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association de capitaux franco-allemands en Afrique Equatoriale des cessions pures et simples de territoires.

Je répondrai successivement à la seconde, à la première, à la troisième de ces critiques, désirant suivre, pour plus de clarté, l'ordre chronologique des événements.

1° Je continue à soutenir que le projet de consortium francoallemand a été, à l'origine, une « affaire privée », déterminée par les convoitises des dirigeants de la N'Goko Sangha et de ses agents parmi lesquels nous allons voir figurer divers rédacteurs du journal le Temps.

Il faut se rappeler d'abord l'âpreté avec laquelle la N'Goko Sangha a essayé d'obtenir, de l'Etat français ou de la colonie congolaise, des indemnités en argent et en pleine propriété, sans décisive raison de droit, sans honnête raison d'équité. La Compagnie se plaint de l'insécurité du pays et d'une rectification de frontière. Mais ces raisons d'indemnités sont précisément exclues par les articles 29 et 3 du Cahier des Charges; la Compagnie a été dédommagée par une extension de concession des seules pertes qu'elle ait réellement subies; enfin elle a plus gagné que perdu à la rectification de frontière.

M. le sénateur Milliès-Lacroix, ancien ministre des Colonies, qui a fait preuve en cette affaire de la plus scrupuleuse droiture, a montré au Sénat, dans un discours prononcé le 30 juin 1911, comment la N'Goko Sangha « n'a reculé devant aucun moyen pour arriver à ses fins ». Il a signalé, entre autres, le fait que, pour tenter de justifier ses demandes en indemnités, cette Compagnie a fait attaquer, par un certain nombre de journaux, le projet de délimitation Congo-Cameroun élaboré à Berlin en 1908 par M. Jules Cambon et le gouvernement allemand,

M. Milliès-Lacroix ajoute :

Cela commença par des dépêches tendancieuses datées de Berlin, adressées à un grand journal parisien... Cette campagne a beaucoup ému M. l'ambassadeur de France à Berlin, et, au mois de mai 1908, conformément à son devoir,il la signalait à M.le ministre des Affaires Etrangères: « Il est de mon devoir, lui dit-il, d'appeler votre attention sur la campagne faite par certains journaux qui affirment que la convention de délimitation est désavantageuse pour le gouvernement français, pour la colonie, pour nos nationaux, alors qu'au contraire elle offre à tous les plus grands avantages », « J'en ai été ému, ajoute M. l'ambassadeur de France à Berlin, et j'ai fait une enquête ; j'ai fait appeler le correspondant de l'un de ces journaux qui m'a dit: « Monsieur l'ambassadeur, n'ayez aucune inquiétude en ce qui touche le fond de cette campagne, car elle n'a pas d'autre objet que de faire obtenir à la compagnie N'Goko Sangha une extension de concession. » M. Tardieu était l'auteur de l'article incriminé. (Journal officiel, 1er juillet 1911, p. 997).

Rapprochons de ce document un passage du Rapport de M. le député Maurice Viollette sur les budgets locaux des colonies pour 1911 (deuxième partie, N'Goko Sangha, rapport no 376); on y lit que l'administrateur délégué de la N'Goko Sangha, M. Mestayer, a déclaré devant la Commission des Affaires extérieures :

J'ai entendu dire qu'un accord entre M. Pichon et le prince Radolin était intervenu avant le départ de nos délégués, en vertu duquel la Commission de délimitation ne serait saisie ni des réclamations des commerçants allemands, ni des réclamations des commerçants français, chacun des deux pays devant désintéresser ses nationaux. Cela a été publié dans les journaux français et allemands.

Or, ajoute le Rapport parlementaire :

La Commission eut à entendre ensuite M. Milliès-Lacroix, M. Georges Louis et M. Duchêne: tous donnèrent le démenti le plus formel à cette note qui fut en effet publiée d'abord par les journaux allemands. Elle émanaît de M. Roels, correspondant du Temps à Berlin, dont on retrouvera la signature au bas d'un des arrangements préliminaires au consortium (Rapport cité, p. 54).

Pour reprendre une formule de l'article de M. Millet M. l'ambassadeur Cambon, M. le sénateur Milliès-Lacroix, M. le député Viollette, font au Temps « une belle réclame! » En tout cas, ces textes commencent à démontrer que j'ai eu quelque raison de mêler le Temps à cette affaire.

