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rendre cependant que des sentences juridiques - puisqu'ils n'auront à trancher que des différends juridiques, mais il leur est loisible de statuer librement en présence de règles douteuses, en l'absence même de règle acceptée du droit international. Ils agiront, en somme, à la façon de nos juges de paix. Ne sont-ils point les grands juges de paix internationaux ?

De ce chef, nos traités élargissent le domaine de l'arbi trage, délacent son armure un peu trop strictement juridique, lui permettent de saisir certains litiges qui eussent pu lui échapper faute de droit applicable; le terrain vague entre les causes politiques et les causes juridiques se trouve rétréci au profit de ces dernières, ou plutôt, la distinction difficile entre le politique et le juridique, se trouve remplacée par la distinction entre ce qui est arbitrable et ce qui ne l'est pas, plus diplomatique, peut-être, mais plus efficace.

Il n'en est que plus urgent d'empêcher les passions politiques de prédominer, d'éviter que le litige << arbitrable »> ne cesse de l'être et ne dégénère en querelle nationale. C'est ici qu'apparaît l'institution originale de nos deux traités. Pour apprécier sainement le caractère arbitrable du différend, il faut enlever à des éléments susceptibles de passion,

et par suite de partialité : l'opinion et les gouvernants, le privilège du dernier mot. Mais à qui confier le pouvoir de décision sur ce point préalable? Lors de la seconde Conférence de La Haye, on avait songé à la Cour de La Haye ou au tribunal arbitral institue en l'espèce, mais les puissances ne se prêtèrent point a cette solution, car les Etats intéressés au litige ne peuvent perdre tout contrôle en cette matière, courir le risque que des tiers désintéressés déclarent susceptible d'arbitrage un différend dont une solution défavorable sacrifierait des intérêts nationaux essentiels. Il faut tout au moins que le procédé adopté rende cette éventualité invraisemblable. Or, voici l'expédient auquel se sont arrêtés nos traités (1):

Ils conviennent d'instituer, le cas échéant, une Commission d'enquête, Commission mixte, composée, sauf accord con

(1) Articles 2, 3, 4, 5 des deux textes, en totalité.

traire, de trois commissaires choisis de part et d'autre par chacun des Etats intéressés. Si une divergence de vues se manifeste sur le caractère arbitrable du litige, l'une des parties peut exiger de l'autre le recours à cette Commission; mais chaque Etat peut également exiger que ce recours soit différé pendant un an, afin d'épuiser pendant ce délai les ressources de la diplomatie (1).

La Commission une fois saisie, son rôle peut n'être que consultatif, mais il peut aussi devenir déterminatif. Les parties peuvent, ne demander à la Commission qu'un rapport tendant à élucider les faits, à délimiter le point litigieux, à faire ressortir les éléments de la controverse (2). Le rapport de la Commission pourra alors servir à éclairer les deux gouvernements, et bien qu'il soit stipulé expressément que «< ces rapports ne seront considérés, ni quant au fait, ni quant au droit comme des décisions » arbitrales sur les questions en litige, il en pourra souvent ressortir des indications sur l'issue probable du procès arbitral. Cela peut inciter la partie la moins sûre de son droit à adopter une solution amiable. Cela pourrait, il est vrai, en sens contraire, l'inciter à se refuser à l'arbitrage. L'autre partie usera alors du droit qu'elle a de consulter la Commission sur le point spécial de l'«< arbitrabilité » du différend, et l'on comprend le poids moral, que peut avoir en tous les cas, l'avis de la Commission mixte. Il est invraisemblable qu'une des parties contractantes éclairée par l'avis d'une Commission de jurisconsultes composée par moitié de ses propres nationaux s'obstine à considérer comme insusceptible d'arbitrage un différend que cette Commission aura jugé arbitrable. Il y a là un moyen de pression purement moral, mais évidemment très fort, si l'on songe que chaque partie peut exiger l'intervention de la Commission sur ce point spécial de l'arbitrabilité du différend.

Mais nos négociateurs ne s'en sont pas tenus là. Il est un cas où cet avis deviendra une véritable décision, créant pour l'Etat récalcitrant une obligation non plus morale, mais ju

(1) Article 2 paragraphe 1er; art. 3, paragraphe 3 de nos deux textes. (2) Article 3, paragraphe 1er et 2o.

ridique d'accepter l'arbitrage: c'est le cas où la décision sur le caractère du différend aurait été prise à l'unanimité, ou à l'unanimité moins un des commissaires (1). Dans ce cas, en effet, il est d'une vraisemblance aveuglante que le refus de reconnaître l'obligation était chez l'Etat récalcitrant dicté par la passion, puisque trois jurisconsultes sur les cinq ou six qui se sont prononcés contre lui, avaient été choisis par lui. Il semble ainsi que nos traités ont concilié dans la mesure du possible, le risque d'abdication des Etats, et le risque d'inefficacité de l'obligation d'arbitrage.

