Un orateur. « Citoyens représentans, au nom de la majorité des sections de Paris nous demandons notre frère, notre ami, celui qui est investi de notre confiance, celui qui nous a toujours dit la vérité, celui que nous avons toujours cru. Nos plus chers soutiens nous sont enlevés; ils gémissent sous le fer d'un comité despotique, comme nous gémissions naguère sous le joug d'un tyran! (Mouvement.) Les réclamations les plus justes, tous nos vœux réunis sont sans effet, et nous retournons porter dans nos foyers les rebuts de ceux que nous avons commis pour veiller à nos plus chers intérêts! Un volcan gronde sous nos pas; une voix secrète nous avertit de nos dangers, et des malheurs qui nous menacent. » Rendez-nous de vrais républicains! Détruisez une commission tyrannique et odieuse, et que, séance tenante, (à gauche : Oui! Oui!) et que, séance tenante, la vertu triomphe! Nous vous le demandons au nom de la patrie, et nous répondons sur nos têtes de ces citoyens innocens, qui ne peuvent gémir plus longtemps dans les fers! >> Réponse du président. « La force de la raison et la force du peuple sont la même chose..... (Vifs applaudissemens. Léonard-Bourdon: Recommencez, président; vous avez dit là une grande vérité!) La force de la raison et la force du peuple sont la même chose. Citoyens, comptez sur l'énergie nationale, dont vous entendez l'explosion de toute part. La résistance à l'oppression ne peut pas plus être détruite que la haine des tyrans ne peut être éteinte au cœur des républicains! (Applaudissemens.) Vous venez en ce moment réclamer justice; c'est la partie la plus sacrée de nos devoirs. Représentans du peuple, nous vous promettons la justice; nous vous la rendrons!» (Applaudissemens des tribunes.) Un second orateur. « Citoyens représentans, le peuple de Paris en 1789 gémissait sous l'inquisition: il renversa la Bastille. En 1792 un roi parjure fit massacrer les citoyens sous les fenêtres de son palais: les assassins périrent. En 1793 un nouveau despotisme, plus terrible que les deux autres, une commission inquisitoriale s'élève sur les débris de la monarchie : les patriotes sont incarcérés; les scènes sanglantes du 17 juillet se préparent; la République est sur le point d'être anéantie! La section des Gravilliers vient vous déclarer par ses commissaires qu'elle n'a pas fait en vain le serment de vivre libre ou mourir! (Applaudissemens.) Vous avez reconnu le principe sacré de la résistance à l'oppression: malheur aux traîtres qui, gorgés d'or et affamés de puissance, voudraient nous donner des fers! (Applaudissemens.) Les hypocrites et les traîtres se repentiront d'avoir ob'igé le peuple de Paris à faire encore l'essai de ses forces! (Applaudissemens.) Qu'ils tremblent ceux qui veulent fédéraliser la République ou remettre les Bourbons sur le trône! Ils seront frappés, ou nous disparaîtrons tous de dessus le globe! (Applaudissemens.) >> Mandataires du peuple, nous sommes prêts à couvrir de nos corps la Convention nationale; mais comme vous êtes ici pour faire de bonnes lois, et non pour être flagornés, écoutez la vérité! Vos débats tumultueux prouvent évidemment que le foyer de la contre-révolution est dans votre sein. (Applaudis-semens des tribunes.) Le palais national serait-il encore lechâteau des Tuileries! Les Suisses, les nobles et les prêtres qui ont mordu la poussière dans la journée du 10 août seraientils ressuscités! Les représentans du peuple, ne seraient-ils pas attendris par les cris des victimes infortunées qui du fond de leur tombe demandent vengeance de leurs assassins! (Voix à gauche: Ils l'auront!) » Ah! réfléchissez que le sang des patriotes rougit encore les murs de ce palais! Songez que vous ne pouvez aborder cette enceinte sans marcher sur des milliers de cadavres, et vousserez convaincus de la nécessité du rétablissement de l'ordre et de la fraternité! Vous irez au devant des scènes de carnage qui ont souillé les pages de notre révolution; vous nous donnerez enfin une Constitution républicaine, après laquelle nous soupirons, et pour laquelle vous n'avez rien fait encore ! >> Députés de la montagne, vous avez écrasé la tête du tyran : nous vous conjurons de sauver la patrie! (Voix à gauche : Oui! Oui! Nous la sauverons!) Si vous le pouvez, et que vous ne le vouliez pas, vous êtes des lâches et des traîtres! Si vous le voulez et que vous ne le puissiez pas, déclarez-le! C'est l'objet de notre mission; cent mille bras sont armés pour vous défendre! (Applaudissemens.) Nous demandons l'élargissement des patriotes incarcérés, la suppression de la commission des douze, et le procès de l'infâme Roland.