Le président avait levé la séance; mais Thuriot paraît à la tribune; on écoute: Thuriot annonce que les canonniers de service auprès de la Convention demandent à lui témoigner leur reconnaissance par une salve d'artillerie. La permission en est accordée, et le bruit du canon vient se mêler aux cris de joie : Paris, et bientôt toute la France, ont répété vive la Constitution! Ainsi fut décrétée cette Constitution, le 24 juin 1793. Le projet avait été présenté le 10; dès lors quelques jours, ou plutôt quelques heures par jour suffirent aux législateurs pour l'embrasser dans toutes ses parties, pour l'apprécier, le rectifier, l'adopter; et cependant cette briève discussion est une des plus fécondes en observations vraies, en vues saines, en résultats positifs : rien d'oiseux, rien d'exigu; un mot vaut un discours, une idée est une lumière. Le projet était un ouvrage de génie; la discussion fut digne de son objet. Dans la séance du 27, sur un rapport fait par Barrère au nom du comité de salut public, un décret fut rendu qui por tait entre autres dispositions : 1o. L'Acte constitutionnel sera présenté à l'acceptation du peuple français, et à cet effet les assemblées primaires seront convoquées dans la huitaine; 2o la réunion civique qui avait lieu chaque année le 14 juillet aura lieu à l'avenir le 10 août; 3o chaque assemblée primaire enverra à la Convention une expédition de son procès verbal, et un citoyen pour se réunir à Paris, le 10 août, à la féte nationale de l'unité et de l'indivisibilité de la République; 4o le recensement de la volonté nationale sera fait à la Convention, en présence des envoyés des assemblées primaires et des citoyens, et le résultat en sera proclamé solennellement le 10 août sur l'autel de la patrie; 5o immédiatement après la publication du vœu du peuple français sur l'Acte constitutionnel la Convention indiquera l'époque prochaine des assemblées primaires pour l'élection des députés à l'Assemblée nationale et la formation des autorités constituées. Ce décret était accompagné d'une instruction et d'un modèle de procès verbal pour les assemblées primaires. Des courriers extraordinaires avaient été dépêchés sur tous les points de la République pour y porter l'Acte constitutionnel; mais l'aristocratie, toujours habile dans le mal, avait aussi dépêché ses agens, et dans plusieurs départemens, au lieu de la Constitution, les citoyens lisaient l'œuvre perfide des ennemis de la République. Dès le 1er juillet la Convention mit fin à ces basses manœuvres en décrétant la peine de mort contre les faussaires. (Voyez plus bas.) Bientôt connue et jugée, la Constitution reçut l'assentiment presque unanime de la France; partout elle porta l'espoir, la sécurité, l'union. Son inauguration, qui eut lieu le 10 août, est une de ces grandes fêtes nationales dont le souvenir doit être conservé: nous transcrivons plus loin le procès verbal de cette belle journée de nos temps républicains. Mais là se bornèrent les bienfaits qu'on attendait de cette Constitution: elle apparut au peuple comme une divinité; elle reçut ses hommages, puis se couvrit d'un voile... Déjà les fondemens du gouvernement révolutionnaire étaient posés : : nous remonterons à l'origine de cet édifice, et nous le suivrons dans son existence. ADRESSE de la Convention nationale au peuple français sur les contrefactions de l'Acte constitutionnel; présentée par Hérault-Séchelles; adoptée le 1er juillet 1793. << Français, la Convention nationale apprend que déjà les ennemis de la liberté ont falsifié l'Acte constitutionnel, et qu'ils s'empressent de répandre dans la République avec une profusion perfide des exemplaires déshonorés par leurs mensonges. >> Leur but est facile à dévoiler: ils veulent empêcher le peuple de connaître et d'apprécier les véritables travaux de ses mandataires; ils veulent corrompre et diviser d'avance l'opinion publique; ils veulentétouffer cet assentiment général de la