On s'amusera à lire par contraste la Diana, de M. An'dré Castagnou (1). C'est un roman romanesque qui eût enchanté André Beaunier par son élégance, sa rapidité et une certaine légèreté excessive que pour ma part je déplore. Des lettres surprises, des rencontres imprévues, des fantaisies amoureuses, tels sont les ressorts d'une action qui met en jeu des personnages qu'on voudrait (le dirai-je quelquefois, plus vulgaires, moins occupés d'art et de littérature, plus attachés enfin à la vie. L'histoire se déroule, en effet, pendant la guerre. Diana est une belle et riche Italienne, veuve d'un mari qui, ruiné, s'est donné la mort. Un bel aviateur la séduit, mais ne l'enchaîne pas. Elle le fuit, pour préserver sa liberté, au beau milieu d'un voyage enchanteur. Elle vient à Paris et tombe alors dans une société infiniment plus bourgeoise où elle se fiance à Philippe Monnier, musicien. L'aviateur reparaît, elle le tue ; elle va quelques mois en prison, et quand elle croit avoir conquis le bonheur, elle retrouve son fiancé marié. Elle repart enfin, pour l'Italie, chercher de nouvelles expériences. L'agrément de ce livre est d'être écrit comme par une femme avec un impressionnisme charmant, M. André Castagnou s'est fait jusqu'ici connaître comme poète, et n'a pas encore, Dieu merci, dépouillé le vieil homme. Mais il a. un goût stendhalien des concisions et des désinvoltures. Parfois, il cède à d'agréables snobismes. Son Philippe Monnier fait des mélodies sur des vers de Toulet et cause avec André Castagnou lui-même. Des anecdotes charmantes,. mais inutiles, rompent insolemment le récit qui sous un aspect objectif, avec des disproportions flagrantes, rappelle parfois la relation de voyage: on ne sait si Gennaro, l'avia-teur, si. Philippe, si Diana elle-même ne sont pas des incarnations d'une même personne, ou plutôt des trois personnes que chacun recèle en lui, un jouisseur, un sentimental timide(1) Plon, éditeur. et un inquiet malchanceux. Ainsi compris, le roman de Diana est beaucoup plus émouvant qu'il ne semble, plus semblable à une confession; et on comprend que parfois un peu de lyrisme le transfigure. Quelqu'un a dit que c'était du d'Annunzio comprimé ; la formule est juste et amusante. Il sera permis seulement de souhaiter que tant de talent et de goût s'emploient à des ouvrages où l'esthétisme ait moins de part. Les romans qui durent sont en général tout autre chose que des rêveries gracieuses. On ne conçoit plus que le romancier laisse à l'humble vérité sa portion congrue. Chaque page de Diana est fort jolie, mérite d'être lue, plaît au goût. L'ensemble ne fait pas une impression profonde. Est-ce que les poètes-nés ne pourraient cacher, en écrivant des œuvres de prose, le secret dédain qu'ils ont pour ces besognes terrestres ? Vasco (1) est aussi un début, celui de M. Marc Chadourne; mais il peut intéresser des gens fort divers, à cause de sa complication et de sa confusion même. On ne saurait trouver rien de mieux pour plaire à notre époque, et je le dis sans ironie aucune, et sans insinuer que M. Marc Chadourne y a glissé par exprès tous les ingrédients : il suffit de lire ce roman touffu et passionné pour sentir l'inconvenance d'une telle critique. Un des ponts-neufs les plus à la mode, c'est l'aventure, l'Aventure, le goût de l'évasion et de la liberté. Je ne sais si ce sentiment suffit à soutenir des personnages dans la littérature, supposé qu'il y suffise dans la vie. Ceux de M. Marc Chadourne apparaissent comme des obsédés, des détraqués, et on se demande parfois si malgré leur prétention au sublime, ce ne