véritablement il y a eu un complot de formé contre la Convention. Un homme appelé Déroland, président de la section Jean-Jacques Rousseau, vint me trouver il y a quelques jours, et me dit qu'il revenait de la commune, où il avait vu Chaumette et Hébert, à qui il avait fait part des intentions de sa section sur le désarmement des signataires des pétitions des vingt mille et des huit mille, et sur le bruit qui courait dans Paris de la dissolution de la Convention. Chaumette lui répondit: cela est bon; nous les tenons. Il y a six jours que des citoyens de la section de l'Oratoire vinrent nous annoncer que quatre-vingts électeurs se rassemblaient dans une des salles de l'Evêché, et qu'ils y traitaient des moyens de purger la Convention. Nous en avertîmes le maire de Paris, pour empêcher qu'à l'avenir cette réunion eût lieu. Un autre fait, auquel j'ajoute peu de foi, sur lequel cependant je demande que le ministre des affaires étrangères et celui de l'intérieur soient entendus, c'est que d'autres hommes se rassemblaient dans un certain lieu, où ils traitaient aussi des meilleurs moyens d'enlever à la Convention vingtdeux tétes, et pour réussir on devait se servir de femmes : une pétition aurait été présentée à la Convention pour la prier de retourner dans l'ancienne salle, et en passant au milieu du peuple, qu'on calomnie, on devait délivrer la France de ces vingt-deux citoyens. Je dis que, quoique très invraisemblables, ces faits doivent fixer votre attention, surtout au moment où les représentans du peuple souverain n'ont pas assez de force pour faire respecter une consigne dans l'intérieur du lieu de leurs séances. » Je passe maintenant aux diverses mesures proposées par Guadet, et sans inculper ses intentions je vais les combattre. >> La première, de casser les autorités constituées de Paris. Citoyens, si je voulais l'anarchie j'appuierais cette proposition. (Applaudissemens.) Vous m'avez mis à portée de voir comment agissaient ces autorités : j'ai vu un département faible et pusillanime; des sections se régissant comme de petites municipalités ; un conseil général de la commune dans lequel se trouve un homme, nommé Chaumette, dont je ne connais pas le civisme, mais qui autrefois était moine; et il serait à désirer de ne voir jamais à la tête des administrations des moines ni des ci-devant nobles: j'ai vu une commune exagérant ou inter t prêtant les lois à sa fantaisie; je l'ai vue organisant une armée révolutionnaire. Je crois que sur cet autre objet vous devez charger votre comité de salut public de vous faire incessamment un rapport. » Quant à la mesure proposée par Guadet de convoquer l'assemblée des suppléans à Bourges, dans la circonstance actuelle cette mesure est mauvaise. C'est par votre courage, par votre fermeté que vous braverez les orages qui se forment contre vous! (Applaudissemens.) D'ailleurs croyez-vous que si des scélérats venaient à dissoudre la Convention le même coup qui la frapperait ne se ferait pas sentir à vos suppléans ? Je pense donc que la question préalable doit être adoptée sur la proposition de Guadet. Mais il est une autre mesure qui me paraît plus efficace et je terminerai en la proposant ; c'est de créer une commission de douze membres, etc. » , La majorité cède aux observations de Barrère, et le décret suivant est rendu (18 mai 1793): « La Convention nationale décrète qu'il sera formé dans son sein une commission extraordinaire. » Cette commission sera composée de douze membres. Elle sera chargée d'examiner tous les arrêtés pris depuis un mois par le conseil général de la commune et les sections de Paris, de prendre connaissance de tous les complots tramés contre la liberté dans l'intérieur de la République ; elle entendra les ministres de l'intérieur et des affaires étrangères, les comités de sûreté générale et de salut public sur les faits venus à leur connaissance, relatifs aux conspirations qui ont menacé la représentation nationale, et prendra toutes les mesures nécessaires pour se procurer les preuves de ces conspirations, et s'assurer des personnes des prévenus. Les membres nommés à cette commission seront tenus d'opter dans vingt-quatre heures s'ils sont membres d'un autre comité, et seront remplacés par leurs suppléans dans le cas •ù ils n'accepteraient pas. » Il y avait loin de la mesure qui eût cassé les autorités de Paris à celle qui ordonnait l'examen de leurs registres : la proposition de Guadet pouvait seule décider la victoire en faveur du côté droit. Les girondins n'avaient pas jugé nécessaire dé la soutenir par des discours; le succès qu'elle avait obtenu paraissait devoir leur garantir la majorité qui depuis quelque temps s'était attachée à leur cause. Mais, soit conviction, et l'on conçoit difficilement que l'opinion de Barrère ait pu amener ce résultat; soit crainte pusillanime ou calcul, et en effet, lorsque dans une assemblée délibérante il existe un parti moyen entre deux partis prononcés, il semble que ce groupe flottant ne puisse appuyer sans trahir; quoi qu'il en soit enfin, la plaine abandonna la droite, et la bataille fut perdue; car ici un accommodement était une défaite pour les girondins: comment reprendre jamais une aussi belle position? La plaine crut réparer sa défection en prêtant ses suffrages aux membres de la droite dans la