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l'action politique et se rendre compte de son importance extrême. Le prolétariat doit se persuader qu'il peut dominer la législation et que le bulletin de vote est un moyen de combat plus efficace que toutes les grèves; aussi les chefs les plus influents et les plus actifs des Trades Unions, sont-ils partisans de cette action. Le parti socialiste appuie les syndicats, mais sa fonction principale consiste à organiser la classe ouvrière en parti politique pour arracher au capitalisme l'arme de la législation, en conquérant l'Etat. Les circonstances poussent à l'accroissement des trusts et des monopoles, qui rend la nation plus asservie et plus pressante. M. Hyndman est convaincu que le parti socialiste assistera au triomphe de sa cause.

Un autre orateur, M. Kennedy, a abondé dans le même sens. L'échec de la grève des mineurs vient, d'après lui, du manque de force politique. Le syndicalisme qui se désintéresse du parlementarisme n'est que de l'anarchisme réchauffé. A l'opposé, M. Quelch faisait remarquer que cette sorte de blâme à l'égard des syndicats serait considéré par eux comme une impertinence et que ceux-ci ne souffriraient pas qu'on porte atteinte à leur autonomie et qu'on se mêle de leurs affaires.

Les dirigeants de l'Indépendent Labour party tinrent le même langage, à leur congrès de Merthyr. Le président Anderson assignait pour tâche aux partis socialistes d'apprendre aux ouvriers à voter. C'est le bulletin de vote qui leur ouvrira la porte de la liberté économique. Mais les syndicalistes anti-parlementaires ou a-parlementaires, à la manière de Tom Mann, estiment que l'action politique ne leur a donné que des déceptions. Ils n'ont pas confiance dans le parlementarisme qu'ils jugent insuffisant.

Les socialistes ne peuvent exercer d'influence sur la législation qu'en s'alliant avec le libéralisme démocratique. C'est justement cette alliance trop étroite que répudient à la fois les socialistes et les syndicalistes elle est du reste assez précaire, comme le prouve l'élection d'Hanley. Il s'agissait de remplacer un député ouvrier décédé, Enoch Edwards, que les libéraux avaient fait élire à la Chambre des Communes et qui avait obtenu 8.343 voix. Cette fois les libéraux opposèrent un de leurs candidats au candidat du parti ouvrier. En matière de représailles, les 42 députés ouvriers devaient quitter le parlement pendant la campagne électorale afin d'affaiblir la majorité libérale. Le candidat libéral élu obtint 6.647 voix, le conservateur 5.993, et le candidat ouvrier seulement 1.694 voix. Ce résultat prouve que nombre de candidats ouvriers n'entrent à la Chambre que par le bon plaisir des libéraux qui les tiennent sous leur dépendance, ce qui faisait dire à

Macdonald, le chef parlementaire du parti ouvrier, qu'il espérait bien que le parti perdrait tous les mandats qu'il doit aux libéraux. A ce prix seulement, il sera indépendant, et les socialistes pourront l'organiser en dehors de la phraséologie et de l'idéologie bourgeoises (1).

La grève des dockers, du port de Londres, s'est terminée à la fin de juillet par un échec, qu'on ne saurait imputer aux syndicalistes qui ne l'ont pas conduite. Ben Tillet, le principal meneur, appartient au British Socialist party.

En dépit de ces échecs économiques et politiques, la lutte de classe fait des progrès en Angleterre et le socialisme pénètre plus avant dans la législation.

Les élections belges du 2 juin ont été une défaite pour les socialistes, contrairement à toutes leurs prévisions et à toutes leurs espérances, une défaite, ajoutent les journaux de leur parti, pour la libre-pensée et le socialisme international... La majorité du gouvernement catholique qui n'était plus que de six voix à la veille des élections est montée à seize, et a gagné 80.000 voix. On a attribué cet échec des libéraux et des socialistes alliés à la barrière que la langue flamande oppose à la propagande anti-cléricale, et aussi à ce fait que les modérés parmi les libéraux ou radicaux ont réfléchi aux conséquences d'une victoire qui aurait pour effet de mettre le parti libéral à la merci du parti socialiste ; ces libéraux modérés ont décidé du résultat des élections en choisissant entre deux maux le moindre. Les libéraux, en effet, auraient payé fort cher le concours des socialistes ceux-ci réclamaient d'avance non pas seulement un, mais plusieurs portefeuilles, d'accord avec leur parti, mais en violation des décisions des Congrès internationaux. L'alliance entre socialistes et libéraux s'était faite sur le programme du suffrage universel pur et simple, de l'instruction obligatoire et des pensions. ouvrières. D'après les socialistes le vote plural ne vaut guère mieux que le vote censitaire, car il assura trois voix aux riches. Les socialistes se sont insurgés contre le verdict électoral, en prétendant que la majorité gouvernementale ne représente qu'une minorité, que l'expression de la volonté populaire est en réalité faussée. Les ouvriers wallons du bassin houillier de Charleroi commencérent aussitôt une grève politique qui menaçait de dégénérer en émeute. Les socialistes contribuèrent à l'arrêter, la jugeant impru

