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lon les formalités requises par nos lois constitutionnelles ; lesquelles n'exigent pas en tout cas, que le Parlement soit saisi.

La compétence du Sénat américain est donc pleinement réservée. Même, pour plus de prudence, les négociateurs américains ont fait ajouter cette clause que les compromis ne lieraient les deux gouvernements que lorsqu'ils auraient échangé des notes les confirmant (1). Voilà une nouvelle précaution qui correspond à l'exigence d'un échange de ralifications, et qui accentue encore le caractère de traité véritable, attribué au compromis. Cette adoption du point de vue américain excluait fatalement toute adhésion au procédé du compromis obligatoire. Elle excluait le recours à la Cour de La Haye, ou au tribunal arbitral choisi, pour la rédaction du compromis, et, malheureusement, l'extension en ce sens des attributions de la Commission mixte prévue par nos deux textes. On aurait pu songer à confier à cette Commission mixte le soin non seulement de déclarer que le litige était arbitrable, mais même de dresser un compromis, ou un projet de compromis, si les diplomaties n'y parvenaient pas. A la rigueur, nos textes n'interdisent pas à la Commission de glisser sur ce point quelque conseil dans ses rapports, mais ils ne lui confient et ne peuvent lui confier, à aucun degré, un pouvoir déterminatif, puisque le Sénat se réserve en cette matière la haute main et le dernier mot.

Il est un peu inquiétant également de voir que l'Angleterre, comme piquée au jeu, a réclamé l'insertion dans le traité qui la concerne, d'une réserve qu'il faudrait se garder de considérer comme insignifiante (2). Le gouvernement britannique se réserve, en effet, le droit avant de conclure un compromis spécial touchant les intérêts d'une colonie autonome, d'obtenir le concours du gouvernement de cette colonie. Ceci est grave pour qui se souvient, notamment, de l'attitude intransigeante du Parlement de Terre-Neuve dans les conflits successifs avec la France, où son opposition fit précisément échouer l'arbitrage que les gouvernements français et anglais

-(1) Art. 1er, paragraphe final dans nos deux textes.

(2) Voir art. 1er, paragraphe 3 du traité anglo-américain.

avaient accepté, et avec les Etats-Unis dans la question des pêcheries, qui, doublée d'un règlement devant la Cour de La Haye, en septembre 1911, n'a pas laissé que de présenter certaines difficultés. C'est là introduire un tiers dans des négociations déjà difficiles, et chose plus grave, un tiers irresponsable. Je veux bien que le gouvernement métropolitain conserve le dernier mot, mais les soucis de la politique. impérialiste aussi bien que les scrupules du libéralisme colonial britannique, permettent de supposer qu'il ne sera pas fait violence aux sentiments nettement exprimés des colonies. Dès lors, on peut se demander si l'efficacité des traités d'arbitrage que paraissait devoir augmenter l'existence de la Commission, ne se trouve pas de ces deux chefs, singulièrement compromise. Il n'entre nullement dans notre pensée de mettre en doute la bonne foi du Sénat américain, ni son soin d'assurer scrupuleusement les obligations juridiques de l'Etat américain, et il est évident que la mauvaise volonté du Pouvoir Exécutif, dans les pays où il est seul compétent, est théoriquement aussi dangereuse pour la mise en œuvre des traités d'arbitrage et la conclusion des compromis spéciaux, que les susceptibilités des organes parlementaires dans les pays où l'intervention de ceux-ci est constitutionnellement requise. Il n'en reste pas moins, qu'en fait, cette intervention parlementaire est grosse de formalités, de scrupules, de retards, qui peuvent éventuellement compromettre la conclusion des compromis spéciaux, et que l'arbitrage obligatoire ne peut attendre que du compromis obligatoire une efficacité indiscutable.

III

Toutefois, si la reconnaissance des prétentions du Sénat pouvait, de ce point de vue, susciter certaines inquiétudes, elle semblait comporter au moins un avantage : celui de faire disparaître la plus grave objection que le Sénat pût faire à l'approbation des traités. Sur un autre terrain cependant, méfiance n'a pas désarmé, et ce sont les modifications qu'il

a cru devoir apporter à l'œuvre des négociateurs qu'il nous reste, pour finir, à examiner.

Le résultat des délibérations sénatoriales était à prévoir, car le Sénat s'est, en somme, approprié les vues de son Comité des Affaires étrangères. Le rapport de la majorité de ce Comité, dès le mois d'août dernier concluait, sinon à la suppression, du moins à la modification radicale de l'institution nouvelle et originale de nos deux traités : la Commission mixte (1).

Rappelons que cette Commission mixte aurait pour mission de se prononcer sur le caractère arbitral d'un différend, chacun des Etats contractants ayant le droit de soumettre à la Commission la question de l'arbitrabilité du différend, et qu'au cas où la Commission se prononcerait à l'unanimité, ou à l'unanimité moins une voix, en faveur de l'obligation de compromettre, l'Etat récalcitrant serait tenu de se conformer à cet avis.

