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gauche l'adopte par acclamation; une partie de la droite refuse de voter.

Billaud-Varenne. « Il est bien étonnant que des membres de la Convention nationale refusent de voter cette Déclaration, qui doit fixer en France la liberté! Il faut que le peuple connaisse les hommes qui veulent son bonheur, et ceux qui semblent déjà protester contre le chef-d'œuvre de la philanthropie; je demande donc l'appel nominal: je le demande pour vous, qui devez constater votre immense majorité! Je le demande pour moi, qui veux que la France entière sache que j'étais du nombre de ceux qui ont voté son bonheur !

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Robespierre. « La Déclaration des Droits n'a besoin pour être adoptée par le peuple que des principes qu'elle renferme, et de l'assentiment de la presque unanimité de la Convention nationale. Je m'étonne qu'on se soit aperçu de ce que quelques citoyens qui siégent là (au côté droit) ont paru immobiles et n'ont point partagé notre enthousiasme! Ce procédé de quelques individus m'a paru si extraordinaire que je ne puis croire qu'ils adoptent des principes contraires à ceux que nous consacrons, et j'aime à me persuader que s'ils ne se sont point levés avec nous c'est plutôt parce qu'ils sont paralytiques que mauvais citoyens. »

L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur la proposition de l'appel nominal. La Déclaration, de nouveau mise aux voix, réunit la grande majorité des suffrages; elle est décrétée en masse, et proclamée aux cris de vive la République!

Séance du 24.

Hérault-Séchelles. << Citoyens, vous avez décrété que vous entendriez aujourd'hui la lecture de l'acte constitutionnel, afin d'être en état de le présenter sans délai à l'acceptation du peuple. Nous nous sommes empressés de vous l'offrir; mais avant de vous donner cette lecture il est nécessaire de décréter encore quelques articles, les uns, que vous avez ajournés, sur la réunion extraordinaire des assemblées primaires, sur la formation de la loi; d'autres pour remplacer le grand juri national, dont vous avez rejeté l'institution. »

Le rapporteur propose les articles relatifs aux assemblées primaires et à la formation de la loi; ils sont adoptés après une légère discussion. (Voyez la Constit.)

Hérault-Séchelles. « L'institution d'un juri national a été rejetée; mais on est resté d'accord qu'il fallait trouver un moyen de garantir le peuple et les citoyens de l'oppression du corps législatif. Nous avons considéré cette question sous deux rapports. Lorsque le corps social est opprimé par le corps législatif, le seul moyen de résistance est l'insurrection; mais il serait absurde de l'organiser, car elle a différens caractères : vous en avez l'expérience. Les insurrections de l'année derniere différaient beaucoup de la dernière insurrection: les premières ont été faites par la force; la dernière a commencé par une pétition; on a vu le peuple couvrir d'un crêpe la Déclaration des Droits, et enfin se lever en masse. Il est donc impossible de déterminer la nature et le caractère des insurrections; il faut s'abandonner au génie du peuple. Mais il est un autre cas, celui où le corps législatif opprimerait quelques citoyens; alors il faut que ces citoyens trouvent dans le peuple un moyen de résistance.

>> Le chapitre que nous vous présentons est intitulé : de la censure du peuple contre ses députés, et de sa garantie contre l'oppression du corps législatif. Notre intention a été de donner à la section du peuple qui a élu un député le soin de juger sa conduite, et nous avons ajouté qu'un député n'était rééligible qu'après que sa conduite aurait été approuvée par ses commettans. Nous avons puisé ce mode dans le principe même de la représentation nationale: en effet, rien ne s'y rapporte davantage que de faire juger les députés de la même manière qu'ils sont élus.

» Les avantages de notre projet sont 1o la popularité; 2o de présenter sans cesse aux représentans du peuple leurs devoirs; 3o de les tenir prêts à rendre leurs comptes, s'ils en sont requis, avant d'exercer de nouvelles fonctions.

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Voici les articles que nous proposons :

Art. 1o. Le peuple exercera sa censure dans les assemblées primaires sur la conduite publique des membres du corps législatif.

» 2. Tout député est jugé à la fin de chaque législature par les assemblées primaires qui l'ent élu.

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3. Nul député n'est réélu à la législature, ni nommé à aucune fonction publique, qu'après l'honorable acquittement du peuple.

» 4. Les assemblées primaires, dans le cas de censure, déclarent que le député n'a pas répondu à la confiance du souverain.

