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Dans les environs de Fez, une colonne commandée par le colonel Pein a été attaquée par une assez forte harka et a subi quelques pertes. Dans cette région cependant la situation reste telle qu'elle était. Nous allons avoir, de toute évidence, à accomplir un vigoureux effort militaire. Le gouvernement expédie des renforts importants au Maroc; il en expédiera d'autres si cela est nécessaire. Peutêtre ne serait-il pas impossible d'utiliser dans la région de Marakech ou de Fez quelques-unes des excellentes troupes qui sont en ce moment immobilisées sur les bords de la Moulouïa. Nul ne songe évidemment à entreprendre pour l'instant l'expédition de Taza. Nous avons d'autres difficultés ailleurs et Taza qui a si lontgemps attendu peut fort bien attendre encore.

Notre Résident, le général Lyautey, possède la pleine confiance du gouvernement et le gouvernement, de son côté, est énergiquement soutenu par l'opinion publique tout entière. Il suffit, pour s'en convaincre, de voir les manifestations quotidiennes de patriotisme auquel donne lieu dans le pays le départ des soldats pour le Maroc. C'est la preuve que tout le monde est préparé à l'effort nécessaire. Cet état d'esprit est des plus satisfaisants; il faut en profiter pour briser, avec vigueur, les difficultés actuelles.

Ainsi que je le faisais prévoir dans ma dernière chronique, le sultan Moulay Hafid a remis à Rabat son abdication entre les mains du général Lyautey. Il nous a laissé libres de désigner son successeur et c'est son frère, Mouley Youssef, qui a été proclamé sultan. La proclamation s'est faite sans difficultés aussi bien à Fez que dans les autres villes. Le nouveau sultan a échangé avec le Président de la tépublique des télégrammes empreints de beaucoup de cordialité. Tout indique que nous trouverons en lui un utile et dévoué collaborateur.

Quant à Moulay Hafid, il a reçu avec la promesse d'une forte pension, la permission de s'embarquer immédiatemnt pour la France. Il s'est rendu tout d'abord à Vichy où ses faits et gestes, la libéralité de ses cadeaux, ont défrayé pendant quelques jours la chronique. Toute une équipe de reporters se sont faits, du matin au soir, ses historiographes sans nous laisser rien ignorer de l'emploi de ses journées. Mais, ainsi qu'il arrive, la curiosité du public s'est bientôt lassée. A l'heure où j'écris, Moulay Hafid est à Versailles et c'est tout au plus si les journaux consacrent quatre ou cinq lignes à ses déplacements. On ne sait pas encore au juste quel sera le lieu de sa retraite ; il est probable que ce sera Tanger. Si tel est le cas, notre gouvernement devra énergiquement tenir la main à ce que sa présence dans cette ville, où il y a déjà tant de gens mal disposés pour nous, n'ait pas pour effet de favoriser les

intrigues et les menées anti-françaises. Il nous reste un moyen d'action sur lui ! C'est la pension que nous lui paierons. L'efficacité de ce moyen là est très grande.

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La situation en Orient. La guerre italo-turque dure toujours mais ce n'est plus à l'heure actuelle le plus grave sujet de préoccupation en Orient. Beaucoup plus inquiétante est la crise intérieure dont les Turcs n'arrivent pas à sortir, les troubles albanais, la grande excitation anti-ottomane qui se marque au Montenegro, en Serbie et surtout en Bulgarie, où le gouvernement résiste malaisément à la violente poussée nationale en faveur de la guerre.

Des pourparlers officieux en vue de la cessation des hostilités italo-turques ont été engagés le mois dernier entre des agents italiens et ottomans. Ces négociateurs sans mandat officiel, mais non point sans importance, puisqu'il y a du côté italien un ancien soussecrétaire d'Etat en personne, ont essayé de trouver les bases d'un accord. Ce travail-là n'est pas inutile, tant s'en faut. Le jour où ils parviendraient sinon à s'entendre, du moins à rapprocher leurs prétentions, la tâche des négociateurs officiels se trouverait par cela même grandement facilitée. Jusqu'ici, cependant, ces efforts n'ont donné aucun résultat sensible. La principale difficulté provient du décret d'annexion par lequel l'Italie a, en quelque sorte, coupé derrière elle tous les ponts. Elle s'est ôté ainsi le moyen de faire aux Turcs aucune concession appréciable. C'est en vain qu'elle s'ingénie à remédier à cet inconvénient. Elle se heurte toutes les fois à cet obstacle qu'elle a elle-même dressé. Le gouvernement italien tout en déclarant qu'il lui est absolument impossible de revenir sur ce décret d'annexion, n'exige plus cependant que la Turquie le reconnaisse expressément dans le traité. Une reconnaissance de fait lui suffirait; elle est prête à concéder au sultan, en temps que chef religieux de l'Islam, une autorité nominale et spirituelle sur les musulmans de la Tripolitaine. Elle a toujours déclaré son intention de payer à la Turquie une indemnité pour la perte des deux provinces. Mais elle fait remarquer que la guerre en se prolongeant lui a imposé des frais supplémentaires, que d'autre part elle tient en sa possession une partie des Iles de l'Archipel qui doivent constituer une excellente monnaie d'échange.

