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sa portée. Les différends exclus de l'arbitrage ont, sans doute, un aspect politique, mais rien ne dit que ce soient néces sairement des différends purement politiques. On conçoit parfaitement que ces différends peuvent revêtir un aspect juridique. La question de l'admission des enfants japonais dans les écoles de San-Francisco, par exemple, soulevait au premier chef une question d'interprétation des traités. La question des dettes publiques des Etats particuliers peut comporter vis-à-vis des porteurs de titres des règlements de comptes purement techniques et juridiques, etc. La doctrine de Monroë elle-même peut être impliquée de façon plus ou moins nette dans une foule de difficultés essentiellement juridiques au fond. C'est précisément dans ces éventualités que la Commission mixte eût été appelée à se prononcer sur le caractère «< arbitrale » du différend, et qu'elle eût pu faire acquérir à l'obligation générale d'arbitrage une souplesse jusqu'alors discutable. Exclure par avance toutes les matières «< douteuses » de l'obligation d'arbitrage, c'est restreindre, sinon annihiler le domaine de sa compétence.

D'ailleurs, cette compétence, le Sénat qui la voit d'un mauvais œil, ne s'est pas contenté de la restreindre, il l'a, disonsnous, mutilée, en enlevant à la Commission le droit de déci sion sur le caractère arbitrable du litige. Il a supprimé, en effet, à la faible majorité, il est vrai, de 42 voix contre 40, le paragraphe 3 de l'article III, c'est-à-dire que la Commission mixte peut bien encore être consultée sur le point de savoir si le différend est ou non de ceux pour lesquels on est lié par la stipulation générale d'arbitrage, mais les Etats signataires ne sont plus obligés de se conformer à son avis. La consultation seule demeure obligatoire, l'avis ne l'est plus. Sans doute, ce serait beaucoup encore, en raison de la portée morale qu'aura nécessairement l'avis de la Commission, si le domaine réservé à ces consultations n'avait été singulièrement restreint par le rétablissement de réserves multipliées et précisées dans nos traités pourtant conçus par leurs négociateurs comme devant supprimer les anciennes réserves considérées comme trop vagues et destructrices de toute obligation véritable.

Le Sénat, paraît s'être laissé guider par la double crainte

de n'avoir plus le dernier mot pour la conclusion du compromis, et d'abandonner une partie de ses prérogatives constitutionnelles. Ces craintes nous semblent à la fois chimériques et contradictoires à l'obligation même qui résulte de la conclusion du traité d'arbitrage général.

Tout d'abord, le Sénat conserve, après l'avis de la Commission mixte, une liberté d'action très large encore.

Examinons la situation une fois que la Commission s'est prononcée affirmativement sur le caractère arbitrable du différend. Il reste qu'aux termes du traité le Sénat va avoir à examiner le compromis et à se prononcer sur son adoption, absolument comme dans le cas où les deux gouvernements se seraient mis d'accord pour déclarer le différend arbitrable et n'auraient pas eu recours à la Commission. Que va pouvoir faire le Sénat saisi du compromis? Est-il tenu de l'accepter? Pas nécessairement. Il peut, tout comme le Pouvoir Exécutif de l'autre Etat en litige, veiller à ce que la solution du différend ne soit pas, par avance, compromise, et rejeter le compromis spécial qui ne le satisferait point. Il n'y a qu'un motif de rejet qu'il ne puisse plus invoquer le caractère non arbitrable du différend, car l'Etat tout entier est lié sur ce point par la décision de la Commission, le Sénat, organe parlementaire, aussi bien que l'organe exécutif, en raison du traité d'arbitrage préexistant. Mais à tous les autres points de vue, le Sénat conserve son droit de rejet ou d'amendement. Il peut rejeter le compromis où l'on aurait introduit un principe préjugeant la solution du différend, il peut choisir les juges qui lui conviennent et surtout il peut discuter l'étendue des pouvoirs qui leur sont confiés. Cette dernière faculté écarte, à notre sens, tout péril. Supposons qu'il s'agisse d'interpréter un traité relatif à l'immigration, il sera facile d'amender le compromis de telle sorte que les arbitres ne soient pas autorisés à statuer sur l'étendue des droits de l'Etat en matière de réglementation de l'immigration. Sans doute, les arbitres apprécieront la portée du traité, mais du moment qu'il y a traité, engagement, la limitation consentie à la souveraineté est préexistante, elle ne résulte pas du compromis.

Reste l'objection constitutionnelle le Sénat ne pouvant

rien abandonner des prérogatives à lui confiées par la Constitution, ne saurait notamment restreindre son droit d'examiner les traités. Cette objection non plus ne porte pas. Si le compromis est un véritable traité, ce qui est d'ailleurs douteux, ce n'est pas, en tout cas, un traité principal; c'est à notre sens un traité secondaire, fait pour l'application d'un autre traité principal, le traité d'arbitrage obligatoire ; dans celui-ci, le Sénat avait la totale disposition de son treaty making power ».

