nation. Il faut bien qu'elle nous juge, puisque nous n'avons pas su nous-mêmes faire cesser nos divisions! » Encore un seul mot, et j'ai dit. Je sais pourquoi mon nom se trouve dans la liste des proscrits: il n'y eût pas été il y a quinze jours. J'ai parlé d'un homme; c'est assez : j'ai été dénoncé. J'ai témoigné de la méfiance contre un homme (contre Danton) sur le compte duquel on ne voulait pas permettre même le soupçon : dès lors il a bien fallu me proscrire, puisque j'avais eu la témérité de m'élever contrel'idole du jour! La voilà la raison pour laquelle mon nom se trouve dans la liste! car je défie ceux qui me dénoncent de citer une seule de mes opinions, une seule action de ma vie qui puisse prouver que j'aie trahi un instant la cause du peuple, que j'aie cessé un instant d'aimer la liberté de mon pays! >>> Lasource rédige ses propositions en un projet de décret portant en substance qué les assemblées primaires se réuniront le 5 mai, qu'elles seront consultées sur cette question, appliquée à chaque membre de la Convention, tel député a-t-il perdu votre confiance oui ou non, et que les membres de la Convention qui auront contre eux le vœu de la majorité des assemblées primaires seront exclus de droit. Phelippeaux combat cette dangereuse proposition (1) avec beaucoup de sagesse; puisil rappelle ses collègues aux devoirs de leur mission, censure également les deux côtés de l'Assemblée, présente un tableau touchant des maux que leurs divisions causent à la République, et signale comme seuls responsables de ces maux les hommes qui sans cesse s'emparent de la tribune pour y parler d'eux-mêmes ou de leurs adversaires : « Il est temps, dit Phelippeaux, il est temps d'ouvrir les yeux, et de briser le talisman fatal qui nous rend dupes les uns et les autres d'une idolâtrie pernicieuse! Je n'ai vu moi, et je ne suis pas le seul, qu'un combat d'amour-propre et d'ambition entre ces dix ou douze athlètes qui se donnent si souvent en spectacle pour savoir en dernière analise qui d'entre eux seront les modérateurs suprêmes de la République! Si (1) Plus loin on entendra Vergniaud lui-même la combattro. 1 dès l'origine nous eussions pu leur imposer silence, ils eussent peut-être fait tourner au profit de la chose publique les passions fougueuses qui les dévorent, et qui, par notre complaisance à les partager, ont pris un autre caractère. Lorsqu'au comité de défense générale j'entendis mettre en thèse que si Brissot, Gensonné et trois ou quatre autres pouvaient se réconcilier avec Robespierre la patrie serait sauvée, je m'écriai avec indignation: il n'existe donc déjà plus de République! car si le schisme qui divise ce petit nombre d'individus peut la détruire, ces hommes-là seront nos maîtres s'ils peuvent jamais s'entendre!.... » Je ne sais si ceux qui nous rassasient à chaque minute de déclamations atrabilaires sont de bonne foi dans leur emportement; mais à coup sûr, s'ils étaient républicains, ils eussent fait à la patrie le sacrifice de ces déplorables dissensions, qui • la tuent! On a parlé dans cette Assemblée d'ostracisme: nous n'avons pas encore cette loi des peuples libres; mais les individus dont je parle, s'ils étaient généreux, se la seraient imposée à eux-mêmes, puisqu'ils n'ont cessé d'être un sujet de tourmens et de calamités pour la chose publique ! ». Phelippeaux termine en proposant à la Convention de déclarer par un décret qu'elle veut sauver la République; qu'elle regardera comme mauvais citoyens ceux qui voudraient sa dissolution en tout ou partie; qu'en conséquence elle improuve l'adresse qui lui a été présentée au nom des sections de Paris. On applaudit unanimement au discours de Phelippeaux, sans toutefois prendre encore aucune détermination. Dans la séance du lendemain on parut céder à ses conseils en s'occupant exclusivement de l'Acte constitutionnel, qui était alors à l'ordre du jour : c'est dans cette séance, le 17, que fut décrété le premier article de la Déclaration des Droits, sur la rédaction de Vergniaud, un des membres dénoncés. (Voyez livre II de ce volume.) Mais le 18 une adresse dirigée contre le côté gauche ramena à l'examen de l'adresse des sections de Paris. Grangeneuve jeune, frère du représentant du peuple, se présente à la barre à la tête d'une députation du département de la t Gironde; il dénonce une correspondance écrite et des circulaires imprimées qui compromettent des membres de la Convention, de la commune de Paris et de la société des Jacobins: dans ces pièces on signalait encore comme ennemis de la République les membres du côté droit, principalement les girondins; on invoquait contre eux la vengeance populaire; l'une portait que bientot on ferait passer le goût du pain à tous ces royalistes. Mais le plus coupable des écrits dénoncés l'était moins que l'adresse qui avait provoqué le décret d'accusation contre Marat; il n'était que plus trivial : la publicité et le cynisme avaient fait connaître les autres, et Grangeneuve arrivait trop tard pour montrer une vaste conspiration dans des faits et des intentions déjà connus et avoués. La pétition des envoyés de la Gironde, qu'on s'était proposé d'opposer à celle des sections de Paris, n'apportait donc aucun secours au côté droit. Vergniaud sentit bientôt l'inefficacité de ce moyen, employé par ses