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taud à l'ouverture de la dernière session des Délégations financières algériennes, discours que nous avons analysé dans notre dernière chronique, avait affirmé la nécessité, pour notre colonie méditerranéenne, d'un nouvel et décisif effort en vue du développement de son outillage économique et social. Les Délégations, et à leur suite le Conseil supérieur, se sont rangés à cet avis et ont adopté le principe d'un grand emprunt de 300 millions, dont la majeure partie sera affectée au parachèvement du réseau ferré algérien. Ces deux assemblées ont également, sous quelques réserves de détail, approuvé les propositions de l'administration, concernant la création de nouvelles ressources destinées à gager cet emprunt et qui consistent dans un impôt sur la propriété non bâtie suropéenne, jusqu'ici exempte de toute charge, un impôt sur les successions, un impôt sur les offices ministériels.

La place nous manque pour entrer dans le détail des discussions auxquelles ont donné lieu ces innovations fiscales, et qui ont porté principalement sur le mode d'assiette et le taux de l'impôt sur la propriété non bâtie européenne et sur l'application aux successions indigènes de l'impôt sur les successions. Nous tenons cependant à signaler qu'un courant d'opinion s'est, à cette occasion, manifesté au sein des Délégations en faveur de l'assimilation fiscale complète des indigènes aux européens. L'administration a réservé son opinion. Il nous surprendrait fort, toutefois, qu'après examen elle se raliât à un système dont le résultat certain serait de jeter un trouble profond dans la population musulmane. Dans son rapport à la Chambre sur le traité de protectorat francomarocain, M. Long a insisté, avec raison, sur la nécessité de ne toucher que le moins possible, et avec d'infinis ménagements, aux impôts coraniques, qui font en quelque sorte partie intégrante du statut religieux de nos nouveaux protégés. Ce qui est vrai du Maroc l'est également, et pour la même raison, de l'Algérie.

Si l'assimilation fiscale peut n'être pas sans inconvénients, quels dangers ne présenterait pas, à un autre point de vue, l'assimilation politique, réclamée par d'imprudents novateurs qui, dans l'établissement de la conscription militaire en Algére, ont vu un excellent prétexte à provoquer des manifestations en ce sens. L'une de ces manifestations a consisté dans la venue à Paris d'un groupe de Musulmans algériens qui se sont prétendus investis par leur coreligionnaires d'un mandat à l'effet de dicter au gouvernement les conditions par eux mises à leur acceptation du service militaire obligatoire. Il est inutile de dire d'ailleurs qu'ils ne tenaient ce mandat que d'eux-mêmes et de leurs inspirateurs mé

tropolitains. Ils ont dû, à la présence parmi ceux-ci de deux ou trois parlementaires, la faveur, un peu imprévue, d'être reçus par les membres du Gouvernement. L'accueil qui leur a été fait et les bonnes paroles qui leur ont été données ne doivent pas cependant leur faire illusion sur le sort réservé à leurs prétentions. Il est impossible, en effet, qu'il se trouve au Parlement français une majorité pour leur donner la satisfaction qu'ils ont réclamée. Les raisons de cette impossibilité ont été excellemment exposées par M. Lutaud dans le discours qu'il a prononcé en ouvrant la session du Conseil de gouvernement, et où il a nettement établi le droit indiscutable pour la France, droit qu'elle puise dans sa souveraineté même, d'imposer aux musulmans algériens, sans être tenue de leur accorder, à titre de compensation, la qualité de citoyen français, un service militaire que supportent déjà, sans cette compensation, nos sujets ou protégés de l'Afrique occidentale, de l'IndoChine et de Tunisie. Il a mis en lumière le caractère paradoxal d'une prétention qui ne va à rien moins qu'à faire d'hommes restés volontairement enfermés dans un statut civil et social incompatible avec les principes fondamentaux de la civilisation moderne, les arbitres des intérêts supérieurs de la patrie française. Et pour conclure, à ce programme qui ne peut que faire le jeu et servir les ambitions d'un infime minorité de politiciens, il a opposé la méthode moins « voyante », mais d'un effet plus sûr qui consiste à travailler à la prospérité des populations algériennes, à relever leur standard of life matériel, à relever aussi, par l'instruction, leur niveau moral et intellectuel.