Or, toute convention principale qui suppose pour son exécution des conventions secondaires ne laisse point entière la liberté des co-contractants dans la conclusion de ces conventions secondaires. Ils sont pour ces dernières fatalement liés à quelque égard: ne serait-ce que par l'obligation de conclure ces conventions d'application. Notamment en matière d'arbitrage obligatoire, le traité général et abstrait comporte l'obligation juridique de compromettre dans les cas concrets qui viendront à se présenter dans l'orbe des prévisions du traité général. Sans doute, le Sénat peut examiner le compromis spécial, veiller à ce qu'il ne compromette pas les intérêts de l'Etat, mais il a l'obligation juridique de la conclure de bonne foi. Il y a donc, si l'on admet que le compromis spécial soit un traité, au moins un point sur lequel le « treaty making power » que la Constitution confie au Sénat dans sa plénitude, se trouve limité : le Sénat ne peut plus, comme il le pourrait s'il s'agissait d'un différend non prévu par un traité d'arbitrage préexistant, apprécier l'opportunité de compromettre. Le « treaty making power » se trouve décapité de la faculté essentielle de décider si l'on traitera ou si l'on ne traitera pas, faculté équivalente à celle qui consiste à déclarer que la question est arbitrable ou ne l'est point. puisqu'elle aboutit tout à fait au même résultat. En concluant le traité général d'arbitrage le Sénat s'est engagé jusque-là, il a perdu le droit de répousser l'arbitrage, de refuser de traiter. Si vraiment il ne peut, même pour les traités secondaires ou d'application, rien abandonner des pouvoirs constitutionnels à lui confiés, il ne peut même pas conclure detraités d'arbitrage obligatoire. Cette conclusion absurde, il

ne la soutient pas, et l'on en peut conclure que ses scrupules constitutionnels sont exagérés.

Le Sénat, dont le renouvellement est prochain, reviendrat-il sur sa décision si le gouvernement américain lui apporte des textes modifiés mais rétablissant la Commission mixte dans l'intégralité de sa conception primitive? Il n'y faudrait pas trop compter. Quoi qu'il en soit, l'institution seule de cette Commission constitue un progrès et un gage de progrès. Lors même que nos traités devraient n'être ratifiés de part et d'autre que dans l'état où les laisse le vote du Sénat, il faudrait se féliciter de leur conclusion, car ils contiennent un germe qui se développera nécessairement, et qui finira par donner aux traités d'arbitrage généraux une force véritablement obligatoire en enlevant aux parties intéressées la faculté contradictoire de se prononcer sur l'étendue de l'obligation.

A un autre point de vue plus général, il convient encore de souhaiter que nos deux traités deviennent définitifs; car ils constituent un élément de progrès et un gage de paix internationale.

A la fin du grand voyage présidentiel qu'il vient de faire à travers les Etats-Unis, M. Taft a prononcé à New-York un important discours-programme, dans lequel il insistait sur la nécessité, pour le Sénat, de voter les deux traités d'arbitrage qui lui étaient soumis. « Si le Sénat, dit-il, n'approuve pas ces traités, ou hésite à les discuter d'une façon sérieuse, ce sera un temps d'arrêt dans le mouvement vers la paix générale, qui a fait un grand pas en avant depuis ces deux dernières années, et ce serait une calamité internationale. >> L'opinion paraît être du même avis que le Président. La Chambre de Commerce de New-York a voté à l'unanimité une résolution demandant au Sénat l'approbation des traités.

Toutefois, ne faudrait-il pas exagérer leur portée. Le 12 décembre, une réunion de la Fondation Carnegie pour le développement de la paix, à Washington, convoquée pour en recommander l'adoption au Sénat, fut violemment troublée par un groupe de citoyens américains d'origine allemande, conduits par un certain Koelble, et qui, mal accoutumés encore à leur sujétion nouvelle, reprochaient aux traités d'être

dirigés contre l'Allemagne et de constituer l'équivalent d'une alliance entre les parties contractantes. C'est là une opinion. qui ne repose sur aucun fondement et dénote une méconnaissance totale de la nature des traités d'arbitrage. Pourtant elle n'est pas répandue qu'aux Etats-Unis. La vérité, c'est que l'existence de pareils traités éloigne entre les cocontractants les possibilités de conflit, et témoigne de leurs relations amicales, mais elle ne saurait en aucune manière les obliger à prendre fait et cause les uns pour les autres dans les conflits avec les tiers. S'ils avaient cette portée. ils constitueraient plutôt un danger qu'un bienfait. Comme tous traités, ils n'ont de valeur qu'entre les Hautes Parties contractantes, mais ce sont des gages d'amitié, et des garants éventuels que les bons rapports entre les puissances intéressées ne seront pas troublés sous des prétextes insignifiants, ou par des malentendus de hasard ; et c'est à ce point de vue qu'il convient de se féliciter de leur conclusion.

GEORGES SCELLE,

Chargé de cours à la Faculté de Droit de Lille.

Traité général d'arbitrage entre la République Française
et les Etats-Unis d'Amérique.

La République française et les Etats-Unis d'Amérique, également désireux de perpétuer la ferme, inviolable et constante paix qui a heureusement existé entre les deux nations depuis les premiers jours de l'Indépendance américaine et qui a été rendue plus assurée encore par leurs étroites relations d'amitié et de commerce; constatant qu'il n'existe entre eux aucune importante question en litige et résolus d'empêcher qu'aucun différend puisse être à l'avenir une occasion d'hostilités entre eux ou interrompre leurs bonnes relations;

Ont, pour ce motif et à ces fins, décidé de conclure un traité étendant la portée et les obligations de la politique d'arbitrage adoptée dans leur Traité d'Arbitrage du 10 février 1908, en faisant disparaître certaines exceptions contenues dans ce traité et en assurant les moyens de régler pacifiquement tous différends qu'il aura été impossible, dans la suite, de résoudre par la voie diplomatique ;

Et ont, dans ces vues, désigné comme leurs plénipotentiaires respectifs, savoir:

Le Président de la République française,

Son Excellence J.-J. Jusserand, ambassadeur de la République française à Washington,

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