La N'Goko Sangha désire, dès 1907, (il faut bien remarquer ce fait et cette date) utiliser l'influence de capitalistes étrangers qu'elle ferait entrer dans son Conseil d'administration. M. le sénateur Ratier, avoué de la N'Goko Sangha, écrit le 22 avril 1907 à M. Pichon pour lui communiquer plusieurs demandes de sa Compagnie. entre autres :

d. Modification de l'article 5 du décret de concession relatif à la composition du Conseil d'administration.

Or l'article 5 est ainsi conçu :

Les trois quarts des membres du Conseil d'administration, dont le président et le vice-président, devront être français.

La volonté de N'Goko Sangha d'obtenir, par n'importe quel moyen, une indemnité, son désir d'accroître le nombre des capitalistes étrangers dans son Conseil d'administration, voilà la double origine, purement privée, du projet de consortium franco-allemand. M. Pichon, embarrassé par des promesses imprudentes, a vu, avant tout, dans le projet de consortium le moyen de payer à la N'Goko Sangha l'indemnité à laquelle elle n'avait pas droit.

Le projet de consortium, affaire privée à l'origine, n'était point une conséquence nécessaire de l'accord franco-allemand de 1909 qui, ce point continue à me paraître essentiel, - ne s'appliquait

qu'au Maroc.

Je n'ai jamais nié l'intérêt que l'Allemagne pouvait avoir à la réalisation du consortium. J'ai signalé au contraire le fait que ce consortium « devait placer sous l'influence de l'Allemagne une partie des terres du Congo » (Revue de Paris du 15 janvier 1912. p. 425). Mais j'ai soutenu, je continue à soutenir, que l'échec du consortium n'a pu fournir à l'Allemagne contre la France un grief légitime. L'Allemagne avait droit, en vertu de l'Acte d'Algésiras, au maintien de la liberté commerciale dans un Maroc indépendant; elle avait droit, en vertu de l'accord de 1909, à une coopération économique au Maroc. Mais l'Allemagne n'avait aucun droit à la réalisation du consortium Congo-Cameroun. En échange de ce consortium, elle n'a jamais proposé de nous accorder aucun avantage au Maroc. Rappelons-nous ce qu'a déclaré M. Caillaux à la Commission sénatoriale le 9 janvier 1912 :

Il cût été possible de s'arrêter au projet de consortium si nous avions trouvé quelque chose dans l'autre plateau de la balance. Mais il n'y avait rien. Nous étions amenés à céder le tiers de ce que nous cédons aujourd'hui, et ce tiers ayant la valeur de la moitié. Et pourquoi? pour rien.

Les faits et les textes précédemment cités éclairent la phrase de M. de Kiderlen-Waechter à M. Cambon, longuement commentée par M. Millet, « que son gouvernement considérait l'affaire de la N'Goko Sangha comme une affaire particulière n'intéressant pas la politique du gouvernement allemand. »

L'Allemagne, selon M. Millet, fait de telles déclarations « chaque fois qu'elle trouve préférable de ne pas causer ». A merveille! J'en conclus que l'Allemagne ne voulait pas causer du projet de consortium, et que l'échec de ce projet n'a pu lui fournir une raison légitimant le geste d'Agadir, provoqué, exclusivement, par la politique marocaine de la France, non par sa politique congolaise. 2o Dans quelles conditions alors la question congolaise a-t-elle été mêlée à l'affaire marocaine?

Je n'ai jamais méconnu les convoitises de certains Allemands sur le Congo. J'ai cité, dans l'article de la Revue de Paris, que critique M. Millet, le fait que le nom du Congo a été prononcé à propos de la question marocaine dès 1905 (Revue de Paris, 15 janvier 1912, p. 423). Après Agadir, l'Allemagne a-t-elle parlé du Congo le 7 juillet 1912, comme le dit M. Millet d'après M. André Tardieu (Le Mystère d'Agadir, p. 435), ou le 8, comme le soutient M. Pierre

Albin (Le Coup d'Agadir, p. 48), ou le 10, comme je l'ai écrit d'après M. de Selves (Chambre des Députés, séance du 14 décembre 1911) et M. Caillaux (Chambre des Députés, séance du 18 décembre 1911) ? Quelle que soit celle de ces dates que l'on admette, il me paraît toujours nécessaire de faire intervenir dans l'évolution de cette affaire, « les intrigues des financiers et du journal le Temps ».

