1 La Convention applaudit à l'avis du comité, et l'adopte ainsi sans discussion (même séance): ! La Convention nationale invite tous les amis de la liberté et de l'égalité à lui présenter, en quelque langue que ce soit, les plans, les vues et les moyens qu'ils croiront propres à donner une bonne Constitution à la République française; autorise son comité de constitution à faire traduire et publier par la voie de l'impression les ouvrages qui seront envoyés à la Convention nationale. >>> Ces préliminaires établis, quelques mois durent nécessairement s'écouler sans qu'aucune discussion pût avoir pour objet l'acte constitutionnel: on a vu précédemment ce qui dans cet intervalle occupa la Convention; voici le résultat du travail du comité. RAPPORT fait par Condorcet au nom du comité (1) chargé de présenter un plan de constitution pour la République française. (Lu dans la séance du 15 février 1793.) << Donner à un territoire de vingt-sept milles lieues carrées, habité par vingt-cinq millions d'individus, une Constitution qui, fondée uniquement sur les principes de la raison et de la justice, assure aux citoyens la jouissance la plus entière de leurs droits; combiner les parties de cette Constitution de manière que la nécessité de l'obéissance aux lois, de la soumission des volontés individuelles à la volonté générale, laisse subsister dans toute leur étendue et la souveraineté du peuple, et l'égalité entre les citoyens, et l'exercice de la liberté naturelle; tel est le problème que nous avions à résoudre. * » Jamais un peuple plus dégagé de tous les préjugés, plus affranchi du joug de ses anciennes, institutions, n'a offert plus de facilité pour ne suivre dans la composition de ses lois que les principes généraux consacrés par la raison; mais jamais aussi l'ébranlement causé par une révolution si entière, jamais (1) Les membres du comité qui ont approuvé ce rapport, rédigé et signé avec Condorcet le plan de constitution, sont : Gensonné, Barrère, Thomas Payne, Pétion, Vergniaud, Syeyes, Barbaroux. unmouvement plus rapide imprimé aux esprits, jamais le poids d'une guerre plus dangereuse, jamais de plus grands embarras dans l'économie publique n'ont semblé opposer à l'établissement d'une constitution des obstacles plus multipliés. Il faut que la Constitution nouvelle convienne à un peuple chez qui un mouvement révolutionnaire s'achève, et que cependant elle soit bonne aussi pour un peuple paisible; il faut que, calmant les agitations sans affaiblir l'activité de l'esprit public, elle permette à ce mouvement de s'apaiser sans le rendre plus dangereux en le réprimant, sans le perpétuer par des mesures mal combinées ou incertaines, qui changeraient cette chaleur passagèrement utile en un esprit de désorganisation et d'anarchie. > >> Toute hérédité politique est à la fois et une violation évidente de l'égalité naturelle et une institution absurde, puisqu'elle suppose l'hérédité des qualités propres à remplir une fonction publique. Toute exception à la loi commune, faite en faveur d'un individu, est une atteinte portée aux droits de tous. Tout pouvoir au dessus duquel il ne s'en élève aucun autre ne peut être confié à un seul individu, ni pour sa vie, ni pour un long espace de temps, sans lui conférer une influence attachée à sa personne et non à ses fonctions, sans offrir à son ambition des moyens de perdre la liberté publique, ou du moins de le tenter. » Enfin ce respect pour un individu, cette espèce d'ivresse dont la pompe qui l'entoure frappe les imaginations faibles; ce, sentiment d'un dévouement aveugle qui en est la suite; cet homme mis à la place de la loi, dont on l'appelle l'image vivante; ces mots vides de sens par lesquels on veut conduire les hommes, comme s'ils étaient indignes de n'obéir qu'à la raison; tous ces moyens de gouverner par l'erreur et la séduction ne conviennent plus à un siècle éclairé, à un peuple que les lumières ont conduit à la liberté. >> L'unité, l'activité, la force du gouvernement ne sont pas des attributs exclusivement attachés à ces dangereuses institutions; c'est dans la volonté ferme du peuple d'obéir à la loi que doit résider la force d'une autorité légitime: l'unité, l'activité peuvent être le fruit d'une organisation des pouvoirs simple et 1 sagement combinée, et l'on espérerait vainement s'assurer cet avantage én les réunissant dans un seul individu, que l'orgueil de sa puissance corrompt presque nécessairement, que l'accroissement de sa prérogative occupe plus que ses devoirs. Sans un de ces miracles sur lesquels on ne doit pas compter, tout homme revêtu d'une autorité héréditaire ou durable est condamné à flotter entre la molesse et l'ambition, entre l'indifférence et la perfidie. Enfin, quand l'exemple des monarchies a prouvé qu'elles étaient constamment gouvernées par un conseil, il serait difficile de trouver quelque utilité dans l'institution d'un monarque. >> Ainsi la royauté a dû être abolie. >> Depuis une entière unité, comme elle existe en Angleterre, où cette unité n'est interrompue que par les divisions de territoire nécessaires à l'exercice régulier des pouvoirs, jusqu'à la confédération helvétique, où des républiques indépendantes ne sont unies que par des traités uniquement destinés à leur assurer l'avantage d'une défense mutuelle, on peut imaginer une foule de constitutions diverses, qui, placées entre ces deux extrêmes, se rapprocheraient davantage ou de l'unité absolue ou d'une