sont pas des minus habentes. Notez que dans leur genre on a vu des héros qui ne prêtaient pas à sourire connaissez-vous le merveilleux conte de M. H.R. Lenormand: A l'écart? Ceux de M. Chadourne ont pour caractère principal l'inquiétude, qui, par définition ne s'explique pas, et pour fonction l'admiration mutuelle... Le récit est, en effet, à trois degrés : le narrateur, censé un jeune bourgeois opprimé par la vie moderne et la province, admire son cousin Philippe, dit Vasco, lequel a vécu en Haïti. Vasco, de son côté, admire un aventurier cynique, nommé Plessis, qu'il a connu là-bas. L'un raconte la vie de l'autre, qui raconte les exploits du troisième. Cela fait trois épreuves du même type et c'est un peu froid, malgré le style pathétique du romancier. Vasco est donc allé dans le Pacifique espérant y trouver la vie heureuse et païenne. Il y a trouvé un petit monde colonial, assez pittoresque, mais étriqué, une population indigène aussi peu semblable que possible à l'Hellade des bons parnassiens: opprimée, rongée de maladies louches, abrutie par la peur et la superstition. Quant à Plessis, c'est un gaillard mystérieux et tragique, qui n'a point de scrupules, ni de préjugés. Il cède sa maîtresse à Vasco, il l'associe à ses travaux et à ses déboires, il lui prouve, par l'exemple d'un désespoir ricanant, que le bonheur n'est pas de ce monde... Vasco commence alors à concevoir que la dignité de l'homme réside non dans la joie et la liberté (1) Plon, éditeur. mais dans la servitude et la souffrance. Il revient en France se montrer à son cousin ébaubi et secrètement il repart pour soigner des lépreux dans un îlot solitaire. « Vasco avait beau nier. Dans l'angoisse comme dans la paix, n'avait-il pas entrevu Dieu ? N'est-il pas mystique, ce principe de tristesse, ce levain de malheur qui fit enfler en lui le désespoir, à faire craquer le moule étroit de sa raison » ? Voilà pourquoi le roman a paru dans le Roseau d'or. C'est un apologue émouvant plutôt que clair; le style de M. Chadourne offre un peu d'emphase métaphysique et de sensiblerie. On pense à Restif de la Bretonne. Mais les parties narratives sont excellentes, alertes, simples, mordantes. L'émotion eût été obtenue plus sûrement et plus continuement, sans éveiller la défiance du lecteur, par la retenue apparente et la froide simplicité. Au lieu que le ton employé risque sans cesse de décevoir; on se laisse parfois d'être tenu en émoi par l'auteur et de mal comprendre où il vous mène. M. Chadourne est déjà assez adroit pour soupçonner ce péril. Il commente alors son récit, déjà trop commenté par les personnages, et l'envoûtement n'en est que mieux rompu. Tel quel ce roman a de l'atmosphère, comme on dit ; avec ses défauts mêmes, on doit le ranger parmi ceux qui représentent le goût de ce temps. Ce n'est pas un mince éloge. Les belles enseignes. ANDRÉ THÉRIVE. Puisqu'un projet de loi dort toujours à la Chambre, qui se propose de frapper d'une amende ou d'un impôt les enseignes rédigées en langue étrangère ou en charabia, signalons les résultats de nos recherches. Boulevard de Vaugirard, Montparnas'Hôtel voisine avec un garage du boulevard Edgar-Quinet qui s'intitule Montparn' ass Hôtel ! Avenue de Suffren, une boutique assez luxueuse porte ces mots sibyllins American Glass. On pourrait croire que c'est un bistro; mais quand le rideau de fer se lève, on découvre une blanchisserie spécialisée dans le... glaçage (d'où glass !). . Un prix inattendu. Voulez-vous gagner cent dollars? Participez au concours ouvert par un magazine américain, « Le Forum ». Il offre un prix