L'orateur de la députation. « Délégués du peuple, les citoyens de Paris n'ont point quitté les armes depuis quatre jours; depuis quatre jours ils réclament auprès de leurs mandataires leurs droits indignement violés, et depuis quatre jours ces mandataires se rient de leur calme et de leur inactive passibilité! Le flambeau de la liberté a pâli; les colonnes de l'égalité sont ébranlées; le crime est triomphant, la vertu opprimée; les contre-révolutionnaires lèvent leur tête insolente !... Qu'ils tremblent! La foudre gronde; elle va les pulvériser!... (Les tribunes applaudissent.) >>> Représentans, les crimes des factieux de la Convention vous sont assez connus... (Mouvement unanime d'approbation.) Nous venons pour la dernière fois vous les dénoncer. Décrétez à l'instant qu'ils sont indignes de la confiance publique; mettez-les en état d'arrestation provisoire: nous en répondons tous sur nos têtes à leurs départemens. >> Citoyens, le peuple est las de voir ajourner son bonheur! Il le laisse encore un instant dans vos mains; sauvez-le, ou nous vous déclarons qu'il va se sauver lui-même ! Le président. « C'est, dites-vous, au nom du peuple de Paris que vous venez de parler. Les autorités constituées, les bons citoyens mettront sans doute au premier rang de leurs devoirs le respect pour la représentation nationale. S'il y a des traîtres parmi nous il faut qu'ils soient découverts, jugés, et qu'ils tombent sous le glaive de la loi; mais avant de les punir il faut prouver leurs crimes. Vous venez de faire à la Convention une demande que vous lui dites être la dernière : la Convention l'examinera; elle pesera la mesure que sa sagesse lui commandera, et fera exécuter avec courage celle qui lui paraîtra nécessaire. La Convention vous invite aux honneurs de la séance. Billard-Varennes et Tallien. « Le rapport sur cette pétition séance tenante!... Sans désemparer! » Un grand nombre de voix dans toutes les parties de la salle. « L'ordre du jour! » Legendre. « L'ordre du jour est de sauver la patrie! (Applaudissemens des tribunes.) 4 La Convention passe à l'ordre du jour, motivé sur le décret d'hier qui donne trois jours au comité de salut public pour faire son rapport. Cette décision prononcée, les pétitionnaires sortent en proférant des menaces. Un mouvement impétueux se manifeste parmi les spectateurs; on crie: Aux armes ! Les hommes quittent les tribunes; on n'y voit plus que des femmes. Grand bruit au dehors. Richon. « Sauvez le peuple de lui-même ! Sauvez vos collègues! Décrétez leur arrestation provisoire! » Toute la droite et une partie de la gauche. « Non! Non!» Laréveillère-Lepeaux. « Non! nous partagerons tous le sort de nos collègues ! Richon. « Vous avez entendu les magistrats du peuple vous porter son vœu, impérieusement émis : ils vous ont parlé. des dangereuses conséquences d'un plus long ajournement du décret qu'il vous demande. L'orage gronde; il menace! Citoyens, sauvez au peuple des malheurs, et la République de sa ruine! : » Prononcez un décret d'arrestation provisoire, au nom du salut public, contre les membres de cette Assemblée que les magistrats accusent! Organes de l'opinion publique, ils vous ont promis leur sûreté; ils en ont répondu sur leur tête. Ainsi le veulent les circonstances! >>> Levasseur. On propose l'arrestation provisoire des mem bres dénoncés, pour les sauver, dit-on, de la fureur du peuple!... Je soutiens moi qu'on doit les y mettre définitivement s'ils le méritent, et je vais le prouver. Ces yingt-deux membres méritent-ils d'être en état d'arrestation? (Oui! Oui! Non! Non!) » Il existe une loi portant que tous les citoyens suspects seront mis en état d'arrestation; il existe un droit que vous avez déclaré, c'est que la loi est égale pour tous, soit qu'elle protége, soit qu'elle punisse. Hé bien, si des membres de la Convention sont reconnus suspects, la loi doit porter sur eux comme sur les plus simples citoyens. i 1 ► Maintenant je vais vous faire quelques rapprochemens qui vous prouveront que les membres dénoncés sont au moins