nation, prête à s'élancer au-devant des bases éternelles de la liberté et de l'égalité: ils ne voient qu'avec désespoir s'approcher le règne de la loi; ils se hatent de se ressaisir par l'anarchie morale des troubles et des malheurs que la Constitution va leur ravir. >> Qu'ils sont lâches et insensés ces faussaires de la raison publique, qui ont pu croire qu'en l'obscurcissant pendant quelques jours elle ne reparaîtrait plus! Comme si le peuple pouvait s'y méprendre! comme si la presse, qu'ils ont voulu rendre leur complice, n'allait pas les confondre en restituant au peuple la pensée de ses représentans! Il fut inconnu aux anciens cet attentat de l'aristocratie moderne: si la puissance de l'imprimerie leur manqua, du moins ils en ignorèrent les crimes; ils ne confièrent leurs lois. qu'à l'incorruptible airain, ou à la mémoire pure des enfans, et ils ne les virent pas flétries à leur naissance par l'invention même qui devait les répandre et les consacrer. C'est donc une nouvelle obligation imposée au législateur de veiller sur son ouvrage, et de le suivr suivre pour ainsi dire jusqu'à ce qu'il soit parvenudans toute son intégrité à lachaumière la plus. lointaine. C'est aussi un nouveau devoir pour un peuple révolutionnaire qui touche par un grand moyen au terme de sa régénération de surveiller, avec plus d'activité que jamais, tous ces vils calomniateurs du monument constitutionnel, ces ennemis secrets de la nation, qui veulent anéantir tous ses droits, corrompre tout, jusqu'à ses espérances, en brisant l'ancre des propriétés, que le législateur a jetée au milieu de la tempête. >> Chez les Athéniens la loi frappait de mort l'étranger qui s'introduisait dans l'assemblée populaire, parce qu'il usurpait la souveraineté. Chez les Français libres, qu'il tombe sous le glaive de la justice celui qui s'introduit dans la pensée même des législateurs pour en dénaturer les résultats ! La Convention nationale invite tous les amis de la liberté à rechercher sans relâche ces fabricateurs de fausses lois; elle recommande à tous les citoyens de ne porter leur jugement, de n'émettre leur vœu que sur les exemplaires authentiques, adressés directement par le conseil exécutif aux communes et aux autorités constituées. ces >> Français, votre patriotisme déjouera facilement manœuvres! Chaque grande époque de la révolution a toujours suggéré un crime de plus à l'aristocratie et au royalisme: nous avons dû nous attendre que tous leurs crimes et tous leurs efforts se péuniraient au moment où la Constitution va paraître. Mais ces efforts eux-mêmes nous rassurent sur le succès d'un ouvrage qu'on n'eût point altéré s'il eût été nuisible au peuple et défavorable à ses droits; ces impuissans efforts serviront au succès de la Constitution républicaine, comme la calomnie a toujours servi au triomphe de la vertu. » DÉCRET rendu le 1er juillet 1793. « La Convention nationale, sur le rapport de son comité de salut public, décrète ce qui suit : » Toute personne qui aura imprimé ou fait imprimer, vendu ou distribué, fait vendre ou distribuer un ou plusieurs exemplaires altérés ou falsifiés de la Déclaration des Droits de l'homme et du citoyen et de l'Acte constitutionnel dont la rédaction a été décrétée le 24 juin 1793, et présentée ensuite par la Convention à l'acceptation du peuple français, sera punie de mort. >> RAPPORT fait par Gossuin au nom de la commission chargée de réunir les procès verbaux d'acceptation de l'Acte constitutionnel, dans la séance du 9 août 1793, en présence des envoyés de toutes les assemblées primaires. « Citoyens, l'édifice de la liberté est achevé: élevé par la main du peuple souverain, il sera durable. La trahison, la persécution et la calomnie ont constamment entouré la Convention nationale pendant tout le temps qu'elle en préparait les matériaux: elle n'a vu que son devoir; elle savait que sa persévérance dans son caractère ferme et ses principes républicains assureraient à