Les pourparlers en sont là. Il y a, du côté turc, un désir visible d'en finir avec cette guerre qui, de toutes manières, ne saurait bien finir. Les difficultés qu'éprouve en ce moment le gouvernement ottoman sont assez grandes pour qu'il ne s'obstine pas dans une

REVUE POLIT., T. LXXIII.

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attitude intransigeante. Cela étant, on peut prévoir, me semble-t-il. pour un avenir assez rapproché, la cessation des hostilités.

Le nouveau ministère turc, dirigé par Ghazi Ahmed Mouktar pacha, a eu, dès son arrivée au pouvoir, à lutter contre la Chambre des députés, favorable, dans sa grande majorité, au Comité Union. et Progrès. La seule chose à faire pour lui, c'était de dissoudre cette Chambre, toute collaboration avec elle étant impossible.

Il s'y est décidé, mais un peu tard. Le sultan, d'après certains bruits, se serait prêté d'assez mauvaise grâce à une politique trop énergique. Les chefs du Comité ont aussitôt tiré parti de ce retard et de ces hésitations. Ils ont esquissé un mouvement de résistance, en s'appuyant constitutionnellement sur le Parlement. Pressé par la nécessité, le Gouvernement s'est alors décidé à agir avec vigueur; grâce à l'aide du Sénat, il a prononcé la dissolution de la Chambre.

On a pu craindre un instant que le Comité n'engageât la lutte, appuyé par une partie de l'armée. Il semble bien que ses chefs y aient sérieusement songé. Seulement l'armée ne les a pas soutenus; la ville et la garnison de Salonique elle-même, le berceau de leur puissance, se sont rangées du côté du Gouvernement. Cette raison et peut-être aussi la crainte de précipiter leur pays dans l'horreur d'une guerre civile d'où sortirait fatalement la guerre étrangère et le démembrement de la Turquie, les ont retenus. Ils ont renoncé à la lutte ouverte, du moins pour le moment.

Il convient de s'en réjouir, dans l'intérêt de la Turquie. Si les hommes d'Etat ottomans ont la moindre sagesse et le moindre patriotisme, ils s'uniront étroitement, au lieu de se combattre. Jamais la situation n'a été plus périlleuse pour eux, plus critique. Il y a des nuages noirs de tous les côtés, du côté bulgare, serbe, monténégrin, albanais, et même du côté de l'Autriche, la proposition Berchtold constituant, qu'on le veuille ou non, une manière d'intervention européenne dans la politique intérieure de la Turquie.

Le nouveau cabinet, à peine constitué, s'est vu tiraillé entre des directions contraires. On s'accorde à dire que c'est un cabinet de transition. Mais il serait temps vraiment que cette période transitoire prît fin et qu'un gouvernement homogène, solide, durable prit la direction des affaires en Turquie. Faute de quoi, c'est à la banqueroute et à l'effondrement qu'on marche visiblement.

Les divergences se sont produites dans le cabinet sur l'importante question du changement des gouverneurs de province. A une politique toute nouvelle, il faut des esprits nouveaux. C'est ce que réclamait énergiquement Zia pacha, ministre de l'Intérieur, soutenu par Kiami pacha et Nazim pacha. Mais il s'est heurté à l'opposi

tion du grand vizir lui-même et surtout d'Hilmi pacha qui sont partisans d'une politique de conciliation, et qui gardent des sympathies, en tout cas des ménagements, pour le Comité.

Impuissant à faire prévaloir ses vues, Zia pacha a donné sa démission, et quand il s'est agi de le remplacer, c'est alors que les grandes difficultés sont apparues. Tous ceux à qui on offrait son portefeuille, se défilaient tour à tour. Peu de temps après, c'est Hilmi pacha, l'homme d'Etat éminent, l'ancien inspecteur des réformes en Macédoine, qui donnait lui aussi sa démission.