de cent dollars pour la meilleure traduction, en anglais, d'un poème de M. Paul Claudel. C'est l'ambassadeur de France à Washington qui a été prié de désigner lui-même la pièce qu'il désirait voir traduire. M. Paul Claudel a choisi un petit poème sur l'Enfant Jésus de Prague. Heureusement pour la décence américaine, M. Claudel n'a pas choisi la pièce qu'il intitule élégamment Poème au verso de Sainte-Geneviève. L'Asie à l'Institut. Deux savants asiatiques figureront en 1928 à l'Annuaire de l'Institut. démie des sciences morales et politiques vient d'élire correspondant. L'autre est l'épigraphiste et archéologue chinois Lo-TchenYu, élu par l'Académie des inscriptions et belles-lettres corres-I pondant aussi, à Tien-Tsin. L'Académie des sciences et l'Académie des beaux-arts songent de leur côté à s'adjoindre un mathématicien de l'Inde et un peintre persan. Piron et l'Académie. L'un des aveugles du Pont des Arts car ils sont deux Mais Dieu, qui voit tout, la verra. Ces vers sont de Piron, qui les avait écrits pour l'aveugle des Feuillant, dont un descendant, bien renté, siège aujourd'hui à la Cour des Comptes. Ils font leur petit effet sur les Immortels qui se rendent au Palais Mazarin, et le pauvre Piron enrichira un aveugle de plus. Meredith jugé par Auguste Angellier. Le Cahier Angellier, publié annuellement en mémoire de leur ancien maître, par les anglicisants de Lille, contient une étude très pénétrante sur Meredith, retrouvée dans les papiers de l'au teur d'Amica amisse : << Dans Meredith, dit Angellier, il y a du Cherbuliez plus profond, plus creusant, plus substantiel, moins en mousse de mots et en affectation d'esprit », et plus loin : « La poésie de G. Meredith manque complètement d'un élément poétique : l'élément musical... Il a l'air de quelqu'un qui joue du violon dans un chariot cahoté... La philosophie de la poésie de G. Meredith se compose de peu de chose. C'est un fond positiviste avec un essai de sentiment panthéiste terrestre... Il manque certainement quelque chose à la poésie de G. Meredith. Elle est obscure et non pas toujours par la profondeur de la pensée. La pensée y va en zigzags comme un vol de bécassines; il faut là tirer au jugé. << Il y a aussi matériellement une syntaxe très pénible qui est, construite d'une façon constante avec des inversions qui, pour être tout à fait à leur aise, demanderaient une langue à cas. Un chemineau. Ce petit fait parisien, qu'actualisent les grands froids que nous venons de subir, fut signalé par Jean Richepin, pendant une séance d'hiver de l'Académie, à René Boylesve. Richepin avait rencontré dans le tiède tunnel du Métro un] pauvre hère dépenaillé, que ses vêtements en lambeaux eussent mal protégé contre la neige et la gelée du dehors. Il monta dans la même voiture que lui à la station de croi sement de la Concorde, où ils se trouvaient, et voulut savoir où il allait. L'homme descendit à la Bastille et, par correspondance. gagna la place de la République, puis, par correspondare encore le Père-Lachaise, la place de la Nation, pour revenir L'un est l'économiste japonais Tokuzo Fukuda, que l'Aca- la Bastille. Alors, l'ayant prié d'accepter un billet de dix francs, il l'interrogea : Avec un sou de plus que le Juif errant, dit l'homme (le Métro ne coûtait à cette époque que trente centimes), je voyage 'ainsi toute la journée, au chaud. La nuit, je loge dans les refuges... Merci pour le billet: je vais faire un dîner de prince ce soir, et je boirai à votre santé... Adieu, je pars maintenant pour l'Etoile I CE QU'ON LIT I Pelléas par M. Robert JARDILLIER (chez