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taille merveilleux en faveur de l'institution arbitrale, et qui, dans le récent arbitrage anglo-américain des pêcheries de l'Atlantique, s'est montré l'un des pionniers les plus éloquents. et les plus vigoureux de l'institution arbitrale. Le vote de nos traités semble avoir été un compromis entre les partisans des deux Présidents, il n'a donc pas, en soi, une valeur objective indiscutable.

Le Sénat n'a point voté nos traités tels qu'ils lui avaient été soumis. Il a usé, et, à notre sens, abusé, de son droit d'amendement. Le rôle du Sénat américain dans la conclusion des traités n'est pas le même, on le sait, que celui des Chambres législatives d'un pays à régime parlementaire. Celles-ci ne sont consultées, lorsqu'elles doivent l'être, que pour autoriser la ratification. Elles ne peuvent qu'admettre ou rejeter en bloc le texte qui leur est présenté. Le Sénat américain, au contraire, agit en qualité de Conseil de gouvernement, il participe à la conclusion même du traité. Il peut donc non seulement le rejeter ou l'approuver, mais bien l'amender, le modifier, de telle sorte que de nouvelles négociations s'imposent entre les parties contractantes avant d'arriver à un résultat définitif. C'est précisément ce qui s'est produit en notre matière. Les modifications apportées à l'économie de nos traités par le vote du Sénat sont importantes et donneront lieu vraisemblablement à de nouveaux pourparlers des diplomaties intéressées, si celles-ci persistent, comme il est probable, à vouloir mener à bonne fin l'œuvre entreprise. Les difficultés sont venues en notre matière, précisément de ce que les négociateurs anglo-franco-américains nt voulu faire faire à l'institution arbitrale un progrès réel, en donnant à l'obligation du traité d'arbitrage, obligation de soumettre les conflits éventuels à des arbitres, de « compromettre » pour employer le terme technique, une efficacité aussi certaine que possible. Mais ce résultat impliquait nécessairement un sacrifice de cette souveraineté des Etats, conçue par la doctrine, et revendiquée par les gouvernements comme une notion et un droit de nature absolue. C'est cette sorte d'antinomie entre l'obligation arbitrale et la souveraineté des Etats qui fait toute la difficulté en matière d'arbitrage, c'est par l'effort qu'ils font pour la résoudre que nos

traités sont intéressants, et c'est sous ce point de vue à la fois pratique et juridique que nous voudrions les présenter.

I

Un traité d'arbitrage obligatoire est, en fait, et serait mieux nommé, un traité d'arbitrage préventif. L'arbitrage est dit facultatif lorsque deux Etats entre lesquels survient un différent conviennent, sans s'y être par avance obligés, de soumettre ce différend à l'arbitrage. Il est dit obligatoire lorsque, par avance, deux Etats s'obligent réciproquement à soumettre à l'arbitrage certaines catégories de différends ou tous les différends qui viendraient par la suite à s'élever entre eux. C'est précisément cette obligation de compromettre sur des difficultés qui ne sont pas nées encore, dont on ne peut prévoir ni la contexture ni la portée, qui a fourni matière à la critique, surtout lorsqu'il s'agit de traités généraux, visant tous les différends possibles. Ce sont là, disent leurs adversaires, des engagements inconsidérés et qui n'ont qu'une valeur de circonstance. Ils s'appliqueront, si les parties contractantes y trouvent leur avantage, au moment où la difficulté naît, si l'état des relations politiques s'y prête. Mais alors il aurait été tout aussi facile, le cas échéant, de négocier directement un compromis; le traité préventif constitue à tout le moins une superfétation, peut-être un danger, car il se produit des cas où l'obligation qu'il impose ne saurait être exécutée, lorsque surtout cette obligation est sans réserves. Nos deux traités méritent-ils ce jugement sommaire?

Au premier coup d'œil, nos traités apparaissent bien comme des traités d'arbitrage sans réserves. Ils déclarent, en effet, que l'on a voulu étendre la portée et les obligations de la politique d'arbitrage adoptée dans les conventions antérieures qu'ils remplacent (1): traité du 10 février 1908, entre les Etats-Unis et la France, traité du 4 avril entre les EtatsUnis et l'Angleterre ; et que, dans ce but, on a fait disparaître certaines exceptions contenues dans ces traités, et assuré

(1) V. art. VI dans les deux textes.

les moyens de régler pacifiquement « tous différends >> qu'il aura été impossible de résoudre par la voie diplomatique (1), La portée de la stipulation paraît donc aussi large que possible. Suppression des « exceptions >> selon le langage des négociateurs, c'est-à-dire des « réserves », solution pacifique c'est-à-dire «< arbitrale », de tous les différends que la diplomatie serait impuissante à résoudre.

Le programme, s'il était tel, paraîtrait présomptueux.

Il n'est guère facile, croyons-nous, de signer de bonne foi un traité d'arbitrage intégral, car il est des questions que l'arbitrage ne peut résoudre. Ce sont celles qui revêtent pour les Etats qu'elles divisent, une importance matérielle ou morale telle qu'elles peuvent être considérées comme vitales, et ce sont aussi les questions purement politiques.

En ce qui concerne les questions vitales, les Etats qui concluent des traités d'arbitrage ont pris l'habitude de les classer en un certain nombre de catégories: ce sont celles qui intéressent l'honneur, l'intégrité territoriale, les intérêts essentiels de l'Etat, expressions vagues d'ailleurs et qui peuvent donner lieu à une interprétation abusive, mais qui correspondent à une véritable nécessité. Si des conflits naissent qui mettent en jeu l'existence même de l'Etat, il est inutile de songer à l'arbitrage, aucun gouvernement ne saurait évidemment y consentir.

