Imágenes de páginas
PDF
EPUB

du pays de Vaud, leurs Excellences, les conseillers de Berne, se rendant compte à leur tour de l'importance d'une flotte de guerre sur le lac Léman, décident la construction de deux grandes galères et de cinq autres petits bâtiments, largement pourvus de canons et d'arquebuses.

En 1690, le grand conseil appelle le marquis Henri Duquesne, fils de notre illustre amiral, pour construire l'arsenal et le port de Morges qui furent terminés en 1696.

Puis, par mesure d'économie, l'entretien d'une flotte exclusivement militaire paraissant trop dispendieux, les autorités bernoises s'efforcent de créer un type de barque mixte pouvant servir, en temps de guerre, au transport des troupes, mais utilisé, en temps ordinaire, pour le commerce.

C'est ainsi, sans doute, que peu à peu on est arrivé à la grande barque qui navigue aujourd'hui sur le Lac Léman, type très intéressant et très original dont on ne retrouve l'équivalent sur aucun autre lac.

De fait, au XVIIIe siècle, un certain nombre de bâtiments marchands étaient aménagés pour servir en temps de guerre. On en comptait une vingtaine, dont les plus grands pouvaient contenir jusqu'à trois cents soldats. Les matelots avaient un brillant uniforme qui, d'ailleurs, variait d'une ville à l'autre. En 1782, on organisa sur le lac une grande revue navale qui fit quelque bruit. Aux officiers étrangers qui commandaient cette flotte, avaient succédé « des amiraux indigènes », dont les plus connus furent le major Cuénod de Martignier et le colonel de Crousaz. Celui-ci fût aussi le dernier. Après avoir été en grande faveur auprès de leurs Excellences bernoises, la flotte mixte baissa dans leur estime. A la fin de 1792, les bateaux furent désarmés, et les matelots licenciés. C'était la fin de la flotte de guerre du lac Léman.

Mais il n'en reste pas moins, que, comme je le disais plus haut, cette flotte a longtemps existé, manœuvré, ou combattu, que <«<l'amiral suisse » n'a pas été un mythe, et que si son rôle n'a pas été aussi étendu ni aussi brillant que celui de l'amiral des galères de France qui commanda en Méditerranée jusqu'au xvr° siècle, il fut cependant, à certains moments, des plus actifs et des plus honorables.

*

Ce serait toutefois une erreur de croire que ce furent des barques de guerre qui inaugurèrent la grande navigation sur le lac

de Genève. Avant elles, et à côté des bateaux de pêche, on voyait circuler, sur ses eaux, de nombreuses embarcations, affectées au transport des marchandises. La plus ancienne carte du Léman, dressée en 1588 par le syndic Duvillard, le représente déjà couvert de barques du commerce, n'ayant qu'un mât avec une voile carrée. C'est beaucoup plus tard, que les bateliers, assez routiniers, substituèrent à la voile carrée, la voile latine, aujourd'hui uniformément adoptée.

La navigation à vapeur a d'ailleurs considérablement réduit maintenant l'importance de la navigation à voiles. Ce n'est plus guère que pour le transport des matériaux, bois de chauffage, pierres à bâtir (1), sable et gravier qu'on l'emploie. Trois catégories spéciales d'embarcations sont utilisées 1° la Barque à deux ou trois mâts, pouvant transporter 3.000 quintaux ; 2° le Brigantin, ou brigue, portant environ 900 quintaux ; 3° la Corsaire, supportant en pleine charge 400 quintaux. La barque et le brigantin sont entièrement pontés. Seule, la corsaire n'est pontée qu'à l'avant. Pas d'autres propulseurs pour ces embarcations que les voiles triangulaires, dont la disparition enlèverait au lac Léman une partie de son charme et de son animation. Il est vrai qu'il lui resterait toujours la foule de plus en plus grandissante des embarcations de plaisance yachts, goélettes, canots, péniches, liquettes, canardières, skifs, périssoires... qui, à la belle saison. surtout, sillonnent les eaux du lac.

Mais, c'est la navigation à vapeur qui, aujourd'hui, règne en maîtresse sur le lac Léman, comme sur les autres lacs de la Suisse. Ce fut en 1823, le 28 mai, jour à jamais mémorable pour la ville de Genève que fut lancé, dans son port, le premier de ces « nouveaux locomoteurs rapides, commodes, agréables, et économiques dûs au génie créateur de l'américain Fulton », comme les appelle un chroniqueur de l'époque. Et sa construction, par une singulière coïncidence, fut inspirée par un Américain, Edward Church, alors consul des Etats-Unis en France, qui lui donna le nom de Guillaume Tell, en souvenir du célèbre fondateur de la liberté helvétique.

