que du bénéfice d'un code uniforme de lois civiles, qui embrassât dans ses détails tous les cas possibles de contestation entre les citoyens; mais, quand même ce code serait uniforme et universel, nous pensons qu'il ne rendrait pas encore le juré civil plus praticable. » Premièrement il sera impossible, quelle que soit la prévoyance du législateur, de comprendre dans les dispositions des lois tous les cas qui peuvent donner lieu à des discussions : les circonstances que le hasard et l'intérêt peuvent multiplier sont innombrables; ceux qui ont suivi les tribunaux savent que non seulement on rencontre tous les jours des contestations d'un nouveau genre, mais que rarement les espèces de procès les plus ordinaires sont identiquement les mêmes : à chaque instant les jurés et les juges seraient embarrassés. » Il n'en est pas du civil comme du criminel. En matière criminelle quand la loi manque la décharge de l'accusé est de droit, parce que son délit, ne se trouvant pas dans la loi, n'est plus considéré comme délit; il ne s'agit alors que d'acquitter ou de condamner. En matière civile une partie peut former une demande juste, avoir les droits les plus légitimes, et il peut se faire que la loi soit muette. Dans ce cas que fera le juge? Rendra-t-il un demandeur dont le droit moral est évident victime de l'imprévoyance de la loi civile ? » Mais il est un motif plus décisif, parce qu'il tient à la nature des choses; c'est que dans presque toutes les contestations civiles il est impossible de distinguer le fait et le droit, qui en général se confondent, qui ne peuvent se concevoir et se saisir l'un sans l'autre. >> Il y a plus; en matière criminelle on remonte du fait à la loi; en matière civile de la loi au fait; en sorte qu'il faudrait mettre au civil le juge au premier ordre, et les jurés au second. >> Prenons pour exemple les actions les plus ordinaires; c'est une action en partage de succession, une demande en paiement de somme prêtée, de marchandises fournies. • Je suppose un citoyen qui se prétend héritier d'un défunt. Il réclame la succession; un autre la lui conteste, sur le fondement qu'il n'est pas héritier. Que doit faire le prétendant ? Prouver sa qualité d'héritier. Il produit sa filiation : mais l'adversaire conteste la vérité des actes; il en critique les formes. Je vous le demande, où est le fait à déclarer par le juré civil? Déclarera-t-il que le fait est qu'un tel est héritier? Mais il juge la question; c'est là le droit. Dira-t-il qu'un tel se présente pour héritier, qu'il a produit telles pièces ? Ce n'est pas là un fait concluant; il faut que le juré donne son opinion sur le fait, et que son opinion ou plutôt sa déclaration serve de base au jugement. Si l'on se contente de faire énoncer par un juré les qualités des parties et la nature de leurs réclamations, ce ne sera plus une déclaration de juré; ce sera un extrait de l'affaire, et vous rendez les jurés les secrétaires des juges. >> Cependant il est impossible d'attribuer un autre droit à un juré civil, c'est à dire celui de déclarer le fait; mais quand le fait est le droit même, quand, en déclarant qu'un tel est héritier on juge toute la question, il n'y a plus de fait à déclarer; ce n'est plus une déclaration de juré; c'est une opinion de juge, c'est un vrai jugement. » De même, si je vous actionne en paiement d'une somme prêtée, le fait sera: y a-t-il eu somme prétée? Oui : mais remarquez qu'il n'y a point de contestations simples; presque toutes sont complexes. Le débiteur opposera ou la forme des quittances, ou la prescription, ou la compensation. Tout cela change la nature de la contestation, et dans ce cas encore, comme dans presque tous, le fait est le droit, car si le juri dit: il y a prescription ou compensation, il juge. >> Le juré civil est donc aussi inconcevable qu'impossible à établir. Que ceux qui le soutiennent nous donnent donc un exemple; qu'ils disent comment ils l'exécuteront; car il ne faut pas en imposer au peuple en lui présentant comme bienfaisante une institution qui ne lui serait que dangereuse, ou du moins inutile, et en matière judiciaire une institution inutile est un fléau. >> On oppose l'exemple des Anglais; mais il est de fait qu'ils gémissent sous une justice civile qui est à la fois très dispendieuse et très lente. Longtemps nous avons admiré leur juré parce que notre ordre judiciaire, comparé avec une institution quelconque, devait toujours succomber dans le parallèle; mais actuellement il ne tient qu'à nous de nous élever au dessus du juré même. Le comité persiste plus que jamais dans le plan qu'il vous a présenté; il se persuade qu'aux yeux de ceux qui voudront le regarder avec quelque impartialité ce plan renferme en substance les idées les plus saines et les plus naturelles sur la justice. >> Voici notre système, qui est bien simple. Il ne faut plus prononcer au civil les mots, en quelque sorte monarchiques, de tribunaux et de juges. > Si dans le point de vue judiciaire les affaires présentent des difficultés, souvent épineuses sous le rapport politique, elles ne doivent plus être envisagées que comme des querelles, qu'il faut terminer au plus vite. » Nous dirons aux plaideurs : » Efforcez-vous de transiger; choisissez des arbitres; recourez avant tout à une médiation. Si vous ne pouvez vous entendre sur la médiation particulière