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5. Le peuple se garantit lui-même de l'oppression de ses mandataires : son droit est dans sa souveraineté ; ses moyens gradués sont dans les lois, dans son génie et dans sa justice. >>>

Thuriot. « Je demande la parole contre ce projet. Au moment où l'on veut consolider la souveraineté du peuple on semble en saper la base! Vous avez consacré le principe qu'un représentant du peuple appartenait à la nation entière; or une section qui prononcerait sur un citoyen qui appartient à la République usurperait un droit qu'elle n'a pas. Pour vous montrer le vice de ce système il suffit de poser quelques hypothèses. Supposons qu'à la fin de notre carrière nous serons jugés par nos départemens respectifs : hé bien, vous verriez quelques départemens, égarés par des intrigans, réélire ceux qui auraient démérité du peuple, et condamner à une mort civile l'homme vertueux, le plus chaud ami du peuple, le député livré tout entier à ses devoirs; peut-être même les vrais défenseurs de la liberté seraient-ils proscrits dans une partie de la République. Que les événemens vous servent de leçon! Si l'année dernière un homme se fût fortement prononcé pour la République, s'il eût professé des maximes aujourd'hui sacrées, et qui seront éternelles, il aurait été proscrit. Il est encore possible qu'un homme à grandes conceptions, en développant des idées fortes qui ne seraient pas d'abord appréciées, soit regardé comme un homme extravagant, dangereux, indigne de la confiance du peuple; et ses ennemis, profitant de ce retard de l'opinion publique, le persécuteraient : au bout de quelque temps, lorsque la vérité aurait repris ses droits, on serait désespéré d'avoir mal jugé un grand homme; mais la censure prononcée contre lui enchaînerait encore la volonté des citoyens qui vou draient le réélire.

» Que l'opinion publique prononce seule sur les hommes; le temps confirmera ou infirmera son jugement : un député coupable ne pourra jamais échapper au supplice affreux du népris public. Quant à nous,ne provoquons pas par un décret des décisions funestes à la vertu. Je demande la question préalable sur ces articles, et qu'on s'en rapporte à la sagesse du peuple. >>

Raffron. « Citoyens, il est encore ridicule de laisser quelques membres corrompus tourmenter pendant une année le corps législatif sous prétexte qu'ils seront jugés après la session. Je demande qu'il soit établi un conseil de censure qui, sur la dénonciation du corps législatif contre un de ses membres, prononcera s'il a ou s'il n'a pas perdu la confiance du peuple, et dans le premier cas ce membre serait livré aux tribunaux. »

Dartigoeyte. « Je demande l'adoption du projet du comité. Sans doute le peuple français, semblable à ces générations barbares qui firent un crime d'hérésie au grand homme qui découvrit des vérités physiques jusqu'alors inconnues, ne condamnera pas la vertu, ne méconnaîtra pas ses amis, et ne méprisera pas le génie, >>

Levasseur. « Je trouve le projet du comité impraticable, et contraire par le fait à la souveraineté du peuple : aucun député ne pourrait être réélu par une section du peuple autre que celle qui l'aurait précédemment élu, puisque toutes les autres ignoreraient s'il est ou non acquitté. »

Lacroix. « Je suis de cet avis, et je demande à eiter un exemple à l'appui de mon opinion. Vous avez mis en état d'arrestation un député des environs de la Vendée : hé bien, si ce député était jugé par les assemblées primaires de son départément, elles déclareraient sans doute qu'il a bien mérité de la patrie; et quand les patriotes de la Convention nationale étaient opprimés par une majorité tyrannique, si Marseille et la Vendée eussent jugé les députés, elles auraient privé le peuple des représentans qui veulent réellement son bonheur. Je demande la question préalable sur un projet qui pourrait entraîner ces dangers. >>>

Guyomard. « J'appuie ce projet pour que la responsabilité morale des députés ne soit pas illusoire. Ce n'est point pour le moment, c'est pour les siècles que la Convention travaille; il est nécessaire de trouver un moyen d'empêcher le corps législatif d'abuser des pouvoirs immenses qui lui sont confiés : la responsabilité individuelle est l'unique moyen de réprimer les abus. Les assemblées primaires, qui ont élu chaque député, forment le seul tribunal qui puisse les juger; ce tribunal est le plus à portée d'apprécier leur conduite; c'est celui où ils doivent le moins craindre d'être injustement condamnés. »

Couthon. « Membre du comité, j'ai concouru avec zèle à la rédaction de ce projet, dont la moralité m'avait séduit ainsi que tous mes collègues; mais je n'en avais pas senti les inconvéniens : éclairé moi-même par la discussion, j'invoque la question préalable. Une majorité corrompue pourrait 'avoir corrompu l'opinion publique ; le patriote le plus pur, le républicain le plus zélé serait déclaré avoir trahi la cause du peuple pour l'avoir trop bien défendue. On ne peut se refuser à l'évidence de ce principe, rappelé par les préopinans, qu'une seule section du peuple ne peut avoir le droit de restreindre les choix de tout le peuple. »

Le rapporteur se range à cet avis, et la Convention, consultée, rejette unanimement le projet d'une censure du peuple contre ses députés.

La discussion était terminée. Hérault-Séchelles donne immédiatement une lecture générale de l'Acte constitutionnel; la rédaction définitive en est adoptée. Aussitôt les cris de vive la République, vive la Convention, vive la montagne, éclatent de toute part; les députés et les citoyens des tribunes sont debout; ils agitent leurs chapeaux; des citoyennes distribuent des rubans qui portent les couleurs chéries de la liberté : les portes de la salle s'ouvrent, et le peuple accourt; toutes les voix se confondent; on se presse, on s'embrasse; le citoyen cherche le député dans la foule, et lui serre la main; l'allégresse est générale.

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