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des Jacobins de s'être vantée d'avoir fait entrer neuf mille agens dans l'administration; à ses collègues de la gauche d'avoir sollicité des places et pour eux-mêmes et pour leurs créatures, et il signale plusieurs députés comme occupant dans l'armée des grades supérieurs qu'ils ne méritent ni par leur ancienneté ni par leurs services. Les membres inculpés qui sont présens répondent ; les absens trouvent un défenseur dans Thuriot. Parmi les faits avancés il s'en rencontre quelques-uns d'exacts, mais futiles; d'autres sans fondement du reste cette attaque isolée contre des membres d'un parti fut regardée comme indigne du caractère de Barbaroux. Cependant Guyomard avait demandé que les ministres, dans les états qu'ils devaient fournir des emplois à leur nomination, indiquassent à quels titres et à quelles recommandations ils les avaient accordés. Barbaroux se retranche dans cette proposition, et l'appuie : elle est décrétée à l'unanimité.

Buzot cherche à relever une des observations de Barbaroux : par suite des emplois confiés à des députés il voit de la corruption, des fortunes subites et scandaleuses; il voudrait que chaque député fût tenu de donner l'état et l'origine de sa fortune... Mais ce vœu de Buzot toute la gauche le partage; elle applaudit; elle veut aller aux voix : C'est ainsi, s'écrient plusieurs de ses membres, que nous répondrons victorieusement aux calomnies de ces messieurs !

Cambacérès. « Citoyens, les considérations personnelles ne doivent jamais influencer les hommes publics. Si cette vérité était toujours présente à nos yeux nos délibérations seraient moins agitées, et nos séances plus utilement employées. Vous avez demandé au conseil exécutif un état des agens civils et militaires; cette mesure peut éclairer votre surveillance. Celle qu'on vient de proposer est sans utilité pour la chose publique ; elle est de plus immorale, et ne tend à rien moins qu'à compromettre les propriétés et la sûreté de chacun de nous. S'il est dans cette Assemblée des hommes qui aient abusé de leur caractère pour augmenter leur fortune, l'opinion publique saura les signaler, et leurs départemens respectifs en feront

justice. L'état qu'on veut nous obliger à fournir serait tronqué par ces hommes coupables, qui, j'aime à le croire, n'existent point parmi nous : cette considération prouve l'inutilité de la mesure. J'ai dit de plus qu'elle était immorale : cette assertion n'a pas besoin de preuve. Enfin elle est dangereuse, attendu qu'elle expose le crédit des commerçans, et qu'elle peut donner lieuà des observations malignes qui produisent des effets funestes dans des temps de trouble et d'agitation.

» Par ces motifs, je demande que la motion soit écartée la question préalable. »

par

Buzot. « Il faut atteindre le brigand rusé qui pour cacher ses dilapidations a placé son argent chez l'étranger, ou agi sous des noms empruntés; il faut que celui qui a acquis des domaines, ou qui les acquerrait deux ans après la session de la Convention, dise comment il s'est procuré les moyens de faire ces acquisitions s'il ne le fait pas, il devra être réputé voleur de la nation!

» Je demande que vous décrétiez que tous les députés à l'Assemblée constituante, à l'Assemblée législative ou à la Convention, dont la fortune s'est accrue, seront tenus de déclarer dans le délai d'un mois par quels moyens ils l'ont augmentée, sous peine d'être condamnés à dix années de fer, et d'avoir leurs biens confisqués. » (Applaudissemens.)

Cambon. « Acquéreur d'un bien national, et chargé dans l'Assemblée législative et dans la Convention de plusieurs missions très délicates, je m'oppose cependant au décret qui vous est présenté ; je ne veux pas que par des décrets inexécutables on avilisse la Convention. Veut-on désigner les individus ? Hé bien, qu'on s'explique franchement; qu'on dise: un tel n'avait rien lorsqu'il a été nommé député, et maintenant il a telle ou telle chose... Rendons justice au peuple; il accueillera celui qui fera des dénonciations importantes. Le mauvais citoyen. le voleur sait bien trouver les moyens de cacher sa fortune : il n'achète pas; il enfouit son or, en attendant un temps plus opportun pour jouir de ses rapines. Quant à moi, je déclare à la Convention que le bilan de ma fortune sera imprimé; ille sera avec exactitude, parce que j'ai des associés. »

Barbaroux. « Je propose de décréter en principe que les représentans du peuple sont à chaque instant comptables à la nation de leur fortune. Je demande en outre que celui qui dénoncera un fonctionnaire public pour avoir fait des acquisitions illégitimes obtienne pour prix de sa dénonciation la moitié des biens du dénoncé, faute par ce dernier de justifier des moyens par lesquels il est parvenu à augmenter sa fortune. »

La première proposition de Barbaroux est textuellement décrétée (14 mai 1793). La seconde est renvoyée à l'examen du comité de législation.

Séance du 18 mai 1793.

