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la rivalité éveillerait les haines, et les ennemis de la liberté profiteraient de ces dissensions pour bouleverser la Pépublique, pour la fédéraliser, ou rétablir la tyrannie.

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D'ailleurs la durée des Conventions nationales sera courte, et je ne vois pas quel inconvénient on trouve à leur remettre pour si peu de temps le soin de prononcer quelques décrets. N'avons-nous pas eu déjà deux Conventions nationales qui ont réuni ces pouvoirs? Et ce sont elles qui ont fait la révolution; ce sont elles qui ont maintenu la liberté publique : ce ne sont point leurs pouvoirs qui ont eu des inconvéniens; c'est la manière dont elles étaient composées.

>> Ainsi, pour étouffer un germe éternel de divisions, pour éviter le fédéralisme et la guerre civile, je demande la question préalable sur l'article. »

Le rapporteur. « Robespierre a touché la véritable raison en disant que l'unité serait rompue, et que la nation se diviserait en deux partis. Je demande moi-même la question préalable. » (Adopté.)

Levasseur. « Je demande qu'on limite la durée des Conventions nationales.

»

Robespierre. « Fixer par la Constitution un terme à la représentation nationale qui vient créer une Constitution nouvelle c'est oublier tous les principes de la souveraineté du peuple: d'ailleurs une Convention n'est convoquée que dans des temps d'orage; si vous fixiez un terme à sa durée, les ennemis de la liberté sauraient tout préparer pour rendre ce terme funeste. Si cependant une Convention prolongeait son autorité au delà du terme que lui prescrirait l'intérêt public, alors la nation, fatiguée, la forcerait bien d'abandonner ses fonctions. Je demande la question préalable sur la proposition de limiter la durée des Conventions nationales.

»

Garan-Coulon. << L'exemple de tous les gouvernemens démontre le danger des corps constituans dont l'autorité s'est prolongée. Je pense donc que nous devons fixer leur durée, et je voudrais qu'elle fût d'un an; car si le peuple est immortel en ce sens que sa masse existe toujours, il est également vrai que le peuple d'une année n'est pas le peuple d'une année précédente; or vous n'avez pas le droit de donner des pouvoirs pour un peuple qui n'existe pas encore. Le peuple se renouvelle sans cesse ; je demande que sa représentation se renouvelle également. »

Couthon. « Je demande la question préalable, par cette seule raison que le peuple s'assemble tous les ans, et qu'il peut retirer ses pouvoirs à une assemblée usurpatrice. »

Garan-Coulon. Du silence de la Constitution une Convention nationale pourra conclure que ses pouvoirs sont illimités dans leur objet et illimités dans leur durée. Je demande qu'elle soit fixée à un an, à moins que le peuple ne la prolonge. »

L'Assemblée, consultée, décide que la durée des Conventions ne sera point fixée.

La Convention venait de décréter conformément au projet les deux premiers articles du titre des rapports de la République française avec les nations étrangères. (Art. 118 et suiv. de la Constit.)

Grégoire. « Il m'a paru digne et même nécessaire que la Constitution renfermât une Déclaration du Droit des gens, et c'est ici que cette Déclaration devrait être placée. Je propose à l'Assemblée de lui lire une série d'articles concernant cet objet. (Lisez, lisez.) Voici mon projet :

» Art: 1. Les peuples sont entre eux dans l'état de nature; ils ont pour lien la morale universelle.

>> 2. Les peuples sont respectivement indépendans et souverains, quel que soit le nombre d'individus qui les composent, et l'étendue du territoire qu'ils occupent.

Cette souveraineté est inaliénable.

>> 3. Un peuple doit agir à l'égard des autres comme il désire qu'on agisse à son égard; ce qu'un homme doit à un homme, un peuple le doit aux autres peuples.

>> 4. Les peuples doivent en paix se faire le plus de bien, et en guerre le moins de mal possible.

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5. L'intérêt particulier d'un peuple est subordonné à l'in

térêt général de la famille humaine.

> 6. Chaque peuple a droit d'organiser et de changer les formes de son gouvernement.

»

7. Un peuple n'a pas le droit de s'immiscer dans le gou

vernement des autres.

» 8. Il n'y a de gouvernement conforme aux droits des peuples que ceux qui sont fondés sur l'égalité et la liberté.

> 9. Ce qui est d'un usage inépuisable ou innocent, comme la mer, appartient à tous, et ne peut être la propriété d'aucun peuple.

> 10. Chaque peuple est maître de son territoire.

"

11. La possession immémoriale établit le droit de prescription entre les peuples.

> 12. Un peuple a droit de refuser l'entrée de son territoire et de renvoyer les étrangers quand sa sûreté l'exige.

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13. Les étrangers sont soumis aux lois du pays, et punissables par elles.

> 14. Le bannissement pour crime est une violation indirecte du territoire étranger.

15. Les entreprises contre la liberté d'un peuple sont un attentat contre tous les autres.

»

16. Les ligues qui ont pour objet une guerre offensive, les traités ou les alliances qui peuvent nuire à l'intérêt d'un peuple sont un attentat contre la famille humaine.

