Imágenes de páginas
PDF
EPUB

impitoyables. Pour en finir, le général Terauchi, ministre de la guerre, nommé résident général, à Séoul, consomma l'annexion et fit de la Corée le simple prolongement de l'empire du Soleil Levant, malgré les protestations émouvantes des indigènes et les appels de l'empereur du « Matin Calme >> à l'Europe qui se bouchait les oreilles (août 1910). Cette presqu'île, de la taille de l'Italie, reçoit, par mois, 2.500 Nippons, qui exploitent le pays en coupe réglée. Procédant avec une sûreté mathématique, les dominateurs ont organisé (octobre 1908), la « Société orientale de colonisation », dans le but de mettre en valeur la Corée. Le capital (25 millions) est japonais et coréen.

Ce procédé machiavélique a réduit ce malheureux pays à l'état d'expression géographique les Nippons le pressurent savamment avec l'aide de longues théories de coolies indigènes. L'application n'en va pas toute seule. Pendant la période un peu agitée, qui va de septembre 1908 à février 1909, en cinq mois, les Japonais ont eu 45 tués et 220 blessés = 265; les Coréens, 8.719 tués et 2.230 blessés = 10.949. C'est un joli «< tableau ».

Deux cent mille Japonais ont fondé des colonies aux gares de la ligne Fusan-Séoul-Yalou. De ces centres en pleine activité, les plus hardis rayonnent vers l'intérieur, avec l'idée fixe de rester pauvres s'il le faut, mais d'accroître le trafic et l'influence de la Patrie.

L'Américain et le Japonais, concurrents commerciaux dans le Céleste Empire, n'entendent pas les affaires de la même manière. Le Nippon a, sur l'Américain, des avantages marqués. D'abord, il apprend aisément le chinois, d'où suppression des intermédiaires. Le long des fleuves, dans les montagnes, loin des centres habités, le Japonais accourt au-devant des clients avec force courbettes. Il est humble, peu exigeant, très souple; il a peu de besoins et sa frugalité est proverbiale. Le voici en sampang, ramant lui-même, couchant sur des nattes, vivant comme un coolie, d'un poisson sec et d'une poignée de riz. Mais, il prend force notes sur le pays exploré; il inscrit avec minutie les commandes et leurs particularités. Le voilà maître du commerce de détail. En territoire germanique, à Kiao-Tchéou, l'Allemand lui-même, si laborieux,

[graphic]

est vaincu par le terrible Nippon, qui ne recule devant aucun moyen de réclame, ni devant aucune métaphore : « Entrez dans nos magasins; vous y serez accueillis par des employés aussi aimables qu'un père qui cherche à marier sa fille sans dot. Nous emballons nos paquets avec les soins délicats d'un nouveau marié pour sa jeune épouse et nous expédions nos marchandises avec la vitesse d'un boulet de

canon. >>

Que fait l'Américain, féru de business en gros et de fortunes soudaines? Il lance dans les provinces des prospectus en anglais. Puis, au lieu d'aller à ses clients, il expédie en reconnaissance de rusés compradores, qui dirigent leurs propres affaires, en même temps que celles de leurs employeurs.

Solidement retranchés en Corée, les Japonais débordent les frontières de ce pays. Dans la Mandchourie du Sud, ils ont créé dix nouveaux bureaux télégraphiques, qu'ils exploitent comme si les Chinois n'existaient pas. Ce sans-gêne de conquistadores exaspère les classes dirigeantes du Céleste Empire. Les mandarins du grade le plus élevé ont parfois l'idée folle de combattre l'oppresseur. Car, à côté de la populace indifférente, les hautes classes accumulent des trésors de haine. Les lettrés surtout, méprisant les mandarins militaires, l'armée, les conquêtes, ont médité longtemps de fomenter une révolte générale assez violente pour ruiner l'ordre de choses établi. Ce jour est arrivé. Yuan-Shi-Kaï préside aux destinées de la République; on ne voit pas trop comment la Chine sortira du gâchis. Les Japonais sont toujours en progrès.

En présence du chaos existant, on se demande : le démembrement va-t-il commencer? Non pas le démembrement comme l'annonçait Lord Beresford, éclatant comme une bombe et suivi d'une curée générale; mais, l'émielage conlinu, de la périphérie vers le centre, comme il arrive pour la Turquie. Déjà, la Corée, Formose, les Pescadores sont dans l'escarcelle nippone la Mandchourie est partagée entre les deux anciens rivaux devenus amis momentanément; la Mongolie et le Thibet branlent dans le manche l'Allemagne se recueille à Kiao-Tchéou; les lignes ferrées du Tonkin pénetrent dans le Yunnan mystérieux.

Ainsi, toute la périphérie tend à se détacher du bloc, l'intérieur du pays est en effervescence et l'on ne sait si la haine de l'étranger ne finira pas par dominer l'esprit révolutionnaire. En attendant, au Nord, les Chinois vivent avec les Russes en assez bonne intelligence, tandis qu'au Sud, ils opposent aux terribles envahisseurs une sourde résistance qui se manifeste par des actes, aussitôt qu'une goutte d'eau fait déborder le vase.

En février 1908, le vapeur japonais Tatsu-Maru venant de Kobé, avec des armes pour Macao, mouille au large de la côte portugaise. Comme la révolution battait son plein dans le Kouang-Toung et le Kouang-Si, la douane chinoise supposa que ces armes étaient destinées aux rebelles et mit l'embargo sur le Tatsu-Maru. Devant les réclamations pressantes du Japon, l'autorité chinoise relâcha le navire (16 mars) et la population cantonnaise protesta vivement contre cette remise qui lui semblait une humiliation. Des milliers de femmes, vêtues de blanc, en signe de deuil, assitèrent, sous une pluie battante, à un vaste meeting, et, vu l'effervescence de la foule grouillante, les négociants nippons boycottés, abandonnèrent la ville au plus vite.

