Le peuple ne décernera pas de peine plus forte, et si les mandataires sont coupables de quelques crimes particuliers et formels il pourra les renvoyer au tribunal établi pour les punir. Ces dispositions s'appliqueront également aux membres du tribunal populaire. » Quelque nécessaire qu'il soit de contenir les magistrats, il ne l'est pas moins de les bien choisir : c'est sur cette double base que la liberté doit être fondée. Ne perdez pas de vue que dans le gouvernement représentatif il n'est pas de lois constitutives aussi importantes que celles qui garantissent la pureté des élections. K Ici je vois répandre de dangereuses erreurs; ici je m'aperçois qu'on abandonne les premiers principes du bon sens et de la liberté pour poursuivre de vaines abstractions métaphysiques. Par exemple, on veut que dans tous les points de la République les citoyens votent pour la nomination de chaque mandataire, de manière que l'homme de mérite et de vertu qui n'est connu que de la contrée qu'il habite ne puisse jamais être appelé à représenter ses compatriotes, et que les charlatans fameux, qui ne sont pas toujours les meilleurs citoyens ni les hommes les plus éclairés, ou les intrigans, portés par un parti puissant qui dominerait dans toute la République, soient à perpétuité et exclusivement les représentans nécessaires du peuple français. Mais en même temps on enchaîne le souverain par des réglemens tyranniques; partout on dégoûte le peuple des assemblées; on en éloigne les sans-culottes par des formalités infinies: que dis-je! on les chasse par la famine, car on ne songe pas même à les indemniser du temps qu'ils dérobent à la subsistance de leurs familles pour le consacrer aux affaires publiques. 1 >> Voilà cependant les principes conservateurs de la liberté que la Constitution doit maintenir: tout le reste n'est que charlatanisme, intrigue et despotisme. >> Faites en sorte que le peuple puisse assister aux assemblées publiques, car lui seul est l'appui de la liberté et de la justice : les aristocrates, les intrigans en sont les fléaux. >> Qu'importe que la loi rende un hommage hypocrite à l'égalité des droits, si la plus impérieuse de toutes les lois, la nécessité, force la partie la plus saine et la plus nombreuse du peuple à y renoncer! Que la patrie indemnise l'homme qui vit de son travail lorsqu'il assiste aux assemblées publiques; qu'elle salarie par la même raison d'une manière proportionnée tous les fonctionnaires publics; que les règles des élections, que les formes des délibérations soient aussi simples, aussi abrégées qu'il est possible; que les jours des assemblées soient fixés aux époques les plus commodes pour la partie laborieuse de la nation. » Que l'on délibère à haute voix : la publicité est l'appui de la vertu, la sauvegarde de la vérité, la terreur du crime, le fléau de l'intrigue. Laissez les ténèbres et le scrutin secret aux criminels et aux esclaves : les hommes libres veulent avoir le peuple pour témoin de leurs pensées. Cette méthode forme les citoyens aux vertus républicaines; elle convient à un peuple qui vient de conquérir sa liberté, et qui combat pour la défendre: quand elle cesse de lui convenir la République n'est déjà plus. » Au surplus, que le peuple, je le répète, soit parfaitement libre dans ses assemblées: la Constitution ne peut établir que les règles générales, nécessaires pour bannir l'intrigue et maintenir la liberté même ; toute autre gêne n'est qu'un attentat à la souveraineté. >> Qu'aucune autorité constituée surtout ne se mêle jamais ni de sa police ni de ses délibérations. Par là vous aurez résolu le problème encore indécis de l'économie politique populaire, de placer dans la vertu du peuple et dans l'autorité du souverain le contrepoids nécessaire des passions du magistrat et de la tendance du gouvernement à la tyrannie. >> Au reste, n'oubliez pas que la solidité de la Constitution elle-même s'appuie sur toutes les institutions, sur toutes les lois particulières d'un peuple : quelque nom qu'on leur donne, elles doivent toutes concourir avec elle au même but: elle s'appuie sur la bonté des mœurs, sur la connaissance et sur le sentiment des droits sacrés de l'homme. La Déclaration des Droits est la Constitution de tous les peuples: les autres lois sont muables par leur nature, et subordonnées à celle-là. Qu'elle soit sans cesse présente à tous les esprits; qu'elle brille à la tête de votre code public; que le premier article de ce code soit la garantie formelle de tous les droits de l'homme; que le second porte que toute loi qui les blesse est tyrannique et nulle; qu'elle soit portée en pompe dans vos cérémonies publiques; qu'elle frappe les regards du peuple dans toutes ses assemblées, dans tous les lieux où résident ses mandataires; qu'elle soit écrite sur les murs de nos maisons; qu'elle soit la première leçon que les pères donneront à leurs enfans. >> On me demandera peut-être comment, avec des précautions si sévères contre les magistrats, je puis assurer l'obéissance aux lois et au gouvernement. Je réponds que je l'assure davantage précisément par ces précautions-là même : je rends aux lois et au gouvernement toute la force que j'ôte aux vices des hommes qui gouvernent