la raison un triomphe éclatant. Une Constitution populaire, symbole de la vertu et du bonheur, succède enfin à une Constitution monstrueuse, idolâtrée plus que jamais par l'aristocratie, et protégée vainement par le canon des rois. C'est dans ce livre monarchique qu'on a découvert la source des malheureux événemens qui ont si rapidement eu lieu depuis 1789 : le peuple souffre encore; mais sa patience et son courage, en mesure avec la misère que la tyrannie lui fait éprouver, le sauveront du naufrage. >> Qu'il est doux pour la représentation nationale de posséder dans le temple des lois les envoyés du souverain! La grande famille est donc réunie, malgré les orages politiques qui grondent encore sur la surface du globe pour la dissoudre! Fidèles mandataires, hommes libres, vous voilà! Votre force est dans votre fraternité; elle se développera par votre énergie. >> Citoyens, le génie destructeur du cabinet de Saint-James a aussi cherché à répandre son venin dans les assemblées primaires; quelques unes, peu nombreuses à la vérité, en furent infectées: la presque majorité de leurs membres a voté contre l'acceptation de la Constitution. La commission que vous avez nommée pour réunir les procès verbaux des assemblées, répondant à votre confiance, les a examinés avec une scrupuleuse attention; elle a vu sans étonnement que le peuple français, jaloux d'avoir recouvré ses droits, demeurerait libre : il l'a juré! » Imitateur du peuple romain, mais plus digne que lui d'exercer la souveraineté, il volera de la charrue au combat; nul sacrifice ne sera plus épargné pour le succès de sa cause. » Oui, la malveillance a fait très peu de progrès dans les assemblées primaires. Des hommes revenus de Londres, de Madrid, de Vienne et de Berlin, ont eu l'audace de s'y introduire, notamment dans le district de Lons-le-Saulnier, département du Jura, et dans quelques autres départemens, dont les administrateurs se sont révoltés; ils y ont osé développer des opinions anti-civiques, mais absolument étrangères à l'objet de la réunion des citoyens. Gémissons sur cet égarement éphémère dans lequel ils ont jeté nos frères, qui ne peuvent pas se séparer de nous : ils ne seront pas insensibles à la voix de la patrie, qui les rappelle! Il en est qui ont étendu leur délibération au delà de l'acceptation de la Constitution : cette acceptation étant presque unanime, tous autres objets font la matière de pétitions à renvoyer aux comités compétens. >> La preuve la plus convaincante à donner à l'univers entier du vœu bien prononcé du peuple français pour la forme de gouvernement qu'il adopte c'est que, sur quarante-quatre mille communes qui composent la République, et qui offrent une immense population, la commune de Saint-Donan, faisant partie de l'assemblée primaire du canton de Plouvara, district de Saint-Brieuc, département des Côtes-du-Nord, forte seulement de cent vingt habitans, est l'unique qui ait demandé le fils de Capet pour roi, et le rétablissement du clergé. Toutes les autres communes de cette assemblée primaire en ont été indignées, et celle de Saint-Donan, ayant à sa tête un nommé Ives Lotelier pour maire, s'est retirée après avoir usé de menaces, et rédigé séparément un procès verbal qui n'est pas parvenu à votre commission. >> Un seul point sur lequel vous devrez sérieusement fixer vos regards sera de faire connaître à quelle époque auront lieu les convocations pour l'élection des députés de l'Assemblée nationale. Un petit nombre d'assemblées primaires le demandent, et avec une telle âcreté, que si tel était leur pouvoir à peine vous donneraient-elles le temps de paraître à la fête civique avec votre caractère de représentans du peuple. Dans la presque totalité des assemblées la Déclaration des Droits de l'homme et l'Acte constitutionnel furent lus, relus, médités, discutés avec calme; et vous :emarquerez, par le résultat du recensement des votes, que peu de citoyens ont voté contre f |