Ayant obtenu du gouvernement de Vaud et de Genève les autorisations nécessaires, Edward Church ne perdit pas un instant pour

(1) Les carrières de pierre bleuâtre, très dure, du petit village français de la Meillerie, sur la côte de Savoie, à côté de Saint-Gingolph, sont en particulier une mine inépuisable de fret pour les barques. On commença à exploiter ces carrières, quand Napoléon Ier fit construire la route du Simplon.

mettre son projet à exécution. Il confia à M. Mauriac, de Bordeaux, le soin de construire le Guillaume Tell qui mesurait 75 pieds de quille, et 15 de large, tirait 4 pieds d'eau, et pouvait transporter 200 personnes. Le nouveau « locomoteur » commença le 1er juin 1823, son service régulier entre Genève et Ouchy, en touchant à Coppet, Nyon, Rolle et Morges. Le trajet durait quatre heures et demie, ce qui paraissait magnifique pour l'époque.

La fortune ne manqua pas du reste de sourire au promoteur de l'entreprise, car Edward Church réalisa, jusqu'à la fin de 1823, un bénéfice net de 52.000 francs, après quoi il revendit le Guillaume Tell pour le prix de 117.000 francs, que lui avait coûté sa construction, à une association de dix particuliers de Genève. Cette société fit construire aussitôt pour son propre compte un autre bateau, le Winkelried, qui entra en service au mois de juillet 1825. Mais la création de l'entreprise ne tarda pas à provoquer une surprise aussi vive que désagréable dans le canton de Vaud qu'humiliait la pensée d'avoir été prévenue par ses voisins, et d'être comme un étranger, sur ce lac dont il occupe presqu'en entier le bord occidental, tandis que le territoire de Genève n'en couvre que l'extrémité. Une société rivale se forma aussitôt à Ouchy, et la concurrence commença aussitôt. Elle ne fut heureuse pour personne, ce qui n'empêcha pas une troisième entreprise de se fonder. Mais, en 1866, les sœurs ennemies reconnurent la nécessité de s'associer sans renoncer à leur autonomie le nom de compagnie « des Bateaux réunis ». Ce fut là l'origine de la Compagnie générale de navigation sur le lac Léman actuelle qui a toujours le monopole de cette navigation, monopole dont les voyageurs profitent autant que les actionnaires, car si grâce à la prudente et sage administration de la Compagnie, ces derniers, depuis la fusion des sociétés rivales, ont vu leur dividende s'élever en moyenne de 3 à 5 1/2 pour cent, les premiers n'ont cessé d'y gagner, sous le rapport des tarifs, des facilités de transport, de la régularité des horaires, sans parler de l'agrément, du confort, et de la vitesse des bateaux modernes, comparés à leurs devanciers.

[ocr errors]

sous

*

**

En 1840, le tour complet du lac coùtait 15 francs en 1 classe, et 10 francs en 2o classe, ce qui représenterait aujourd'hui des chiffres sensiblement plus élevés. Aujourd'hui, la taxe n'est que de

11 francs en première, et de 4 fr. 50 en deuxième classe. L'ensemble du tarif pour les voyages de port à port a subi un remaniement analogue. Chaque voyageur a droit au transport gratuit de 30 kilos de ses bagages personnels. Les marchandises transportées en grande vitesse paient par 100 kilos, une somme de 3 fr. à 0,70, suivant que leur destination est plus ou moins éloignée.

Les horaires ne comportaient guère, jusqu'en 1866, sur la côte suisse, que deux doubles courses, effectuées dans chaque sens par deux bateaux, soit un parcours kilométrique moyen d'environ 75.000 kilomètres par an. Aujourd'hui, il y a, en été, 12 bateaux en service, effectuant sur la côte suisse huit courses dans chaque sens dont plusieurs directes sans préjudice des services sur la côte de Savoie, dans le haut lac, et dans le petit lac, soit un parcours annuel d'environ 550.000 kilomètres.

Des arrangements avec les chemins de fer suisses et la Compagnie Paris-Lyon-Méditerranée permettent aux voyageurs l'utilisation facultative des voies ferrées ou des bateaux, et donnent toutes facilités pour combiner les deux modes de transport, à l'aller et au retour.

