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tres. Le 16 octobre 1906, à Bizerte encore, le Lutin coulait par 35 mètres d'eau, avec seize hommes, l'eau ayant pénétré dans un water-ballast que la pression extérieure avait défoncé, et ayant aussitôt envahi le navire. Même cause, en avril 1910, pour la perte d'un sous-marin japonais, dans lequel on retrouva, notées minute par minute, par le commandant, les constatations et les dernières pensées patriotiques de ce stoïque descendant des braves du vieux Japon.

Pour tant de victimes, qu'a-t-on pu faire? Les unes reposent encore au fond de la mer on n'a pas réussi à arriver jusqu'à elles. Les autres, notamment celles de notre marine, sauf les plus récentes, qui demeurent ensevelies au large de la Hague, ont été ramenées au sol de leur patrie et y ont reçu les stériles honneurs d'obsèques solennelles.

C'est d'abord le Farfadet, auquel les secours arrivent en hâte; on croit le tenir, on parle aux emmurés, on va les revoir; et puis, les câbles se rompent, le navire retombe, on n'a plus de prise sur lui qu'avec la plus grande peine, car on n'a même pas pensé, jusqu'alors, à munir d'anneaux cette coque aux formes arrondies et glissantes: il faut neuf jours d'efforts avant de ramener au port la triste épave, où les malheureux marins ont lutté jusqu'au dernier moment contre l'invasion de l'eau. Quelle terrible agonie !

C'est ensuite le Lutin, échoué sur un fond plus bas, qu'on retrouve avec peine, et qu'on attache, avec non moins de peine, sous un dock flottant qui, remorqué au port, y arrive... treize jours après la catastrophe! Ici encore, l'équipage a fait ce qu'il a pu, mais les plombs de sécurité n'ont pas tous été déclanchés, la bouée (munie d'un téléphone) qui doit remonter à la surface, avertir et permettre de communiquer avec les sauveteurs, n'a pas fonctionné... Moyens de sauvetage du bord et moyens extérieurs sont également insuffisants, c'est l'évidence même.

Pourtant, presque rien n'a été changé, quand, en novembre 1908, le submersible Fresnel, de 500 tonnes, coule aux abords du port de la Pallice, près la Rochelle; les circonstances sont toutefois favorables, l'épave étant découverte à marée basse, de sorte qu'on peut, avec des pontons ou des chalands. la soulever sans trop de difficultés. Mais la leçon porte peu

de fruits; et c'est tout juste si la plupart des submersibles sont munis d'anneaux destinés à faciliter l'amarrage de la coque, quand, le 27 mai 1910, le paquebot Pas-de-Calais, sortant de Calais et se dirigeant sur Douvres, heurte le grand submersible Pluviôse (550 tonneaux, 24 hommes), qui s'était trop rapproché de la surface, et n'avait pas vu arriver le vapeur. Le choc arrache la coque extérieure, crève même la coque intérieure. Le sous-marin, d'abord redressé et touchant le fond par l'arrière seulement, pourrait peut-être être abandonné par les survivants, en grand nombre, qui se sont réfugiés à l'avant dans le compartiment où l'air comprimé par l'eau d'infiltration les protège contre celle-ci, pour quelque temps au moins. Malheureusement, l'issue de ce compartiment est au-dessous de la surface de la mer; son ouverture, qui pourrait être le salut, est au contraire la mort l'air comprimé s'échappe violemment (phénomène de décompression brusque, déjà incompatible avec le fonctionnement de l'organisme humain), puis, c'est aussitôt l'invasion de l'eau partout, l'échouement complet, par 17 mètres de fond, la catastrophe complète et irrémédiable. A Calais, où le steamer avarié est rentré aussitôt, on s'empresse, on accourt avec un matériel de fortune tout à fait insuffisant, grues, pontons, chalands, auxquels on s'efforce d'attacher avec des chaînes le Pluviose heureusement muni de ses boucles. Malgré les secours demandés à Cherbourg, mieux outillé que Calais, malgré le zèle des scaphandriers, que les courants sousmarins entraînent et qui ont infiniment de peine à attacher d'abord des filins aux boucles, pour guider les chaînes, et enfin à mailler celles-ci sur les boucles, tout cela est fort long. Puis, les chalands qui doivent supporter le sous-marin donnent des mécomptes ; l'un d'eux coule sur l'épave, et heureusement la mer démontée l'emporte plus loin, ce qui évite une nouvelle et grave complication dans le sauvetage.

Enfin, le 11 juin (l'accident est du 27 mai!) après plusieurs étapes amenant l'épave sur des fonds de plus en plus réduits, de façon à permettre de raidir les chaînes à marée basse et de faire flotter de nouveau l'épave à marée haute, un convoi de remorqueurs et de navires aidant à la manoeuvre, entrait de nuit dans l'avant-port de Calais et y déposait les restes du

Pluviose. On sait qu'il fallut encore dix jours de travail pour en retirer les dernières victimes.

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Si sommaire que soit le récit ci-dessus, il permet de comprendre combien le sauvetage d'un sous-marin est hérissé de difficultés les travaux, soit à la surface, si le temps est mauvais; soit au fond, si la profondeur est grande, ou même à faible profondeur, si les scaphandriers sont gênés dans leurs mouvements, sont extrêmement longs et incertains. En outre, à supposer qu'on puisse créer un outillage très complet et très puissant, comment l'amener en quelques heures à proximité de l'épave, à moins de construire cet outillage à un nombre d'exemplaires si considérable que la dépense en serait prohibitive?