suspects. Louis XVI par ses proclamations calomniait les citoyens de Paris pour s'opposer à l'établissement de la liberté. Qu'ont fait les vingt-deux membres dénoncés? Ils n'ont cessé de calomnier la même ville!.... (A droite: C'est faux!) Les preuves existent, et ce système de calomnie était même antérieur à la réunion de la Convention nationale; car nous sommes arrivés, nous députés des départemens, entourés de préventions contre Paris et sa députation; on nous invitait à tenir nos séances dans une autre ville.... >>> Cambon. « Le comité de salut public, auquel je viens de rendre compte de l'état de l'Assemblée, m'a chargé de vous dire qu'il avait délibéré des mesures relatives aux circonstances, et qu'il s'occupait de les rédiger. Dans une demi-heure il vous. apportera son projet de décret. >> Levasseur reprend son discours, ou plutôt son accusation Les faits qu'il articule se retrouvent tous dans le rapport fait par Saint-Just. (Voyez plus loin.) Une demi-heure s'écoule dans le plus grand calme: l'Assemblée a repris l'ordre du jour. Le peuple remplit les tribunes, et les membres dénoncés ne paraissent pas se douter que leur sort est l'objet de son attente. Barrère. « Citoyens, je viens obéir au décret par lequel vous avez hier ordonné à votre comité de salut public de vous faire un rapport sur vingt-deux membres de cette Assemblée. Je commence par vous faire observer que le court délai quevous avez laissé à votre comité ne lui a pas permis de s'entourer de tous les renseignemens nécessaires pour donner à ce rapport la clarté dont il était susceptible, et il lui a été impossible d'entendre aucun témoin; mais votre décret était précis; il a obéi. • Pour être impartial dans cette affaire le comité a dû se placer au milieu des passions et des intérêts; il a dû examiner la position morale et politique de la Convention. Il n'a pas cru devoir adopter la mesure de l'arrestation; il a pensé qu'il devait s'adresser au patriotisme, à la générosité et à l'amour de leur patrie des membres accusés, et leur demander la suspension de leurs pouvoirs, en leur représentant que c'est la seule mesure qui puisse faire cesser les divisions qui affligent la République, et y ramener la paix. » Ce serait s'aveugler que de voir dans la mesure que je propose une mesure pénale, quand le comité s'est refusé à l'arrestation précisément parce que cette mesure était pénale, quand enfin le comité a pris toutes les mesures pour placer les membres dont il s'agit sous la sauvegarde du peuple et de la force armée de Paris. J'ai donc été chargé de vous proposer un projet de décret portant invitation aux membres dénoncés de se suspendre volontairement de leurs fonctions pour un temps déterminé. » Isnard. « Quand dans la même balance on met un homme et la patrie je penche toujours pour la patrie, que j'adore, et que j'adorerai toujours; et, je le déclare, si mon sang était nécessaire pour sauver la patrie, sans bourreau je porterais ma tête sur l'échafaud, et moi-même je ferais tremper le fer fatal qui devrait trancher le cours de ma vie! Le comité de salut public vous présente la suspension des membres dénoncés comme la seule mesure qui puisse éviter les grands maux dont nous sommes menacés: hé bien, je me suspends moi, et je ne veux d'autre sauvegarde que celle du peuple, pour qui je me suis constamment sacrifié! Et qu'on ne dise pas que ce que je fais est une action lâche; je crois avoir fait preuve de courage jusqu'ici, et je pense que ce dernier acte est digne du caractère de représentant du peuple. » Lanthenas. « Citoyens, j'ai les mêmes sentimens à vous exprimer qu'Isnard; le même dévouement est dans mon cœur. Qui n'est pas dévoré du désir de sauver son pays dans les circonstances critiques où nous sommes ? Qui devant le salut public ne met pas de côté ses peines, ses dangers, et toute son existence? Nos passions, nos divisions ont creusé sous nos pas un abîme profond; les vingt-deux membres dénoncés doivent s'y précipiter si leur sort, quel qu'il soit, peut le combler, et sauver la République! |