L'ensemble de ces améliorations que la Compagnie ne cesse d'ailleurs de poursuivre, le mouvement qui entraîne de plus en plus les touristes vers cet adimirable pays de la Suisse et vers notre belle Savoie, les voies nouvelles de communication, tout contribue à augmenter la circulation des bateaux du lac Léman.

De 26.100, moyenne des passagers utilisant ces bateaux de 1826 å 1840, ce chiffre s'est élevé, en 1905, à plus de 1.330.000, et depuis lors a été souvent dépassé. C'est un chiffre que peuvent envier beaucoup de nos Compagnies de navigation qui, sur nos côtes, dans nos rades intérieures, sur nos grands fleuves, se consacrent, en été, au transport des touristes.

En 1873, au moment de la fusion des anciennes sociétés genevoises et vaudoises, la Compagnie générale de navigation sur le lac Léman ne possédait que neuf bateaux, la plupart fatigués ou démodés. La première tâche de la compagnie fut donc de compléter et de restaurer ce matériel. Elle le fit progressivement, avec un souci constant de ne rien négliger pour assurer la sécurité, le confort et le bien-être des passagers, et de les faire profiter de tous les progrès de la construction moderne. Elle y est admirablement parvenue. L'ensemble de sa flotte comprend actuellement 24 bateaux dont la presque totalité est affectée au transport des voyageurs. Quatre seulement avec deux chalands dont un à moteur assurent le transport des marchandises sur les deux rives du

lac. Le tonnage des bateaux s'élève à 3.565 tonnes. La Suisse, avec 275 tonneaux, le Guillaume Tell, avec 90 tonneaux sont aux deux extrémités de l'échelle du tonnage.

La Suisse, Le Montreux, le Général Dufour possèdent les machines les plus puissantes et présentent les plus grandes dimensions. Le premier a une machine de 1.400 chevaux et mesure 70 mètres de long sur 8 m. 50 de large. Les deux autres ont une machine de 1.000 chevaux, et mesurent 60 mètres de long sur 7 m. 20 de large. Leur vitesse moyenne est de 26 kilomètres à l'heure. La Suisse peut prendre 1.200 passagers, et Le Montreux ainsi que Le Général Dufour, 1.000. Les constructions les plus récentes sont Le Vevey (1907), l'Italie (1908), et la Suisse (1910).

La valeur de la flotte de la Compagnie peut être estimée à près de 6 millions. Tous les bateaux affectés au transport des passsagers sont à roues, ce qui leur donne une grande stabilité. Seuls, les quatre bateaux à marchandises (Rhône, Mercure, Chablais et Venoge) sont à hélices. Ce dernier est muni d'un moteur Diesel. L'expérience, que la Compagnie fait avec ce bateau, est intéressante en ce sens qu'elle permettra de baser sur des faits l'étude de bateaux à voyageurs rapides et économiques. Les chantiers de construction et de réparations de la flotte sont à Ouchy; les bureaux de la Compagnie sont installés aux Jordils, à Lausanne.

On voit par les détails que nous venons de donner, qu'il y a sur le lac Léman, une compagnie de navigation relativement importante, et admirablement bien outillée. Sur les autres lacs, qui sont loin de présenter la même étendue, on trouve des compagnies similaires, faisant un chiffre d'affaires élevé et transportant un nombre considérable de voyageurs.

Sur le lac de Constance, en 1910, plus de 180.000 voyageurs ont passé à bord des principaux vapeurs de la Compagnie du lac : l'Arenaberg, le Schweiz, le Neptune et le Hohentlingen. Sur le lac de Zurich, 15 bateaux à vapeur, dont l'un l'Helvétia, a une machine de 780 chevaux, et un autre le Stadt Zurich, une machine de 500 chevaux, ont transporté 1.443.409 personnes. Sur le lac de Thoune et de Brienz, la Compagnie de navigation possède 14 vapeurs dont la puissance de machine s'étage moyennement entre 300 et 600 chevaux. En 1910, elle a transporté 1.167.000 passagers. Enfin, sur le lac des Quatre-Cantons, où la Compagnie a une flotte de 22 vapeurs, dont quelques-uns ont une machine de 700 chevaux, d'autres une machine de 300 à 350 chevaux, il est passé un nombre fantastique de voyageurs : 2.121.735. A lui seul, le mois d'août en a fourni 530.000. Si, sur tous ces lacs, les étrangers alimentent

« AnteriorContinuar »