formation de la commission des douze; elle appela sur eux un nouveau malheur. Cette commission fut composée ainsi, dans la séance du 21: Boyer-Fonfrède, Boileau, Lahosdinière, Vigée, Rabaut Saint-Etienne, Kervelegan, Saint-Martin Valogne, Gommaire, Henri Larivière, Bergoeing, Gardien, Molle vault. Dans ces douze membres on n'en comptait que trois qui eussent voté la mort de Louis XVI; Boyer-Fonfrède, Boileau Lahosdinière: mais les deux premiers avaient fait oublier cet acte par la haine, soutenue d'un beau courage, qu'ils portaient à la commune, à Marat et à ses partisans; le troisième, homme faible, n'inspirait de confiance à personne. Vigée, député suppléant, ne siégeait guère que depuis un mois comme représentant du peuple, et son début avait été le témoignage d'une vive indignation contre la tyrannie des citoyens des tribunes. Les huit autres avaient voté la détention: on a vu que ce vote était devenu un crime. Au total cette réunion d'hommes offrait des vertus, du courage personnel, mais peu de capacité, point de grandeur dans les vues, point d'énergie dans l'exécution. Ainsi, quoique investie de grands pouvoirs, la commission ne pouvait être utile, et par son impopularité elle devait être dangereuse. La commune de Paris, les sections, la société des Jacobins sonnèrent l'alarme contre cette puissance liberticide que la faction des hommes d'état avait élevée au sein méme de la Convention; dans les douze on vit tous les girondins. Les montagnards se mirent sur la défensive, et au moindre signe de vie donné par cette commission ils crièrent au despotisme ou au ridicule : le despotisme ils le montraient dans l'arrestation impolitique de quelques hommes qu'il aurait fallu avilir sans les combattre, sous peine d'augmenter encore leur popularité: quant au ridicule, il résultait des faux rapports adressés à la commission, des fausses terreurs qu'on lui inspirait, et des mesures qu'elle prenait en conséquence. On avait perdu l'habitude d'égayer les délibérations : les douze ayant fait décréter avant toutes choses que la ville de Paris la représentation nationale et la fortune publique étaient sous la sauvegarde spéciale des bons citoyens, hé mais, s'écria Danton, vous décrétez donc la peur! et l'on rit. , A chaque instant dénoncée, en butte à toutes les menées, à toutes les intrigues, sans cesse interrompue dans ses rapports et blåmée dans ses motifs, la commission des douze, après six jours d'existence, devint enfin l'objet ou le prétexte *d'un mouvement général d'hostilités. Séance du 27 mai 1793. RAPPORT du ministre de l'intérieur. (Garat.) « Je n'ai pas été appelé par la Convention; mais, comme fonctionnaire public et ministre de l'intérieur, je viens vous rendre compte des mouvemens qui ont lieu dans cet instant : j'en ai suivi tous les progrès; j'ai été l'un des premiers instruits et de ce qui était réel et de ce qui était exagéré. Je parlerai au sein de la Convention, dans les grands dangers qui menacent la République, comme si j'étais aux pieds de l'Eternel. " Tout ce qui arrive a pour première cause le bruit qui s'est répandu qu'un grand complot avait été formé dans un conciliabule présidé par le maire de Paris, et dont le but était de faire arrêter vingt-deux membres de la Convention. Le lendemain du jour de cette assemblée je reconnus que les faits avaient été étrangement dénaturés. J'appris aussi que dans cette assemblée, qui n'était point un conciliabule, puisqu'elle avait été convoquée par un arrêté de la commune, on s'y était occupé de l'exécution de quelques décrets de la Convention. >> Vous vous rappelez, citoyen président, que la Convention a autorisé les corps administratifs à prendre des mesures contre les gens suspects, à lever une contribution forcée sur les riches, à faire des réquisitions. C'était pour prendré ces mesures que le maire avait convoqué les présidens des sections; ainsi vous voyez que ce comité était légalement assemblé, et ce n'est pas ainsi que se conduisent des scélérats qui méditent un grand crime! (Applaudissemens de la gauche.) » La première séance de cette assemblée fut présidée par le maire; aucune motion inconsidérée ou criminelle n'y fut faite. C'est dans la seconde, où le maire ne se trouvait pas, qu'on présenta ces propositions atroces; mais, loin d'être adoptées, elles furent repoussées avec une forte improbation de tous les membres de l'assemblée. » J'ai su avec certitude que le maire, instruit de ces motions, en fut alarmé, et qu'il prit toutes les mesures nécessaires pour présider la séance suivante. Il la présida en effet: on y répéta les mêmes propositions. Un membre de cette assemblée vint me trouver, et, sans que je le misse nullement sur la voie, il me parla de ce qui s'y était passé. - Je ne connaissais pas Pache, me dit-il; je le croyais un homme froid; mais hier, lorsqu'on proposa de faire arrêter quelques membres de la Convention, il fit sentir avec tant de force combien étaient criminelles de semblables propositions, il témoigna tant d'indignation, que tous les membres du comité les regardèrent avec la même horreur... (Applaudissemens à gauche.) Je vous avoue, citoyen président, qu'il fut extrêmement doux pour mon cœur d'apprendre ces faits! Je me rendis au conseil, où deux de mes collègues me dirent avoir reçu un semblable rapport. / |