et qui font des lois. >> Le respect qu'inspire le magistrat dépend beaucoup plus du respect qu'il porte lui-même aux lois que du pouvoir qu'il usurpe, et la puissance des lois est bien moins dans la force militaire qui les entoure que dans leur concordance avec les principes de la justice et avec la volonté générale. >> Quand la loi a pour principe l'intérêt public elle a le peuple lui-même pour appui, et sa force est la force de tous les citoyens, dont elle est l'ouvrage et la propriété. La volonté générale et la force publique ont une origine commune : la force publique est au corps politique ce qu'est au corps humain le bras, qui exécute spontanément ce que la volonté commande, et repousse tous les objets qui peuvent menacer le cœur ou la tête. >> Quand la force publique ne fait que seconder la volonté générale l'Etat est libre et paisible; lorsqu'elle la contrarie l'Etat est asservi ou agité. >> La force publique est en contradiction avec la volonté générale dans deux cas; ou lorsque la loi n'est pas la volonté générale, ou lorsque le magistrat l'emploie pour violer la los. Telle est l'horrible anarchie que les tyrans ont établie de tout temps sous le nom de tranquillité, d'ordre public, de législa tion et de gouvernement; tout leur art est d'isoler et de com-, primer chaque citoyen par la force pour les asservir tous à leurs odieux caprices, qu'ils décorent du nom de lois. » Législateurs, faites des lois justes; magistrats, faites-les religieusement exécuter : que ce soit là toute votre politique, et vous donnerez au monde un spectacle inconnu, celui d'un grand peuple libre et vertueux. » Robespierre, ainsi que Saint-Just, termine en donnant lecture d'une suite d'articles constitutionnels très démocratiques, mais n'offrant en quelque sorte que le sommaire d'une constitution; c'était son discours réduit en préceptes. Les projets s'entassaient; celui du comité paraissait être oublié, et l'on n'avait encore arrêté aucun mode de discussion; les orateurs n'étaient plus entendus qu'avec impatience. Dans la même séance, sur la proposition de Danton, la Convention pose enfin la première pierre de l'édifice en renouvelant la proclamation de la République; elle charge ensuite une commission de six membres de lui présenter une série de questions en rapport avec ce premier décret (10 mai 1793): « Le peuple français, fondant son gouvernement sur les droits de l'homme en société, qu'il a reconnus et déclarés, adopte la Constitution suivante : » Art. 1. La République française est une et indivisible. >> Dès lors il était aisé de prévoir que le plan du comité ne réunirait jamais les suffrages de la majorité. C'est alors que Condorcet conçut le dessein hardi, mais dangereux, de faire convoquer par la Convention même une nouvelle Convention; projet que nourrissaient depuis longtemps les girondins, et qu'ils avaient reproduit sous toutes les formes après l'avoir proposé de prime abord comme une mesure épu ratoire. On ne peut mettre en doute la pureté du patriotisme de Condorcet et des girondins; ce serait un outrage à la liberté, dont ils ont honoré le culte; mais il faut reconnaître leurs erreurs politiques. Les intérêts individuels et les intérêts de l'Etat étaient constamment ensemble à l'ordre du jour; toute réunion était devenue impossible; l'un des deux partis devait succomber; enfin le signal du dernier combat était donné. En cette occurence les montagnards ne voulaient que la Convention pour champ de bataille : c'était leur terrain; ils formaient la majorité. Les girondins voulaient toute la France : c'était la minorité qui traduisait la majorité devant le tribunal de la nation. De quel côté était l'erreur? Dans le premier cas les intérêts particuliers continuaient de se traiter de concert avec les intérêts généraux ; quel que soit le parti qui tombe, la Convention restait. La gironde prévoyait sa ruine, soit; mais, indocile à une majorité élue comme elle, au même titre, devait-elle encore compromettre le salut des commettans communs aux deux partis? Sans doute une majorité peut démériter du peuple ; mais il n'appartient qu'au peuple de se prononcer contre elle : sa loi était l'insurrection; il la lisait dans la Déclaration des Droits. Au second cas, celui de la dissolution de la Convention nationale, sans cesse provoquée par les membres du côté droit; au second cas les assemblées primaires, tous les citoyens étaient appelés pour juges entre les deux partis: alors les intérêts de la République cédaient aux intérêts individuels; la France n'avait plus de gouvernement; elle se retrouvait, comme en septembre 92, livrée aux factions, aux agitateurs, aux ambitieux, enfin à la tourmente inséparable du choix de représentans; elle était envahie par l'étranger, habile à profiter de cette conflagration générale. Il était certain d'ailleurs que la faveur populaire aurait rappelé tous les montagnards, pour la plupart égaux aux girondins en patriotisme et en désintéressement: ils avaient moins d'art peut-être, mais plus de talens naturels; et le peuple cherche la nature; c'est elle seule qui l'inspire. Que si les uns et les autres eussent été réélus, alors les divisions se perpétuaient au sein de la nouvelle assemblée, |