Claude Aveline). La littérature debussyste est à la mode... Après les monographies de MM. Louis Laloy, Suarès, Léon Vallas, Charles Koechlin, l'ouvrage de M. Maurice Emmanuel, dont je vous ai parlé en leur temps, voici, dans la collection « la Musique Moderne » de l'éditeur Aveline, des pages pénétrantes, où M. Robert Jardillier évoque avec une intelligente justesse l'atmosphère qui vit naître Pelléas, et caractérise à souhait la sensibilité particulière de l'oeuvre si prenante que vous savez. Ceux qui la soutinrent inlassablement, en 1902, contre la sottise ambiante des snobs qui devaient plus tard l'adapter, aimeront à y rafraîchir de vivants souvenirs. G. S. Le Creuset, par Marguerite MEMBRÉ (G. Crès). Ce roman a reçu un prix, celui de l'Aide-aux-femmes-descarrières-libérales. L'héroïne est pourtant bien peu propre à donner confiance dans l'avenir des femmes qui veulent suivre une carrière masculine. Mariée à un homme qui ne sait pas éveiller son cœur ou ses sens, elle obéit à son besoin d'aimer (on voit ce qu'ici cela veut dire). Elle a une première aventure, puis une seconde, bien périlleuse. Après quoi, elle découvre qu'elle est faite pour la maternité. Souhaitons-lui beaucoup d'enfants, pour la calmer. Le livre est d'ailleurs bien bâti et correctement écrit. - J. B. Frédéric BOUTET, L'Homme qui épouse sa femme (Flammarion, 12 fr.). Ida-R. SEE, Le Miracle de l'eau (Eugène Figuière, 8 fr. 50). – Panaït ISTRATI, Le refrain de la Fosse (Les Editions de France). Emmanuel BoURCIER, Les Grandes EnLaurence quêtes de Mega Sluvan (Editions Radot, 10 fr.). ALGAN, Clarisse Aubert (Edgar Malfère, 12 fr). POESIES. Jacques PRADO, Balises (Albert Messein, 9 fr.). FRANC-NOHAIN, Fables Nouvelles (La Renaissance du Livre, 10 fr.). Hélène VACARESCO, Dans l'or du soir (Librairie Blond et Gay). Georges DAY, Rapsodies en mauve (Eugène Figuière, 10fr.). MUSIQUE « Le Pauvre Matelot > Louons MM. Louis Masson et Georges Ricou de leur activité Quelques jours à peine après le Bon Roi Dagobert, l'Opéra-Comique offrait de nouveau à son public deux œuvres nouvelles, à vrai dire de dimensions restreintes, puisque la durée de la plus longue, le Pauvre Matelot << complainte » en trois actes de M. Darius Milhaud sur un poème de Jean Cocteau, n'excède pas cinquante minutes. Si l'on en croit les gazettes, M. Cocteau aurait tiré son livret d'une chanson canadienne du XVII° siècle le Funeste Retour, recueillie à Montréal, par M. Milhaud. Il s'agit, en réalité, d'une histoire fort simple et déjà connue dans plus d'un port de mer. Parti depuis quinze ans pour chercher fortune, au delà de l'Océan, un matelot laisse sans nouvelles au logis familial, sa femme et son beau-père qui tombent dans la misère. Néanmoins, l'épouse reste fidèle à son souvenir, attend toujours son retour. Elle refuse d'écouter les déclarations d'un voisin, qui vient emprunter un marteau et rentre chez lui. Le matelot paraît bientôt, muni d'un sac de perles qui enrichira la famille. Mais, il a tellement vieilli que son ami le voisin, lui-même, a peine à le reconnaître, et il décide de passer la nuit chez le voisin avant de se faire connaître aux siens. Le lendemain afin de savoir si vraiment sa femme l'aime toujours, il se fait passer auprès d'elle pour un simple ami riche du matelot disparu qu'il aurait rencontré naguère, toujours dénué de ressources, au cours d'une traversée. Bientôt le voisin vient rapporter le marteau emprunté. Une idée criminelle germe dans le cerveau de la délaissée. Elle offre l'hospitalité de la nuit au nouvel arrivé. Pendant son sommeil, elle l'assomme