Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Barbaroux. « Je propose de décréter en principe que les représentans du peuple sont à chaque instant comptables à la nation de leur fortune. Je demande en outre que celui qui dénoncera un fonctionnaire public pour avoir fait des acquisitions illégitimes obtienne pour prix de sa dénonciation la moitié des biens du dénoncé, faute par ce dernier de justifier des moyens par lesquels il est parvenu à augmenter sa fortune. >>>

La première proposition de Barbaroux est textuellement décrétée (14 mai 1793). La seconde est renvoyée à l'examen du comité de législation.

Séance du 18 mai 1793.

Le décret qui déclarait calomnieuse la pétition des sections de Paris, celui qui proclamait comme un modèle de civisme l'adresse des citoyens de la ville de Bordeaux, les véhémentes sorties des girondins contre la société des Jacobins, enfin l'union du côté droit et de la plaine, qui semblait annoncer une majorité permanente et le triomphe des membres dénoncés, toutes ces circonstances étaient donc pour la commune de Paris autant d'outrages dont elle devait tirer vengeance: en attendant elle continuait avec ardeur ses sourdes hostilités; chaque jour les corridors étaient envahis, les tribunes comme prises d'assaut par ses affidés, hommes et femmes, qui faisaient retentir la salle de murmures, de cris, de huées lorsque parlait ou seulement paraissait un des représentans qu'elle leur avait désignés. Dans leur réveil tardif les girondins luttaient avec courage, mais souvent avec imprudence: ils invoquaient sans cesse et la convocation et le jugement des assemblées primaires; ils menaçaient de leurs départemens : malheureux moyens de défense, qui du moment qu'ils les emptoyaient leur faisaient perdre la majorité, et donnaient à leurs adversaires le droit de les accuser d'exciter la guerre civile, de tendre au fédéralisme. La montagne voyait la République tout entière; elle s'appuyait sur la masse: retranchée dans l'expectative tant que les succès de la droite lui semblaient sans importance, elle s'agitait furieuse aussitôt que la commune de Paris était menacée d'un échec. La séance du 18 mai faillit à améner une affaire décisive.

On a vu dans le tome précédent qu'un décret établissait dans chaque commune et section de la République un comité de douze citoyens chargé de surveiller les étrangers. Ces comités avaient pris la dénomination de comités révolutionnaires (1): ceux de Paris surtout, à l'instar de la commune, avaient considérablement agrandi le cercle de leurs attributions; ils suivaient avec rigueur l'exécution de ce terrible décret du 27 mars qui mettait hors de la loi tous les aristocrates et les ennemis de la révolution. (Voyez tome XI.)

Déjà plusieurs citoyens avaient été ainsi arrêtés. L'un d'eux réclame avec instance contre l'acte arbitraire dont il est la victime : les girondins plaident sa cause ; ils entraînent une grande majorité, et la liberté lui est rendue par un décret. Cette délibération est suivie d'un long tumulte: la gauche veut l'appel nominal; la majorité s'y oppose, par la raison qu'elle n'est point douteuse. La gauche insiste, et prétend réformer le réglement, qui accorde l'appel nominal à la demande de cinquante membres, mais seulement lorsqu'il y a eu doute dans les épreuves. La question est renvoyée au comité de législation. Le lendemain ce comité propose de passer désormais à l'appel nominal, en matière constitutionnelle, quand cent membres le réclameront, et cent cinquante dans toute autre question : aux deux cas la demande devait être signée individuellement.

La discussion allait s'ouvrir; Guadet l'évite en demandant la parole pour un fait, dit-il, ou plutôt pour une application.

Guadet. << Citoyens, lorsqu'en Angleterre on voulut dissoudre le long parlement on prit les mêmes moyens. Quand la majorité, animée de l'amour de la liberté, eut vainement lutté

contre le projet anarchique et sanguinaire d'une minorité fac-/

tieuse, et qu'elle voulut faire un dernier effort pour ramener

(1) Un décret du 26 mai 1793 « défendit aux comités de section, établis pour la surveillance des étrangers de se qualifier comités révolutionnaires, et d'excéder les pouvoirs qui leur étaient attribués par la loi du 21 mars, sous les peines portées au code pénal contre les auteurs d'actes arbitraires. >>> Ce décret resta sans exécution.

le règne des principes et de l'ordre, la minorité cria à l'oppression. Savez-vous ce qui en arriva? C'est qu'en effet la minorité trouva le moyen de mettre la majorité sous l'oppression.

[ocr errors]

Elle appela à son secours des patriotes par excellence : c'est ainsi que se qualifiait une multitude égarée, à laquelle on promettait le pillage et le partage des terres.

[ocr errors]

Ces cris, incessamment répétés dans les séances du parlement; cet appel, motivé sur la prétendue oppression où se trouvait la minorité, et sur l'impuissance où elle était d'y résister, amenèrent l'attentat que l'histoire nous a transmis sous le nom de la purgation du parlement; attentat dont Pride, qui de boucher était devenu colonel, fut l'auteur et le chef: cent cinquante membres furent chassés du parlement, et la minorité, composée de cinquante ou soixante membres, resta maîtresse du gouvernement.

» Qu'en arriva-t-il ? Ces patriotes par excellence, instruinens de Cromwel, et auxquels il fit faire folies sur folies, furent chassés à leur tour; leurs propres crimes servirent de prétexte à l'usurpateur. Il entra un jour au parlement, et, s'adressant à ces mêmes membres, qui seuls à les entendre étaient capables de sauver la patrie, il les en chassa en disant à l'un : tu es un voleur; à l'autre : tu es un ivrogne; à celui-ci : toi tu t'es gorgé des deniers publics; à celui-là: toi tu es un coureur de filles et de mauvais lieux. - Fuyez done! dit-il à tous; cédez la place à des hommes de bien. - Ils la cédèrent, et Cromwel la prit.