Nombreux sont les prophètes qui prédisent une guerre prochaine entre l'Amérique et le Japon, tous deux candidats perpétuels à la suprématie de l'Océan Pacifique. On croit peu aux assurances amicales qu'échangent ces chiens de faïence et l'on suppute les chances de chacun dans les batailles de demain.

Cependant, avant de songer au duel américano-japonais, il faut bien tenir compte des accords existants et se demander aussi le Japon a-t-il intérêt à briser les vitres ? A voir les choses de près, plusieurs raisons semblent militer en faveur d'une solution pacifique. D'abord, l'Union américaine est un client excellent en 1904, les échanges du Japon avec ce pays atteignaient 400 millions. En second lieu, l'Empire du Soleil Levant a besoin du concours financier des deux mondes.

Or, la confiance ne se commande pas et les prêteurs ne

joueront pas le rôle de dupes. Il faut que l'emprunteur démontre que le produit des emprunts ne servira pas à la multiplication de ses Dreadnoughts. Enfin, les Nippons éprouvent le besoin de démentir leur réputation d'enfants terribles, de peuple turbulent, d'abolir la légende qui les représente comme un élément perturbateur. A ce titre, les déclarations attribuées à Guillaume II sur le péril jaune (octobre 1908), piquèrent au vif le gouvernement mikadonal : « L'Allemagne a la tête dressée vers l'avenir; son horizon s'étend fort loin; elle doit être prête à tout en Extrême-Orient. Qui peut prédire les événements dont le Pacifique sera peut-être le théâtre, dans un avenir plus rapproché qu'on ne le suppose communément? Considérez les succès du Japon, songez au réveil national de la Chine et jugez alors de la grandeur des problèmes du Pacifique. Seules, les puissances qui possèdent de fortes marines seront écoutées avec respect, lorsque l'avenir du Pacifique réclamera une solution. Quand ce ne serait que pour cette raison, l'Allemagne doit avoir une flotte puissante.

[ocr errors]

Authentique ou non, ce coup de clairon froissa les Japonais qui, avant tout, désirent se faire accepter ici et là.

Depuis l'incident des écoles, épisode de la lutte du salaire américain contre le salaire de famine, étincelle de la haine du blanc pour le jaune, deux faits ont amélioré la situation relative des Etats-Unis et du Japon, le voyage de M. Taft et le périple de la flotte américaine. En 1907, M. Taft, alors secrétaire de la guerre, ancien commissaire du gouvernement aux Philippines, accomplit en Extrême-Orient (Japon, Chine, Russie), une longue mission pacifique. Il entretint le mikado du petit nuage qui obscurcissait momentanément une amitié d'un demi-siècle, mais que « le plus terrible tremblement de terre ne saurait ébranler ». Les Chinois de HongKong et de Changhaï réservèrent un accueil cordial à ce missus dominicus. Aux Philippines, M. Taft visita les travaux de fortification, il assista à la première réunion de la Chambre indigène et partit pour Vladivostock, d'où le Transsibérien le déposa à Pétersbourg, le 4 décembre. Véritable. voyage à la vapeur, auquel la présence de Mme Taft et d'un de ses fils, enlevait tout caractère officiel. Le tsar reçut

M. Taft à Tzarskoé-Sélo. En raison de la lutte que l'on croyait prochaine, la Russie officielle restait neutre, mais nombre d'officiers russes offrirent leurs services contre le Japon, sous les « stars and stripes ».

L'autre fait, coup de maître du président Roosevelt, d'une portée plus haute, montra que l'Amérique ne renonçait pas l'ambition d'étonner le monde ». La croisière de l'escadre américaine autour du globe eut un grand retentissement. Ce n'est pas sans raison sérieuse que toute une armée navale a parcouru 46.000 milles et brûlé 400.000 tonnes de charbon. Sans doute, les hommes d'Etat de l'Union s'appliquèrent à signaler le caractère normal de ce périple immense, en annonçant des «< manœuvres » de longue durée. Le Japon mit un masque d'indifférence, il sourit d'un sourire énigmatique et continua ses armements.

On se demanda d'abord si les cuirassés nippons n'attaqueraient pas à l'improviste l'escadre de l'amiral Evans, et celuici, pendant l'appareillage, traduisait allègrement cette incertitude: « La flotte est prête pour la bataille et pour le bal. >>Ce fut le bal qui l'emporta.L'armée navale américaine reçut du mikado l'invitation très courtoise de venir jeter l'ancre à Yokohama pendant son voyage de circumnavigation les navires américains mouillèrent dans ce port, le 18 octobre 1908. Officiers et équipages recurent l'accueil empressé de gens soucieux d'effacer, par des attentions excessives, le souvenir d'un passé troublant, de discussions irritantes et de problèmes ardus. Le long de la ligne Yokohama-Tokio, de petits Nippons, en habits de fête, massés aux stations, chantaient en chœur le « Hail Columbia ! ». L'amiral Sperry, successeur d'Evans, dans le commandement de l'escadre, remit au mikado une lettre autographe du président, et le souverain adressa à Washington un câblogramme de remerciements: « Cet événement mémorable contribuera à renforcer les liens d'amitié et de bon voisinage existant entre les deux pays. »

L'Amérique enthousiasmée sentit que cette croisière triomphale inaugurait une politique nouvelle. C'était le prélude de l'accord de novembre 1908, gros événement économique et politique, venu fort à propos pour dérouter les prévisions. pessimistes immédiates. Cet accord maintient le statu quo

« AnteriorContinuar »