Cette institution élégante et dosée, trouve des précédents dans celle des Commissions d'enquête, créées par la Convention de La Haye, de 1899, sur les moyens pacifiques de résoudre les conflits internationaux, et qui fit ses preuves lors de l'incident anglo-russe de Hull. Les Commissions d'enquête ont, elles aussi, pour but, lorsqu'un incident vient troubler les relations internationales, d'élucider les faits matériels, et de ramener la consistance du différend à ses justes proportions. Les conclusions prises n'ont à aucun degré le caractère d'une sentence et ne déterminent en aucun cas les responsabilités. Elles ont pour but d'empêcher l'affaire de s'envenimer, et d'amener les gouvernements, éclairés sur la conduite à tenir, à chercher de concert la meilleure solution, du choix de laquelle ils restent entièrement libres. La Commission prévue par nos traités réalise un progrès de plus vers l'obligation puisque le recours à cette Commission peut être obligatoire. En outre, sa composition, dont tout élément neutre est exclu, donne à ses avis même un poids considérable. Reste à se demander si l'on ne pourrait pas tirer en notre matière, de cette institution, un parti plus considérable encore.

II

C'est qu'en effet l'efficacité d'un traité d'arbitrage n'est pas complètement assurée par cela seul que les deux Etats en litige consentent, même de bonne foi, à soumettre le différend

(1) Article 3, paragraphe 3, in fine, dans nos deux textes.

au tribunal choisi; (dans nos textes la Cour de La Haye, sauf clause contraire). Il faut encore, à propos de chaque affaire particulière, dresser un « compromis» spécial, c'està-dire un acte délimitant le conflit, organisant le tribunal, précisant les pouvoirs des arbitres, la portée de la sentence, parfois même les principes juridiques dont les parties admettent d'un commun accord l'application. En un mot, il faut que l'obligation abstraite du traité d'arbitrage se mue en ne convention concrète, spéciale au point litigieux, aussi serrée et exacte que possible, si l'on veut écarter des chances de conflits déplorables, car la juridiction arbitrale étant une juridiction acceptée, les Etats en litige ne sauraient exécuter une sentence statuant ultra petita, contenant des excès de pouvoir, en un mot constituant un dépassement des termes du compromis. On conçoit, dès lors, combien la rédaction. de ce compromis est œuvre délicate, quelles difficultés ette peut susciter entre plaideurs qui, de très bonne foi, peuvent estimer que l'adversaire produit des demandes extensives du litige, insère des clauses qui préjugent la solution; quelle porte elle ouvre à la mauvaise foi qui peut rendre cette rédaction impossible en s'obstinant à y maintenir des clauses inacceptables pour l'adversaire.

La seconde Conférence de La Haye avait bien vu le danger el, pour y remédier, on avait songé à confier à un tiers ou à des tiers désintéressés la rédaction du compromis. C'est ce qu'on appela d'un mot peut-être un peu excessif, le compromis obligatoire. Lorsque les parties seraient d'accord pour soumettre une question à l'arbitrage et auraient choisi le tribunal, elles n'auraient, comme font les plaideurs, qu'à lui remettre leurs pièces, et le tribunal, d'ordinaire la Cour de La Haye, rédigerait le compromis. Avec une pareille clause, on pourrait, en effet, parler d'obligation, on peut même se demander si l'obligation ne serait pas dangereuse, car il y a au moins certains points du compromis pour lesquels les puissances hésiteront toujours à s'en remettre à des tiers, leur impartialité et leur clairvoyance fussent-elles exceptionnelles telle la détermination de l'étendue du litige. Aussi, les puissances n'ont-elles pas voulu entrer pleinement dans cette voie. La Convention de La Haye de 1907 ne donne

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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compétence à la Cour de La Haye pour l'établissement du compromis que dans deux cas : 1° si les parties sont d'accord pour le lui remettre, ce qui va de soi; 2° si elles ont conclu un traité général d'arbitrage qui n'exclue ce procédé ni implicitement, ni explicitement, et qu'elles admettent toutes deux que le différend est arbitrable, ce qui est précisément le cas dont nous nous occupons. Mais nous remarquerons que cette disposition est dangereuse, sujette à surprises. Il se peut que ce soit purement par inadvertance que les Etats en litige aient conclu un traité d'arbitrage muet sur ce point. L'article 53 de La Haye qui contient cette disposition n'a pas été adopté sans hésitation. On pouvait prévoir que les traités d'arbitrage à venir en écarteraient l'application, et c'est en effet ce qui est arrivé dans nos deux traités, les plus importants qui aient été conclus depuis la seconde Conférence de La Haye. Ils repoussent délibérément le compromis obligatoire (1). Il était d'ailleurs impossible qu'il en fût autrement, dès l'instant que les Etats-Unis y étaient partie, par suite du rôle spécial que joue, en fait, le Sénat non seulement dans l'approbation, mais dans la conclusion des traités.

Extrêmement jaloux de ses prérogatives, il considère les compromis particuliers, qu'engendre la mise en œuvre des traités généraux d'arbitrage, comme constituant eux-mêmes de véritables traités. On pourrait pencher pour une autre solution, ne voir dans ces compromis que de simples applications du traité antérieur, et en confier la conclusion au seul Pouvoir Exécutif. Cette doctrine fut soutenue par le président Roosevelt, mais sans pouvoir triompher devant le Sénat, qui préféra renoncer à la conclusion de traités d'arbitrage projetés, que d'abandonner son droit d'intervention. dans les compromis spéciaux.

C'est la thèse du Sénat qui l'a également emporté dans nos deux traités qui prévoient explicitement que dans chaque cas particulier le compromis sera fait, pour ce qui concerne les Etats-Unis, par le Président, avec l'avis et le consentement du Sénat; en ce qui concerne l'Angleterre, par le roi (en vertu de la prérogative), et en ce qui concerne la France, se

(1) V. article 1er, paragraphe 2, dans les deux textes.

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