Telle est, également, nous en sommes convaincu, la réponse que les pouvoirs publics métropolitains feront, lorsque la question viendra en discussion devant le Parlement, à celle des revendications de la délégation musulmane qui porte sur l'accession, ipso facto, au titre de citoyen français des indigènes algériens ayant satisfait à la loi militaire. Pour ce qui est du surplus de son cahier des vœux il convient de l'examiner attentivement et nous ne verrions pour notre part que des avantages à ce qu'une grande Commission parlementaire fût chargée d'aller sur place étudier les différents problèmes de politique indigène qu'il soulève. C'est, à notre avis, le plus sûr moyen de mettre fin rapidement à une agitation qui, pour factice qu'elle est, risque, en s'éternisant, de compromettre la tranquillité matérielle et morale dont l'Algérie a besoin pour poursuivre, dans un travail fécond, le cours de ses destinées.

Le régime douanier des colonies. C'est au nom des intérêts de l'agriculture et de l'industrie métropolitaines que les milicux protectionnistes se sont obstinément refusés jusqu'ici à la revision du régime douanier colonial dans un sens libéral, sur les bases indiquées naguère ici même par M. Adrien Artaud, dans un article que les lecteurs de la Revue n'ont pas oublié. Cet argument, leur ullima radio, ne saurait plus faire illusion à personne à la suite de l'adhésion donnée à cette réforme, précisément sur le rapport de M. Adrien Artaud, par le Congrès national pour la défense et le développement du commerce extérieur qui s'est tenu à la fin de juin sous les auspices de la Chambre de Commerce de Paris. Ce qui fait, en effet, la valeur et la portée de cette manifestation, c'est qu'elle émane d'une réunion où le parti colonial n'avait pas seul la parole et dont on peut dire, puisque toutes les Chambres de commerce françaises y avaient des délégués, qu'elle représentait l'ensemble des intérêts métropolitains. Par son vote, cette assemblée a nettement signifié qu'à ses yeux ces intérêts n'étaient en rien mis en péril par la réforme projetée. Son altitude n'a certainement pas été étrangère aux dispositions qui se sont manifestées quelques jours plus tard au Sénat, lorsque celui-ci a eu à désigner les membres de sa Commission des douanes. Dans presque tous les bureaux, disent les comptes rendus, on a été d'accord pour considérer la réforme du régime douanier colonial comme indispensable. M. Méline a, comme il fallait s'y attendre, pris la défense de la loi du 11 janvier 1892. Confondant involontairement, nous voulons le croire, l'autonomie douanière, que personne ne réclame pour nos colonics, et la personnalité douanière, dont l'obtention constitue le seul objectif des partisans de la réforme, il s'est efforcé d'établir que le régime actuel s'inspirait d'un libéralisme sans pareil et permettait de donner satisfaction à tous les désidérata de nos colonies en la matière. Ce paradoxe ne tient pas devant les faits; il s'évanouira à leur lumière, dans la discussion approfondie que M. Méline luimême et ses amis se sont engagés à accepter el qu'ils ne sauraient désormais se flatter d'esquiver plus longtemps.

LA

VIE POLITIQUE & PARLEMENTAIRE A L'ÉTRANGER

SUISSE

Par ED. SECRETAN, député au Conseil national suisse.