Je veux bien, qu'au moment présent, on imagine mal que de pareils conflits puissent se produire entre deux quelconques de nos trois nations. Les préambules de nos traités consfatent qu'entre la Grande-Bretagne et les Etats-Unis depuis le traité de Gand de 1814, entre la République française et les Etats-Unis depuis les premiers jours de l'indépendance américaine, la paix n'a jamais été troublée, que leurs étroites relations d'amitié et de commerce l'affirment encore, qu'il n'existe aucune importante question en litige, qu'il faut éviter qu'il en naisse (2); on eût pu ajouter que ces conflits sérieux lorsqu'ils sont nés ont été toujours réglés à l'amiable: témoin la question de l'Alabama et celle des pêcheries du

(1) V. Préambule, paragraphe 2, dans les deux textes.
(2) Voir dans les deux textes, le préambule, paragraphe 1er.

Nord Atlantique (1). Mais peut-on affirmer qu'il en sera toujours ainsi, qu'aucun conflit d'importance ne naîtra entre ces trois pays ou ne prendra une acuité inattendue ? Loin de nous le désir d'être prophète de malheur, mais on ne peut se défendre de songer aux graves questions qui peuvent naître, par exemple du percement de l'isthme de Panama (2), ou des relations économiques américano-canadiennes, pour ne parler que de ces objets. Ainsi même dans ce cas favorable de trois nations que leurs institutions, leur culture, leurs mœurs, la diversité de leurs sphères d'action politique sont faites pour rapprocher, une stipulation d'arbitrage obligatoire d'une pareille généralité et d'un caractère aussi absolu paraîtrait inadmissible.

Ce ne sont pas seulement, d'ailleurs, les conflits vitaux qui sont insusceptibles d'une solution arbitrale, ce sont tous les conflits purement politiques, si légers soient-ils. L'arbitrage n'est pas applicable indifféremment à toutes les espèces. C'est un moyen juridique de résoudre les différends internationaux, c'est dire que seuls les différends ayant une base juridique peuvent être soumis à des arbitres. Nous ne voulons pas dire que seuls les conflits purement juridiques peuvent être tranchés arbitralement, car alors il y en aurait peu ou point à pouvoir l'être, tous les différends internationaux ayant d'ordinaire un double caractère politique et juridique, La vérité, c'est qu'il faut que l'une des faces, au moins, de la question soit d'ordre juridique, que les gouvernements puissent envisager le différend sous ce jour, et autoriser les arbitres à l'envisager sous ce jour. Les différends purement politiques ne comportent pas cet examen.

Les négociateurs de nos deux conventions ont tenu compte de ces limites naturelles de l'action arbitrale, la simple lecture du protocole démontre qu'ils ont prévu la possibilité de cas« non arbitrables », si l'on nous passe ce néologisme barbare mais explicite, puisque précisément ils ont organisé

(1) Tout récemment réglée, par sentence de la Cour de La Haye du 5 septembre 1911.

(2) Témoin l'incident actuel entre la Colombie et les Etats-Unis qui voient, avec quelque exagération semble-t-il, une menace allemande derrière les prétentions colombiennes.

une procédure ingénieuse pour déterminer si ces différends. éventuels pourraient être soustraits, ou devraient être déférés au tribunal arbitral. Ils ne font pas une allusion directe aux conflits vitaux qu'ils considèrent comme improbables, mais ils visent, sous une forme un peu spéciale mais ingénieuse, les conflits politiques, qui, d'ailleurs, englobent les premiers (1).

L'article premier précise, en effet, que le traité doit s'appliquer à tous les différends, mais seulement à tous les différends provenant « d'une réclamation de droit formée... en vertu d'un traité ou d'une autre cause », donc une réclamation juridique, les questions d'interprétation des traités étant évidemment les plus fréquentes, mais non les seules qui soient de nature à comporter un règlement judiciaire ». Le texte insiste, déclare que la solution doit être possible « sur la base du droit ou de l'équité ».

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Ce dernier terme peut, en ce qui concerne le texte français, prêter à confusion; il ne modifie pourtant pas, au fond, la portée que nous attribuons au traité. Le mot « équité n'a point chez nous de sens juridique technique. On peut résoudre équitablement un conflit politique aussi bien qu'un conflit juridique. Mais notre traité fait allusion à cette particularité de l'activité judiciaire anglo-saxonne qui permet au juge de statuer en équité lorsque la loi est muette ou désuète. Ceci, qui se comprend aisément dans des pays de législation coutumière, est moins familier aux pays habitués au droit écrit, dans lequel le rôle strict du juge consiste à appliquer et interpréter la loi sans plus. Mais on comprendra aisément que des arbitres, appelés à prendre éventuellement en considération des législations très diverses, et en tout état de cause, à appliquer ou même à dire le droit international encore si imparfait, si plein de lacunes, et avant tout coutumier, soient investis de larges pouvoirs. Malgré quoi, ni le texte anglais, ni le texte français ne doivent être interprétés comme leur déférant un rôle d'amiables compositeurs, qui en ferait des sortes de médiateurs. Ils ne peuvent

(1) Voir article 1er, paragraphe 1er; article 2, paragraphe 1er; article 3, paragraphe 3.

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