On a annoncé, à diverses reprises, le départ du cabinet tout entier et l'avènement d'un ministère Kiamil. Cependant Ahmed Mouktar reste au pouvoir, bien que considérablement affaibli. Ces discussions, cette quasi-impossibilité de constituer un ministère viable, trahissent les difficultés presque insurmontables au milieu desquelles se débat la Turquie; elles sont un encouragement pour tous les pêcheurs en eau trouble qui ne manquent pas dans les Balkans.

L'Albanais, l'enfant gâté et aussi l'enfant terrible de l'ancien Régime, avait été traité sans aucune espèce de précaution ni de ménagements par le nouveau. Le rêve d'un certain nombre de jeunes Turcs, prosternés devant le caporalisme prussien, c'était de faire marcher à la schlague toutes les populations de l'Empire. Cette belle politique a donné les résultats que l'on sait. En Albanie, les opérations de désarmement furent effectuées avec une extrême brutalité. Mais les Albanais ont bien pris leur revanche c'est leur soulèvement qui, au fond, a déterminé la chute du Comité. Ce soulèvement a pris des proportions inaccoutumés. Uskub est tombé entre les mains des montagnards; un détachement de ces derniers a même poussé jusqu'à Salonique, dans l'intention, assure-t-on, de délivrer Abdul-Hamid.

Les Albanais, comme s'ils étaient les maîtres de la situation, ont présenté à Ibrahim pacha, un long programme de revendications: réorganisation administrative et judiciaire de la province; plus de recrues albanaises à expédier en Asie; obligation pour les fonctionnaires de parler la langue du pays, augmentation du nombre des écoles et création d'écoles spéciales pour l'agriculture, construction de routes et de chemins de fer, liberté absolue d'installer des écoles privées, mise en accusation devant la Haute Cour des cabinets d'Hakki pacha et de Saïd pacha, une amnistie générale, restitution des armes aux Albanais.

On assure que le que le gouvernement de Constantinople aurait accepté la plupart de ces demandes, sauf celles qui concernent 'a

mise en accusation des anciens ministres et la restitution des armes. S'il en est ainsi, ses concessions sont des plus importantes; elles ne vont à rien moins qu'à faire à l'Albanie une situation privilégiée, à lui constituer une demi-autonomie. Ces concessions et aussi la concentration de forces importantes à Kuprili ont permis au gouvernement de négocier avec les chefs albanais l'évacuation d'Uskub. La plupart des montagnards ont regagné leurs villages dans des trains mis obligeamment à leur service par les autorités. Une accalmie s'est produite. Mais jusqu'à quand cela durera-t-il ?

Si l'on accorde aux Albanais ce qu'ils demandent, quel exemple pour les Serbes, Grecs et Bulgares de Macédoine !

'Sur la frontière monténégrine, Turcs et Monténégrins se sont livrés toute une série de combats. Mais c'est en Bulgarie que l'état de l'opinion publique est le plus inquiétant. A Kotchana, petite ville de Macédoine, à la suite de l'explosion de quelques bombes, la soldatesque turque s'est livrée à un massacre de Bulgares. Il n'en a fallu davantage pour exciter au plus haut point, pour ameuter, toute la population de Bulgarie. Des meetings de protestation ont été tenus un peu partout. Partout on a réclamé la guerre immédiate, on a blâmé la pusillanimité du gouvernement et du souverain. La plupart des Bulgares sont absolument convaincus qu'ils ont laissé échapper une occasion admirable de battre les Turcs, en 1908, après l'avènement du Nouveau Régime. De là leur colère et leurs regrets.

Fort heureusement le gouvernement actuel et le roi sont pacifiques. Ils voient, eux, tous les côtés du problème qui est loin d'être simple. La Bulgarie, réduite à ses seules ressources, aurait fort à faire pour lutter contre l'armée turque. Ses ressources de mobilisation, ses disponibiliés financières sont limitées. La Roumanie, d'autre part, liée par une convention militaire à l'Autriche, est bien résolue à ne tolérer aucun agrandissement de la Bulgarie, à moins qu'elle n'y trouve son profit. C'est pour elle un dogme, une nécessité vitale à l'heure même où la guerre éclaterait, elle mobiliserait son armée et se tiendrait prête à profiter des événements.

Le Gouvernement bulgare ne l'ignore point; il sait parfaitement que l'Europe ne le laisserait pas tout seul régler la question de Macédoine et de Constantinople. Il n'aurait des chances de succès que s'il agissait d'accord avec une des grandes puissances, l'Autriche ou la Russie.

La seule chose à craindre, c'est que le gouvernement ne soit débordé par l'opinion publique.

Tandis que la situation est à ce point tendue, le Comte Berch

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