(1) Vorwaerts, 3 juillet.

dente et prématurée, mais ils convoquèrent à Bruxelles, du 3 au 9 juillet, un Congrès du parti : 1.500 délégués répondirent à l'appel, parmi lesquels se trouvaient les 29 députés et les 4 sénateurs socialistes; la presse cléricale fut exclue. La mission spéciale du Congrès, consistait à préparer une grève générale, afin de forcer la main au gouvernement, s'il refusait de présenter à la session de novembre un projet de révision de la Constitution substituant au vote plural le suffrage universel.

Une opposition s'était manifestée au Congrès, quant à la date de la grève générale. Les uns la voulaient rapprochée, les autres, éloignée, par crainte d'un échec. On a eu recours à un compromis. voté à l'unanimité. La date de la grève reste incertaine dans un délai fixé, afin de surprendre le gouvernement. Ce sera, si la grève éclate, la troisième tentative en vue de conquérir le suffrage universel, pour lequel lutte le parti depuis 1886. La première en 1893 a écarté le régime censitaire, la seconde en 1902 a complètement échoué. Il ne faut pas qu'il en soit de même de la troisième. Comme l'écrivait le journal le Peuple, de Bruxelles, pour être pacifique, la grève doit être préparée. Elle ne saurait être un geste de révolte destiné à finir dans le sang. Il est essentiel qu'elle garde le caractère légal. Il faut parer au danger qu'elle cesse prématurément par épuisement de forces, remplir les coffres des organisations, réunir de l'argent, mettre en mouvement les coopératives et les caisses de maladie. 125.000 ouvriers organisés suivent la tactique et le mot d'ordre du parti, la grande masse devra faire de même. Le nombre des grévistes dépassera 300.000 hommes. Il s'agit donc de préparer les esprits à la grève par une active propagande, de fortifier la discipline, de créer des munitions et de choisir le moment opportun.

En Belgique, les circonstances semblent particulièrement favorables pour organiser un pareil mouvement. Tandis qu'en France et en Angleterre, soialistes et syndicalistes suivent des tactiques opposées, en Belgique, les syndicats, les sociétés ouvrières, les riches coopératives exécutent les prescriptions du parti socialiste et lui fournissent le nerf de la guerre. De même que les Allemands. les Belges sont aussi bons administrateurs qu'excellents organisateurs. Quatre commissions de grève générale ont été nommées, des comités et des sous-comités locaux se sont formés de tous côtés. une souscription nationale a été ouverte. Il est recommandé aux ouvriers de retirer leurs économies des caisses de l'Etat et de laisser leur argent dans les coopératives, d'acheter des billets de grève générale, qui seront échangés, en cas de grève, contre des marchandises. « Epargner, ne pas attendre à demain », tel est le mot d'or

dre général. Les recettes des représentations cinématographiques des coopératives ainsi que la moitié du traitement des employés sont versés à la caisse de grève. Les maîtres des écoles communales de Gand, sacrifient un pour cent de leur traitement mensuel et la somme ainsi recueillie sera destinée aux enfants grévistes. Des meetings monstres se succèdent dans les centres miniers et industriels, auxquels prennent part les orateurs préférés du parti, Vandervelde, Anseele, Destrée, etc...

Le manifeste du Comité national du droit électoral et de la Grève générale, répandu à un million d'exemplaires, proclame que le système pluraliste réduit l'ouvrier à un état de minorité politique gage de servitude, que grâce à la propagande l'opinion publique se montre favorable à la réforme, que les c'éricaux n'ont pas osé la combattre ouvertement, que, si le pays était consulté par referendum, il donnerait une majorité énorme en faveur du droit de suffrage égalitaire. Pour l'obtenir il faut recourir à la suspension du travail, se préparer péniblement à la grève générale. Le peuple a retenu sa colère le 2 juin. Il faut laisser au gouvernement la latitude de faire spontanément ce qu'exige l'opinion. Le comité ne menace personne. Il prétend seulement exercer un droit garanti par la loi.