simple fédération. La disposition du territoire français, dont les parties, rapprochées entre elles, ne sont séparées par aucun obstacle naturel (1); les rapports multipliés établis dès longtemps entre les habitans de ces diverses parties; les obligations communes qu'ils ont contractées; la longue habitude d'être régis par un pouvoir unique; cette distribution des propriétés de chaque province entre des hommes qui les habitent toutes; cette réunion dans chacune d'hommes nés dans toutes les autres, tout semble destiner la France à l'unité la plus entière. » La nécessité de pouvoir employer avec activité les forces (1) « En supposant à une surface égale à celle de la France une figure circulaire, celle de toutes où la distance la plus grande entre deux points du contour est la plus petite possible, cette distance serait encore de plus de cent quatre-vingtslieurs, et en France elle n'est guère que d'environ deux cent quarante lieues. » (Note du rapporteur.) du tout à la défense de chaque frontière; la difficulté d'y faire concourir avec un zèle égal les portions fédérées qui, enfoncées dans l'intérieur, n'auraient point d'ennemis à craindre, ou celles qui n'auraient que des côtes à défendre; le danger de détruire un lien qui existe pour en créer un plus foible, lorsque l'Europe entière emploierait toutes ses forces, toutes ses intrigues pour chercher à le briser; le besoin de la réunion la plus intime pour un peuple qui professe les principes les plus purs de la raison et de la justice, mais qui les professe seul, sont de nouvelles raisons d'écarter loin de nous tout ce qui porterait la plus légère atteinte à l'unité politique. >> Mais il est même inutile de discuter toute l'importance de ces raisons. En effet, pour séparer en républiques confédérées un état unique, ou pour réunir en une seule république des états. confédérés, il faut des motifs puissans d'intérêt public, comme pour tous les grands changemens que la conservation de la liberté ou de l'égalité n'exige pas rigoureusement; et aucun de ces motifs n'existe pour nous: nous ne pourrions vouloir ce changement que pour obéir à des vues systématiques de perfection, ou pour sacrifier le tout à quelques parties, la génération présente au bien-être incertain des générations futures; c'est au bruit des menaces d'une ligue d'ennemis puissans que nous exposerions la sûreté de l'Etat en faisant une révolution nouvelle dans l'intérieur, pour établir un système dont un des effets nécessaires est d'affaiblir les moyens de défense de la nation qui l'adopte. >> Suivons plutôt l'exemple d'un peuple digne de nous en donner: ignorait-on dans les États-Unis d'Amérique combien la faiblesse de leur lien fédératif nuirait au succès de leur guerre contre l'ennemi de leur indépendance? Tous les hommes éclairés, tous les patriotes y gémissaient du peu de force du congrès général, du peu de concert des diverses républiques; et cependant personne durant la guerre n'a cherché à corriger ce mal, qui en contrariait le succès, tant on craignait l'effet d'un grand changement exécuté dans des circonstances si périlleuses. Ce que la prudence des Américains n'a osé tenter lorsque les circonstances semblaient le demander, le tenterionsnous dans le moment même où elles s'y opposent avec le plu s de force? 4 Ainsi l'on a dû prononcer que la France formerait une république une et indivisible. » L'étendue de la République ne permet de proposer qu'une constitution représentative; car celle où des délégués formeraient un vœu général, d'après les vœux particuliers exprimés dans leurs mandats, serait plus impraticable encore que celle où des députés, réduits aux fonctions de simples rédacteurs, et n'obtenant pas même une obéissance provisoire, seraient obligés de présenter toutes les lois à l'acceptation immédiate des citoyens. Mais l'obéissance provisoire exigée pour les lois faites par des représentans ne doit-elle avoir contre leurs erreurs ou leurs projets d'autre remède que le prompt changement de ces représentans à des époques réglées, que les limites apposées à leur pouvoir par des lois constitutionnelles qu'ils ne peuvent changer? Les droits des citoyens auront-ils été suffisamment respectés si ces lois constitutionnelles, faites par les délégués du peuple, exigent une obéissance provisoire pour un temps déterminé, indépendamment de toute sanction nationale? Suffira-t-il qu'elles soient soumises en masse à l'acceptation d'une autre assemblée de représentans du peuple élus pour cette fonction seule? » Ou plutôt faut-il que pour toutes les lois il soit ouvert au peuple un moyen légal de réclamation qui nécessite un nouvel examen de la loi? Faut-il que le peuple ait un moyen légal et toujours ouvert de parvenir à la réforme d'une constitution qui lui paraîtrait avoir violé ses droits? Faut-il enfin qu'une constitution soit présentée à l'acceptation immédiate du peuple? » Dans un moment où aucune loi n'a pour elle le sceau de l'expérience et l'autorité de l'habitude, où le corps législatif ne peut borner ses fonctions à quelques réformes et au perfectionnement de détail d'un code de lois déjà cher aux citoyens; dans un temps où cette défiance vague, cette inquiétude active, suite nécessaire d'une révolution, n'a pu encore se calmer, nous avons pensé qu'une réponse affirmative à ces dernières questions était la seule qui convînt au peuple français, la seule qu'il pût vouloir entendre; que c'était en même temps le moyen |