collègues; il demanda et fit décréter le renvoi au comité de salut public de la pétition et des pièces envoyées de Bordeaux. Mais en même temps il obtint que la discussion serait reprise sur la dénonciation des sections de Paris; et en cela il avait deux buts, l'improbation de cette pièce, ou la convocation des assemblées primaires : il marcha au premier, ses collègues au second. C'était la conduite la plus sage. Les montagnards, qui depuis l'ouverture de la Convention avaient toujours combattu contre le côté droit le projet désastreux d'un scrutin épuratoire des représentans du peuple, se trouvaient imprudemment engagés à soutenir cette mesure, conséquence de la pétition, ou à abandonner la pétition même ; ce qui d'ailleurs n'était qu'une trève de quelques jours à accorder aux girondins. L'extrême gauche s'en montrait impatiente, d'autant plus que, la plaine s'unissant à la droite pour voter l'improbation, il était à craindre que cette majorité s'enhardît d'un premier succès. En effet, quelques députés paisibles crurent à la possibilité d'une réunion générale; on se donna même des gages: Lasource, et cette circonstance remarquable faillit ébranler la montagne, Lasource fut proclamé président dans la séance du 18. Séance du 20 avril 1793. La discussion reprise, Gensonné en appelle au jugement des assemblées primaires, et dénonce la commune de Paris comme ayant organisé un comité de correspondance avec les quarante-quatre mille municipalités de la République. Fauchet prononce un discours apologétique de sa conduite. Guadet demande que les membres inculpés s'abstiennent de parler de ce qui leur est personnel; il réclame en outre de la Convention nationale qu'elle casse un arrêté du conseil général de la commune de Paris portant que cette commune se déclare en état de révolution comme au 10 août 92, et qu'elle prend sous sa sauvegarde tous les individus et toutes les sociétés populaires qui pourraient être frappés pour leurs opinions. DISCOURS de Vergniaud. « La motion d'ordre de Guadet a deux objets : le premier d'écarter de la discussion tout ce qui pourrait ressembler à une justification de la part des membres dénoncés, et de la borner au parti qu'il convient de prendre relativement à la pétition de Paris; le second de statuer sans désemparer sur un arrêté qu'on dit avoir été pris par le conseil général de la commune. Je ferai une réflexion sur le second objet; je reviendrai ensuite au premier. » L'arrêté dont il s'agit n'est connu que par les papiers publics: si les termes n'en sont point altérés, s'il est fidèlement rapporté, c'est un acte manifeste de rébellion contre la souveraineté nationale, c'est un acte véritablement contre révolutionnaire, et je ne présume pas qu'il se rencontre dans l'Assemblée un seul membre qui en ce cas veuille lui donner son assentiment. Mais pouvez-vous délibérer sur un arrêté que vous avez lu dans les journaux ? Je pense qu'il est un préalable, également commandé par la sagesse et la justice; c'est de vous procurer une connaissance officielle ou légale de l'arrêté. Je demande donc que vous décrétiez que les registres des délibérations de la commune vous soient apportés sur le champ. >>> (Applaudissemens.) 1 Cette proposition est immédiatement mise aux voix, et décrétée à l'unanimité. Vergniaud. « Je reviens au premier objet de la motion d'ordre de Guadet, >> Lorsqu'il vous a proposé d'écarter de la discussion tout ce qui pourrait paraître personnel aux membres dénoncés, il a voulu accélérer cette discussion affligeante, qui n'a déjà consommé que trop de temps à l'Assemblée, et qui, tant qu'elle se prolongera, ne fera que mettre en mouvement les haines qui règnent parmi nous. Les sections de Paris, ou plutôt quelques citoyens résidans dans trente-cinq sections de Paris, vous ont présenté une pétition tendante à obtenir notre exclusion du sein de la Convention nationale, et ils ont demandé que leur vœu fût envoyé à tous les départemens. >> Cet envoi n'est possible que de deux manières; ou en adressant la pétition à des aggrégations particulières, aux corps administratifs, aux sociétés populaires, et, si je puis m'exprimer ainsi, à l'opinion publique; ou aux assemblées primaires. Le premier mode est inadmissible; d'abord parce qu'on sait avec quelle facilité par la séduction, par la terreur, et par une foule d'autres moyens très connus des hommes avides de domination, on peut se procurer des adresses d'adhésion ou d'improbation : quand elles sont provoquées elles sont rarement le vœu de l'opinion; elles ne sont que celui de l'intrigue. En second lieu nous sommes les représentans du peuple; c'est du peuple souverain que nous tenons nos mandats; c'est le peuple souverain qui dans les assemblées primaires nous a investis de l'exercice de la souveraineté : lui seul peut nous en dépouiller; aucune masse d'opinions ne pourrait suppléer à l'expression formelle de sa volonté, ni nous arracher d'un poste auquel cette volonté nous a placés. Comme citoyen, je respecte la toute puissance de l'opinion; comme représentant du peuple, je ne connais d'autre toute puissance que la sienne. (Applaudissemens.) Il faudrait donc envoyer la pétition de Paris aux assemblées primaires. Or je combats en peu de mots cette proposition, qui n'a été faite par Fonfrède que pour prouver combien |