et volontaire, vous en trouverez une publique et sociale dans les juges de paix. Si l'objet excède la compétence bornée dans les limites de laquelle les juges vous eussent jugés sur le champ, ils chercheront du moins à vous concilier; c'est le devoir sacré que la loi leur impose : ils y réussiront souvent, et par là ils éteindront dans leur principe une multitude de procès ruineux. Si cependant ils n'y parvenaient pas encore, alors, dans un certain nombre d'hommes vertueux, élus par le peuple ou au nom du peuple, vous en choisirez qui termineront vos débats. » Il nous semble que cette méthode est encore plus simple que tous les jurés du monde: avec trois hommes on aurait justice dans les questions difficiles, et justice chez soi, dans sa propre commune; deux arbitres décideraient d'abord, et en cas de réclamation que faudrait-il de plus qu'un surarbitre pour partager les deux premiers ? C'est ainsi que la justice deviendrait belle et touchante. Deux hommes choisis par votre confiance arrangeront d'abord vos différends n'êtes-vous pas d'accord, hé bien, voici d'autres hommes que la confiance nationale vous donne. Qu'avez-vous besoin maintenant de cet établissement de jurés civils? Pourquoi fatiguer et importuner tous vos frères jusqu'à les écraser de frais, de temps et de peines? Vous arriverez indirectement au résultat que vous pouvez désirer. Vous mettrez le sceau de la perfection à cette justice si simple et si fraternelle, si vous portez le dernier coup à cette classe d'hommes de justice qui deviendraient une caste privilégiée, qui finiraient par enlacer la société entière dans leurs procédures et dans leurs formules. Supprimons toutes les procédures, ou au moins, si nous sommes condamnés à en conserver quelques unes, n'allouons que celles qui, étant fondées sur une démarche indispensable pour parvenir à un but légitime, auront été strictement et rigoureusement nécessaires; statuons que les citoyens ne provoqueront la décision de leurs arbitres que par des défenses verbales ou par de simples mémoires; statuons qu'ils seront jugés sans frais, et surtout que les arbitres publics seront toujours tenus d'opiner non seulement en public, mais à haute voix. C'est là le véritable palladium de la liberté; c'était l'ancien usage: le célèbre Dumoulin nous apprend que cet usage ne fut détruit que par la corruption et par l'ignorance. Il est temps de le restituer au régime démocratique! Si on l'avait conservé combien de juges imbéciles ou fripons auraient été épargnés à la société! Ils n'eussent pas résisté à une récusation publique, et le droit de juger n'eût pas été une des calamités de l'espèce humaine. Cette opinion du comité diminua le nombre des partisans de l'établissement des jurés au civil; toutefois la discussion recommença, mais sans offrir de nouveaux argumens pour 'ou contre. Il fut d'abord décrété que le corps législatif pourrait établir un juri civil lorsque la République aurait un code de lois civiles simple, uniforme, et à la portée de tous les citoyens; mais quelques instans après ce décret fut rapporté, sur le motif qu'en adoptant l'avis du comité il ne fallait pas introduire de contradiction dans l'acte constitutionnel, que ce serait d'ailleurs donner aux législatures le droit qui ne peut leur appartenir de modifier cet acte, et que c'est au peuple à s'expliquer lui-même sur ce point. Enfin, dans la même séance, après avoir décidé qu'il n'y aurait pas de jurés XII. 27 A au civil, la Convention décréta le projet du comité. (Il forme le titre de la justice civile, art. 85 à 95 de la Constitution.) Séance du 23. Hérault-Séchelles. « Vous avez chargé votre comité de salut public de vous présenter une nouvelle Déclaration des Droits : nous vous l'apportons. Nous l'avions d'abord rédigée en termes précis; mais en la relisant nous nous sommes aperçu qu'elle était trop sèche, et nous en avons changé la rédaction. Il n'en est pas d'une Déclaration des Droits comme d'une Constitution: celle-ci doit être très resserrée; l'autre au contraire doit être très détaillée et à la portée de tout le monde. Tel est l'exemple que nous ont donné les Américains; nous l'avons suivi. » Le rapporteur fait lecture du projet de Déclaration. Tout le côté gauche, la montagne et les tribunes publiques saluent cette pièce par des applaudissemens réitérés : le côté droit reste immobile. Philippeaux. « Aux voix, président, aux voix! C'est un chef-d'œuvre qui ne doit point souffrir de discussion. Raffron. « Je demande que le titre de cette Déclaration, qui contient des choses sublimes, soit ainsi fixé : Déclaration des Droits et des devoirs de l'homme en société. Robespierre. « Je me rappelle que l'Assemblée constituante, à l'époque où elle était encore digne du peuple, a soutenu un combat pendant trois jours contre le clergé pour qu'on n'insérât pas dans la Déclaration le mot devoir. Vous devez simplement poser les principes généraux des droits du peuple, d'où dérivent naturellement ses devoirs; mais vous ne devez pas insérer dans votre Déclaration le mot devoir. La proposition de Raffron est rejetée, et, sur l'avis de Robespierre, l'Assemblée se détermine à décréter en masse le projet de Déclaration. On demande une seconde lecture; elle est faite : même enthousiasme d'une part; de l'autre le silence continue. La Déclaration est mise aux voix : le côté |