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17. Un peuple peut entreprendre la guerre pour défendre sa souveraineté, sa liberté, sa propriété.

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18. Les peuples qui sont en guerre doivent laisser un libre

cours aux négociations propres à ramener la paix.

>> 19. Les agens publics que les peuples s'envoient sont indé pendans des lois du pays où ils sont envoyés dans tout ce qui concerne l'objet de leur mission.

» 20. Il n'y a pas de préséance entre les agens publics des nations.

» 21. Les traités entre les peuples sont sacrés et inviolables.

Barrère. « J'invite la Convention à ne pas oublier la position de la France au milieu de l'Europe: vous n'êtes pas seulement une assemblée philosophique et législative, vous êtes une assemblée politique. Je ne crois pas que vous deviez en ce moment aller plus loin que vos articles constitutionnels. La déclaration que vous faites que le peuple français est l'ami naturel des peuples libres dit assez à l'Europe la différence que vous faites entre les gouvernemens; il ne faut pas s'extravaser en opinious philanthropiques. >>

Thuriot. « Je demande l'impression de ce projet, dans

lequel je vois des idées sublimes. »

Plusieurs voix. « L'impression est de droit.

ment. - La question préalable. >>>

L'ajourne

L'Assemblée passe à l'ordre du jour sur le projet présenté par Grégoire. (1)

ART. DU PROJET. « Le peuple français ne fait point la paix avec un ennemi qui occupe son territoire. » (Applaudissemens. Aux voix, aux voix!)

Mercier. « De tels articles s'écrivent ou s'effacent avec la pointe de l'épée. On peut sur son territoire faire des traités avantageux. Vous flattez-vous d'être toujours victorieux? Avezvous fait un traité avec la victoire ? »

Bazire. « Nous en avons fait un avec la mort!» (Viss applaudissemens.)

Mercier. « Cette exaltation des idées n'est point la véritable grandeur. A peine avez-vous des idées justes sur la liberté, et déjà vous osez vous placer au niveau des Romains! Je demande la radiation de l'article, parce que la génération présente n'est point encore à la hauteur où elle devrait être. »

Roux. « Président, mettez aux voix l'article; l'épreuve fera justice de cette absurdité. »

Robespierre. « Je n'aurais jamais cru qu'un représentant du peuple français osât professer ici une maxime d'esclavage et de lâcheté! Je n'aurais jamais cru qu'il osât contester la vertu républicaine du peuple qu'il représente! Où a-t-il vu cet homme que nous fussions inférieurs aux Romains? Ou a-t-il vu cet homme que la Constitution que nous allons terminer fût au dessous de ce sénat despotique qui ne connut jamais la Déclaration des Droits de l'homme? Où a-t-il vu que ce peuple,

(1) On verra plus tard (an III) Grégoire reproduire son projet, et l'appuyer de développemens.

qui verse son sang pour la liberté universelle, fût au dessous des Romains, qui furent non pas les héros de la liberté, mais les oppresseurs de tous les peuples? Mais il n'y a rien à répondre à un tel homme. Nous décréterons un article que nous sommes dignes de soutenir, en dépit de lui et de ses pareils! Qu'ils sachent, tous ceux qui ne savent pas deviner l'énergie d'un peuple libre, qu'ils sachent que cet article est l'expression de sa volonté! Un peuple qui traite sur son territoire avec des ennemis est un peuple déjà vaincu, et qui a renoncé à son indépendance. Jamais le peuple français ne sera couvert de tant de honte! Qu'un homme qui sous le despotisme a paru faire quelques pas vers l'avenir rétrograde aujourd'hui, que la liberté règne en France, cela est facile à concevoir; mais qu'il sache cet homme que non seulement nous décréterons l'article auquel il s'oppose, mais encore que nous le soutiendrons! »

Mercier. « Je n'ai jamais interrompu vos travaux ; je n'abuse point de la tribune; mais j'ai médité. Je suis loin de dédaigner ıma patrie ; je suis loin de la croire incapable d'arriver aux plus hautes destinées; mais je n'ai parlé que de la génération actuelle, et je soutiens que quiconque veut assimiler les Français d'aujourd'hui aux Romains d'autrefois n'offre qu'un témoignage de son ignorance! Celui qui n'a pas étudié les peuples n'est pas fait pour en parler. »

Barrère. « A l'outrage fait à sa vertu républicaine la nation répondra dans la Vendée! L'article proposé a déjà été décrété à Longwi et à Verdun! (Applaudissemens.) Il l'a été en présence de la cruelle Christine, qui dirigeait des instrumens de destruction sur les habitations des citoyens les plus pauvres de Lille! C'est la France en un mot qui a déjà décrété cet article! Je demande à ces hommes qui voient toujours les peuples anciens plus grands que les peuples modernes, je leur demande si les Romains avaient proclamé la Déclaration des Droits de l'homme! Rome, qui tenait le peuple dans l'avilissement et ne savait que le traîner à la guerre, Rome avaitelle aboli la noblesse? La grandeur romaine a fait le malheur de l'Europe; la valeur française lui donnera la liberté : la

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