plus de soin, de prévoyance, de zèle et de discipline. On n'en saurait prévoir l'issue. Tandis que la Belgique donne le spectacle de l'union parfaite en vue de l'action dans le parti socialiste, et de l'accord le plus intime avec les syndicats ouvriers, en Italie, le parti a été désunifié par la question de la collaboration ministérielle, posée à l'avènement du cabinet Giolitti et par la guerre italo-turque, comme nous l'avons indiqué dans une précédente chronique (1). MM. Bissolati, Cabrini, Bonomi, s'étaient montrés prêts à accepter un portefeuille, en opposition au vote des Congrès et n'en avaient été empêhés que par le mécontentement qui s'était manifesté dans la majorité du parti. Un certain nombre de socialistes et non des moindres se sont déclarés ouvertement en faveur de la guerre. La fraction socialiste à la Chambre a été, il est vrai, unanime dans son vote contre le décret d'annexion. Mais beaucoup d'élus avaient pris part, dans les municipalités, à la souscription pour les troupes combattantes, pour les blessés, et à d'autres manifestations nationalistes, et s'étaient ainsi placés d'eux-mêmes en dehors du parti. Une sanction était nécessaire, et le 13° Congrès convoqué, au commencement de juillet, à Reggio Emilia, où le parti, dix-neuf ans auparavant, s'était donné son programme et son statut d'organisation, était appelé, en quelque sorte, à consacrer la scission. Bien loin de faire amende honorable, M. Bissolati a regretté de n'avoir pas accepté d'entrer dans le ministère, parce qu'il aurait, disait-il au Congrès, peut-être pu empêcher la guerre. Condamnés par la grande majorité du Congrès, les réformistes de droite ont donc quitté le parti qui reste divisé en réformistes de gauche et révolutionnaires. Comme l'explique le correspondant romain du Vorwaerts, la question de tactique qui séparait les réformistes de droite, de ceux de gauche, c'est la question ministérielle et la conception de l'Etat. M. Bissolati estime que l'Etat peut être conquis peu à peu, qu'il doit réformer de haut en bas, M. Turati, au contraire, qu'il faut obtenir les réformes par la pression des masses populaires, de bas en haut, sans se compromettre avec le pouvoir c'est aussi en France la thèse des guesdistes. Enfin, les réformistes de gauche, demeurés fidèles à l'ancien parti, diffèrent des révolutionnaires, (1) Voir la Revue Politique et Parlementaire du 10 janvier. de beaucoup les plus nombreux, sur la question des alliances électorales. Les francs-maçons ont été exclus du parti, comme responsables de sa dégénérescence. Le nouveau parti socialiste s'est aussitôt organisé. Il a fondé dans les villes d'Italie, des sections particulières, et les adhérents sont accourus si nombreux qu'il a été décidé de n'admettre que provisoirement que ceux qui étaient déjà pourvus de cartes socialistes dans l'ancien parti. Puis le comité directeur du nouveau parti lançait un manifeste : contrairement à l'ancien parti, figé dans ses formules, les réformistes prétendent s'adapter à l'évolution. Ils ne sauraient perdre leur caractère d'interprètes du prolétariat, ni oublier le collectivisme, but final des socialistes qui les distingue de tous les partis démocratiques. Ils se séparent des révolutionnaires par leur attitude envers l'Etat. Au lieu de chercher à l'emporter d'assaut, les réformistes introduisent la révolution dans la place, ils veulent l'y faire régner peu à peu. La participation du prolétariat au pouvoir est tout à fait normale, participer au pouvoir est la visée de tout parti d'avenir. Mais les socialistes ne doivent pas oublier le combat de classes, le ressort de l'histoire. Les néo-réformistes font ensuite appel aux réformistes de gauche demeurés dans l'ancien parti. Ils se glorifient de ce que le suffrage universel, conquis par l'habile tactique réformiste, appelle cinq millions d'ouvriers aux urnes. C'est à ces ouvriers que les réformistes parleront directement. Le parti socialiste ne doit pas édifier sur les ruines faites par les révolutionnaires, il doit avoir l'orgueil de sa propre construction. Mais, remarque le journal allemand qui publie cet appel, à trop