Enfin, le manifeste attire l'attention sur ce point que la grève générale ne sera victorieuse que si elle peut durer. Il faut se préparer à une suspension du travail de cinq à six semaines. L'affaire du suffrage universel est dans les mains des ouvriers. Que chacun fasse son devoir...

Cet appel a été entendu, et l'on constate un grand enthousiasme, dans les centres ouvriers. Une intense propagande, lisons-nous dans le Journal des Débats, est faite en ce moment dans les arsenaux et les ateliers de chemins de fer, parmi les facteurs des postes, les employés du télégraphe et du téléphone, pour qu'ils cessent le travail quand le comité bruxellois de la grève générale aura décidé « que le jour de la grève est arrivé ».

Le dernier délai pour la proclamation éventuelle de la grève avait été fixé au mois de novembre, lorsque les socialistes déposeront le projet pour la révision de la constitution que le gouvernement repoussera. On doit attendre, paraît-il, jusqu'au mois de mars de l'année prochaine, quand seront arrivés les secours financiers que les socialistes espèrent recevoir d'Angleterre, de France, d'Allemagne, de Suède et des Etats-Unis.

M. Edmond Picard, au sujet de cette, future grève générale, a publié dans le Moniteur maritime et commercial d'Anvers les considérations suivantes :

Les grandes grèves anglaises, écrit-il, ont raclé en quelques semaines jusqu'au vif le fond des caisses de Syndicats et de coopératives célèbres jusque-là par leurs richesses, patiemment accumulées par des années d'économies et de contributions individuelles. Pour la grève politique dont on nous menace, Anseele, je crois, s'est risqué à dire qu'elle pourrait coûter cinquante millions! Quel siphon d'épuisement faisant communiquer les maigres goussets des prolétaires avec les tiroirs des fournisseurs de tout calibre, subséquemment, avec les coffres-forts des fabricants des choses nécessaires à la vie quotidienne! Quel nettoyage allant directement à l'encontre d'un échec aux capitalistes ! C'est à ruiner pour vingt ans toutes les tirelires individuelles et collectives. Mais il y a plus grave encore !

Notre petite Belgique, comme population le cinquième environ de la France, comme territoire le dix-septième ; surpeuplée avec deux cent cinquante-deux habitants par kilomètre carré, alors que sa voisine n'en a que soixante-quinze et l'Allemagne et l'Angleterre pas beaucoup plus ; peu féconde en richesses naturelles, sauf le charbon pour la Wallonie et le lin pour la Flandre, ne peut vivre sans les exportations énormes de son industrie, de beaucoup les plus considérables du monde entier calculées par tête. Elle est donc à l'état permanent de concurrence avec l'étranger. Elle a triomphé jusqu'à présent, grâce aux taux inférieurs de ses prix de revient. Mais si par les grèves, notamment sur les salaires, ces prix de revient sont par trop surhaussés, elle sera abattue. Il en est de même pour les chômages qui brisent ou troublent les débouchés qu'il est souvent difficultueux de rétablir, les relations commerciales ayant horreur du cahin-caha des interruptions arbitraires.

Se figure-t-on ce que seraient les conséquences d'une baisse de 10% seulement sur notre production générale, réduisant d'un dixième le nombre des ouvriers à employer et les ressources des petits ménages ?

Mais combien d'exemples nous prouvent que les hommes agissent non d'après leur intérêt bien entendu, mais d'après leurs passions, dont la satisfaction représente pour eux l'intérêt suprême qui prime tous les autres.

Nous avons déjà souligné l'extrême souci que manifestent les chefs pour que la grève conserve un caractère légal et pacifique. Si elle dégénérait en émeute, elle ferait perdre aux socialistes l'indispensable appui des libéraux radicalisants. Mais le maintien de l'ordre pourrait-il être assuré dans un mouvement de cette ampleur, alors qu'il y a dans les grandes villes de Belgique des groupes anarchistes prêts à faire tourner la grève en insurrection? Ils écrivent que cette grève est suscitée non dans l'intérêt du peuple, mais pour favoriser les ambitions d'un état major de socialistes germano-belges, de bourgeois ploutocrates qui se parent du nom de socialistes et visent des portefeuilles ministériels, ambitions qui risquent d'être déçues, car il y aurait de grandes chances pour que le suffrage universel se prononcât en faveur des cléricaux.

Quoi qu'il arrive, nulle grève générale n'aura été préparée avec

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