nous occuper de nous-mêmes, parce qu'on ne pourrait nous accuser d'avoir cherché à quitter nos fonctions dans un des temps de l'année où les périls extérieurs peuvent devenir plus pressans, où les orages intérieurs peuvent éclater d'une manière plus effrayante. En fixant une époque vous ne renoncez point à l'espérance de satisfaire plus tôt l'impatience des citoyens; vous leur donnez seulement une assurance que leur attente ne sera point trompée, que l'on ne verra point la France, sans lois fixes, sans pouvoirs déterminés, sans Constitution, obligée de soutenir encore une fois les efforts de l'Europe conjurée. Croyez-vous que vos successeurs, préparés par vos discussions, pressés par le vœu de la nation, ne se hâteraient point de remplir ses espé rances? » Enfin, quoi qu'il puisse arriver, vous auriez du moins par votre exeimple garanti pour toujours le peuple français de tous les dangers d'un pouvoir indéfini, et dès lors illimité dans sa durée. > Je ne propose point de déclarer inéligibles les membres de la Convention actuelle, parce que le vœu du peuple doit rester libre, parce qu'on ne peut sans attenter à ses droits le limiter dans sa confiance, le priver des hommes dont les lumières ou les vertus ont obtenu son estime; parce que, même en considérant cette exclusion comine un simple engagement pris par nous, nous devrions, par respect pour le suffrage du peuple, laisser à ceux qu'il pourrait choisir le droit de ne refuser que par des motifs personnels qu'ils soumettraient à son jugement. On objectera peut-être que les intrigues redoubleront pour nous empêcher de terminer notre ouvrage... Mais, connaissant d'avance le temps qui nous reste, nous y résisterons avec plus de courage; mais ces intrigues seront alors beaucoup plus dirigées contre nous, et bien moins contre la chose publique; mais elles auront pour objet un retard limité au lieu d'un terme indéfini, et la nouvelle Assemblée, instruite par notre exemple, saura mieux que nous les prévenir ou les combattre. )) On dira qu'à l'approche du terme nous précipiterons nos décisions... Mais un long examen les aura précédées; mais chacun de nous a médité sur toutes les questions importantes que peut offrir la discussion d'un plan de constitution; et d'ailleurs ce plan ne doit-il pas être présenté à la nation, qui en le refusant nous punirait de nos erreurs, et se préserverait du mal qu'elles auraient pu lui faire ? » Le moment où vous sentiriez que la patience des citoyens touche à son terme ne serait-il pas pour vous celui d'une précipitation bien plus dangereuse? Enfin, ou il faut sacrifier à des motifs plus impérieux la crainte de cette précipitation, ou admettre pour principe général que le pouvoir de préparer les lois constitutionnelles, fût-il même réuni au pouvoir législatif le plus étendu, doit avoir par sa nature même une durée indéfinie; et quel ami de la liberté voudrait avouer une telle maxime? » Si mon zèle pour l'égalité républicaine, pour la conservation de l'unité de la République ne m'a point égaré, citoyens, en adoptant cette résolution vous verrez le peuple entier se rallier autour de vous; vous verrez se rattacher à la cause de la patrie ceux que la crainte, l'intérêt personnel en ont momentanément éloignés; vous verrez se calmer ceux que l'excès de leur zèle précipite trop souvent dans les défiances exagérées, et au moment où vous vous montrerez à la nation occupés de vos devoirs, et vous plaçant pour les remplir au dessus des événemens et de vous-mêmes, elle reprendra ce calme et cette sécurité aussi nécessaires à sa défense qu'à son bonheur. >> Voici mon projet de décret : >> La Convention nationale, considérant qu'au moment où les citoyens renouvellent leurs efforts et leurs sacrifices pour la défense de la liberté il est de son devoir de leur en montrer le but et le prix; que l'incertitude de l'époque où elle présentera la Constitution à l'acceptation du peuple alimente les espérances tyranniques des ennemis étrangers, et fournit aux conspirateurs domestiques un prétexte de calomnier la représentation nationale, de rejeter sur elle ou de faire envisager comme durables les maux qui sont la suite inévitable du passage orageux et rapide de l'oppression à l'égalité; considérant que le moyen le plus efficace de confondre les ennemis de la liberté française est de leur montrer qu'au milieu même de tous les genres de guerre et de division il existe un centre indestructible de forces et de volontés pour organiser et maintenir la République ; considérant enfin qu'elle prépare d'avance le règne des lois en s'en imposant à elle-même qui mettent le salut public à l'abri de tous les événemens, de toutes les erreurs et de toutes les passions, décrète ce qui suit: Art. 1or. Dans le cas où les assemblées primaires n'auraient pas été antérieurement convoquées pour accepter ou rejeter un plan de constitution présenté par la Convention nationale, il sera formé une nouvelle Convention; et à cet effet les assemblées primaires se réuniront à l'époque du premier novembre prochain, sans qu'il soit besoin d'aucune autre convocation. » 2. La nouvelle Convention sera composée de la même manière que la Convention actuelle, et ses membres élus sous les mêmes formes, conformément à l'acte de l'Assemblée législative du mois d'août 1792. 