Bien entendu, on ne saurait trop perfectionner les disposilions de construction du sous-marin, de façon à éviter le plus possible les risques d'accident. Ce navire est, jusqu'à un certain point sourd et aveugle, du moins en plongée. L'audition des bruits extérieurs, répercutés par la coque, est assez incertaine, dépend du bruit que font les moteurs du sous-marin, de la puissance du navire dont on entend la marche, de l'état de la mer, surtout si l'on est à peu de distance de la surface. Il existe cependant déjà divers dispositifs de cloches sousmarines émettant dans l'eau des signaux que recueillent des écouteurs téléphoniques montés sur les navires, dispositifs qui rendent des services aux paquebots dans certaines rades difficiles, et dont on arrivera sans doute à munir les sousmarins; il faudrait toutefois pouvoir en munir aussi les obstacles divers contre lesquels ils peuvent venir se heurter.

Voilà pour l'audition; en ce qui concerne la vue, les périscopes (l'un plus puissant, l'autre plus mince et gênant moins la navigation, en même temps qu'il signale moins la présence du sous-marin), sont hauts de quatre mètres au plus ; au-dessous de cette profondeur, il faut naviguer dans l'incertitude, et même avec le périscope émergeant, on n'embrasse pas

tout l'horizon, on ne voit que d'un œil, on peut, quand la malechance s'en mêle, être surpris comme l'ont été le Pluviôse et le Vendémiaire en France, et le A, en Angleterre (1).

Si les poids de sûreté accrochés à l'extérieur de la coque apparaissent au public comme le premier et le plus sûr moyen de sauvetage, il s'en faut que leur efficacité soit aussi parfaite : quand le sous-marin se redresse, leur décrochage risque de n'être plus assuré; du reste, peut-on être certain que les barres de déclanchement, qui ne servent pas ordinairement, ne seront pas coincées au moment critique? Un moyen plus sûr de remonter rapidement à la surface est tout simplement d'opérer, comme on le fait constamment en manœuvre, par une expulsion (ici, aussi rapide que possible), de l'eau des water-ballasts, au moyen de chasses d'air comprimé. Mais plus la profondeur où l'on se trouve est grande, plus la pression extérieure de l'eau s'oppose à cette expulsion; et d'ailleurs, puisque ces water-ballasts sont extérieurs à la vraie coque, ils seront les premières victimes du choc, en cas de collision: c'est donc en vain qu'on refoulera de l'air dans les compartiments crevés, et l'expulsion de l'eau dans les autres, peut-être insuffisante pour empêcher le naufrage, donnera probablement au navire, une inclinaison telle que les accumulateurs chavireront, que leur acide se déversera et corrodera tout, que l'accident, en un mot, restera fort grave.

Et si, non seulement la coque extérieure, mais aussi la coque intérieure est crevée, si un ou plusieurs compartiments du navire, et non plus du water-ballast, sont envahis par l'eau de la mer, au moins faudrait-il que l'équipage pût tenir longtemps dans le ou les compartiments intacts. Evidemment, il est très difficile, avec tant de câbles électriques et de canalisations diverses qui traversent forcément les cloisons, d'assurer à celle-ci l'étanchéité absolue sous des pressions élevées ; si la coque intérieure des submersibles récents peut supporter 100 mètres d'eau, les cloisons sont loin d'en supporter autant il faudrait faire l'expérience, et nous ne pensons pas

(1) Le A,, abordé par le destroyer Hazard, près de l'île de Wight, le 2 février dernier, et coulé avec 14 hommes d'équipage, n'a pu être ramené à Portsmouth que le 12 mars.

qu'on l'ait tentée; d'ailleurs, pour avoir une sécurité réelle, il faudrait la faire sur chaque sous-marin.

Du reste, à ces grandes profondeurs, on ne peut, ni espérer retrouver des hommes survivants, ni envoyer des scaphandriers à leur secours : ceux-ci dépassent difficilement 30 mètres. On a pensé, il est vrai, à enfermer des travailleurs dans une sorte de scaphandre collectif, à coque résistante, munie de bras et d'outils extérieurs, mais ce système plus séduisant en théorie qu'en pratique n'a pas même été adopté par les Américains pour le renflouement du Maine échoué depuis la guerre hispano-américaine, par 12 mètres de fond seulement, dans la rade de la Havane: on l'a entouré d'un bâtardeau immense, en métal et ciment, dans l'intérieur duquel on a épuisé l'eau. Il faut donc attendre une autre occasion pour juger des mérites de cette idée, qui a été émise en vue précisément d'aller arracher, aux épaves des navires sombrés depuis l'antiquité, les richesses qu'elles contiennent encore, et qu'elles ne paraissent pas devoir abandonner de sitôt.

Mais il faut bien espérer qu'on ne se retrouvera pas souvent dans ces conditions exceptionnelles, et c'est ici que se pose le problème des moyens les plus rapides et les plus efficaces pour relever l'épave, ou mieux, pour sauver d'abord l'équipage.

Les premières études ont porté sur les moyens de relever l'épave, et on a naturellement envisagé l'amélioration du matériel courant : avec des sous-marins bien pourvus de boucles, avec des docks flottants construits spécialement, munis d'appareils de levage, de chaînes résistantes, d'un outillage complet d'éclairage, de scaphandriers, etc., on pourra évidemment opérer, à égalité de conditions extérieures, un sauvetage plus rapide et plus sûr qu'avec l'outillage de fortune emprunté aux navires qui passent ou au port le plus voisin, chaînes ou remorques qui cassent, chalands qui se défoncent, grues trop faibles, manœuvres improvisées, bref, les plus mauvaises conditions de travail, là où tout devrait être prévu pour gagner des minutes.

L'Allemagne, qui procède toujours méthodiquement, et qui n'improvise rien, n'avait encore qu'un petit nombre de sousmarins, quand elle fit construire, en 1907-1908, un engin de

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