Or, ce sont précisément ces pouvoirs qui ont effrayé le Comité et le Sénat; la majorité de la Commission, et celle du Sénat lui-même ont estimé que les pouvoirs de la Commission étaient de nature à compromettre dans leur portée la plus essentielle le droit du Sénat relativement à la conclusion des compromis particuliers. Il se peut, en effet, que dans le cas extrême prévu par l'article 3 de nos traités, la décision de la Commission mixte enlève au Sénat le droit de rejeter le compromis spécial en se basant sur ce que le cas n'est pas de nature à être tranché par arbitrage. Le Sénat perd ainsi le droit d'apprécier définitivement l' « arbitrabilité » du différend. Cela est d'autant plus grave, dit-on, que c'est sur ce point précisément que l'obligation peut devenir dangereuse et à propos duquel il est le plus nécessaire que le Sénat veille aux intérêts essentiels de l'Etat. Le péril s'augmente, ajoute t-on, de ce que l'article premier en parlant de conflits justiciables sur la base du droit ou de l'équité et en supprimant toutes réserves, ouvre la porte aux interprétations extensives, l'expression <«< équité » pouvant être prise dans son sens large,

(1) V. Comittee on Foreign Relations. Majority report. Sénat. Documents, 18 août 1911.

et non dans son sens technique, non seulement par l'autre cocontractant, notamment par la France, mais même par la Commission mixte qui n'adoptera pas nécessairement la conception, d'ailleurs incertaine même aujourd'hui, des négociateurs du traité.

C'est ainsi, continue le rapport, que des différends impliquant l'appréciation de la portée de la doctrine de Monroë, essentiellement politique en soi, ou l'étendue des droits de l'Etat en matière de réglementation de l'immigration, question d'une importance vitale pour les Etats-Unis et qui met en jeu la souveraineté de toute société politique dans ce qu'elle a de plus essentiel, sa propre composition, pourraient être déclarés arbitrables, à l'encontre du sentiment du Sénat. Et alors qu'aujourd'hui aucune puissance ne songerait à soulever ces questions, parce qu'on sait bien que les Etats-Unisne les discuteraient pas, n'est-il pas à craindre que l'existence du traité ne fasse naître le désir de les soulever, et d'obliger les Etats-Unis à en accepter la discussion, ou à refuser de se soumettre à la décision de la Commission, et ne devienne ainsi un brandon de discorde, une occasion de guerre, soit que le refus soit catégorique, soit que l'obligation soit éludée par des procédés plus ou moins détournés tendant à rendre impossible la conclusion du compromis. Mieux vaut, en ce cas, ne pas s'engager. Le rapport ajoute en se plaçant au point de vue constitutionnel, que le Sénat a reçu le droit d'examiner les traités et ne saurait abandonner en partie, pas plus qu'en totalité, ce droit d'examen, ni surtout le déléguer à une Commission mixte, à une autorité extérieure.

Ces motifs, qui ne sont pas sans faire impression, ne nous semblent cependant pas péremptoires; ils ont, toutefois, entraîné la décision du Sénat.

Le Sénat a commencé par limiter le champ d'application de nos traités, puis il a décapité la Commission mixte de son pouvoir déterminateur.

Il a limité le champ d'application de nos traités. Les négociateurs, ayant institué un organisme chargé de se prononcer sur le caractère arbitrable du différend, avaient cru pouvoir supprimer les vagues réserves de style, relatives à l'honneur, à l'intégrité territoriale, aux intérêts vitaux, etc.

Ils n'avaient même pas distingué explicitement entre les conflits politiques et juridiques, substituant à cette distinction forcément inopérante, puisque la plupart des conflits internationaux sont à la fois politiques et juridiques, celle plus diplomatique, mais pratiquement supérieure de conflits arbitrables et non arbitrables. Cela laissait espérer pour l'avenir de l'institution arbitrable, une souplesse et une efficacité plus grandes.

Or, qu'a fait le Sénat? Il a exclu de l'obligation arbitrale plusieurs catégories de différends possibles. Ce sont d'abord ceux qui mettraient en cause la doctrine de Monroë, ou l'intégrité territoriale des Etats-Unis. Ce sont ensuite ceux qui ont trait à l'immigration étrangère, et au droit d'admission des étrangers dans les établissements d'instruction publique américains. Ceci est l'écho des difficultés qui se sont élevées entre les Etats-Unis et le Japon, à propos de l'exclusion des enfants japonais des écoles de certains Etats de l'Ouest, notamment de Californie, contrairement aux traités d'établissement qui liaient les Etats-Unis et le Japon. On se souvient de la résistance acharnée de l'Etat de Californie, qui mit en péril la paix intérieure et extérieure. Enfin le Sénat excepte encore de l'obligation arbitrale les questions relatives au règlement des dettes des Etats américains. Il s'agit ici des dettes des Etats particuliers de l'Union. Le vote du Sénat signifie-t-il, que l'Etat fédéral n'entend prendre aucune responsabilité de ce chef, les Etats jouissant d'une autonomie financière absolue: ni permettre aux créanciers de recourir éventuellement à des moyens de pression diplomatiques ou autres, vis-à-vis des Etats particuliers? La prétention serait à la fois impolitique et inadmissible, car, d'une part, un Etat fédéral, ne saurait s'exonérer de toute responsabilité, en ce qui concerne les agissements des Etats membres, et d'autre part leur crédit ne peut manquer d'influer sur le sien propre. Or, précisément, le crédit de certains Etats américains est singulièrement compromis par le souvenir des banqueroutes déjà anciennes cependant. Ce n'est point un procédé propre à le raffermir que de paraître ouvrir la porte à de nouvelles désillusions.

Avec ces restrictions, le vote des traités perd beaucoup de

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