J'ai montré le lien unissant aux dirigeants de la N'Goko Sangha certains rédacteurs du Temps, M. Roels, M. André Tardieu. J'ajoute que M. André Tardieu, rédacteur au Temps, avait été, dans la commission arbitrale d'avril 1910, le représentant de la N'Goko Sangha, contre l'Etat dont il est fonctionnaire comme inspecteurgénéral adjoint des services administratifs au Ministère de l'Intérieur.

Or, il ne peut être contesté que le principal journaliste de la N'Goko Sangha a immédiatement essayé d'utiliser le coup d'Agadir pour poser à nouveau la question du projet de consortium franco-allemand, lié au projet d'indemnité de la N'Goko Sangha.

Avant que l'Allemagne n'ait parlé du Congo, le soir du 5 juillet, le Temps (daté 6 juillet) publie un Bulletin de l'étranger intitulé Les conversations franco-allemandes depuis 1909. Il cite l'accord du 8 février 1909, énonçant « un principe dont il restait à définir les applications, soit au Maroc soit ailleurs » (l'accord ne s'appliquait en réalité qu'au Maroc). Il se demande « quelles ont été ses applications »; et, parmi diverses questions marocaines, il place l'affaire de la Société française du Gabon (c'est le nom donné au consortium franco-allemand Congo-Cameroun). Il constate que ce projet fut « abandonné ». L'article se termine par ces mots : « La France et l'Allemagne, pour causer, n'ont aucun effort à faire. Elles n'ont qu'à reprendre avec plus d'activité un entretien dès longtemps commencé ». Je persiste à juger cet article d'une importance capitale car le Temps est considéré en Allemagne comme un journal officieux, exprimant toujours les pensées ou les intentions, ou les regrets du gouvernement français.

Deux jours après, le 7 juillet, le Bulletin de l'étranger du Temps (daté 8 juillet) revient sur la même idée. Il approuve « les journaux français » (auxquels il a fourni ce thème) d'avoir « reconnu que l'Allemagne pouvait en quelque mesure avoir été déçue par les dernières négociations franco-allemandes » ; il ajoute : « Le Temps a rappelé avant hier, avec textes à l'appui, l'histoire de ces négociations, traversées, troublées, arrêtées même, notamment de décembre 1900 à avril 1911, par des campagnes personnelles...

La presse française... reconnaît que l'Allemagne était autorisée à souhaiter que notre politique vis-à-vis d'elle fût plus cohérente et plus suivie ».

Enfin, le Bulletin de l'étranger du Temps du 11 juillet (daté, 12 juillet) suppose un dialogue engagé entre la France et l'Allemagne, et indique à l'Allemagne les arguments dont elle pourra se servir : « L'Allemagne répliquera La promesse de collaboration économique que vous m'avez faite en 1909 aurait dû vous détourner de négliger les négociations ou de rompre les engagements destinés à traduire en acte cette collaboration ».

Tels sont, Monsieur le Directeur, quelques-uns des textes sur lesquels s'appuie mon « roman diplomatique ». Je continue à faire au Temps, comme l'écrit M. Millet, « une belle réclame ». J'ai pourtant l'impression que le directeur et les rédacteurs de ce « quotidien »> ne m'en sont pas très reconnaissants.

3o C'est pour répondre à la campagne du Temps que j'ai écrit dans l'Humanité du 17 juillet 1911 l'article dont M. Millet cite deux mots et dont, pour toute défense je citerai deux paragraphes:

Il ne faut pas que ces intérêts privés continuent à diriger notre politique extérieure. Il ne faut pas que le Parlement et le pays se trouvent, au terme de négociations restées secrètes, en présence de ce fait accompli: résurrection du consortium, indemnité à la N'Goko Sangha.

On peut résumer en quelques mots la seule politique qu'impose l'intérêt national. Si la France se décide à payer certains avantages par des concessions faites à l'Allemagne sur la frontière Congo-Cameroun, qu'elle cède purement et simplement certains territoires. Et qu'elle applique à cette N'Goko Sangha dont la déchéance aurait dû être depuis longtemps proclamée, l'article 3 du Cahier des charges, etc.

Veuillez agréer, Monsieur le Directeur, les assurances de mes sentiments les plus distingués.

Félicien CHALLAYE.

Nous avons communiqué la lettre de M. Challaye à l'auteur de l'article du 10 juillet dernier, M. Philippe Millet, qui nous fait parvenir cette courte réponse.

Mon cher Directeur,

La réponse de M. Félicien Challaye porte sur trois points: 1o. Il renonce à soutenir que le projet de consortium franco-al

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