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faire tel acte qui serait contraire au gouvernement établi, et briser le ressort qui lui est nécessaire pour agir. Par là, vous le voyez, vous établissez la démocratie pure, et non pas cette démocratie qui pour le bonheur général est tempérée par des lois. Voyez au reste à quel înconvénient vous vous exposez par cet article. L'assemblée primaire une fois formée, quand terminera-t-elle ses séances? Il dépendra de ceux qui resteront à la fin de la proroger pendant un ou plusieurs jours; il n'y restera plus que les intrigans et les riches; les pauvres et les artisans se retireront, et au lieu de la volonté du peuple vous n'aurez que celle de l'aristocratie. Vous voyez donc que cet article est très peu populaire par son excès de démocratie même; mais comme il se rapporte à d'autres articles du plan de constitution, j'en demande l'ajournement. >>>

L'ajournement est prononcé.

Séance du 15.

Dans la séance du 11 la Convention avait ajourné un article du projet conçu en ces termes : « Le peuple délègue à des électeurs le choix des administrateurs et des juges. » Le rapporteur remet ce point en discussion avant de passer aux assemblées électorales.

Guyomard. « Je m'oppose à la création des corps électoraux; c'était l'institution la plus vicieuse de l'ancienne Constitution. Si vous voulez éviter le fédéralisme, il faut faire exercer au peuple entier tous les droits qui lui appartiennent, et cela me paraît très facile dans ce cas: vous réunissez un grand nombre d'assemblées primaires pour le choix d'un représentant du peuple; réunissez en moins pour celui des administrateurs et des juges, et ne formez pas de grands corps, qui, pouvant se coaliser, mettraient la République en péril. >>>

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Levasseur. «Le préopinant ne fait pas attention au danger plus grand encore de donner au conseil exécutif et à l'administration, qui n'est que la machine employée par lui, le caractère de représentation qui naît de l'élection immédiate du peuple. S'il en était ainsi bientôt les deux pouvoirs s'éleveraient l'un contre l'autre, et l'anarchie la plus effrayante résulterait de cette lutte. Il faut un corps intermédiaire pour la nomination des membres

du conseil et de l'administration, et je demande qu'on crée des corps électoraux. »

Chabot. « Si le préopinant avait tiré des principes qu'il a avancés cette conséquence qu'il ne faut point de conseil exécutif, j'aurais adopté sa proposition. Il est un grand principe qu'il ne faut jamais méconnaître dans une constitution démocratique; c'est que le peuple doit faire par lui-même tout ce qu'il est possible qu'il fasse ; donc si le peuple peut élire lui-même ses administrateurs, il faut qu'il les élise. Rappelez-vous quel fut le système de Necker; il prétendit épurer le choix de la nation en le faisant faire par des électeurs, et l'on trouve à peine trente à quarante membres de l'Assemblée constituante, même de la chambre des communes, qui soient restés fidèles aux droits du peuple. Il en fut à peu près ainsi dans l'Assemblée législative: la corruption s'est glissée même dans la Convention, et j'en accuse la nomination des députés par des assemblées élec

torales.

>> Vous craignez que la nomination immédiate ne donne un caractère de représentation au conseil exécutif et aux administrations, et que ces corps ne deviennent dangereux pour la liberté : mais vous n'écartez pas cet inconvénient par le mode des corps électoraux; au contraire, ils auront peut-être la prétention d'avoir un caractère de représentation plus pur, parce qu'ils auront été formés par d'autres corps spécialement revêtus de la confiance du peuple. Vous ajoutez donc à cet inconvénient celui d'avoir des corps électoraux qui pourront s'ériger en corps délibérans dans chaque département, et détruire l'unité et l'indivisibilité de la République. Je demande que vous fassiez exercer au peuple toute sa souveraineté, et qu'il fasse directement toutes ses élections. >>>

Thuriot. « Si la crainte de yoir les assemblées électorales favoriser le fédéralisme pouvait influencer l'Assemblée, il faudrait en tirer la conséquence qu'à l'instant même on devrait effacer toute division départementale; mais il est un principe auquel Chabot n'a pas répondu; c'est qu'il importe à la République, que la représentation nationale ne soit entravée par rien, et qu'il ne s'élève pas d'autorité qui, se revêtant d'un prétendu caractère de représentation particulière, puisse dire au corps législatif : de quel droit vous croyez-vous supérieurs á nous? N'avons-nous pas aussi été élus immédiatement par le peuple?.... Prenez garde que cette idée tend à consacrer la conjuration qui se développe en ce moment.

» Il faudrait au reste trouver la possibilité de l'exécution dans le plan qu'on veut substituer à celui du comité. Vous trouverez facilement, il est vrai, un point central dans l'étendue nécessaire pour contenir quarante mille âmes; mais vous ne trouverez point quarante points centraux sans des déplacemens considérables, et alors vous fatiguerez le peuple; l'homnie pauvre ne se rendra point aux assemblées; l'intrigue seule y dominera, et le riche, qui peut faire des sacrifices, jouira seul du droit d'élection. Mais moi, qui ne veux que le bonheur de mon pays, qui ne veux pas que le peuple perde ses droits, j'appuie la création des corps électoraux pour la nomination de l'administration en général. »

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Robespierre. « Si le système de Chabot paraît au premier coup d'œil plus conforme, aux principes démocratiques, cette illusion disparaît bientôt quand on examine quel en serait le résultat pour ou contre la liberté.