>>> Réponse du président. « Citoyens, nous détestons avec vous la royauté et ce qui peut lui ressembler: représentans du peuple, nous n'existons que par lui et pour lui. Concitoyens, concourez avec nous au salut public; écartez tous les obstacles; faites que nous puissions travailler en paix à la Constitution! Toute la France a dit: la liberté ou la mort! Lorsque les droits de l'homme sont violés il faut dire : la réparation ou la mort! (Applaudissemens.) >> Citoyens, soyez assurés que nous mourrons tous à nos places, plutôt que de souffrir qu'aucune atteinte soit portée à vos droits et à la souveraineté du peuple ! » D'autres orateurs sont entendus; ils présentent les mêmes vœux, et presque dans les mêmes termes. Ils ne recevaient d'abord que les applaudissemens de la gauche; peu à peu la plaine leur accorde les siens: la majorité est toute montagnarde. La Convention décrète l'impression et l'envoi aux départemens des pétitions et des réponses. Léonard Bourdon et Lacroix convertissent en motions les demandes des pétitionnaires : l'Assemblée est très agitée; mais on n'élève aucunes réclamations verbales. Le président met aux voix les motions, et la Convention décrète : « 1°. Les citoyens incarcérés par ordre de la commission des douze seront immédiatement mis en liberté. >> 2°. La commission des douze est cassée. Le comité de sûreté générale est chargé d'examiner la conduite des membres qui la composaient. >> Les pétitionnaires et les citoyens des tribunes témoignent leur reconnaissance par des applaudissemens réitérés. On présente des lettres de la commission des douze; quelques membres en demandent la lecture: la Convention passe à l'ordre du jour, motivé sur ce que cette commission n'existe plus. La séance est levée à minuit et demi. Séance du 28 mai 1793. Isnard reprend le fauteuil. Lecture est faite du procès verbal de la veille. Les décrets relatifs à la commission des douze provoquent les rumeurs de la droite; ils font une vive impression sur la plaine, qui retire à la gauche son inconstant appui. Lanjuinais. « Il n'y a pas eu de délibération! Je demande la parole..... (Longue interruption; bruit.) J'ai le droit d'être entendu sur la prétendue existence d'un pareil décret!... Ne prononcez pas avant d'avoir entendu un représentant du peuple qui réclame la parole pour la liberté aux abois!... Je soutiens 1o qu'il n'y a pas eu de décret de rendu; et s'il y en a un j'en demande le rapport. (Les murmures continuent.) Si l'Assemblée veut ajourner la discussion je suis prêt à me retirer.... (Interruption.) Tout est perdu, citoyens ! (Cris d'impatience.) J'ai à vous dénoncer dans le décret qui a été rendu hier une conspiration mille fois plus atroce que toutes celles qui ont été tramées jusqu'ici! Quoi! depuis deux mois il s'est commis plus d'arrestations arbitraires sous le commissariat des députés envoyés dans les départemens qu'il ne s'en est commis en trente ans sous le despotisme !... (Murmures.) Quoi! des hommes prêchent depuis six mois l'anarchie et le meurtre, ils sont arrêtés, et ils resteraient impunis! et l'on empêcherait de rechercher leurs complices !...» (Les murmures étouffent la voix de l'orateur.) Legendre. « Il y a un complot formé pour faire perdre la séance. Si Lanjuinais ne cesse pas de parler je déclare que je me porte à la tribune et que je le jette en bas! » Barbaroux. «Je demande que la déclaration de Legendrene soit pas perdue, et qu'elle soit consignée au procès verbal. (Décrété sans opposition.) 1 Lanjuinais. « Il ne peut y avoir un décret d'impunité pour ceux qui ont voulu renouveler les scènes du 2 septembre sur les membres mêmes de la Convention! Vous seriez déshonorés, citoyens, si vous pouviez souffrir qu'un pareil décret souillât vos registres! >> Une voix à gauche. « Tu as protégé les aristocrates de ton pays; tu es un scélérat! Lanjuinais. « J'ai gagné l'estime de mes concitoyens en défendant la liberté contre les rois, les aristocrates et les nobles! Ceux qui me connaissent m'ont rendu justice. Je demande que la Convention passe à l'ordre du jour sur la rédaction qui lui est présentée, motivé sur ce qu'elle n'a pu rendre un pareil décret, attenda que les pétitionnaires étaient confondus avec les membres, et ont voté avec eux. » Levasseur. « Le décret a-t-il été rendu oui ou non? Voilà la question. On a dit que le décret n'a pu être rendu parce que les pétitionnaires ont délibéré. Je réponds que cela est faux; car avant qu'on allât aux voix les pétitionnaires se sont retirés dans ce passage, et il n'y a eu que les membres qui ont pris part à la délibération. Lacroix fit la motion de supprimer la commission; Thuriot demanda par amendement la liberté du citoyen Hébert: la motion avec l'amendement ont été mis aux voix et décrétés. Je déclare moi que la commission des douze avait été formée non pour découvrir les complots, mais pour en mettre un à exécution! (Applaudissemens de la gauche.) Quand l'impôt forcé d'un milliard a été décrété les aristocrates se sont agités en tous sens pour indisposer le peuple contre cette mesure; ils se sont portés dans les sections; ils sont parvenus à dominer dans plusieurs, et ils se sont dit: la commission des douze nous servira merveilleusement... De là les pétitions qui ont été lues à votre barre, et adroitement renvoyées à cette commission. Ils ont dit: les aristocrates ont été massacrés dans les prisons au mois de septembre; il faut à notre tour faire massacrer les patriotes... Voilà le motif des arrestations contre lesquelles on est venu réclamer. >> Tel a été le complot; mais il a été déjoué comme tous les |