d'un coup de marteau, pour lui voler son trésor, afin d'en faire don à son mari dont elle espère le retour. Aidée de son beau-père, elle jette le corps dans la citerne... Ce sketch bref et violent ne serait pas déplacé au Grand-Guignol. Je ne puis trouver ni qu'il soit particulièrement favorable à la musique, ni que la partition de M. Denis Milhaud en exprime d'une façon bienfaisante les aspects divers. Elle est presque entièrement construite sur un thème de java tel qu'en martèlent souvent les pianos mécaniques. Ce thème, et deux ou trois autres chants de même origine, se répètent tout le long de l'ouvrage sans grande modifications rythmiques, et avec une instrumentation incisive, où les bois jouent un rôle prédominant, qui n'est pas toujours propice à la nette perception d'une déclamation vocale elle-même assez monotone, et usant par endroits d'une tessiture terriblement tendue pour les interprètes. Sans doute, M. Milhaud, dont vous connaissez j'imagine, les dons incontestables, et l'exceptionnelle fécondité, n'attache-t-il pas lui-même une grande importance à cette œuvre écrite en quelques jours et qu'il s'est efforcé, dit-il, de rendre mélodique tout en usant de l'écriture dépouillée et du contrepoint souvent agressif qu'il affectionne. Il est parvenu, en tous cas, à donner au Pauvre Matelot une réelle unité de style. Mlle Sibille, dont la voix est généreuse la musicalité sûre et le jeu naturellement dramatique, se tire à son honneur des embûches vocales dont son rôle est semé. M. Legrand joue avec sensibilité et intelligence le personnage du matelot. MM. Vieuille et Musy indiquent à souhait les silhouettes secondaires du vieux père et du voisin. M. Georges Lamveryns dirige avec une souple habileté un orchestre écrit sans particulière recherche. Dans un pittoresque décor de MM. Deshays et Arnaud, M. Gabriel Dubois a fort intelligemment établi sa mise en scène en utilisant un procédé d'éclairage nouveau qui, en rendant tout à coup lumineux et translucide un mur opaque, quand il fait sombre, nous permet de pénétrer dans l'intérieur des maisons. A ce point de vue, du moins, le Pauvre Matelot marquera peut-être une date dans l'histoire du théâtre. Le titre du ballet de M. Lenfant : Evolution, semble, à vrai dire un peu ambitieux pour cet honnête pot pourri de pas divers, du cake walk à la valse, en passant par le charleston et les blues prévus, le tout orchestré d'une façon assurément habile, sonore, mais tout de même un peu << voyante » pour un théâtre subventionné ! Les habitués des répétitions générales, qui aiment pourtant à se dire difficiles, n'en ont pas paru incommodés. Ils ont, au contraire, applaudi avec chaleur la musique de M. Lenfant, la grâce de Mlles Mona Païva, Comte, de Rauwera, l'entrain des inévitables girls, l'amusante fantaisie du décor de M. André Hellé. Ils semblaient tout heureux de retrouver, non plus sublimisées par le délicieux et ironique pastiche de M. Pierné, mais à l'état brut, leurs véritables <<< impression de music-hall »... Je gage, d'ailleurs, que la majorité des abonnés et le « moyen public » de la salle Favart seront 'de leur avis. Gagnez du temps et faites une économie en achetant tous vos livres au SERVICE de LIBRAIRIE de l'OPINION qui vous servira intelligemment Les Concerts La musique inédite se fait de plus en plus rare sur les affiches de nos grandes sociétés symphoniques, de plus en plus soucieuses de se ménager la faveur toujours capricieuse du public, à cette époque de l'année, par des programmes de tout repos. Je m'en voudrais, cependant, de ne pas signaler, notamment