* » Le système du comité renferme les combinaisons les plus ingénieuses qui puissent exister pour maintenir le peuple dans tous ses droits sans le fatiguer par un trop fréquent exercice.

» Quel est l'écueil ordinaire de la liberté dans tous les pays? C'est le trop grand ascendant que prend à la longue le conseil exécutif, qui, par cela même qu'il a entre ses mains toutes les forces de l'Etat, et qu'il agit sans cesse, domine bientôt toutes les autorités. De là vient la nécessité bien constante de mettre dans la Constitution de fortes barrières à son usurpation; de là la nécessité d'empêcher qu'il n'ait dans son origine un caractère aussi imposant que celui de la représentation nationale; de là la nécessité de ne point faire nommer immédiatement par le peuple. Si vous n'adoptiez pas ce système vous verriez bientôt sous des formes nouvelles ressusciter le despotisme, et les autorités particulières, puisant dans leur nomination un caractère de représentation, se liguer ensemble pour

lutter contre l'autorité naissante de la grande représentation nationale. Je demande qu'on décrète qu'il y aura des assemblées électorales. >>

La discussion est fermée. Le président met aux voix le principe; il est décidé qu'il y aura des électeurs. Les articles suivans sont en conséquence décrétés :

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Le peuple français délègue à des électeurs le choix des administrateurs et des juges. » (Article 9 de la Constitution.)

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Les citoyens réunis en assemblées primaires nomment un électeur à raison de deux cents citoyens présens ou non; deux depuis trois cent un jusqu'à quatre cents; trois depuis cinq cent un jusqu'à six cents. » (Art. 37 de la Constit.)

:

ART. DU PROJET. « Les députés ne peuvent être recherchés, accusés ni jugés en aucun temps pour les opinions qu'ils ont énoncées dans le sein du corps législatif. »

Raffron. « Je m'oppose à cet article; c'est un brevet d'impunité pour tous les mauvais citoyens qui trahissent les intérêts de la nation: un représentant du peuple ne doit point être au dessus de la loi suprême, le salut du peuple. N'est-il pas honteux que ceux qui ont proposé la loi martiale, qui ont demandé la force départementale, soient impunis! Je demande que les députés représentans du peuple qui, ayant avancé dans l'Assemblée, par écrit ou autrement, des sentimens inciviques, ne les rétracteraient pas, et au contraire les soutiendraient, soient dénoncés parl'Assemblée nationale elle-même au juri national, qui déclarerait qu'ils ont perdu la confiance publique. >>>

Bazire. « Il y a une considération très forte qui n'a pas été présentée par le préopinant. Il est très possible qu'un membre propose d'anéantir la République, que la majorité corrompue d'une assemblée l'adopte, et nomme un tyran... (Plusieurs voix : Le peuple est là!) Je le sais; mais doit-on le mettre en insurrection sans nécessité? Je demande que la Constitution porte avec elle son soutien, et qu'on décrète l'établissement d'un juri national, devant lequel seront traduits ceux qui parleraient contre l'établissement de la République. »

XII.

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Robespierre. « Il est impossible de ne pas rendre hommage aux motifs patriotiques qui ont inspiré le vénérable vieillard (1) qui m'a précédé à cette tribune : il n'est sans doute aucun citoyen qui ne soit douloureusement affecté en pensant qu'une partie des représentans du peuple pourrait violer impunément ses devoirs, conspirer à la tribune par une éloquence insidieuse, sans être soumis à aucune peine. Il serait à désirer qu'un pareil crime fût puni, et ne trouvat point un brevet d'impunité dans le caractère de représentant, dont il se serait rendu indigne, et dans la liberté des opinions, dont il aurait abusé; mais la difficulté réside dans les moyens à employer pour le punir, et c'est ici qu'on trouve occasion de défendre la doctrine du comité. Par qui ferez-vous juger le représentant du peuple accusé? Par une autorité constituée? Mais ici vous apercevez sans peine qu'il est possible que le tribunal soit aussi corrompu que l'homme qui lui serait livré ; et d'ailleurs n'est-il pas à craindre que le représentant fidèle soit traduit à ce tribunal par la faction et l'intrigue, plutôt que le mauvais député par la volonté des représentans vertueux ?

On ne peut, donc, sans détruire je ne dis pas seulement la liberté des opinions, mais encore la liberté même du peuple, faire juger un de ses représentans par une autorité constituée; c'est donc à lui seul qu'on pourrait en appeler. J'ai réfléchi sur cette matière, et je l'ai trouvée environnée d'écueils. J'avais pensé qu'il était possible qu'à la fin de chaque législature les mandataires du peuple fussent tenus de lui rendre compte de leur conduite, et qu'il prononçât non pas des peines afflictives, mais sur leur caractère, et dît: tel arempli mes intentions; tel autre a trompé mon espoir; mais j'ai rencontré dans ce moyen une foule de difficultés ; j'ai vu que si dans tel endroit la justice du peuple prononçait, dans tel autre l'intrigue dominait, et étouffait la vérité. Voilà ce qui m'a empêché de vous présenter un projet à cet égard. Cependant, comme je sens la nécessité d'opposer une forte barrière à la corruption, je demande qu'en adoptant l'article du comité vous lui renvoyiez les idées

(1) Raffron, député de Paris, était alors âgé de quatre-vingt-cing

ans.

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