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quemment de l'insuffisance philologique de l'explorateur et dont je pourrais citer maint réjouissant échantillon, on conçoit qu'on ne doive pas accorder à ce mode d'information, d'un maniement délicat, un crédit illimité et surtout exclusif.

Il y a, messieurs, autre chose à demander aux fellahs qu'une simple nomenclature chorographique, et c'est sur cela que je voudrais arrêter vos réflexions et appeler l'attention des voyageurs futurs.

Il est de par le monde peu de régions aussi parcourues que la Palestine; il n'en est guère de moins bien connues sous le rapport des mœurs de leurs habitants. Certes, on est en droit de dire, sans soutenir un paradoxe, que les populations de l'Océanie, de l'extrême Orient, de l'Asie centrale, des Indes, que celles de l'Égypte, que les tribus bédouines d'au delà du Jourdain, nous sont aujourd'hui beaucoup plus familières que les populations vivant sur ce petit coin de terre de la Judée, quotidiennement sillonné par une foule d'Européens. Touristes, pèlerins et savants y

affluent à l'envi, mais tous, presque sans exception, pour des causes diverses, y négligent de voir et de nous faire voir par leurs relations la seule chose peut-être qui

y

soit demeurée réellement neuve et inédite le peuple des campagnes.

La faute en est surtout à la manière de voyager à laquelle est condamné l'Européen qui visite la Palestine; il se livre à peu près invariablement à la merci de l'inévitable drogman de voyageurs. Il a déjà appris en Egypte à faire la connaissance de cet incommode animal, propre à la faune sociale du Levant, abrégé d'interprète, maître d'hôtel, guide, courrier et autres métiers. A peine débarqué à Jaffa, il l'y retrouve; en Égypte, passe encore, car les splendeurs et les grandeurs de l'art pharaonique ne sauraient être masquées par l'interposition de ce personnage jusque-là secondaire. Sur les bords du Nil ce n'était qu'une manière de valet; en Syrie, c'est un maître et un maître despotique. Le tableau des infortunes du voyageur devenu la proie de cet industriel pourrait

être plaisant à faire; je me bornerai à vous dire que la présence de ce fâcheux empêche tout contact direct du voyageur avec les paysans et produit l'effet d'un épouvantail sur cette gent défiante, dans l'intimité de laquelle je voudrais vous introduire.

Le Franc passe, traversant souvent la Palestine dans toute sa longueur, mais suivant les routes battues; il se borne à jeter un coup d'œil distrait sur la mine caractéristique des hommes, un peu plus complaisant sur la fière allure des femmes marchant droites et légères sous leurs lourds fardeaux, et il répète avec son drogman qu'il a vu des fellahs, des Arabes, dont il lui suffit de noter les costumes pittoresques avec quelques mots qui ont la prétention de l'être : il ne soupçonne pas qu'il vient de coudoyer tout un monde qui, pour rustique et grossier qu'il soit, n'en offre pas moins à l'historien un sujet d'étude du plus haut intérêt.

Les paysans de la Judée sont des Arabes, dit-on; je le veux bien, en ce sens qu'ils parlent arabe; mais il faudrait une bonne

tois s'entendre sur ce nom vague et décevant d'Arabe qui recouvre tant de races distinctes, tant de débris hétérogènes. Depuis la prédominance de l'Islam, tout le système, divisé à l'infini, des nationalités sémitiques, petites et grandes, fleuves et ruisseaux, suivant les pentes irrésistibles des conformités linguistiques et des nécessités politiques, s'est venu déverser dans ce lac arabe dont il a fait une mer où toute eau perd son nom. Le passant peut se contenter de dire, en côtoyant cette immense nappe, qui s'étend maintenant à perte de vue sur une partie de l'Afrique. et de l'Asie : C'est la race arabe. La science a le devoir de chercher les origines de ce réservoir collectif, de remonter, en marchant au besoin dans leurs lits desséchés, à la source de ces affluents qui s'y sont noyés en y apportant leurs eaux.

La race non citadine, aux mœurs sédentaires, aux habitudes originales, au langage même plein de particularités, qui occupe la Judée, notamment la partie montagneuse, n'est pas-j'ai déjà eu long

temps l'occasion d'exprimer publiquement cet avis n'est nullement, comme on l'admet d'ordinaire, celle à laquelle appartiennent les hordes nomades venues de l'Arabie avec les généraux d'Omar et fixées aujourd'hui, pour la plupart, dans les

villes.

On ne saurait trop réagir contre le singulier et populaire préjugé qui s'obstine à croire que les Arabes musulmans, maîtres de la Syrie après la défaite des troupes grecques, s'y substituèrent aux habitants établis et que ce sont eux que nous y voyons partout aujourd'hui.

La conquête musulmane fut tout autre chose, et j'insiste à dessein sur ce point, parce qu'il illumine d'une clarté significative, à plus de deux mille ans de distance, la conquête de Chanaan par les beni-Israël, comme les appelle le Deuteronome. Les Arabes musulmans qui fondèrent leur empire sur les ruines des empires byzantin et perse, laissèrent intentionnellement debout la civilisation qu'ils y trouvèrent tout installée et outillée. A cette grosse

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