à la Société des Concerts de Conservatoire de vibrantes exécutions de la Symphonie d'Ernest Chausson, des chaleureux Poèmes de Paul Fort pour ténor et orchestre de M. Gaubert, vaillamment lancés par M. Thill; aux CONCERTS LAMOUREUX, une brillante audition intégrale de l'admirable Faust-symphonie, de Liszt, avec le choeur final, indispensable à mon gré pour assurer au prestigieux dernier morceau, son équilibre musical et son sens poétique profond; aux CONCERTS COLONNE enfin, la cantate de M. Gaujac, Coriolan, obtint cette année le Grand Prix de Rome et dont je vous ai dit à ce moment les mérites... Seul M. Rhené-Baton, aux CONCERTS PASDELOUP et il faut l'en louer - nous a donné quatre premières auditions, en deux séances, Le Réveil des Alyscamps de M. Sauveplane, poème symphonique avec chants, qui béné ficia du concours de l'organe généreux de M. Franz, ne manque pas, surtout en son début, de poésie évocatrice. Mais son plan d'ensemble diffus, les interventions de la voix un peu arbitraire, et le ton vers la fin devient mélodramatique avec excès. Je lui préfère la noble ligne, la pure expression de l'Hymne à Aristote, où M. Florent Schmitt montre qu'il lui suffit d'une voix d'homme et de dix instruments à cordes pour créer l'atmosphère appropriée aux beaux vers d'Henri de Régnier. J'ai plaisir aussi à dire la valeur et la séduction des six Poèmes d'André Spire mis en musique par M. Albert Doyen avec la plus délicate sensibilité, les accents les plus variés, et le sens le plus avisé des rapports opportuns entre la partie chantée et un orchestre à la fois chatoyant et discret. On a fait à l'auteur, qui 1 dirigeait son œuvre, et à son interprète éloquent, M. Georges Petit, un succès spontané auquel applaudiront tous les musiciens qui savent quel sincère animateur et serviteur désintéressé de son art, est M. Albert Doyen. Indépendamment de la soirée de la salle Pleyel, où M. Oskar Fried, dont je vous ai dit l'an dernier, la valeur éprouvée de chef, a dirigé le Faust de Liszt et la Neuvième Symphonie, l'intérêt principal de la quinzaine a été dans la venue de M. Arnold Schoenberg, compositeur justement notoire au delà du Rhin, qui a dirigé toute une série de ses compositions d'orchestre ou de musique de chambre, et s'est fait connaître aussi à nous comme théoricien harmonique. Vous savez, sans doute, la curieuse évolution de M. Schoenberg. Parti d'œuvres comme la suite de Pelléas et Mélisande, les Gurre-lieder les premières mélodies qui se refèrent directement aux romantiques à Wagner, Brahms et Mahler, et dénotent, d'ailleurs, des dons peu communs et un métier accompli, il en est venu d'abord à une forme hybride, mi-déclamée, mi-musicale, dont il tire, d'ailleurs parfois, dans Pierrot lunaire de savoureux effets, puis à une « polyphonie polytonale «, — si j'ose m'exprimer ainsi volontiers exaspérée, qui se donne carrière dans la récente Suite pour clarinettes, violon, alto, violoncelle et piano, ou dans les Pièces jouées au clavier par M. Steuermann. Je ne méconnais, certes, pas, l'ingéniosité, la maîtrise même de réalisation qui permet à M. Schoenberg d'en parfaire les impitoyables crudités. Mais j'avoue humblement qu'un peu de sensibilité et de poésie, dont il ne faisait pas fi naguère, leur donnerait à mes yeux un tout autre prix. Un concert du groupement Pro Musica donné à la salle des Agriculteurs, nous a fait connaître, une sonate pour piano et instruments à vent où M. Darius Milhaud donne une fois de plus la preuve de la facilité de sa plume, et qui contient de savoureux détails sonores, malgré une