3. S'il y a lieu à la formation d'une Convention nouvelle, elle ouvrira ses séances le 15 décembre prochain. » NOTE DE L'ORATEUR (dans son discours imprimé). Ou la Convention nationale présentera au peuple un plan de constitution, et alors, si ce plan est accepté, elle sera remplacée par une législature; s'il est refusé, elle le sera par une Convention : ou bien, n'ayant pu arrêter ce plan de Constitution à une époque qu'elle aurait fixée, elle sera remplacée par une Convention appelée par elle-même : ou enfin, n'ayant point terminé son plan, et ayant lassé la patience du peuple, qui veut une Constitution, elle sera forcée de se dissoudre. » L'effet du décret que j'ai proposé serait de prévenir ce dernier événement, le seul qui puisse être dangereux pour l'unité de la République et pour la liberté. Notre mission est de présenter au peuple une Constitution, et non de la lui faire attendre jusqu'à ce qu'il nous convienne de la lui donner. ১১ Nous trahirions bien plus sa confiance en ne mettant point de bornes à la durée d'un pouvoir illimité, qu'en fixant l'époque où les citoyens pourront soit nous le continuer, soit le déposer en d'autres mains. En un mot, puisque le peuple n'a pu fixer lui-même ces bornes, puisque tout pouvoir indéfini quant à sa durée, et dont le mode de révocation n'est pas déterminé, est évidemment incompatible avec la liberté, c'est pour nous un devoir rigoureux de suppléer à ce que le peuple n'a pu faire; puisque la nation a le droit incontestable de retirer ce pouvoir, nous lui devons un moyen d'exercer ce droit d'une manière régulière, égale, uniforme, simultanée. Ce n'est point quitter un poste que de demander à ceux qui vous y ont placés s'ils veulent vous y conserver; ce n'est point l'abandonner lâchement que de leur demander la réponse à cette question pour le moment du moindre danger. Un général qui dirait, à l'époque où les armées rentrent dans leurs quartiers, vous examinerez si je puis vous être encore utile, pourrait-il être accusé de lâcheté ou d'indifférence? >> N'y a-t-il donc que sept cent cinquante Français qui aient des lumières et du patriotisme, qui aiment l'égalité, qui aient la royauté en horreur ? Croit-on que le choix du peuple ne tombera pas sur ceux d'entre nous qui sont les plus capables de servir ou de sauver la patrie? Je ne comprends pas encore comment les hommes qui craignent toujours que la majorité réelle du peuple ne fasse de mauvais choix, n'aime pas la liberté, peuvent vouloir sincèrement une Constitution démocratique. Que serait-ce qu'une République où cette majorité réelle ne ferait pas constamment la loi? Qui donc aurait le droit de substituer une volonté particulière à la sienne sous prétexte qu'on peut l'égarer? Y a-t-il une si grande perfidie à proposer d'empêcher tels ou tels individus de représenter la nation française si elle ne veut plus être représentée par eux ? Est-ce bien véritablement la longue durée de la Convention actuelle que craignent nos ennemis? Ne serait-ce pas plutôt l'existence assurée d'une représentation nationale investie de la confiance du peuple ? Je sais combien il est précieux pour la liberté que cette représentation soit, comme la Convention actuelle, républicaine jusqu'à l'enthousiasme; et c'est précisément pour s'assurer cet avantage qu'il ne faut pas s'exposer à la voir dissoudre par la force de l'opinion nationale, qu'un trop long retard du projet de Constitution aurait aliénée d'elle. » L'intérêt que nous avons tous de terminer cet ouvrage n'aurait-il pas une activité bien plus grande si nous perdions toute idée de prolonger indéfiniment le temps qui nous reste? Ne résisterions-nous pas plus fortement à tout ce qui pourrait nous en détourner? Cette pensée que chaque jour le terme approche n'effraierait-elle pas les passions, l'amour-propre, la loquacité, l'esprit de parti? Et n'est-ce pas là le moyen le plus efficace de nous assurer que la Constitution sera présentée par nous malgré les efforts des ennemis de la liberté? >> Du moins en proposant cette résolution j'aurai rempli deux devoirs; l'un d'avertir mes collègues de dangers que je crois très réels, l'autre de déclarer que je ne puis regarder comme légitime l'usage indéfiniment prolongé d'un pouvoir s'il n'est justifié que par le silence de ceux qui l'ont conféré. C'est l'excuse banale des rois; elle ne suffit pas à des hommes libres. » Une agitation vive et longue suit la proposition faite par Condorcet; les cris aux voix de la droite sont étouffés sous les cris d'improbation de la gauche; enfin Thuriot parle en ces termes : « Lorsque le corps législatif a provoqué la formation d'une Convention il a eu pour objet d'établir une nouvelle Constitu tion. » La France a applaudi à cette mesure. Vos mandats premiers ont donc été de vous occuper de la Constitution. Mais si vous vous retirez sans avoir rempli ce vœu, vous vous déclarez indignes du caractère dont vous aviez été revêtus; vous déclarez à la nation française que vous n'avez pas eu assez de courage pour lui donner une Constitution: or quel est celui d'entre vous qui serait assez lâche pour rentrer dans ses foyers après cette déclaration? La Convention s'est tracée une marche, et celui-là est coupable qui s'en écarte, et jette ainsi une pomme de discorde dans son sein! An reste cette proposition seconde les intentions bien connues des puissances coalisées contre la France; elles veulent que la Convention quitte Paris, ou qu'elle se sépare sans avoir fait une Constitution. >> Vous avez formé un comité pour vous présenter un plan de Constitution; vous lui avez donné quatre mois de temps: il vous a soumis ce plan, qui en général n'a pas eu l'approbation de tous les patriotes. Maintenant je suppose que nous soyons parvenus à l'époque, et que la Constitution ne soit point terminée; |