s'adapter, on perd le goût du combat. L'adaptation doit se réduire à un minimum. Les réformistes, font figure de simples philanthropes désireux d'agir pour les masses prolétariennes, au lieu d'agir au milieu d'elles. Les treize députés à la Chambre qui se sont ralliés aux nouveaux réformistes, (tandis qu'une douzaine reste fidèle à l'ancien parti), ainsi que les Conseillers municipaux, avaient d'abord songé à renoncer à leurs mandats. Finalement ils se sont bornés à envoyer une circulaire à leurs électeurs, leur demandant s'ils les considèrent encore comme leurs représentants. Après une longue discussion, la Confederazione del Lavoro, qui, en Italie, s'est séparée des révolutionnaires, s'est déclarée neutre entre les deux partis socialistes, afin de ne pas diviser les syndicats. Elle se réserve d'appuyer, selon les circonstances, tel ou tel candidat aux élections. Le Comité exécutif de l'ancien parti a porté à la connaissance du bureau socialiste international de Bruxelles qu'à Reggio-Emilia, Bissolati et les autres députés hostiles à la tactique décidée par l'Internationale socialiste avaient été exclus par douze mille voix à la suite de leur attitude dans la guerre actuelle et de leurs manifestations monarchistes, et qu'ils ont fondé un nouveau parti qui menace l'unité du prolétariat, et pris l'étiquette de réformistes, comme si le réformisme ne subsistait plus dans l'ancien parti. Bissolati et Caprini, délégués au bureau international, n'appartiennent plus au parti socialiste italien. Le bureau socialiste international devra donc adresser désormais ses communications l'ancien parti. Les néo-réformistes tiendront à Rome, en septembre, un congrès destiné à fixer leurs statuts et à discuter leur programme. Une seule fissure dans l'Internationale, écrivait naguère M. Kautsky suffirait à menacer de ruine tout l'édifice. Nous retiendrons de ces événements cette leçon qu'en cas de guerre, les partis socialistes ne peuvent compter les uns sur les autres, s'ils prétendent y mettre obstacle. Non plus qu'en' Italie l'unification des forces ouvrières en France ne semble près de s'accomplir. Sans doute le parti socialiste a réussi a fonder et à maintenir son unité, mais l'entente n'a jamais. pu s'établir entre le parti et la C. G. T., entre syndicalistes et socialistes. Non seulement la C. G. T. a toujours gardé jalousement son autonomic absolue, mais ses dirigeants se sont posés en adversaires des socialistes, partisans de l'action directe, dédaigneux du parlementarisme, de l'action politique, pleine de déboires et de traitrise envers le prolétariat. En fondant la Guerre sociale, avec des collaborateurs syndicalistes, voire anarchistes, M. Hervé s'était donné pour mission de servir de trait d'union entre les frères ennemis qui marchent à l'assaut de la société capitaliste. Mais cette tactique masquait en réalité une évolution de M. Hervé vers le parlementarisme, conçu à la manière de M. Jaurès, évolution qui s'est accentuée depuis la sortie de prison de M. Hervé. M. Hervé a changé son fusil d'épaule. Bien plus, il a répudié l'antimilitarisme c'est maintenant avec le secours de l'armée qu'il voudrait, comme en Turquie, entreprendre la révolution. Les syndicalistes et les anarchistes ont crié à la trahison. Ils ont créé un nouveau comité d'entente des forces révolutionnaiREVUE POLIT., T. LXXIII. 38 res. Ils ont revendiqué la propriété commune de la Guerre sociale. Ce journal de combat appartenait à tous les militants. Aujourd'hui qu'il est devenu une bonne affaire, son directeur renie son passé ; « au lieu de constituer la propriété matérielle et morale de quelques-uns, l'œuvre de tous doit rester à tous ». Mais tout collectiviste qu'il est, M. Hervé, sans doute d'une façon inconsciente et à cause de son éducation bourgeoise, se révèle individualiste féroce, lorsqu'il s'agit de son journal, et comme un simple patron, i entend ètre maitre chez lui. Tandis que les allemands, socialistes conséquents, possèdent une grande presse anonyme, M. Hervé dit de son journal ce que Louis XIV disait de l'Etat : « La guerre sociale, c'est moi. »> La querelle s'est