polytonie un peu trop arbitraire et exaspérée pour mon goût. Les Sérénades de M. Paul Hindemith pour voix, haut-bois et piano, dont Mme Marthine a vaillamment affronté les multiples écueils, témoignent curieusement de cet art desséché, mais d'une réelle vie rythmique, qui règne aussi en Europe centrale. Les Marines et les Chorals vocaux de M. Charles Koechlin, d'une musicalité délicate, ont paru reposante, à nos oreilles, encore meurtries du violent cautère que leur impose sans relâche M. Hindemith. digrades. En aucun cas votre hôte ne pourra vous convain. cre de faute de syntaxe, pas même de grammaire, puisqu'aussi bien à part ses « envies » de béchamel, de veau (heureusement pas mort-né) ou de gruyère qui est pour lui ce qu'était le ranz des vaches aux mercenaires suisse; - M. Paul Reboux fait de la cuisine au petit bonheur d'une réminiscence qui l'incite à un truisme ou à un pléonasme, lequel le mène droit à un paradoxe. Pour vous ras, surer tout à fait, lisez vite cette délicieuse Vie gaillarde e sage de Montaigne où, chap. IX, André Lamandé - un vrai gourmet celui-là décrit gaillardement les curieuses mangeailles du prolixe et sage périgourdin; ce chapitre et le XII vous permettront des propos qui vous feront avoir l'oreille du maître néo-gastronome, lequel se figurera que, disciple fidèle, vous lui suggérez des plats nouveaux, nouveaux comme les architectures de l'art moderne ! Et maintenant, Madame, abordons le menu. Faut-il, pour honorer le chercheur des « 300 recettes inédites ou singulières », faire un choix dans les 110 vieilles recettes de ce recueil, les 83 personnelles (dont à vrai dire la bonne moitié sont d'anciennes connaissances bizarrement voronisées) ou les 74 reproduites d'après Ali-Bab, Richardin, Montagné, M. Meunier, Mlle Rose, Mme Savarin et la maison Félix Potin ? Réfléchissons. M. Paul Reboux semble préférer le dîner au déjeuner -tout le monde ne peut avoir un appétit de sexagénaire bien portant - d'autant plus que, sauf les huîtres, le caviar et le Gaspacho de Mlle Rose (pp. 36 et 94)), il entre crûment dans le chou si j'ose dire exagérant ainsi la juste horreur des « hors-d'œuvre variés », sur quoi les gastronomes sont depuis longtemps d'accord tout en exigeant sagement - hors-d'œuvre ou potage une entrée en matière, amuse-bouche préparatoire, de franche et agréable saveur. Prudente, vous avez invité le Maître à dîner (c'est déjà une indication, dirait-il), cela vous per 1 AMme R. F. qui a prié M. Paul Reboux mettra - tant vos attentions vont le capter - de lui offrir, vers les quatre heures du matin cette soupe à l'oignon (p. 99) que, pince-sans-rire, lui rapporta le fin gastronome Gaston Derys; soupe faite d'un demi camembert crêmeux, d'eau chaude, de beurre, de champagne épicé de poivre, de cannelle, de cayenne, de sel et de laurier, épaissie de 6 jaunes d'œufs battus au porto, achevée par une cuillerée d'armagnac et 30 noix épluchées, versée enfin sur des rôties. Soupe d'ivrogne ! dira quelque plaisantin; appelons plutôt ça « soupe-cocktail à l'oignon »>. Vous allez, Madame, dire que je me perds en digressions? Veuillez pourtant considérer que j'en use un peu comme le Maître qui, estimant que la sauce fait passer le poisson, a exécuté chacune de ses propres recettes en 3 ou 4 lignes lapidaires mais, sous forme de commentaires, s'est livré à son démon familier qui le pousse à écrire de tout, joliment et copieusement. Or, vous songiez à lui mitonner quelques-uns de ses « plats nouveaux, inédits ou curieux ». Certes, vous pourriez après un potage de haricots et d'oseille (p. 245) — lui |