La session des chambres fédérales commencée dans les premiers jours de juin el terminée vers la mi-juillet, a pris, dans sa dernière période, des allures presque tragiques. Coup sur coup, à vingt-quatre heures d'intervalle, les Chambres ont été saisies d'abord de la démission, puis de la nouvelle de la mort de deux membres du gouvernement fédéral : MM. Deucher et Ruchet. L'évènement était plus ou moins attendu pour un avenir pas très éloigné les deux magistrats, dont l'un octogénaire, étaient malades depuis plusieurs mois; on se demandait, de l'un et de l'autre, si jamais ils pourraient reprendre leurs fonctions. Néanmoins, la simultanéité des deux décès a tout naturellement produit une vive et douloureuse impression dans le Parlement et dans le pays. M. Deucher, originaire du canton de Thurgovie, médecin de profes sion, était entré au Conseil fédéral en 1883, il y a donc siégé sans interruption pendant près de trente années; quoiqu'il eût quatrevingt ans passés, il avait gardé jusqu'à ces derniers mois une ver deur et une faculté de travail extraordinaires chez un homme de cet âge, se consacrant avec une ardeur toute junévile à la direction de son département, celui de l'industric, du commerce et de l'agriculture, un des plus chargés de l'administration fédérale. Il espérait pouvoir inaugurer encore l'Exposition nationale suisse, qui doit avoir lieu à Berne en 1914, il s'en faisait par avance une fête, et, dans ses moments d'abandon, annonçait volon tiers qu'après avoir présidé à cette dernière solennité de sa carrière, il s'en irait. C'étaient de trop vastes espoirs. La maladie est

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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venue et encore que le vénérable vieillard se soit défendu contre elle énergiquement, elle a été la plus forte. M. Ruchet, lui, tenait moins à la gloire et à la vie, encore que plus jeune ; il était né en 1853 et ne siégeait au Conseil fédéral que depuis une douzaine d'années; il y dirigeait avec un soin minutieux et une conscience parfaite le département de l'Intérieur; mais il avait été douloureu sement et profondément atteint l'an dernier par la mort de sa femme et dès lors il ne cachait plus à ses amis, que la vie, pour lui, était à jamais décolorée et le travail sans saveur. Quand la maladie est venue, il n'a pas réagi comme son collègue; il s'est laissé mourir.

Ce double départ et les élections de remplacement qui en ont été la suite ont préoccupé le parlement pendant les derniers jours de sa session. M. Ruchet a été remplacé, sans hésitation, par M. Décoppet, lui aussi député du canton de Vaud, le plus grand des cinq cantons de la Suisse française et qui, de tradition, fournit un des deux représentants de cette région dans le gouvernement de la confédération. M. Décoppet est le chef incontesté du parti radical dans son canton; l'opinion l'avait désigné par avance pour la succession de M.Ruchet et la majorité radicale des Chambres n'a eu qu'à enregistrer ce choix. J'ajoute qu'il est justifié après avoir pratiqué le barreau pendant un temps, M. Décoppet est entré dans le gouvernement de son canton et y a dirigé, en homme cultivé et en ami des lettres et des arts, le département de l'instruction publique et des cultes; c'est un homme de cinquante ans, au travail facile, à la parole abondante, précise et rapide, très ferme sur le principe d'autorité encore que libéral dans la solution des problèmes politiques et sociaux. Simple d'allures et d'un commerce agréable, il est très populaire dans son canton Lausanne ne le -cède qu'à regret à Berne. La désignation d'un successeur à M. Deucher a été moins facile. Il y avait plusieurs candidats. Le canton des Grisons eût vivement désiré être représenté au Conseil fédéral le centre libéral avait réussi un moment à faire accepter une candidature à M. de Planta, de Coire, avocat et député au Conseil national, mais l'honorable magistrat s'est ravisé et au dernier moment a retiré sa candidature; son collègue, M. Calonder, avocat et aussi député aux Etats, du parti radical, n'a pas trouvé grâce dans son groupe, encore que son élection eût été fort souhaitable, d'abord parce que M. Calonder est un homme très capable, ensuite parce qu'il aurait été politique de donner satisfaction au vœu des populations grisonnes que l'échec de leur représentant a fort mortifiées. Un autre candidat était présenté par la

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