envenimée et étendue du fait de la C. G. T. qui a lancé un manifeste, une vraie déclaration de guerre aux socia listes, jauressistes et hervéistes, signée des principaux chefs et meneurs de la C. G. T., Jouhaux, Griffuelhes, Savoie. Ils répudient les violences tapageuses dont Hervé remplissait jadis la Guerre sociale, les appels au citoyen Browning, dont M. Hervé recommandait l'usage, l'antipatriotisme tapageur du Sans Patrie. Le correspondant parisien du Vorwaerts écrit à ce propos : « l'optimisme de ceux qui croyaient triompher aisément des obstacles au sein du mouvement ouvrier français, et se fondaient sur la lassitude que causent dans le monde ouvrier ces misérables querelles, attendent encore que leur vou soit accompli. Tandis que les masses veulent une action unitaire, les syndicalistes font de la propagande démagogique contre les socialistes, et témoignent leur haine aux socialistes, malgré les prévenances de ces der niers. » Dans l'Humanité, M. Jaurès prétend que ces querelles « amorties, sont artificielles et n'intéressent pas la classe ouvrière ». M. Jaurès cédera toujours, se fera tout à tous, sans apaiser, sans désarmer les cégétistes. Le manifeste lancé à la veille du congrès de la C. G. T. au Havre n'est pas d'un bon augure pour la conciliation. Bien que ses contingents ne s'accroissent guère, la C. G. T. attire à elle les instituteurs syndiqués et les postiers. Le scandaleux congrès de Chambéry nous a donné le spectacle des délégués des six mille instituteurs qui composent la Fédération des maîtres de l'enseignement primaire, une minorité sans doute, sur les 114.000 instituteurs, mais ardente et agissante, inféodée à la C. G. T., animée de son esprit, envoyant une adresse de sympathie aux inscrits en révolte, conscillant le malthusianisme, témoignant d'un esprit bien plutôt anarchiste que socialiste. Le journal officiel du parti socialiste se plaignait amèrement, dans une suite d'articles, de l'Ecole émancipée, organe très prospère de la Fédération des instituteurs. Il lui reprochait de tourner en machine de guerre contre le socialisme, de biffer obstinément de ses articles le nom du journal l'Humanité, d'incliner, dans certaines de ses chroniques, à l'esprit et aux doctrines libertaires et anarchistes. A ces accusations, la rédaction du journal répondait : <« Nous savons que l'Humanité est un journal d'avant-garde qui nous a défendus, que nous y avons des amis, qu'il est le seul quotidien socialiste, que les unifiés sont des auxiliaires (presque toujours) des syndiqués, mais du seul fait qu'il se recommande du titre de journal d'un parti, nous ne pouvions laisser passer cette espèce de réclame en sa faveur, laquelle, placée au sein d'un article, engageait, en quelque sorte, moralement l'Ecole émancipée. La même objection n'existe plus pour la Bataille syndicaliste, journal du syndicalisme organisé, porte-parole de la classe ouvrière, indépendant de tout parti politique nous avons le devoir de répandre cet organe de défense prolétarienne. L'Ecole émancipée, revue publiée par la F. N. S. I., organe des instituteurs syndiqués, se devait de faire connaître le grand quotidien du syndicalisme ouvrier ». Le Socialiste ajoute amèrement : « notre organisation est dédaigneusement assimilée aux différents partis de la bourgeoisie, et le devoir des syndiqués conscients est de nous ignorer et souvent de nous combattre. >> Les radicaux coupables de tant de faiblesses et de flagorneries à l'égard des instituteurs, ont cru que les militants de l'école laïque travaillaient pour eux, ils reconnaîtront leur erreur. Ceux-ci se moquent des socialistes eux-mêmes et si l'on n'y mettait ordre, ils nous prépareraient des générations de Bonnot et de Garnier. Ils prouvent, comme le remarque les Débats, que le monopole de l'enseignement est impossible. L'Ecole émancipée ce serait l'anarchie obligatoire. Délaissés, dédaignés par la minorité ardente des syndicats ouvriers, les unifiés se rabattent sur la population paysanne parmi laquelle ils font la plus ardente propagande. Mais là encore, les instituteurs de l'Ecole émancipée sauront leur faire concurrence. |