Le décret qui déclarait calomnieuse la pétition des sections de Paris, celui qui proclamait comme un modèle de civisme l'adresse des citoyens de la ville de Bordeaux, les véhémentes sorties des girondins contre la société des Jacobins, enfin l'union du côté droit et de la plaine, qui semblait annoncer une majorité permanente et le triomphe des membres dénoncés, toutes ces circonstances étaient donc pour la commune de Paris autant d'outrages dont elle devait tirer vengeance: en attendant elle continuait avec ardeur ses sourdes hostilités; chaque jour les corridors étaient envahis, les tribunes comme prises d'assaut par ses affidés, hommes et femmes, qui faisaient retentir la salle de murmures, de cris, de huées lorsque parlait ou seulement paraissait un des représentans qu'elle leur avait désignés. Dans leur réveil tardif les girondins luttaient avec courage, mais souvent avec imprudence: ils invoquaient sans cesse et la convocation et le jugement des assemblées primaires; ils menaçaient de leurs départemens malheureux moyens de défense, qui du moment qu'ils les employaient leur faisaient perdre la majorité, et donnaient à leurs adversaires le droit de les accuser d'exciter la guerre civile, de tendre au fédéralisme. La montagne voyait la République tout entière; elle s'appuyait sur la masse : retranchée dans l'expectative tant que les succès de la droite lui semblaient sans importance, elle s'agitait furieuse aussitôt que la commune de Paris était menacée d'un échec. La séance du 18 mai faillit à amener une affaire décisive.

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On a vu dans le tome précédent qu'un décret établissait dans chaque commune et section de la République un comité de douze citoyens chargé de surveiller les étrangers. Ces comités avaient pris la dénomination de comités révolutionnaires (1): ceux de Paris surtout, à l'instar de la commune, avaient considérablement agrandi le cercle de leurs attributions; ils suivaient avec rigueur l'exécution de ce terrible décret du 27 mars qui mettait hors de la loi tous les aristocrates et les ennemis de la révolution. (Voyez tome XI.)

Déjà plusieurs citoyens avaient été ainsi arrêtés. L'un d'eux réclame avec instance contre l'acte arbitraire dont

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est la victime les girondius plaident sa cause; ils entraînent une grande majorité, et la liberté lui est rendue par un décret. Cette délibération est suivie d'un long tumulte la gauche veut l'appel nominal; la majorité s'y oppose, par la raison qu'elle n'est point douteuse. La gauche insiste, et prétend réformer le réglement, qui accorde l'appel nominal à la demande de cinquante membres, mais seulement lorsqu'il y a eu doute dans les épreuves. La question est renvoyée au comité de législation. Le lendemain ce ́comité propose de passer désormais à l'appel nominal, en matière constitutionnelle, quand cent membres le réclameront, et cent cinquante dans toute autre question : aux deux cas la demande devait être signée individuellement.

La discussion allait s'ouvrir; Guadet l'évite en demandant la parole pour un fait, dit-il, ou plutôt pour une applica

tion.

Guadet. « Citoyens, lorsqu'en Angleterre on voulut dissoudre le long parlement on prit les mêmes moyens. Quand la majorité, animée de l'amour de la liberté, eut vainement lutté contre le projet anarchique et sanguinaire d'une minorité factieuse, et qu'elle voulut faire un dernier effort pour ramener

(1) Un décret du 26 mai 1793 « défendit aux comités de section établis pour la surveillance des étrangers de se qualifier comités révolutionnaires, et d'excéder les pouvoirs qui leur étaient attribués par la loi du 21 mars, sous les peines portées au code pénal contre les auteurs d'actes arbitraires. » Ce décret resta sans exécution."

le règne des principes et de l'ordre, la minorité cria à l'oppression. Savez-vous ce qui en arriva? C'est qu'en effet la minorité trouva le moyen de mettre la majorité sous l'oppression.

» Elle appela à son secours des patriotes par excellence : c'est ainsi que se qualifiait une multitude égarée, à laquelle on promettait le pillage et le partage des terres.

» Ces cris, incessamment répétés dans les séances du parlement; cet appel, motivé sur la prétendue oppression où se trouvait la minorité, et sur l'impuissance où elle était d'y résister, amenèrent l'attentat que l'histoire nous a transmis sous le nom de la purgation du parlement; attentat dont Pride, qui de boucher était devenu colonel, fut l'auteur et le chef cent cinquante membres furent chassés du parlement, et la minorité, composée de cinquante ou soixante membres, resta maîtresse du gouvernement.

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Qu'en arriva-t-il ? Ces patriotes par excellence, instruinens de Cromwel, et auxquels il fit faire folies sur folies furent chassés à leur tour; leurs propres crimes servirent de prétexte à l'usurpateur. Il entra un jour au parlement, et, s'adressant à ces mêmes membres, qui seuls à les entendre étaient capables de sauver la patrie, il les en chassa en disant à l'un : tu es un voleur; à l'autre : tu es un ivrogne; à celui-ci : toi tu t'es gorgé des deniers publics; à celui-là : toi tu es un coureur de filles et de mauvais lieux. - Fuyez donc! dit-il à tous; cédez la place à des hommes de Ils la cédèrent, et

Cromwel la prit.

bien.

» Citoyens, je livre ces faits à la méditation de tous les amis de la liberté ; et quel est celui qui, ayant suivi la marche des événemens, ne s'aperçoive que c'est le dernier acte de l'histoire d'Angleterre qu'on cherche à jouer ici? Quel est celui qui, ayant vu la séance d'hier, ne porte au fond de son cœur cette douloureuse conviction?

>> Et pour éviter un tel danger que vous propose-t-on ? De donner à cent ou cent cinquante membres le droit de réclamer un appel nominal sur toutes les épreuves où la majorité aura prononcé; c'est à dire qu'on vous propose en d'autres termes d'augmenter le mal au lieu de le guérir! En effet, admettre un tel projet ne serait-ce pas justifier ces plaintes d'oppression que depuis quelque temps on renouvelle avec tant d'indécence

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