz asphyxiants, de liquides enflammés, les 35.000 derniers combattants de l'armée volontaire disposant de moyens dérisoires ? Mourir? oui. Tenir ?

[blocks in formation]

Oui, oui, répétait-il songeur. Les bourgeois souhaitaient

notre victoire, mais ils n'ouvraient pas leurs bourses.
Alors ?

Alors, le 27 octobre, dans la nuit, l'ennemi déclencha son attaque. Les divisions rouges, avançant dans l'eau glacée des Sivaches, tombèrent dix contre un sur les cosaques du Kouban épuisés par une longue année de guérillas à travers les montagnes du Caucase. La lutte qui se déroulait au milieu des marécages où pataugeaient furieusement enchevêtrés les cavaliers, les autos-canons et l'infanterie, fut sauvage et s'acheva par la défaite des Cosaques. Bientôt, les Rouges s'emparaient de la position principale de l'isthme. Déjà cernés, le régiment d'assaut dit de Kornilov et le second régiment des officiers du général Drosdovsky, les attaquèrent dans le dos et réussirent, filant entre leurs rangs, comme des flèches, à s'échapper de l'étreinte. L'ennemi n'en commença pas moins d'envahir la Crimée. Une dernière ligne de défense vers laquelle tous les volontaires se précipitèrent, avait été préparée à Youchoun. C'était là que devait se livrer la suprême bataille qui déciderait du sort de l'armée. Les Rouges ne négligèrent rien pour l'emporter. Deux cents canons

« AnteriorContinuar »