› Citoyens, je livre ces faits à la méditation de tous les amis de la liberté ; et quel est celui qui, ayant suivi la marche des événemens, ne s'aperçoive que c'est le dernier acte de l'histoire d'Angleterre qu'on cherche à jouer ici? Quel est celui qui, ayant vu la séance d'hier, ne porte au fond de son cœur cette douloureuse conviction?

» Et pour éviter un tel danger que vous propose-t-on? De donner à cent ou cent cinquante membres le droit de réclamer un appel nominal sur toutes les épreuves où la majorité aura prononcé ; c'est à dire qu'on vous propose en d'autres termes d'augmenter le mal au lieu de le guérir! En effet, admettre un tel projet ne serait-ce pas justifier ces plaintes d'oppression que depuis quelque temps on renouvelle avec tant d'indécence

d'affectation et d'atrocité? Ne serait-ce pas mettre la minorité en état de révolte habituelle contre la majorité, et mettre ainsi vous-mêmes dans la main de vos ennemis le moyen de réaliser leurs liberticides complots? Ne serait-ce pas enfin provoquer cette purgation pridienne, après laquelle on soupire avec tant d'ardeur ?

Une autre considération, qui frappera sans doute vos esprits, citoyens, c'est que, dans un moment où l'on conspire ouvertement contre la Constitution que la France réclame, dans un moment où les Jacobins arrêtent qu'il faut à tout prix entraver votre marche, permettre à cent cinquante membres de réclamer l'appel nominal sur toutes les questions déjà décrétées par la majorité, c'est s'exposer à n'avoir pas de Constitution de plusieurs années; et cependant il faut promptement une Constitution à la France, ou elle est perdue!

> Une scandaleuse résistance de la minorité, de quelqus côté qu'elle se trouve, sans doute il faut la faire cesser; mais ce ne sera pas en adoptant la proposition qui vous est faite que vous arriverez à ce but. Vous y arriverez en faisant cesser l'anarchie au milieu de vous et dans tout ce qui vous environne. Or vous ferez cesser l'anarchie au milieu de vous en donnant à votre président plus d'autorité que le réglement ne lui en accorde; en proclamant aux yeux de la France entière mauvais citoyen et contre-révolutionnaire quiconque troublera vos délibérations par des huées, des vociférations et des menaces; en prenant enfin d'une main ferme la police de votre salle, que vous n'avez point! Vous la ferez cesser au dehors en prê-tant appui aux bons citoyens, et en contenant les autorités dans leurs devoirs.

»

Je demande que le comité de législation soit chargé d'examiner ces deux mesures, et que l'Assemblée, jalouse de réparer aujourd'hui le temps qu'on lui a fait perdre hier, passe à l'ordre du jour, qui est la discussion de la Constitution. >>>

La proposition de Guadet est adoptée au milieu des murmures de l'extrême gauche et des tribunes publiques. Cependant quelques instans de silence sont accordés; on écoute deux orateurs qui parlent sur la Constitution.

1 :

Mais ce n'était qu'une suspension de combat. Tout à coup un bruit épouvantable se fait entendre dans une tribune; une femme, une furie veut en arracher un homme. Le président donne des ordres pour qu'on réprime ce scandale : toutes les tribunes se croient insultées; elles se révoltent contre la garde. L'agitation, le tumulte, un désordre complet règne dans toutes les parties de la salle : le président se couvre. Marat veut justifier cette scène; il nomme l'individu attaqué par une citoyenne : - C'est un aristocrate! dit-il; ainsi... Un mouvement d'horreur se manifeste contre Marat; on lui reproche avec indignation de désigner un homme au couteau des assassins. Marat répond qu'il ne peut y avoir de tranquillité, que le peuple ne sera satisfait que lorsqu'il aura fait justice des aristocrates, des hommes d'état, des complices de Dumourier; et les tribunes applaudissent aux paroles de Marat.

Le président (Isnard) se découvre; il demande à faire une déclaration; on consent à l'entendre, et, du ton de la douleur et de la conviction, il dit :

« Ce qui se passe, citoyens, m'ouvre les yeux sur un fait qui m'a été révélé, et que je dois vous faire connaître; c'est que l'aristocratie française, Pitt, l'Angleterre, l'Autriche, tous nos ennemis suivent un nouveau plan pour détruire la liberté en France. Peuple, législateurs, écoutez! il y va de votre salut!... (Murmures.) Il n'y a qu'un ennemi de la patrie qui puisse m'interrompre! Ah! si vous pouviez ouvrir mon cœur, vous y verriez mon ardent amour pour ma patrie! et, dussé-je être immolé sur ce fauteuil, mon dernier soupir ne serait que pour elle, et mes dernières paroles: Dieu, pardonne à mes assassins! ils sont égarés; mais sauve la liberté de mon pays!... (Applaudissemens.)

[ocr errors]

Nos ennemis, furieux de ne rien pouvoir par leurs tentatives sur nos départemens, sur nos armées, sont venus dans cette cité travailler cette partie du peuple si intéressante par ses vertus; ils veulent à force de troubles et de désordres mettre un parti contre l'autre; ils veulent à la suite faire insurger le peuple; et l'insurrection doit commencer par les femmes; on

« AnteriorContinuar »